Les restaurations
Les restaurations sont à la fois « centenaires », larges et pluridisciplinaires.
Il a été procédé à:
- des investigations archéologiques
- la consolidation des structures
- la réhabilitation de l’enveloppe
- l'étude et conservation des décors peints
- l'étude et conservation des menuiseries
- l'étude et conservation des vitraux
- l'intervention sur la physique du bâtiment
- l'actualisation des installations techniques
- le dessin du mobilier
Cet ensemble d’interventions n’est cependant pas spécifique à Grandson. Tout autre monument, après cent ans d’usage, aurait nécessité une intervention similaire. Mais Cette restauration se distingue par deux héritages:
Le premier procède d'une question d’image en rapport à une vision contemporaine d'une image héritée.
- l'intervention de l'architecte Léo Châtelain cent ans plus tôt, à l’issue du grand chantier de restauration dont il a eu la charge entre 1892 et 1899
Le second relève d'une question structurelle
- la question du contrebutement des voûtes de l’église, particulièrement celles de la nef et de la croisée. Problème lancinant à Grandson, qui remonte au jour où les colonnes, qui portaient probablement un plafond de charpente et de menuiserie, ont reçu une voûte de tuf.
A la fin du XIXe siècle
Conduite par l’architecte neuchâtelois Léo Châtelain, cette restauration s’est déroulée entre 1892 et 1899. Elle a conféré au bâtiment son statut de monument historique, intention exprimée dans les premiers rapports de 1885. Selon une pratique courante à l’époque, en conformité avec cette dignité:
l’édifice a été dégagé, par l’abaissement partiel de la place et la démolition des constructions annexes:
- le hangar des pompes adossé à son chevet
- l’escalier d’accès extérieur au clocher
les crépis qui recouvraient les murs extérieur ont été enlevés:
- dans un premier temps, pour pouvoir mieux révéler la dimension historique et l’état de conservation du bâtiment
- puis cet aspect a été conservé par attirance pour la pierre apparente
Le néo-roman: le choix de restitutions à l'identique
Des aménagements, jugés purement utilitaires, de l’époque bernoise ou cantonale:
- fenêtres et contreforts, portail, ont été remplacés par des éléments néo-romans, sur la base d’indices parfois ténus découverts dans les murs. Ils témoignent des partis pris des auteurs, sensibles à l’argument du «beau caractère roman bien défini».
- les baies des bas-côtés ont été restituées dans leur forme médiévale, non sans heurt avec la Municipalité qui craignait l’obscurcissement de la nef
- le rétablissement du modèle de contrefort d’origine a nécessité la pose de tirants métalliques dans les voûtes, pour maintenir les murs et contrebalancer la poussée des voûtes
- la façade ouest a retrouvé portail et rosace dans le goût médiéval
Si l’ensemble de l’édifice a été touché par d’importants travaux de réparation, de réfection plus ou moins à l’identique, au niveau des maçonneries et des charpentes, certaines interventions ont délibérément cherché à restituer le caractère roman du bâtiment. Ce sont, actuellement, les vestiges les plus éloquents de la restauration de la fin du XIXe siècle.
Les restaurations terminées en 2006
Le premier volet de la restauration concerne l'adaptation du monuments aux usages contemporains et aux exigences techniques actuelles:
Equipements techniques:
- éclairage
- chauffage
- réglage du taux d’humidité
- acoustique
Aménagements des usages:
- définition des espaces
- emplacement de l'orgue
Ces questions trouveront leurs solutions principalement dans le choix du sol.
Le second volet concerne l'enveloppe et ne touche pas aux volumes réels de l’église. Elle intervient indirectement sur les conditions de la perception spatiale par un traitement de la peau.
- murs et revêtements
- stabilité de l'édifice
Deux pôles traités séparément et mis en dialogue l'un avec l'autre.
