22_PET_10 - Pétition Dégâts causés par les corvidés aux cultures et aux biens : mise en place d'un plan d'actions concrètes, immédiates et efficaces d'ici la fin de l'année 2022.
Séance du Grand Conseil du mardi 22 août 2023, point 14 de l'ordre du jour
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Visionner le débat de ce point à l'ordre du jourLa Commission thématique des pétitions s’est réunie le 24 novembre 2022 pour traiter la pétition relative aux dégâts occasionnés par les corvidés aux cultures et aux biens. La délégation des pétitionnaires était composée de M. Sylvain Faillettaz, agriculteur, et M. Yves-Alain Perret, vigneron-encaveur. La délégation des représentants de l’Etat était composée de M. Frédéric Hofmann, responsable de la section chasse, pêche et surveillance à la Direction générale de l’environnement (DGE), ainsi que de M. Samuel Carrera, avocat à la DGE. Les notes de séance ont été tenues par M. Florian Ducommun, secrétaire suppléant de la commission, que je remercie vivement.
La pétition demande au Conseil d’Etat de mettre en place un plan d’actions concrètes et rapides face aux dégâts causés aux cultures et aux biens par les corvidés dans le canton. Selon les pétitionnaires, la situation s’est aggravée ces dernières années. Le manque de prédateurs, le retrait des répulsifs autorisés et le cadre très favorable qu’offre notre société ont provoqué une augmentation exponentielle des corvidés. Différents moyens ont été mis en place pour y faire face, mais sans grand succès. En outre, en 2020, des indemnisations ont été octroyées pour les dégâts subis et la période de tir a été élargie. Pour les pétitionnaires, il est nécessaire d’accéder à un ensemble de mesures différentes pour lutter contre les corvidés et, surtout, d’obtenir un soutien financier pour compenser les pertes subies.
Selon les représentants de l’Etat, des mesures ont déjà été mises en place, notamment l’usage de moyens artificiels pour chasser les corneilles, la participation au programme de recherche avec Agroscope et la formation de garde-faune auxiliaire bénévole. Il est également relevé qu’il n’y a pas de statistiques sur le nombre de corvidés dans le canton de Vaud.
A la suite des délibérations, la commission relève la nécessité, pour les agriculteurs, d’être indemnisés pour les dégâts occasionnés, ainsi que la complexité de la situation en raison du manque d’efficacité des moyens en place et de l’intelligence des corvidés. La commission s’est prononcée à l’unanimité en faveur du renvoi de la pétition au Conseil d’Etat.
La discussion est ouverte.
J’annonce mes intérêts : je fais partie des personnes qui ont déposé la pétition. Je suis vigneronne et collaboratrice dans un domaine agricole familial touché par les corvidés. Il y a quelques années, le Service de la faune a interdit aux agriculteurs de tirer et réguler les corvidés. Depuis, la population a explosé. Le contexte qu’offre notre société leur est très favorable : terrains de football, gazons courts arrosés, plans d’eau, hivers cléments et nourriture annuelle à profusion. Dans la plupart des régions, ils n’ont pas de prédateurs naturels. A l’époque, les chasseurs devaient les réguler en effectuant des tirs, en enlevant les œufs dans les nids et en apportant, pour preuve, les paires de pattes aux administrations communales. Actuellement, les chasseurs ont le droit de les tirer uniquement avec de petites munitions, ce qui implique d’être proche de la cible et diminue fortement le succès des tirs. Depuis, les dégâts aux cultures ont augmenté jusqu’à des pertes totales de rendement en arboriculture, viticulture, maraîchage, ainsi que dans les grandes cultures. En plus de ces nuisances agricoles, ils impactent le reste de la faune et les autres oiseaux, ainsi que les infrastructures et la vie de la population urbaine. Les moyens de lutte à notre disposition ont tous été testés et ne fonctionnent pas ou seulement sur une très courte durée. Rusés, les corvidés apprennent vite.
