Le monument
L’église de Grandson est connue pour abriter une série de chapiteaux romans parmi les plus intéressants de Suisse. Les découvertes, en 2006, de fragments liés à l’ancien portail roman permet aussi de compléter l’iconographie mise en place par les tailleurs de pierre.
Une lecture d'est en ouest
L’étude approfondie des sculptures révèle, comme c’est le cas aussi pour les décors peints, l’importance de l’emplacement des images pour leur compréhension.
La topographie des églises médiévales est complexe et à l’intérieur de ce qui nous paraît aujourd’hui comme une seule entité se trouvaient des lieux symboliques et dévotionnels particuliers.
La perception de l’espace médiéval est rendue aujourd’hui très délicate par la disparition générale, particulièrement en terre réformée, du mobilier et des séparations qui pouvaient structurer les lieux (grilles de clôture, stalles, autels, chapelles).
Dans le cas de Grandson, le portail avec son tympan et les chapiteaux sculptés répondent à une ordonnance marquée dans l’édifice par une progression vers le divin d’ouest en est qui donne le sens que l’on peut attribuer à ces œuvres.
Sommaire du monument
Les chapiteaux
Une imposante série de colonnes surmontées de chapiteaux historiés supportent les grandes arcades de la nef principale.
Ces chapiteaux sont placés sur des fûts monolithes identifiés comme éléments d'origine romaine, récupérés sans doute sur des sites voisins (Orbe, Avenches, Yverdon?), opération que la proximité du lac a sans doute favorisée pour leur transport.
Les colonnes sont posées sur de grands socles calcaires, peut-être aussi d’origine antique, mais retaillés à l’époque romane.
Unité et cohérence
Ces grands chapiteaux du vaisseau central offrent une unité, à la fois dans leur dimension et dans leur forme:
- Les moulures des tailloirs sont souvent très proches
- La manière de structurer les différentes faces des corbeilles: une division tripartite, le centre de la face étant occupé par une figure, par une fleur ou un élément végétal, ou marqué simplement par un dé sous le tailloir
- De part et d’autre, les angles sont occupés régulièrement par des figures ou des motifs végétaux.
Cette structuration de l’espace sculpté impose une certaine rigidité aux motifs qui se déploient strictement sur l'espace. Au bas de la corbeille, l’astragale forme une moulure en boudin.
Le parcours initiatique
L’étude approfondie des sculptures révèle, comme c’est le cas aussi pour les décors peints, l’importance de l’emplacement des images pour leur compréhension. La topographie des églises médiévales est complexe et à l’intérieur de ce qui nous paraît aujourd’hui comme une seule entité se trouvaient des lieux symboliques et dévotionnels particuliers. La perception de l’espace médiéval est rendue aujourd’hui très délicate par la disparition générale, particulièrement en terre réformée, du mobilier et des séparations qui pouvaient structurer les lieux (grilles de clôture, stalles, autels, chapelles).
Le programme iconographique des dix chapiteaux historiés de la partie centrale de la nef se lit d'ouest en est : à la progression depuis l'entrée vers le choeur correspond une progression vers le divin, en lutte contre les forces du Mal. Les chapiteaux sont placés sur des colonnes d'origine romaine et ont probablement été réalisés aux environs de 1125, par au moins quatre sculpteurs différents, mais appartenant tous à un même atelier. Les chapiteaux représentant personnages et animaux alternent, tout au long de la nef, avec des chapiteaux végétaux décorés de fleurs et feuilles d'acanthe. Certains des chapiteaux sur lesquels reposent les arcatures aveugles des bas-côtés sont également sculptés.
Le premier chapiteau, côté sud représente des êtres souffrant de diverses afflictions. Plusieurs figures humaines grimaçantes ou gesticulantes montrent ou touchent une partie douloureuse de leur corps, la bouche, le ventre, la main, le pied ou le sexe. Un des personnages, dans une position proche de la rupture d’équilibre, enlève de son pied une épine.