La stabilité en question
La faiblesse statique de la nef a retenu l'attention des ingénieurs civils en ce qu’elle ne résulte pas d’une dégradation de la matière, mais d’une sorte d’imprécision dans l’exécution originelle, si ce n’est dans la conception même de la structure. Ceci a occasionné des interventions récurrentes au cours du temps:
- des travaux importants au XIVe siècle
- renforcement des piles occidentales de la croisée au XVIe siècle
- ajout de six contreforts aux murs gouttereaux de la nef en 1742
- ajout de deux massifs de part et d’autre de la chapelle nord en 1824,
- enlèvement, sous Châtelain en 1899, de tous ces renforts, remplacés par quatre tirants intérieurs
- Aujourd'hui, l’équilibre horizontal des voûtes reste toujours précaire. Le mauvais contrebutement du couvrement de la nef se manifeste par une déformation de la structure, par l’abaissement de la voûte qui se fissure à la clé et par le déversement des colonnes qui la supportent.
La résistance des colonnes
Les dévers affaiblissant la pierre en décentrant le poids de la charge, la question de la résistance des colonnes fut examinée: les points critiques des colonnes ne semblèrent pas excéder la capacité de résistance de la pierre (monolithique).
La stabilité de leur assise
Le socle de plusieurs colonnes prenait appui sur le sol naturel. Les sondages révélèrent que les dalles posées au pied des colonnes suffisaient à stabiliser le sol et lui permettre de supporter la charge.
La question des tirants
L'examen des quatre tirants démontra de fortes corrosions du métal et des tensions trop importantes à leurs points d'ancrage. C'est donc une question d'équilibre de l'édifice qui va orienter les travaux restaurations.
La solution choisie
Le renouvellement des tirants a été la solution choisie et l’occasion de plusieurs adaptations:
- l'une due à la qualité actuelle des matériaux dont les performances mécaniques sont supérieures
- l'autre à la décision de stabiliser séparément la nef entre les gouttereaux en logeant deux clés intermédiaires au revers des arcatures
- Cette approche, respectant le choix de la restauration antérieure, aussi bien que prenant une distance résolument contemporaine par rapport au prédécesseur, va conditionner toute la restauration de Grandson.
Le traitement des murs
La suppression des crépis pratiquée sous la direction de Châtelain n’a guère laissé d’indices sur les procédés qui, historiquement, permettaient de regrouper entre eux les éléments archéologiques aujourd’hui dissociés. Trois techniques ont été néanmoins observées:
- l’enduit sur le parement des adjonctions gothiques ou les voûtements romans
- le joint plein sur les parois romanes
- le badigeon, ponctuellement attesté mais sur toutes les surfaces et en plusieurs couches
Ces trois techniques ont été reprises dans le projet comme trois instruments permettant de réintégrer les élévations. Dans les élévations intérieures du XIVe siècle, la surface irrégulière des boulets apparents a ainsi été portée, grâce à un enduit, à la hauteur de celui des parements romans auquel elles s’accolent, de manière à estomper cette rupture de texture qui sépare parois appareillées et surfaces brutes de moellons, rétablissant ainsi l’homogénéité d’un espace dont le voûtement continu indique qu’il devait être uni dans sa volumétrie.
De même les parements romans ont-ils été rejointoyés afin que le nu des joints, laissés en retrait par Châtelain, retrouve celui de la surface des pierres et que l’appareillage constructif disparaisse au profit des surfaces d’ensemble. Cela est surtout sensible pour l’enduit pietra rasa des voûtements que le tuf rugueux, laissé apparent, séparait fortement du support vertical en calcaire lisse. L’enduit des claveaux permet de réunir ainsi le monde de la voûte à celui du mur, dans un nouveau tout volumétrique. Dans la chapelle nord, l’application de ces deux techniques, celle de l’enduit couvrant et celle du joint plein, a permis de réunifier, par le simple jeu des surfaces, trois coupures liées aux modes de construction.
La prudence des objectifs de restitution a encore une autre raison: le souci de ne pas effacer une présentation dissociée typique d’un XIXe siècle qui s’inscrit aujourd’hui dans la matière même du monument comme une étape importante de son histoire. Ainsi la distinction matérielle que le rejointoiement de Châtelain exacerbait entre moellons gothiques et taille romane est-elle conservée: non plus entre boulets bruts et parement réglé, mais, plus discrètement, entre parements enduits et parements appareillés, sur un mode qui permet une intégration visuelle de ces parties distinctes en des ensembles qui les dépassent désormais.