Depuis deux ans, une indemnité insuffisante est prévue pour les ressemis. A savoir, si un ressemis peut, par chance, être récolté, on enregistre une perte 40 % au minimum en raison du retard. Ces dernières années, en raison de conditions très sèches, la plupart des ressemis n’ont pas pu être récoltés, avec comme conséquence la perte totale des récoltes. Ceci engendre également des frais de séchage et du retard pour la mise en place des cultures suivantes et pour leurs rotations. Par exemple, la semaine dernière, derrière le tracteur qui semait du colza quelque 300 corneilles en train de se régaler : un magnifique spectacle. A ce jour, les mesures individuelles de régulation peuvent être effectuées uniquement par les gardes et les chasseurs et – la DGE le reconnaît – elles ne donnent pas satisfaction. Les gardes et les chasseurs sont en sous-effectif et ne peuvent assurer ces tirs.
De plus, bon nombre de chasseurs ne veulent pas s’exposer à tirer ces nuisibles, car leur fonction est déjà suffisamment critiquée par le public. Les moyens d’effarouchement à disposition des agriculteurs ne fonctionnent pas. Plusieurs séances d’essais ont été mises en place, notamment avec Prométerre et le Service de la faune. Actuellement, les dégâts sont trop importants pour être supportés par les personnes lésées. Le Service de la faune n’assume pas son rôle en agissant pour minimiser les dégâts et pour faire connaître la problématique au Conseil d’Etat. A noter que la région de la Côte n’est pas la seule à être touchée, tout le canton est impacté – et il en va notamment de même dans les cantons de Genève ou Fribourg. A titre d’exemple, Genève indemnise les dégâts des corbeaux freux selon la tabelle de l’Union suisse des paysans. Cela paraît correct, mais cela ne remplace absolument pas le fourrage non produit sur l’exploitation. Les dégâts imputables aux corvidés mettent en péril la production alimentaire suisse. Cela fait presque une année que cette pétition a été déposée. Dès lors, il faut d’urgence mettre en oeuvre un plan d’action concret, immédiat et efficace. Il en va de la pérennité de l’agriculture suisse et de la survie des exploitants.
Je déclare mes intérêts : je suis membre du comité de Pro Natura Vaud. J’ai entendu les propos de mes collègues et les problèmes que causent ces animaux à l’agriculture. Si, par cette pétition, on entend soutenir davantage les agricultrices et agriculteurs et empêcher les dégâts en évitant de tirer les corvidés, c’est une bonne chose. On teste de nouvelles méthodes, en augmentant, par exemple, les réparations allouées en cas de dégâts. Tirer ces animaux est une mauvaise idée, car leur population n’a pas connu une croissance exponentielle. Certes, la population des corneilles noires a augmenté depuis les années 1990, mais depuis une quinzaine d’années, elle stagne. Ce ne sont donc pas des animaux invasifs, en train de devenir beaucoup trop nombreux. D’autres solutions que les tirs doivent exister et c’est dans cette direction-là, à mon sens, qu’il faut avancer, tout en reconnaissant les problèmes posés à l’agriculture. L’idée n’est pas de fermer les yeux en affirmant que tout va bien, mais d’éviter la solution de facilité, à savoir d’éliminer les espèces animales ou végétales qui nous déplaisent.
Force est de constater que les corvidés sont nettement mieux organisés que les règlements fédéraux, voire cantonaux, qui paraissent être inféodés l’un à l’autre. Les dégâts sont considérables, se montant à plusieurs milliers de francs de perte de produits bruts par hectare pour une compensation ridicule de 350 francs par hectare. Considérer les corvidés comme du gibier prive les agriculteurs de régler de manière efficace la problématique sans implication financière de la part de l’Etat. Je vous incite à soutenir la pétition.