Traité de façon expressive ce thème semble, ici, clairement décrire des êtres souffrants, taraudés par le mal. Vêtus de tuniques courtes, ils possèdent tous de très petits pieds se terminant en pointe. La facture de ces sculptures est simplifiée dans le traitement des personnages qui, bien que montrant des expressions différenciées selon les maux représentés, offrent des caractéristiques communes: vêtements, ornés de bourrelets aux manches, chevelures, simulées par des sillons, et visages grotesques, marqués par des yeux saillants.
Un chapiteau végétal, au nord de la nef fait pendant au chapiteau du tireur d’épine. Il est orné d’une double rangée de feuilles d’acanthe. Il est également plaqué contre la paroi ouest et a par conséquent son quatrième côté non visible. Les feuilles d’acanthe, composées de folioles fortement marquées au niveau de la nervure, forment, à leur extrémité, un grand enroulement qui donne beaucoup de consistance à cette corbeille. Seule la face placée du côté oriental porte un dé médian, les autres étant simplement laissées libres de tout décor sous le tailloir. On peut constater d’assez grandes différences entre les feuilles des faces sud et nord, les enroulements végétaux au sud paraissant plus fins et plus habiles que ceux du nord de la corbeille ce qui laisse supposer la présence de deux maîtres sculpteurs ou d’une interruption du travail.
Le deuxième chapiteau, côté nord fait sans doute allusion aux supplices infernaux. Ce chapiteau, complexe dans son ordonnance, est ponctué dans les angles par quatre grandes figures de monstres, réduites à une gueule béante laissant voir de grandes dents carrées qui mordent des personnages retenus prisonniers par les jambes et placés la tête en bas.
Les pauvres êtres tourmentés se saisissent par la main dans une ronde infernale qui tourne tout autour du chapiteau. Leur visage exprime la frayeur. Entre les monstres, au centre de chaque face, une figure représentée en pied, au visage impassible, tente d’écarter les mâchoires infernales pour leur faire recracher leur proie. Elles sont vêtues d’une longue tunique serrée à la taille par une ceinture. Ces figures humaines sont encore caractérisées par un visage de forme ovale, aux grands yeux en relief cernés de paupières saillantes, avec une petite fossette sur le menton, des lèvres biens dessinées, et des chevelures soigneusement ordonnées qui dissimulent les oreilles. Le quatrième personnage, sur le côté oriental de la corbeille, esquisse un geste avec ses mains, placées l’une sur l’autre.
Le deuxième chapiteau, côté sud, en face des monstres, des anges et archanges luttent contre un dragon. Un personnage ailé, vêtu d’une tunique et muni d’un bouclier, se tient debout sur une bête pourvue de grandes ailes, d’un corps de serpent et d’une large gueule laissant entrevoir des dents acérées. D’un geste assuré, et dans la position du vainqueur l’ange transperce la gueule du monstre de sa lance. À ses côtés une deuxième figure, un ange également, possédant deux paires d’ailes, l’une repliée devant son corps, tient la queue du dragon. Cette scène est répétée à deux reprises sur la corbeille avec de petites distinctions toutefois. Les deux anges combattants n’ont pas le même visage et l’une des deux autres figures ailées montre la paume de sa main largement ouverte dans un geste rassurant d’invitation à entrer dans l’église.
Le troisième chapiteau, côté nord, celui de la Vierge à l'enfant, représente également deux ecclésiastiques et un ange à six ailes. La restauration a permis de retrouver les vestiges d'une riche polychromie médiévale. Sur la face est du même chapiteau, avec l'inscription "Saint Hughes priez pour nous". Il s'agit probablement de Saint Hugues de Semur, Abbé de Cluny dont la Vita évoque une vision qui pourrait être à l'origine du programme iconographique de l'ensemble de l'église à l'époque romane. C’est le chapiteau central de l’iconographie de la nef, celui qui permet de saisir le sens et de comprendre l’ordonnance de tous les autres. La composition est régie par une figure qui occupe le milieu de chaque face.