La couche blanche
Après l’égalisation des nus, l’application d’une pellicule picturale permet de réduire encore les facteurs de dissociation qui subsistent entre les textures des surfaces égalisées ou les couleurs des matériaux bruts: après la réduction des niveaux, la réduction des sauts chromatiques de la pierre par le badigeon.
Le choix s'est arrêté sur une couche sans décor et extensible à tous les parements. Picturale, car pour jouer le rôle intégrateur qui lui est confié, cette couche doit posséder, même transparente, une teinte qui réduise les contrastes de couleur avec les supports laissés bruts. Cette couleur a été choisie blanche parce que dans tous les décors conservés, le trait se détache toujours sur un fond blanc, et aussi parce qu’avec le noir du sol le blanc constituait la mise en couleur la moins significative que l’on pouvait imaginer. Certaines parties, portant un décor pictural médiéval, étendues à leur ensemble architectural, restent non badigeonnées et sont mises en valeur par un décor en épargne.
La solution du sol
Le sol recouvre tous les agencements techniques voulus par la restauration (chauffage, installations électriques). Le sol a été imaginé le plus uni possible.
- dans sa couleur étendue à toute la surface renforçant l’unité recherchée. (Elle est anthracite et ne trahit pas le grès coquillé mis en place par Châtelain)
- dans sa matière par un effort de planéité, réduisant les différences de niveaux dans un lien très contemporain entre les espaces
Le sol abrite tous les équipements techniques nécessaires à l'usage et à la conservation du monument.
La climatisation
L'épaisseur des murs d'un édifice roman, la petitesse des ouvertures rendent faibles les échanges entre le climat intérieur de l’église et l’extérieur. Cette imperméabilité est profitable, mais parfois elle est préjudiciable. Un contrôle du renouvellement de l’air permet d’agir sur l’humidité excessive de l’air intérieur.
Il se fait par des canaux aspirants ou pulsants, dans l'épaisseur du sol et débouchent dans le joint négatif, espace qui entoure le sol au pied des murs et des supports.
L'acoustique
La mise à nu des murs, en ce qu’elle fragmente l’écho, va dans le sens d’une meilleure audition de la parole alors que l’enduit, augmente la réverbération et la musicalité du son.
L’une des fonctions du nouveau sol et du mobilier qui lui est attaché, est de rendre possible, entre ces exigences contraires, un intermédiaire qui soit admissible: le dossier des nouveaux bancs est un absorbant acoustique qui diminue l’écho augmenté par les nouveaux enduits, alors que le son direct de la parole est renforcé par une assistance électro-acoustique alimentée depuis le sol.
L'éclairage
La lumière vient également d’en bas, contrairement à la lumière naturelle. Les sources de lumière placées au haut de mâts fichés au sol projettent sur les élévations une lumière homogène, qui contribue d’abord à la lecture unifiée des volumes. Elle se réfléchit ensuite sur les surfaces badigeonnées de blanc pour éclairer indirectement les usagers.
Seule la croisée se distingue de cet éclairage ambiant par une source de lumière verticale, projetant depuis un disque placé dans l’oculus du dôme des pinceaux lumineux centrés sur le mobilier liturgique.
La circulation
Une réorganisation des circulations va dans le sens du recentrement liturgique des volumes. La circulation principale qui se faisait par l’axe de la nef est rejetée en périphérie, dans les bas-côtés. Le mouvement n’est plus orienté, il entoure les perspectives principales où prennent place désormais les bancs. L’assemblée regagne le centre des espaces : les points de vue essentiels sont pour les personnes qui s’asseoient et non pour celles qui parcourent.
Les perspectives architecturales y trouvent un caractère nouveau, plus statique, centré à la croisée du transept où s'installe la chaire, la table de communion et les fonts baptismaux. Ces trois pôles essentiels du culte réformé ne se découvrent plus dans une perspective liturgique, mais du milieu même de l'assemblée.