Les écoles apprivoisent le 360° malgré la pandémie

L’année scolaire 2020-2021 devait être celle de l’appropriation par les établissements scolaires du Concept cantonal 360° pour une école à visée inclusive. La pandémie de la Covid-19 n’a pas aidé à se placer en mode projet. Il était en effet peu recommandé de tenir des réunions ou des ateliers à plusieurs et impossible de convier à une journée pédagogique tout le corps enseignant et ses partenaires auprès des élèves. La visioconférence a vite montré ses limites : l’outil ne répond pas ou mal au besoin d’échanges directs, approfondis et larges que suppose la mobilisation de la communauté scolaire autour du 360°. L’objectif, rappelons-le, est de répondre aux besoins particuliers de tous les élèves par une organisation cohérente des prestations facilitant leur déploiement. Il en va d’une école respectueuse et soucieuse de garantir l’équité pour toutes et tous.

Les échos remontant du terrain portent toutefois à l’optimisme. Malgré la fatigue et une lassitude due à la situation sanitaire éprouvante (mars 2020/mars 2021), une belle dynamique s’installe dans les écoles de la scolarité obligatoire. Les 93 établissements ont tous désigné leur comité de projet 360° et 60 % d’entre eux ont terminé l’inventaire de leurs besoins. Le délai pour finaliser les concepts d’établissement a été prolongé à juillet 2023, mais des établissements envisagent de rendre le leur en 2022.

Des directeurs témoignent

À l’invitation du DFJC, quatre directrices et directeurs ainsi qu’une doyenne responsable du projet 360° dans son école se sont réunis pour évoquer à bâtons rompus comment le travail avance dans leur établissement*. D’abord, elles et ils font le même constat : emmener les enseignantes et les enseignants sur le chemin de l’inclusion reste un défi. « Il manque en général au sein des écoles la vision et l’expérience d’une équipe de professionnel·le·s qui travaillent ensemble », constate un directeur. S’ajoute la crainte diffuse de ne plus pouvoir exercer le métier dans des conditions satisfaisantes. Manquant parfois d’informations, le corps enseignant ne se sent pas toujours directement concerné et hésite à s’engager dans les comités de projet, constate le panel. Les volontaires sont avant tout des actrices et acteurs déjà impliqués dans les prestations particulières ou qui ont des responsabilités. Le rôle des directions d’établissements est donc d’autant plus crucial : c’est à elles de donner l’élan et d’initier la collaboration renforcée qui est souhaitée entre le corps enseignant et les autres spécialistes comme par exemple les infirmières scolaires, les psychologues scolaires, les logopédistes, etc.

« On travaille à un changement de culture et il faudra du temps pour que le monde de l’école apprivoise cet objectif et y adhère. On sème des graines pour demain et après-demain », observe une directrice. Un directeur pointe le grand écart des calendriers : « La période dramatique de la Covid, avec ses incertitudes permanentes, a encore accentué la prédominance du court terme dans notre travail quotidien. Or, le 360° nous propulse vers le long terme. Ce chantier donne l’opportunité de fixer un cap, de préciser des objectifs de qualité. C’est stimulant à condition d’accepter que l’on apprend en marchant, y compris de certaines erreurs. »

Préparer le terrain

Le panel le souligne à l’unanimité, le 360° déclenche dans les comités de projet des échanges passionnants sur l’inclusion et les missions de l’école. Il faut d’abord préparer le terrain en cassant un mythe, déclare un directeur : « Non, le 360°, ce n’est pas intégrer tous les élèves dans la classe ordinaire. Il subsistera toujours des mesures séparatives dans des cas bien identifiés. » Sa collègue ajoute qu’il est aussi « primordial de reconnaître ce qui est déjà fait dans l’esprit d’une école soucieuse d’inclusion. Cela permet de concentrer nos efforts sur les pratiques clairement identifiées comme perfectibles. »