Le quatrième chapiteau, côté sud figure quatre lions qui semblent veiller sur la porte conduisant au cloître, située à proximité. Ils sont disposés de manière à former une sorte de ronde autour de la corbeille, une des pattes avant de l’animal reposant sur l’arrière train de celui qui le précède. Le sculpteur les a associés de manière originale et de façon à ce que les têtes occupent chaque angle de la corbeille et regardent dans une direction différente. Pourvus d’immenses yeux et de gueules garnies de crocs acérés, les animaux paraissent toutefois tranquilles. Ils ne sont pas représentés en train de lutter, mais plutôt de veiller.
Les volumes sortent véritablement du bloc comme un haut relief. Bien que les yeux des lions puissent être rapprochés de ceux des monstres du chapiteau de l’enfer, l’ensemble de la tête de l’animal est très différent. Les dents pointues et espacées, le dessin très linéaire de la crinière des animaux, l’aspect lissé donné à la pierre et l’extraordinaire souci de volumétrie contribuent à rapprocher ce sculpteur du troisième groupe évoqué lors de l’analyse du chapiteau à feuilles d’acanthes.
Le cinquième chapiteau, côté nord représente une autre figure récurrente de la sculpture romane : des aigles symbolisant le Christ, situés à proximité du choeur.
Sur ce chapiteau des aigles aux ailes déployées prennent place majestueusement sur chacune des faces. Trois des animaux inclinent gracieusement la tête en appuyant le bec sur leurs plumes. Les ailes largement ouvertes ménagent des vides et des creux dans la corbeille, donnant beaucoup de légèreté à l’ensemble. Le tailleur de pierre a privilégié des formes et des lignes très simples dans l’exécution de cette oeuvre, jusqu’à la régularité des plumes dessinées avec soin bien que de manière très répétitive. Les pattes des volatiles, parfaitement symétriques, sont pourvues de serres qui reposent sur l’astragale.
Le tailloir comporte une moulure ornée de denticules. C’est le seul à avoir reçu un décor sculpté parmi les grands chapiteaux de la nef.
Chaque face de ce chapiteau est régie par la même ordonnance. Une tige surmontée d’une fleur émerge d’une rangée de feuilles d’acanthe et occupe le centre de la composition. Elle est flanquée de deux gerbes de feuilles retenues par un noeud qui se déploient librement sur la surface disponible. La taille est précise, mais assez heurtée, les feuilles ne sont pas arrondies, mais ont un aspect un peu anguleux.
Les chapiteaux des bas-côtés
Les parois des bas-côtés sont ornées d’arcatures aveugles retombant sur des colonnettes engagées. Elles sont surmontées de chapiteaux de diverses formes:
- certains sculptés de motifs à entrelacs, végétaux ou figurés
- d’autres cubiques, montrant de simples surfaces planes
- d’autres encore partiellement sculptés
Analyse iconographique des chapiteaux
L'analyse montre la grande cohérence du programme, même s’il demeure relativement simple en regard d'autres grands ensembles conservés.
Centré sur le chapiteau de la Vierge et se référant peut-être à la vision de saint Hughes de Cuny, il détermine un espace cohérent dans la nef et suit une logique de lecture d’ouest en est dans laquelle on peut inclure les fragments retrouvés de l’ancien tympan du portail. Malgré des remaniements attestés, notamment pour les chapiteaux entaillés du revers de la façade ouest, travaux malheureusement mal identifiés, et que l’on ne peut dater avec précision, on peut proposer maintenant l’hypothèse que les chapiteaux, s’ils ont fait l’objet d’un démontage et remontage, l’ont été dans l’ordre de la lecture prévue à l’origine.
Quelques curieuses irrégularités constatées au niveau des astragales (double astragale pour le chapiteau des lions et absence de ce motif pour le chapiteau de Saint-Michel) pourraient peut-être attester un chantier peu soigneux (ou trop rapide?), mais des traces de polychromie, conservées notamment sur le chapiteau des anges combattants, prouvent qu’avant l’adoption de la Réforme, et probablement bien antérieurement, cet objet se trouvait déjà dans cette situation-là.