Je remercie la Commission des pétitions pour sa position et la rapporteuse pour son excellent rapport. Il faut soutenir la pétition sans discuter. Toutefois, la discussion m’amène à vous faire part de quelques considérations, car quelques problèmes se posent. J’ai le sentiment que, dans notre canton, nous ne parlons pas tous le même langage, ce qui me dérange un peu. Entre l’administration qui gère les problèmes et les personnes sur le terrain qui doivent vivre avec ceux-ci, je ne comprends pas très bien la situation. Cela ressemble quelquefois à de l’enfumage. Je ne veux pas faire de comparaison avec les sangliers ou les grands prédateurs qui posent les mêmes problèmes. Toutefois, pour revenir à nos volatiles, on a du souci à se faire, parce qu’ils démotivent le monde agricole. Nos agriculteurs vont se diriger toujours plus vers la biodiversité qui tend à planter des arbres sans en récolter les fruits ni à ramener quelque chose de plus, et qui est très loin de pouvoir nourrir la population. Si l’on va dans cette direction, on risque d’avoir des problèmes à court terme.
Ma question s’adresse à mon collègue, M. Mocchi : quelle est la solution, puisqu’on ne peut pas tirer les corvidés ? J’ai assisté à nombre de séances avec les garde-faune et les gardes-chasse cantonaux et je dois dire que la solution donnée par M. Hoffman – à savoir que les agriculteurs devraient passer des permis de chasse – ne me satisfait pas. Si l’on ne trouve pas de solutions rapides pour nos agriculteurs et pour continuer à produire – ce qui est tout de même le but principal de l’agriculture – nous aurons des soucis. Je compte donc sur vous pour renvoyer la pétition au Conseil d’Etat, ainsi que sur le Conseil d’Etat pour trouver des solutions, mais pas en 2025, car il faut agir rapidement. Les gens se lassent, ils n’en peuvent plus. Certains ont ressemé leur blé, leur maïs, comme l’a répété Mme Wahlen. Jusqu’à quand va-t-on attendre ? Soutenons la pétition et prenons des décisions rapides et efficaces.
Le groupe socialiste vous recommande également de soutenir cette pétition qui demande au Conseil d’Etat de mettre en place un plan d’action concret, immédiat et efficace face aux dégâts causés aux cultures et aux biens par ces fameux corvidés. La situation ne peut pas perdurer pour plusieurs raisons : tout d’abord, le droit de tirer n’est plus autorisé aux agriculteurs. De plus, les corvidés n’ont plus de prédateurs et des répulsifs autorisés sur les semences sont désormais interdits. Nous soutenons cette mesure, mais elle a une incidence sur l’évolution exponentielle de ces animaux. Enfin, l’évolution de notre société leur offre un cadre favorable. La DGE est consciente que ces mesures sont insuffisantes pour enrayer la problématique. Je vous encourage donc à soutenir le renvoi de cette pétition au Conseil d’Etat.
Pour répondre à M. Mocchi qui semble vivre hors de la réalité : je vous invite à une journée de semis avec vos collègues de Pro Natura pour vous démontrer que depuis quinze ans, la population a explosé. Cela nécessite une régulation ferme et rapide. En tant qu’exploitants, nous n’avons pas envie de faire de concession ni de perdre nos récoltes ; ce n’est pas envisageable dans la situation actuelle.
Notre groupe soutiendra également le renvoi de la pétition au Conseil d’Etat. On entend bien le mal-être et les revendications exprimées par les travailleurs et travailleuses de la terre. Les demandes adressées au Conseil d’Etat, dans la forme où elles ont été soumises à la commission, permettent d’envisager de nombreuses pistes pour résoudre le problème. Ces pistes passent peut-être par d’autres stratégies, à plus ou moins long terme, que l’abattage des corneilles. Pour cette raison, nous vous encourageons vivement à soutenir le renvoi de cette pétition au Conseil d’Etat.
Deux collègues souhaitent obtenir des réponses de M. Mocchi. Il serait sympathique de connaître les solutions qu’il propose, avec son parti, concernant la situation actuelle des corvidés.
Je vous remercie beaucoup, monsieur Berthoud, pour l’occasion que vous me donnez de prendre la parole. Je l’ai dit : je ne suis pas opposé à la pétition et à son renvoi au Conseil d’Etat. La pétition ne demande pas forcément de tuer toutes les corneilles et les autres corvidés. Elle demande d’étudier d’autres pistes que ce qui se fait actuellement et de prendre davantage de mesures. Je n’y suis pas opposé. Comme l’a aussi indiqué Mme Lopez, il existe d’autres solutions qu’exterminer toute forme de vie animale nuisant à certaines activités humaines. Ce n’est pas moi qui vais répondre à la pétition, raison pour laquelle je ne vais pas dresser la liste détaillée des mesures à prendre, mais d’autres solutions peuvent être étudiées. J’espère pouvoir m’autoriser à avoir cet avis.