L’enjeu des ressources surgit rapidement dans les discussions au sein des établissements. Or, constate le panel, c’est « un faux problème » ou « un alibi pour ne pas bouger ». Un directeur le souligne : « Une condition de réussite est d’accepter qu’il soit possible de faire mieux avec nos ressources. Reconnaissons qu’elles sont importantes ; ailleurs on nous les envie… C’est notre responsabilité de les utiliser à bon escient. » Une directrice renchérit : « Les ressources dédiées aux élèves sont là. Ce qui manque, c’est du temps à consacrer au projet, à penser l’avenir à côté de tout le reste. » Les ressources allouées par le DFJC pour la gestion du projet sont appréciées. La création de postes d’éducatrices ou éducateurs en milieu scolaire (lire ici) éveille beaucoup d’espoirs chez les directions d’école : « Cela fait 30 ans qu’on en parle, et maintenant ils sont là. Il faut s’en réjouir même si ces postes ne sont pas encore si nombreux. Les nouvelles prestations que les éducatrices et les éducateurs apporteront aux élèves, au corps enseignant et à nos directions, ce n’est que du bonus. »

En revanche, notre panel souligne l’intérêt de promouvoir des mesures de qualité, et donc des bonnes pratiques. Le 360° en donne l’opportunité. Comme par exemple apporter du coaching en relation avec la gestion des élèves difficiles, développer la supervision entre pairs, ou promouvoir la formation à la gestion de classe et à l’enseignement différencié. « Il y a des besoins majeurs à mieux accompagner les enseignants pour qu’ils réussissent à gérer l’hétérogénéité des classes. Je prévois d’augmenter les périodes dédiées à ce soutien pédagogique », constate une directrice. Des initiatives dans ce sens sont déjà prises, ici et là, et c’est en général une réussite. Le panel salue le fait que la HEP apporte sa pierre à l’édifice : les nouvelles formations continues développées pour répondre précisément à cette demande créent un vif intérêt (lire ici).

Un paradoxe persistant

Amenés à penser et organiser une école à visée inclusive, les directrices et directeurs sont rattrapés par un paradoxe que l’un d’eux résume ainsi : « Le 360°, c’est une injonction à la bienveillance au nom de l’équité. En même temps, l’école vaudoise reste très imprégnée de l’exigence d’évaluer, de sélectionner et de sanctionner l’échec par le redoublement. » Cette tension paradoxale continuera à alimenter les représentations différentes que le corps enseignant peut avoir de son rôle. Elle explique aussi certaines réserves dans le corps enseignant.

Une crainte exprimée dans les comités de projet est que la démarche du 360° se focalise sur les élèves qui s’intègrent mal, et donc requièrent des aides spécifiques apportées par des spécialistes. « Il ne faudrait pas que le 360° contribue à renforcer la spirale de l’aide, selon le schéma classique de l’offre d’une prestation qui crée la demande », dit une directrice. Avec ses collègues, elle souscrit à l’objectif prioritaire fixé par le DFJC qui est de monter en compétences les enseignants dans le « socle universel », soit l’enseignement ordinaire à toute la classe. Tout le monde en est conscient : c’est un travail de longue haleine qui commence.

* Sarah Christe, directrice EP Yverdon-Pestalozzi ;
Marie-Christine Fasel, directrice EP Cossonay-Veyron-Venoge ;
Muriel Ansermoz, doyenne EPC Villeneuve Haut-Lac ;
Pierre-Etienne Gschwind, directeur ES Coppet-Terre Sainte ;
Vincent Friderici, directeur EPS Lausanne-Béthusy

« Quand nous avons annoncé la fermeture de nos classes de développement, de nombreuses craintes ont été exprimées dans l’établissement. À la place, nous avons utilisé nos ressources du SESAF pour créer un pool d’enseignantes et enseignants spécialisés. Le pari, c’était non seulement de mieux aider les élèves des classes D désormais intégrés dans des classes ordinaires, mais aussi de soutenir un plus grand nombre d’élèves de manière préventive. Ça marche super bien et les résultats sont bons, avec beaucoup moins de redoublements. Aujourd’hui, plus personne ne remet en cause notre choix.
Une difficulté, c’est que le 360° ne correspond pas à un besoin explicite du corps enseignant. Du moins en apparence … Dès qu’on gratte, les besoins sautent aux yeux ! Il y a une fragilité du corps enseignant face à des élèves ou des parents très exigeants. Des enseignantes et des enseignants s’épuisent et subissent les situations. Nous devons leur donner de nouveaux outils pour qu’ils redeviennent actrices et acteurs et construisent des solutions. Le vif intérêt pour les formations continues à la gestion de classe ou à l’enseignement différencié témoigne d’une grande envie de s’améliorer. Le 360° est un levier pour que l’école améliore durablement ses pratiques au bénéfice de tous les élèves. »

