22_PET_8 - Pétition Unissons-nous pour stopper la discrimination et la violences exercée par le canton de Vaud sur les femmes !.

Séance du Grand Conseil du mardi 12 décembre 2023, point 14 de l'ordre du jour

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M. Jean-Louis Radice (V'L) — Rapporteur-trice

Je puis enfin procéder à la présentation du rapport de la Commission thématique des pétitions chargée d'examiner la pétition « Unissons-nous pour stopper la discrimination et la violence exercée par le canton de Vaud sur les femmes ». En préambule, j’annonce déjà qu'au terme du rapport, la commission vous recommande de renvoyer la pétition au Conseil d'Etat. Celle-ci a pour but de dénoncer le maintien de la responsabilité solidaire pour la dette fiscale après la séparation ou le divorce d'un couple domicilié dans le canton de Vaud. Les pétitionnaires considèrent en effet que les pratiques fiscales adoptées par l'Etat de Vaud pèsent de manière prédominante et discriminatoire sur les femmes appelées en solidarité des dettes de leur ex-mari. Le législateur fédéral a prévu que dite solidarité ne soit plus en vigueur pour les impôts encore dus au niveau fédéral, et cela dès qu'une décision a été prononcée par un juge lorsque des époux ne vivent plus en ménage commun. Il appert que la majorité des cantons pratiquent de même en ce qui concerne les impôts cantonaux, à l'exception du canton de Vaud.

Lors de l'audition des pétitionnaires, celles-ci exposent que cette disposition peut conduire à des situations dramatiques lorsque des dettes d'impôt atteignent des montants considérables au regard de la nouvelle situation financière de chacun des ex-époux. De plus, elles observent que dans les faits et sur la base de toutes les affaires qui ont été portées devant le Tribunal cantonal, pratiquement seules des femmes sont concernées par des situations les plongeant dans la précarité. Trois cas de mamans confrontées à des situations douloureuses sont ensuite présentés à la commission, en guise de témoignages, appuyant le bien-fondé de la demande des pétitionnaires. En conclusion de l'audition, et alors que d'une manière générale, il appartient à l'Etat de Vaud de protéger les femmes contre les violences conjugales, les pétitionnaires constatent que le canton de Vaud ajoute une violence institutionnelle à la violence domestique de celui qui laisse ses dettes d'impôt à son ex-épouse.

Quant à l’audition des représentants de l'Etat, notons en préambule la publication, en juin 2022, du Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil relatif à la motion de Mme la députée Muriel Thalmann et consorts, au nom du groupe thématique Intergroupe F. Mme la cheffe de la Direction générale de la fiscalité (DGF) confirme que l’Administration cantonale des impôts (ACI) se doit d'appliquer les lois telles que libellées actuellement. Il est précisé que, sur une dizaine d'années, très peu de dossiers sont arrivés devant les tribunaux, comme l'a confirmé la jurisprudence tant cantonale que fédérale. La loi vaudoise sur les impôts est conforme au principe de l'unité d'imposition de la famille. Autrement dit, la loi n'est pas inconstitutionnelle et ne fait preuve ni de discrimination envers les femmes ni de traitement différencié entre les époux dans la perception de l'impôt global. A aucun moment, l’ACI ne discrimine les hommes ou les femmes puisqu'elle travaille sur la notion de contribuables – le « contribuable 1 » étant monsieur et le « contribuable 2 » étant madame.

Lors des délibérations de la commission, un député souhaite connaître les raisons expliquant le peu de cas portés devant les tribunaux. Une autre députée souligne le fait que seuls deux cantons appliquent encore une telle pratique, alors que les autres ne sont pas si sévères à l’égard de situations semblables en termes de solidarité fiscale à la suite de séparations. Un autre commissaire convient qu'il serait pertinent de donner un préavis favorable au renvoi de la pétition pour faire avancer ce dossier. Deux autres membres de la commission constatent que l’ACI n'a pas d'autre choix que d'appliquer la législation en vigueur et ne partagent pas la notion de discrimination telle qu'exposée par les pétitionnaires. Il est relevé que la problématique dénoncée peut aussi concerner des hommes. Toutefois, le fait que seuls deux cantons en Suisse maintiennent cette forme de solidarité fiscale illimitée ne manque pas de les interroger. Un autre député estime qu'une imposition à la source permettrait de régler ce type de problématique.