Je vous remercie pour vos échanges. En préambule, je tiens à affirmer que le Conseil d’Etat est parfaitement conscient de l’impact des corvidés sur l’agriculture. Il y a quelques semaines, j’ai échangé avec un agriculteur désemparé face aux attaques de corvidés qui l’empêchent de produire sur ses terres. Evidemment, nous prenons le problème très au sérieux, mais les recettes miracles n’existent pas. Il faut en être conscient. Les tirs de régulation évoqués font partie des solutions. Les tirs et mesures d’effarouchement sont étudiés. En 2022, 276 corneilles ont été abattues notamment grâce au soutien des chasseurs et, en 2023, leur nombre devrait être du même ordre. Toutefois, ces mesures soulagent certains secteurs sans régler le problème de façon structurelle. J’entends les membres de la commission qui suggèrent d’augmenter les indemnités aux agriculteurs, ce qui nécessiterait la modification d’une base légale. Je rappelle qu’en 2022, 120’000 francs ont été prévus spécifiquement pour des indemnités aux agriculteurs. Dans le budget 2023, les montants sont à peu près du même ordre. Je ne dispose pas encore des montants qui seront concrètement versés aux agriculteurs.
Le 20 septembre prochain, une rencontre aura lieu entre les acteurs et partenaires pour analyser les différentes pistes, notamment la recherche de répulsifs naturels qui ont certes montré certaines limites, mais qui constituent une piste qui mérite d’être approfondie et analysée. Nous analyserons les solutions non seulement avec le monde agricole évidemment, puisque c’est lui qui est impacté, mais également avec les services de la faune et les représentants des organisations environnementales. Toutefois, à terme, ce sont probablement des solutions plus pérennes et structurelles que nous devrons envisager. En effet, la forte présence de corneilles dans certains secteurs est liée au déséquilibre de nos écosystèmes. On remarque la disparition des prédateurs des corneilles, due à la disparition de bocages dans certains secteurs. Nous devrons passer par des solutions pérennes pour développer l’infrastructure écologique – tout en maintenant une activité agricole productive – et trouver différents équilibres. Vous avez voté une loi ambitieuse sur la protection de la nature et du paysage, comprenant des mesures ambitieuses également. Le Conseil d’Etat a lui aussi affiché son ambition de renforcer l’infrastructure écologique. Le projet de règlement, toujours en discussion, sera prochainement adopté par le Conseil d’Etat, ce qui permettra de déployer différentes mesures. A terme, ce type de solutions devra probablement être trouvé, mais j’ai conscience que, pour les agriculteurs sur le terrain qui souffrent de ces dégâts, il faudra trouver des solutions à plus court terme. Pour cette raison, je vous rappelle que le 20 septembre, les acteurs se rendront sur le terrain pour analyser les différentes pistes et faire en sorte que l’activité des agriculteurs ne soit plus totalement entravée par la présence des corvidés.
En ce qui me concerne, fondamentalement, un élément me hérisse le poil : donner de l’argent à des gens dont le métier est de faire vivre notre population n’est pas la solution. Quand des corneilles saccagent l’entier de la récolte, on peut certes indemniser, mais le métier lui-même n’est alors pas reconnu comme étant important. Il faut trouver d’autres solutions. J’ai apprécié que M. le conseiller d’Etat mette en avant la nécessité de retrouver les prédateurs des corneilles, mais les prédateurs des corneilles sont les aigles, pas les humains. Si la solution est la réintroduction de l’aigle, je pense que nous connaitrons encore quelques années de destruction – ce qui serait dommage. Par conséquent, il faut prendre d’autres mesures. Je vous prie donc d’entendre cette requête.
Retour à l'ordre du jourLa discussion est close.
Le Grand Conseil prend la pétition en considération avec quelques abstentions.