Vincent Friderici
Directeur de l’EPS Béthusy à Lausanne


« Le 360° est arrivé comme une aubaine dans mon parcours d’enseignante et de doyenne. J’y vois la possibilité de mieux intégrer dans l’enseignement ce que je tiens pour une évidence : les enfants apprennent à des rythmes différents. On l’observe dès l’école primaire, puis tout au long de la scolarité. Mais l’école, avec son cadre rigide, ses classes fermées et les grilles horaires où chaque période correspond à une matière, n’est pas la meilleure configuration pour respecter le rythme de chaque élève. Le 360° est un merveilleux terrain de jeu pour décloisonner l’école, avec cette exigence de placer l’autonomie de nos élèves au centre de l’enseignement.
Le 360° ne doit pas nous enfermer dans le piège de concevoir une école pour les seuls élèves à besoins particuliers. C’est aussi une invitation à améliorer l’école universelle. L’année écoulée, l’accent a donc été mis dans mon établissement sur le « socle universel », donc les prestations de base à tous les élèves. Le pari, c’est de dire qu’on peut faire différemment avec de meilleurs résultats pour tous nos élèves. Surtout avec les plus petits, dès l’école primaire.
Nous testons le décloisonnement en réunissant deux classes, une 3P et une 4P. Elles deviennent un seul ensemble avec ses ilots d’apprentissage variant selon les besoins des élèves. Les enseignantes travaillent en tandem, elles font tourner les tâches par groupes d’élèves. Les grands aident les petits. Les plus éveillés coachent les moins rapides. L’autonomie des élèves est mise en avant. Des apprentissages se font hors cadre, en forêt par exemple, grâce à une exploitation souple de la grille horaire. Dûment informés de ce projet qui promeut les apprentissages par le jeu et le plaisir, mais avec des exigences strictes en matière de discipline, les parents ont tous donné leur accord. Ils suivent l’expérience avec intérêt. Le dialogue avec eux s’en trouve amélioré. C’est un cercle vertueux. »


Muriel Ansermoz
Doyenne EPS Villeneuve Haut-Lac

Une plateforme interactive

La DGEO travaille à la création d’une plateforme dédiée au concept 360°, que chaque établissement pourra ensuite décliner selon ses besoins. Le point de départ, c’est l’expérience menée par l’EPS Villeneuve-Haut-Lac. Pour faciliter l’adhésion des enseignantes et enseignants au projet, il est apparu important de créer une plateforme interactive, simple d’usage, où sont déposés tous les documents utiles et où chaque actrice et acteur peut se sentir partie prenante de la démarche. Cet outil doit contribuer à rendre facilement accessible les informations essentielles et évolutives sur le projet 360°, tel qu’il se vit dans les établissements.

Les ressources pédagogiques

Le Concept cantonal 360° — Publié en décembre 2019, il s’inspire de la Déclaration de Salamanque sur les principes, les politiques et les pratiques en matière d’éducation et de besoins éducatifs spéciaux (UNESCO 1994). Celle-ci affirme le droit à la scolarisation de tous les enfants quelles que soient leurs caractéristiques particulières. Le Concept cantonal 360° explicite la politique publique visant une école vaudoise plus inclusive, qui prend en compte la diversité des besoins des élèves afin de permettre à chaque enfant de réaliser pleinement son potentiel. Une version actualisée du concept est annoncée pour 2023. L’enrichissement portera notamment sur les domaines médical, socio-éducatif et allophonie-migration.

Le document d’accompagnement « Programme personnalisé » — Destiné à clarifier l’accès aux programmes d’appuis personnalisés, ce document a été présenté aux conseils de direction des établissements scolaires et sera disponible pour le corps enseignant dans la foulée de la rentrée scolaire 2021.

La brochure vaudoise « Elèves HPI » — Annoncée pour l’automne 2021, elle apportera un éclairage sur les besoins des élèves à haut potentiel intellectuel (HPI). Avec des pistes pour accompagner leur parcours scolaire.

Guide de la différenciation — Ce guide, annoncé pour l’hiver 2021, est destiné au corps enseignant. Il proposera des pistes pour mettre en pratique la différenciation pédagogique, la gestion de classe ainsi que l’évaluation.

Moyens d’enseignement « allophonie » — En cours de rédaction, des manuels et des outils adaptés aux élèves allophones soutiendront le corps enseignant pour les apprentissages du français langue seconde. Ces outils sont annoncés pour le courant de l’année 2022.

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