En conclusion, la majorité des membres de la Commission des pétitions reste convaincue que l'application de la Loi sur les impôts, une fois le couple séparé, est discriminatoire, étant donné que les situations des personnes concernées par cette problématique, selon les cas évoqués, sont majoritairement, voire uniquement des femmes. Enfin, considérant qu'une pétition n'est pas contraignante et permet justement au Conseil d'Etat de revisiter la loi selon son appréciation, il convient de lui renvoyer le texte proposé. Au terme de son travail, par 9 voix et 1 abstention, sans opposition, la commission vous recommande de renvoyer la présente pétition au Conseil d'Etat.

M. Laurent Miéville (V'L) — Président-e

La discussion est ouverte.

Mme Valérie Zonca (VER) —

C'est là une exception vaudoise qui ne fait pas rêver ! Tous les cantons romands sauf le canton de Vaud libèrent le conjoint ou la conjointe de la responsabilité solidaire pour les montants d'impôt encore dus lors d'une séparation, et au niveau suisse presque tous les cantons ont renoncé au maintien de cette solidarité fiscale en cas de séparation. Comme il a été dit par le rapporteur de commission, M. Radice, cette situation est profondément injuste et discriminatoire. Elle est dénoncée depuis plusieurs années par des associations telles que Humanrights.ch et la Ligue suisse des droits de l'Homme. Les témoignages présentés à la commission des pétitions lors de la séance confirment le besoin urgent de changer la législation. Pour vous rendre compte concrètement de la situation, je vous renvoie au rapport de commission qui témoigne de parcours de vie ébranlés et de personnes qui se retrouvent endettées sur plus de 10 ans. Au vu de ces éléments, le groupe des Verts vous encourage vivement à suivre la recommandation de la commission et à soutenir le renvoi de la pétition au Conseil d'Etat.

Mme Graziella Schaller (V'L) —

Les cas décrits dans ce rapport montrent bien l'absurdité et la détresse dans laquelle sont plongées les victimes d'une loi qu'il faut absolument changer. Lors du traitement de la motion Thalmann, la conseillère d'Etat était bien consciente des problèmes posés par cette loi et déclarait son intention de s'attaquer à cette question clairement discriminatoire. En effet, comme rappelé, si la loi actuelle n'est pas discriminatoire, le fait que tous les cas portés devant la justice concernent uniquement des femmes montre clairement qu'il y a un problème. Maintenant, en attendant que cette loi change et étant donné que la conseillère d'Etat, Mme Dittli, s'y est déclarée favorable, il serait peut-être temps de décider d'un moratoire afin que ces femmes puissent être soulagées de cette charge, dans les faits, en attendant que la loi soit modifiée. En tous les cas, je vous invite, comme mon groupe, à suivre la décision de la commission et à prendre cette pétition en considération.

Mme Elodie Lopez (EP) —

La pétition dont nous discutons aujourd'hui expose des situations injustes et discriminatoires tout particulièrement à l'égard des femmes. C'est la conséquence de la solidarité fiscale illimitée, aujourd'hui inscrite dans la loi, et qui, comme l'a rappelé ma collègue Valérie Zonca, est une spécialité vaudoise. Il est important d'insister sur ce point, puisque dans les autres cantons, les conjointes en sont libérées après le divorce. La pétition le mentionne : toutes les affaires portées en justice concernent des femmes en solidarité de dettes fiscales. A la lecture du rapport, parmi les explications fournies par l'administration, vous aurez peut-être constaté qu’un argument revient qui consiste à dire que cela concerne très peu de cas, puisque très peu de cas passent en justice et sont traités. Mais c'est précisément là l'enjeu, puisque l'on sait que les cas qui vont jusqu'en justice sont le plus souvent les pointes d'un iceberg dont les conséquences sont désastreuses. Maintenir le statu quo irait d'ailleurs à l'encontre des intentions exprimées par le Conseil d'Etat dans son programme de législature, où est inscrite la mise en œuvre du principe constitutionnel de l'égalité entre les femmes et les hommes au sein de la société et de l'Etat. La lutte contre les discriminations nous semble faire partie de ces visions. La commission dans son unanimité a reconnu la pertinence de transmettre la pétition au Conseil d'Etat pour son traitement, et le groupe Ensemble à Gauche et POP vous invite donc à suivre la commission et à renvoyer la pétition au Conseil d'Etat.