Il faut encore préciser que la compréhension de l’iconographie est sans doute réduite par la disparition d’éléments faisant partie de l’aménagement de l’espace original. Le décor monumental s’accompagne très souvent d’un décor peint qui, même s’il n’est pas toujours très développé dans les parties occidentales de l’église, marque des limites, ou présente des scènes figurées qui illustrent la liturgie se déroulant dans des lieux spécifiques. La nef de Grandson était sans doute structurée à l’époque romane par des éléments de décors (peintures, mobiliers) ou des constructions (jubé?) qui n’ont pas laissé de traces ou alors si infimes qu’il est impossible de les interpréter. Les décors peints les plus anciens remontent à l’époque gothique.
Les Maîtres sculpteurs
L’analyse rapprochée des oeuvres, effectuée sur les échafaudages, a permis d’observer l’emploi de plusieurs techniques et styles et de former des groupes plus ou moins cohérents.
Quatre sculpteurs au moins ont été répertoriés
Trois d’entre eux semblent avoir produit au moins deux chapiteaux. Le quatrième, l’auteur du chapiteau central de la Vierge à l’enfant, trois chapiteaux, voire quatre, si on lui attribue le chapiteau de la quatrième travée. C’est aussi celui qui a effectué les figures les plus élaborées, peut-être avait-il une place importante dans l’organisation du chantier. D’après nos observations, trois sculpteurs ont travaillé aussi bien des éléments végétaux que des figures, attestant pour chacun un niveau de virtuosité plus ou moins comparable. L’étude révèle aussi que les sculpteurs ont travaillé dans l’église par secteurs, leurs oeuvres se suivent topographiquement, à l’exception d’un des chapiteaux.
Un élément étonnant a pu être mis en évidence. Malgré des différences notoires de style on peut remarquer des récurrences évidentes dans la manière de représenter certains éléments, quelques traits du visage, les yeux par exemple (chapiteau du tireur d’épine et des monstres, ou chapiteau des lions) ou de dessiner les plis des vêtements (tireur d’épine et chapiteau des monstres), même si, de toute évidence, ce n’est pas le même sculpteur qui a travaillé.
La façon de mettre en scène les images et de structurer la corbeille avec des éléments centraux au milieu de chaque face, les effets de symétrie, les épannelages des corbeilles qui montrent des différences certes, mais de nature infimes, laissent penser que les tailleurs de pierre ont pu réaliser leurs œuvres d’après des modèles. Quelques détails accentuent encore cette hypothèse, notamment la façon particulière de sculpter les pieds des personnages, très petits, en forme de pointes, ou encore l’exemple du dessin des plumes et des écailles qui offre de grandes parentés. Ces similitudes observées dans le dessin, mais non dans la précision de l’exécution, trouveraient une explication dans la présence de modèles auxquels des tailleurs de pierre à la personnalité différente auraient pu se référer.
La cohérence du programme iconographique, qui a été pensé non seulement en termes de liens entre les chapiteaux, mais aussi en incluant la conception d’un véritable cheminement dans l’édifice, avec une réflexion de l’insertion des oeuvres dans l’espace sacré, vient appuyer la proposition d’un programme minutieusement élaboré et concerté.
Les influences
Du point de vue des influences, les liens avec l’Auvergne ont été souvent évoqués. Ils sont effectivement frappants pour certaines oeuvres que l’on a attribuées à un sculpteur que l’on peut nommer par commodité «le maître du chapiteau de la Vierge à l’Enfant».
Pour le chapiteau de la Vierge ou celui de l’Enfer, la manière de représenter les figures, très saillantes par rapport au plan et en haut relief, sont à l’image par exemple du prestigieux maître de Mozac, bien que la qualité artistique ne soit pas de la même tenue. Pour poursuivre la comparaison, les personnages du linteau en bâtière du cloître de Mozac offrent quelque ressemblance avec ceux du chapiteau de la Vierge, notamment dans la façon de représenter les plis des vêtements, ou la corpulence des figures, mais les comparaisons s’arrêtent là.
