F. Après Gutenberg
1. Imprimeurs et typographes
Encre & Plomb, l’Atelier-musée vivant de l’imprimerie situé à Chavannes-près-Renens a pour vocation de perpétuer les anciennes techniques d’impression. Il rassemble des personnes ayant travaillé dans différents vieux métiers de l’imprimerie. Sans la passion de ces bénévoles, certains savoir-faire auraient pratiquement disparu depuis l’arrivée du procédé d’impression offset, de l’informatique et de l’impression numérique.
A partir de 1884, la composition de textes à la main au moyen des caractères en plomb inventés par Gutenberg est peu à peu supplantée par des machines à composer imaginées aux Etats-Unis. En Suisse, l'imprimerie du Bund de Berne est la première à se mécaniser en 1893. Deux types de machines, la linotype et la monotype dominent ainsi la composition jusque dans les années 1960. Inventée en France en 1944, la photocomposition se généralise dans les années 1960 et s’informatise à partir des années 1970.
2. Le rituel du gautschage
Le gautschage est une ancienne coutume pratiquée dans les métiers de l'imprimerie, qui consiste à « baptiser» les apprentis ayant réussi leurs examens de fin d'apprentissage. Le rituel veut que les futurs imprimeurs soient plongés intégralement dans une fontaine. Symboliquement, ce « baptême » est censé laver les erreurs commises durant l'apprentissage et ôter la poussière du plomb ! Parfois, le candidat compagnon dépose les «cornes» du noviciat en présence de toute la confrérie. Le terme gautschage vient de l’allemand « gautschen » qui signifie « mettre sous presse ». Le néophyte est saisi par surprise, coiffé d’un bonnet en forme de corne et jeté dans la fontaine la plus proche. Suit le discours d’initiation du maître au nouveau compagnon. La cérémonie se termine par une joyeuse réunion aux frais du néophyte qui reçoit alors son diplôme de gautschage ou «charte de baptême». Certains d’entre eux portent la formule suivante : «A l’antique coutume voulant bien faire honneur, il ne manifesta ni rage, ni frayeur. Puis, reçus les trois rituels sur le cul, frétillant tel un poisson frais sorti de son ru. Après quoi, attendant que sèchent ses fesses, paya comptant les frais de sa mise sous presse.»
Cette tradition est un héritage des corporations qui structuraient jadis la société selon les différents corps de métiers. Depuis le Moyen Age existe en effet la division en apprentis, compagnons et maîtres. Après une période d'apprentissage, relativement longue, on accède enfin au statut de compagnon, souvent au cours d'une cérémonie rituelle, puis vient l'affiliation à une corporation. Pour passer du statut d’apprenti à celui de compagnon, il faut avoir mené à bien un projet remarquable. Les membres d’une même corporation sont censés s'entraider en cas de maladie, de chômage ou de problèmes financiers et, dans l’imprimerie, les ateliers sont souvent de taille plus grande que dans d’autres corps de métiers. Au 18e siècle, les compagnons s'efforcent d'être considérés comme tels et de ne pas êtres classés parmi les domestiques. Au 19e sièle, des syndicats comme le Grutli, fondé en 1838, voient parfois dans le compagnonnage médiéval un précurseur de leur lutte pour la défense des intérêts des travailleurs.
3. L'Imprimerie Georges Bridel & Cie
Tirées du fonds d’archives de l’Imprimerie Georges Bridel & Cie, ces photographies permettent de découvrir de l’intérieur une maison d’édition lausannoise entre 1895 et 1906. Georges-Victor Bridel (1818-1889) reprend en 1844 la librairie et le bureau d’édition de Marc Ducloux parti en Amérique. Revendu en 1851 à trois des associés de Bridel, le commerce de livres devient, après bien des mutations, la Librairie Payot. Quant au bureau d’édition, il reste entre les mains de la famille Bridel et s’impose rapidement comme l’une des principales maisons d’édition lausannoises. Georges-Victor Bridel adopte une attitude très paternaliste vis-à-vis de ses employés, ce qui, dans les moments de tension, se traduit par une certaine fermeté à l’égard des revendications syndicales. A l’occasion des grèves qui éclatent dans ses ateliers en 1867 et en 1872, il ne fait aucune concession ; mis à l’index par le syndicat, il n’hésite pas à ouvrir dès 1873 un atelier d’une dizaine de compositrices typographes. Les autres tâches sont généralement attribuées à des hommes. A partir de 1876, les presses d’imprimerie sont actionnées par un moteur hydraulique, l’eau sous pression étant fournie par la Société des Eaux de Bret. La sécheresse de 1893 encourage l’entreprise à s’équiper aussi d’un moteur à gaz pouvant fonctionner en cas d’interruption de l’eau. L’Imprimerie Bridel occupait 49 personnes en 1896: 1 chef d’atelier, 1 correcteur, 1 employé de bureau, 23 compositeurs, 3 apprentis compositeurs, 1 directrice de l’atelier des compositrices, 7 compositrices, 1 apprentie compositrice, 3 conducteurs, 3 margeurs, 2 apprentis margeurs, 1 magasinier-relieur et 2 satineurs. Les machines se répartissaient de la manière suivante : 5 presses hydrauliques, 3 presses à bras, 1 presse à pédale, 3 machines à rogner, 1 machine à perforer et 2 presses à satiner.
4. Contexte politico-religieux
Georges-Victor est le fils de Philippe-Louis Bridel (1788-1856) professeur à l'Académie et premier pasteur de Lausanne. Jusqu’en 1845, étape déterminante dans le processus de laïcisation sensible à l’époque, les pasteurs vaudois bénéficient d’un prestige moral et d’un pouvoir social considérables. Ils font partie de l’élite qui participe activement à la vie politique et culturelle du canton. A partir de 1839, la famille Bridel lance les Lectures pour les enfants à l’Ecole du dimanche. Après la scission du protestantisme vaudois de 1847 en Eglise nationale et Eglise libre, Georges-Victor rejoint cette dernière. Rejetée dans les rangs de l’opposition, l’intelligentsia libérale, regroupée autour de personnalités comme Charles Monnard (1790-1865) et Alexandre Vinet (1797-1847), sent plus que jamais le besoin de recourir à la presse pour contrecarrer le nouveau gouvernement. La Librairie Bridel devient le centre des publications libristes.
La théologie, les belles-lettres et l’histoire constituent les domaines de prédilection de Georges Bridel. On peut résumer en deux mots son programme éditorial : instruction et délassement ! Avec 126 publications, la maison Bridel est ainsi l’éditeur le plus représenté dans la bibliothèque de Dommartin (10% de l’ensemble du fonds). La littérature populaire à tendance moralisante qu’il propose entre dans le type de bonnes lectures qu’entendaient proposer les bibliothèques paroissiales protestantes vaudoises.