Mme Muriel Thalmann (SOC) —

Cette pétition a été déposée le 30 août 2022 par l’Association vaudoise pour les droits des femmes et par l’Association des familles monoparentales et recomposées ; nous la traitons aujourd’hui, plus d’une année plus tard. Tout est dit dans son titre : discrimination et violence économique. Pourquoi y a-t-il discrimination ? Bien qu’indirecte, la discrimination exercée par l’Etat contre les femmes doit être combattue et stoppée. C’est en tout cas ce qui ressort de trente affaires auxquelles les pétitionnaires ont – péniblement – eu accès : ce sont systématiquement et uniquement des femmes qui sont appelées en « solidarité » de dettes fiscales portant sur des revenus que leur ex-mari est seul à avoir encaissés. Le Tribunal cantonal l’admet : « En cas d’insolvabilité de l’un des deux époux, le risque, pour la femme, de devoir payer plus que sa part d’impôt est ainsi plus important que pour l’homme, dans le régime prévu par l’article 14 de la Loi d’impôt (LI). »

Dans cette même affaire, Me Yves Noël, avocat et Professeur de droit fiscal à l’Université de Lausanne, affirme sans équivoque que : « Le système vaudois du maintien de la solidarité fiscale après la séparation des conjoints viole l'article 8 alinéa 2 de la Constitution, parce que la majeure partie des personnes appelées en solidarité sont des femmes (…) ». A cet égard, nous relevons que la conseillère d’Etat Valérie Dittli a expressément déclaré, en conférence de presse du 23 mars 2023, qu’elle n’a « jamais mis en question les compétences de Me Noël qui est un professeur très renommé en droit fiscal ». Dès lors, qu’est-ce qui motive le Conseil d’Etat à conserver cette inégalité ? Ces dix dernières années, combien d’hommes ont été appelés en « solidarité » des dettes d’impôts portant sur les revenus de leur ex-épouse ? Combien d’hommes ont été mis en poursuite pour cause d’obligation de la solidarité fondée sur l’article 14 alinéa 1 LI ? Combien d’hommes se sont vu séquestrer leurs biens, leurs comptes bancaires, leur salaire parce que « Madame » n’a pas payé ses impôts sur ses propres revenus ? Nous n’arrivons pas à obtenir cette information et des refus systématiques sont opposés pour répondre à la demande de Me Yves Noël depuis 2014, à celle des deux associations pétitionnaires depuis le 23 décembre 2022, ainsi qu’au refus du Tribunal fédéral d'en ordonner la production et au refus du Conseil d’Etat de renseigner le Grand Conseil.

Ainsi, l’Etat de Vaud nie la discrimination indirecte, mais n’apporte pas le plus petit début de commencement de preuve ni ne fait évoluer la situation en faveur des femmes discriminées. L’Administration cantonale des impôts (ACI) justifie sa position en raison du peu de cas concernés, sans en publier le nombre. Les 10 millions de francs par an de recettes fiscales estimées par les services de l’administration seraient générés par trois cas annuels ? Cela semble improbable. Pourquoi cette violence économique ? L’ACI défend l’unicité familiale, qui considère que l’argent de Madame tout comme celui de Monsieur fait partie du ménage. Or, cette position n’est pas défendable, à plus d’un titre : il y a des époux séparés de biens qui font caisse séparée et des concubins qui mettent leurs revenus en commun. Les pétitionnaires font par exemple état d’une femme qui s’est mariée sous le régime de la séparation de biens, qui a toujours fait caisse séparée, qui a été taxée à la source pendant la vie commune et qui n’avait aucune dette d’impôts à la séparation. Cette femme a été considérée comme « solidairement responsable » des rappels d’impôts sur des revenus qu’elle n’a jamais encaissés et dont elle n’a même pas profité. Plusieurs situations similaires ont été portées devant les tribunaux, notamment le cas de cette épouse mariée sous le régime de la séparation de biens et dont le jugement de divorce impose, pour solde de tout compte, le versement de la moitié de son avoir de prévoyance accumulé pendant le mariage, soit 135'000 francs, et pourtant cette même épouse a assumé seule le paiement des obligations fiscales du couple ; elle paie donc deux fois.