Des similitudes sont à relever également avec les sculptures d’Orcival comme l’avait déjà évoqué Suzanne Brodtbeck et la comparaison peut s’étendre au chapiteau à feuilles d’acanthe de la quatrième travée dont un des exemples d’Orcival est très proche de Grandson, notamment dans la manière de tailler les folioles en creusant la nervure centrale. Le chapiteau aux aigles de Grandson pourrait, quant à lui, être comparé avec celui de la nef de Brioude ou de celui du collatéral sud de Chanteuges. D’autres oeuvres paraissent relever d’une tout autre filiation et bien éloignées des exemples auvergnats. Le chapiteau des lions et le chapiteau végétal de la deuxième travée ne trouvent des ressemblances à leur extraordinaire plasticité que dans des oeuvres du sud-ouest, proche de la frontière espagnole.
Ces influences diverses, que l’on ne retrouve pas ailleurs dans notre région, pourraient attester la présence de sculpteurs réunis pour l’occasion et peut-être pas l’existence d’un véritable atelier.
La datation
Si la question de la chronologie n’a pas encore été abordée, c’est que les indices sont très minces pour affirmer avec assurance une datation précise. Nous ne connaissons ni la date de consécration de l’édifice, ni celle de l’affiliation à la congrégation de La Chaise-Dieu. La première mention d’un prieur remonte à 1202. Les remaniements dans l’élévation de l’église constatés par les archéologues ne peuvent être analysés que selon une chronologie relative. La date généralement proposée est située au milieu du XIIe siècle, après 1146, date de la liste des prieurés de La Chaise-Dieu, dans laquelle Grandson ne figure pas encore.
Les influences auvergnates sur l’architecture de l’église étant reconnues, une exécution des sculptures après 1146 a donc été proposée tout naturellement. Pourtant cette hypothèse relativement tardive signifierait un retard artistique de près de 50 ans si l’on tient compte des dernières dates admises pour la sculpture auvergnate, celle de Mozac par exemple. Peut-on envisager un tel décalage en regard de la qualité des oeuvres de Grandson?
L’attribution de la figure de Saint Hugues à Saint Hugues de Cluny permettrait de remonter un peu dans le temps. L’inscription sur le tailloir du chapiteau le désigne comme saint. Sa canonisation intervient en 1120 et la rédaction de la vita, qui a sans doute donné une impulsion à son culte, est située avant 1122. Pourquoi ne pas admettre une datation proche de 1122, ce que ne contredirait pas la forme du bouclier de Saint Michel ?
Les décors peints
L’ensemble des surfaces murales ainsi que les voûtes ont perdu leurs décorations picturales. Seul dans la nef des rinceaux de fleurs décorent encore les arcades des deux premières travées, elles datent du XVe siècle.
La Mise au tombeau
Dans la chapelle au sud du chœur, un enfeu est décoré par une Mise au Tombeau. Sept personnages sont rassemblés autour du corps du Christ gisant sur un sarcophage massif, fermé d’une dalle, au centre de la scène. Le Christ repose nu sur un linceul, les bras croisés sur son torse. Marie enlace le corps de son fils. A l'arrière, saint Jean et les saintes femmes pleurent le Bien-Aimé. De part et d’autre du tombeau se tiennent deux personnages, apparemment inversés par rapport à la tradition iconographique.
A gauche, l’homme portant un curieux couvre-chef est sans doute Nicodème (le personnage pourrait être identifié avec le prieur Antoine Mestral de Mont, commanditaire éventuel de la peinture).
A droite, Joseph d’Arimathie.
Au-dessus de cette scène, à la brisure de l’arc, Dieu, représenté en buste, dans une mandorle, étend son bras droit au-dessus d’un nimbe crucifère en faisant le signe de la bénédiction dans la direction de la tête de son fils. Sur le pourtour du grand arc qui domine la niche sont représentés des anges.
La composition de la Mise au tombeau de Grandson est réfléchie, fermée sur elle-même, mais ouverte au spectateur. L’emplacement et les proportions des personnages participent à cet équilibre. Malgré les dommages qui ont porté atteinte à certains personnages, on perçoit encore plusieurs traits des visages et la dernière restauration a permis de mettre au jour de nombreux détails. Ceci permet d’observer un type de visage aux yeux tombants, aux sourcils en circonflexe et à la bouche menue. Un soin particulier est donné aux vêtements, dont la plupart sont enrichis de motifs ou de fourrure. Les manteaux qui recouvrent les deux saintes femmes et saint Jean tombent en formant des volutes. Il en est de même de ceux que portent les anges de l’intrados de l’arc, le drapé est vaste, joignant aux volutes des plis en forme de becs, se cassant et se répandant sur le sol. Ces caractéristiques stylistiques situent l’œuvre dans la première moitié du XVe siècle.
Le thème de la Mise au tombeau
La représentation d’une iconographie à thème funéraire est courante dans les enfeus et la Mise au tombeau, comme d’autres scènes tirées du cycle de la Passion, ornent fréquemment cet emplacement. À l’origine, l’iconographie se base en particulier sur l’Évangile de saint Jean. Le Christ est entouré de bandelettes et transporté par deux hommes barbus dans un caveau taillé dans un rocher. Il s’agit ici plus du «portement» du Christ mort que de sa Mise au tombeau, une narration faisant partie de l’ensemble du cycle de la Passion.
Bientôt, tous les personnages et les éléments de la Passion seront réunis selon une ordonnance précise dans la scène de la Mise au tombeau. Du caveau creusé dans le rocher, on passe au sarcophage sur lequel le corps du Christ est déposé, certainement en association avec la pierre d’onction. Autour du tombeau, plusieurs figures prennent place. Joseph d’Arimathie et Nicodème sont debout, respectivement à la tête et aux pieds du défunt. L’expression de la douleur est représentée par la Vierge, soutenue au centre par saint Jean et les saintes femmes qui ont le rôle de pleurantes. Marie Madeleine est présente aux pieds du Christ, généralement agenouillée. Chacun de ces sept personnages est représenté selon des critères précis et à des emplacements définis, tous convergent vers le Christ au centre. Le tableau peut être augmenté par des anges ou par les soldats endormis.
En Occident, ce thème se développe surtout à partir du XIIIe siècle, en peinture, avec les maîtres du Trecento italien. On connaît les exemples de Giotto, Duccio ou Simone Martini. Dès la fin du XIVe siècle, on dispose, en Europe occidentale et septentrionale, de représentations de la Mise au tombeau sous la forme de retables monumentaux qu’il ne faut pas confondre avec les exemples germaniques, connus dès le deuxième quart du XIVe siècle, de scènes monumentales de la veillée du Christ mort. C’est au XVe siècle que cette scène sera largement diffusée.
Le Christ-Eucharistie
La peinture qui orne la paroi orientale de la chapelle nord, au-dessus du tabernacle mural, est particulièrement bien lisible. Elle est remarquable par son thème du Christ de l’Eucharistie. Les instructions des Evêques Visiteurs des églises du diocèse en 1453 disaient: «Une représentation du Christ, tenant le calice et bénissant l’hostie qui est au-dessus, entouré à droite et à gauche de deux anges portant respectueusement deux cierges allumés». Le personnage principal, au centre de l’image, est assis sur une épaisse dalle d’autel qui repose sur un piédestal. La figure est vêtue d’une tunique blanche à manches larges et d’un manteau rouge. Sa tête a partiellement disparu dans une lacune, comblée à la fin du XIXe siècle et restaurée lors de la récente intervention. On distingue cependant une partie du visage original, légèrement infléchi vers sa gauche, entouré d’un nimbe et de cheveux longs tombant derrière les épaules. Le personnage tient dans sa main gauche un calice surmonté d’une hostie. La main droite est perdue, mais le mouvement du bras indique qu’elle devait se placer à la hauteur de la poitrine.