Nous ne comprenons donc pas pourquoi l’Etat de Vaud ne décrète pas un moratoire, puisqu’il y a, parait-il, un problème informatique difficile à régler. Il serait par exemple possible de traiter ces cas manuellement, vu que le canton maintient que cela ne concerne que quelques cas... Il maintient pourtant cet article alors qu’une motion déposée en novembre 2019, transformée en postulat et largement adoptée par 77 % des députés le 15 juin 2021 – il y plus de 2 ans – exigeait son abrogation avec effet immédiat ! Il convient de rappeler qu’au niveau fédéral, la solidarité fiscale s’éteint dès que les époux ne vivent plus en ménage commun, cela pour « tenir compte de la situation financière du partenaire le plus « faible », majoritairement les femmes ». Cela a été retenu dans un arrêt du Tribunal fédéral : « La limitation de la responsabilité solidaire entre époux a été édictée dans le but de protéger le conjoint solvable, qui serait bien en peine, à défaut, de se retourner contre son conjoint insolvable. » Est-ce à dire que le Conseil d’Etat veut maintenir sa position injuste en se désolidarisant des femmes, quasi exclusivement mal traitées ? J’espère me tromper, car ici vous pouvez agir, et rapidement. Ce n’est pas une loi fédérale, et bien au contraire puisque la Confédération a aboli la co-solidarité fiscale il y a déjà 20 ans ! Cela ne demande pas de revoir le barème et a déjà été demandé par le Grand Conseil il y a plus d’une année ! Le groupe socialiste vous invite donc à suivre les conclusions de la commission.

M. Pierre-André Pernoud (UDC) —

Force est de constater que le canton de Vaud gère la responsabilité solidaire concernant la dette fiscale après une séparation, voire un divorce, d'une manière différente de la plupart des cantons romands. Dans ces cas particuliers, particulièrement complexes, l'ACI travaille sur des demandes de remise d'impôts ou des plans de recouvrement. Mais ignorer la solidarité fiscale des couples semble être une solution simpliste par rapport à la gestion irresponsable de certains contribuables. Au vu de ces éléments, le groupe UDC s'abstiendra sur le traitement de cette pétition.

M. Guy Gaudard (PLR) —

Cette pétition dénonce le maintien de la responsabilité solidaire pour la dette fiscale après la séparation ou le divorce d'un couple domicilié dans notre canton qui, avec celui d’Appenzell, appliquent ce principe. Au niveau fédéral, la solidarité fiscale s'éteint dès que la décision de divorce ou de séparation est prononcée. Il faut souligner que notre canton ne libère pas le conjoint de la responsabilité solidaire pour tous les montants d'impôts dus – même les acomptes – par l'autre conjoint si ce dernier est insolvable. Cherchez l'erreur ! Cette pratique est dénoncée par les pétitionnaires, car ils considèrent qu'elle pèse de manière prédominante sur les femmes, surtout appelées en solidarité des dettes de leur ex-mari. Vu qu'il est impossible d'accéder aux statistiques, on peut très bien admettre qu'autant d'hommes que de femmes sont concernés par cette contraignante solidarité fiscale ; allez savoir pourquoi ces statistiques sont inaccessibles. Trois cas de femmes concernées par cette situation ont été développés par les pétitionnaires, ce qui a étayé leur initiative. Malgré des explications de l'administration sur la conformité du principe de l'unité d'imposition de la famille et de la possibilité que chaque contribuable puisse demander une remise d'impôts, une très large majorité du PLR vous invite à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.

Mme Valérie Dittli (C-DFA) — Conseiller-ère d’Etat

Je vous remercie vivement pour vos interventions d'une grande importance. Je rappelle que dans le cadre des discussions entourant le postulat de Mme la députée Muriel Thalmann, le Conseil d'Etat s'est engagé pour l'extinction de la responsabilité solidaire pour dette fiscale en cas de séparation pour tous les montants d'impôts encore dus. Il a examiné l'impact d'une modification de la loi vaudoise dans le sens de la fin de l'obligation de répondre solidairement du montant global de l'impôt, qui s'éteint pour tous les montants d'impôts encore dus et impayés en cas de fin de vie commune. J'aimerais aussi indiquer que le Conseil d'Etat va revenir très prochainement devant vous, avec l'ensemble des textes concernant cette thématique, c'est-à-dire une nouvelle réponse au postulat de Mme la députée Thalmann, une réponse à une question simple et une réponse à une interpellation. Je peux aussi vous signaler que dans l'exposé des motifs et projet de décret informatique qui vous a été transmis et qui s'appelle Métamorphose, vous avez déjà les premières indications concernant le changement informatique nécessaire ; donc nous y travaillons. En ce sens, je vous laisse la liberté de choisir si vous voulez renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat, mais je peux vous assurer que les changements sont en cours.

M. Laurent Miéville (V'L) — Président-e

La discussion est close.

Le Grand Conseil prend la pétition en considération avec quelques avis contraires et abstentions.

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