Deux anges situés de part et d’autre de la scène portent de grands cierges. Celui de gauche n’est que partiellement conservé, mais il devait être similaire à celui de droite. Ce dernier, debout, esquisse un léger mouvement vers l’avant avec sa jambe gauche. Un nimbe doré et ciselé entoure ses cheveux mi-longs qui lui couvrent les épaules. Il est vêtu d’une tunique blanche rehaussée de bandes jaunes ornées de perles à l’encolure, aux épaules et aux poignets; son vêtement tombe sur le sol en lui recouvrant les pieds, contrairement à l’ange de gauche, dont on distingue le pied droit. Ses ailes montrent des nuances ocre jaune à l’extérieur et sont blanches à l’intérieur. Le sol est pavé de carreaux réguliers, disposés en respectant une certaine perspective.
Une attention au sens de l’image, attestant la présence d’un artiste de bon niveau, doit être aussi mise en regard avec la qualité de l’exécution, bien révélée maintenant par la dernière restauration, particulièrement dans les visages. La délicate carnation, les chevelures ondoyantes, les détails raffinés du décor, et la subtilité des couleurs enrichissent la linéarité des traits qui pouvaient auparavant évoquer une certaine simplicité. La marque qui se voit au bas de l’image a été identifiée par Marcel Grandjean comme celle du peintre Pierre Chapuiset d’Yverdon. Les archives permettent de dater l'œuvre de 1470. Peu visible avant la restauration, elle a retrouvé ses couleurs chatoyantes et l’on peut maintenant admirer la qualité de son exécution.
Le thème de l'Eucharistie
Les textes du XVe siècle qui évoquent le décor des tabernacles indiquent qu’une image peinte ou sculptée devait signaler clairement la présence de cet élément dans l’église, et qu’elle pouvait revêtir diverses formes. Outre la rareté de cette représentation qui en fait bien sûr une œuvre digne d’intérêt, il faut insister sur le fait qu’elle illustre, peut-être plus qu’une autre, le lien qui unit un décor avec la fonction de l’espace liturgique qui l’accueille. Elle ne doit en effet pas être considérée comme un tableau, qui aurait d’ailleurs été inséré bien maladroitement entre la fenêtre et la paroi. Elle est là pour montrer l’emplacement où sont conservées les espèces sacrées, le Corpus Christi, objets de toutes les dévotions.
Les vitraux du XIXe siècle
Les vitraux du choeur
Les vitraux du choeur datent du XIXe siècle et sont l’oeuvre du verrier Edouard Hosch. Artiste confirmé et estimé, le Bâlois Edouard Hosch (1843-1908), établi à Lausanne depuis 1875, est architecte et peintre, puis peintre-verrier. Le choix est fait d'une Crucifixion, inspirée de l'oeuvre datée de 1529 de Bernardino Luini à Sainte-Marie-des-Anges à Lugano. La composition est dramatique, regroupant sur le mont Golgotha, tous les acteurs du drame. Les épisodes de la Passion sont remplacés par des dais dont l’architecture raffinée remplit les parties supérieures des lancettes.
Le rendu tridimensionnel de la scène et des architectures des dais ainsi que les effets de perspective atmosphérique entrent en conflit avec les fonds en grisaille, délibérément plats.
Les verres de couleur bleue accueillent un décor répétitif d’étoiles et de rinceaux.
Il convient de relever le recours à une technique hybride, l’emploi abondant de grisaille sur les verres cloisonnés créant l’illusion d’une peinture sur verre.
Les baies latérales du choeur
Les vitraux des baies latérales du choeur, toujours de Hosch, présentent les symboles des quatre évangélistes dans des médaillons. Les armoiries de Grandson figurent dans les écoinçons.
- au nord, Marc et Luc
- au sud, Matthieu et Jean
Identiques au niveau de la composition, les vitraux se distinguent volontairement par leur traitement décoratif, qu’il s’agisse de la forme des médaillons, de la composition des bordures, ou de l’agencement du fond en verre blanc. Si les parties colorées sont d’inspiration franchement médiévale, le fond, dans lequel l’artiste a donné libre cours à sa fantaisie, trahit son époque.
Les vitraux de la chapelle Bourgeois
Ces vitraux, œuvres de Karl Wehrli, représentent la Crucifixion et la Résurrection, réparties dans chacune des lancettes. Deux écus aux armes de la famille entourés de phylactères porteurs des inscriptions «Bourgeoys des Cyeux» et «Par la Foy».
Les thèmes sont traités de manière intimiste. Dans la Crucifixion, deux spectateurs, Marie et Saint Jean, assistent à l’agonie du Christ. Dans la Résurrection, deux gardes manifestent leur effroi à l’apparition du Christ, debout sur le sarcophage fermé, portant la croix étendard, symbole de sa victoire sur la mort. L'attitude et la position des figures, semblent empruntées aux cycles de la Passion de Dürer.
La rose
Jusqu’à la Réforme, l’église de Grandson était placée sous le vocable de Saint-Jean-Baptiste. Hosch complète son programme en réalisant Le baptême du Christ par saint Jean-Baptiste, mis en place en 1898. Cette oeuvre présente des analogies troublantes avec les vitraux créés à la même époque pour compléter la rose de la cathédrale de Lausanne. Tant le type de médaillon à bordure perlée, le dessin et l’organisation de la scène, que les fleurons stylisés, insérés dans les lobes périphériques, montrent à quel point l’artiste était alors marqué par le grand chantier lausannois.
Le mobilier
Le Prieuré médiéval
L'image ci-contre représente le siège du prieur. Ce siège fut sans doute créé pour la chartreuse de La Lance, à Concise et déplacé en 1537 dans l’église Saint Jean. Premier quart du XVIe siècle.
La période réformée
De nombreux bancs et stalles de familles furent créés au cours de la période bernoise, ils sont actuellement rassemblés dans le choeur, et le XVIIe siècle vit aussi la création de la chaire, et le remplacement de la table de communion. Plusieurs dalles funéraires complètent ce mobilier de la période bernoise
Le mobilier contemporain
Badigeon blanc appliqué sur les murs intérieurs et sol de métal flammé anthracite sont les deux modes d’intégration utilisés pour rétablir l’unité spatiale de l’église. Le mobilier sobre et de facture assortie au sol, complète cette unité.
Les orgues
L'église est dotée, depuis 1983 d'un orgue remarquable du facteur d'orgue lausannois Jean-François Mingot. Il a été restauré en 2006 et doté d'un buffet moderne très harmonieux qui rappelle assez bien les buffets historiques fribourgeois que l'on admire de l'autre côté du lac de Neuchâtel. L'orgue, préalablement disposé dans le choeur de l'église, est situé aujourd'hui sur le tambour d’entrée, formant un sas d'entrée à l'édifice. Son buffet a été retouché pour s’intégrer au dessin général du mobilier vernissé en gris sombre, afin de s'harmoniser visuellement à l’anthracite du sol.
Les cloches
La sonnerie de l’église Saint-Jean-Baptiste de Grandson est intéressante à plus d’un titre:
- l'ancienneté des trois cloches qui toutes ont été fondues sur place à la fin de l’époque gothique en 1477, 1514 et 1520
- la qualité des sonneries réalisées soit par la mise en volée d’une, de deux ou de trois cloches, soit par les sonneries régulières des heures frappées à l’aide de trois marteaux forgés.
(En effet, si généralement, dans le canton de Vaud, les clochers rythment la vie de la cité en frappant les heures et les demis, le clocher de Grandson fait entendre sa voix tous les quarts d’heure) - la bienfacture et l’ancienneté des installations qui permettent le balancement de ses cloches: jougs en chêne qui supportent les cloches et ferrures forgées anciennes, tout à fait exceptionnelles