22_LEG_268 - EMPD sur le fonds de soutien à l’industrie (2e débat).

Séance du Grand Conseil du mardi 5 mars 2024, point 16 de l'ordre du jour

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M. Laurent Miéville (V'L) — Président-e

Deuxième débat

Il est passé à la discussion du projet de décret, article par article, en deuxième débat.

Les articles 1 et 2 sont acceptés tels qu’admis en premier débat.

Art. 3.

M. Hadrien Buclin (EP) —

Je n'ai pas été convaincu par les arguments qui m'ont été opposés la semaine passée et j'ai, de mon côté, quelques explications nouvelles à développer. J’ai donc décidé de redéposer les deux amendements présentés en premier débat, dans la même forme. Pour rappel, le premier vise à prévoir des conditions sociales et environnementales en lien avec l'octroi d'aide publique. Il s’agit d’une formulation suffisamment large pour permettre au Conseil d'Etat d'édicter un règlement d'application simple et efficace. D'ailleurs, Mme la conseillère d'Etat a indiqué, lors du premier débat, qu'elle avait la volonté de réunir les partenaires sociaux pour édicter un règlement qui irait dans ce sens. Il me semble donc que cette proposition va dans la même direction.

« Art. 3. — Al. 2 bis (nouveau) : Le règlement du Conseil d’Etat conditionne les aides accordées à des critères favorisant le respect des droits sociaux ainsi que la réduction de l’empreinte écologique des entreprises. »

« Art. 3. — Al. 4 (nouveau) : Le règlement du Conseil d’Etat prévoit une interdiction de verser des dividendes ou d’autres formes de versement aux actionnaires durant la durée de l’aide. »

Cela dit, il est important d’encourager le respect des droits sociaux et de réduire l'empreinte environnementale, ce en les inscrivant formellement dans la proposition de décret. Ce n'est pas dire, comme l'a soutenu un peu caricaturalement M. Miauton la semaine passée, que nous serions encore au temps de Germinal et que les entreprises bafoueraient de manière systématique les droits sociaux ; le fait est que certaines entreprises, pas toutes bien sûr, pratiquent aujourd'hui une sous-enchère salariale, recourent au travail au noir ou au licenciement de délégués syndicaux. Il s'agit donc d'affirmer clairement dans ce décret que les entreprises aidées avec de l'argent public, soit l’argent du contribuable, doivent respecter un minimum les droits les plus élémentaires des salariés, notamment ceux relatifs aux engagements que la Suisse a pris en ratifiant les conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT).

Quant à la problématique des dividendes, je n'ai pas vraiment été convaincu par les propos de Mme la conseillère d'État Moret la semaine dernière, qui a soutenu qu'un contrôle était trop lourd et compliqué. Il n'est sans doute pas souhaitable de procéder à un contrôle financier systématique de toutes les entreprises aidées, mais il est tout à fait possible d'introduire cette disposition dans la loi et d'exercer des contrôles pour une partie seulement des entreprises aidées, de la même manière que dans le domaine fiscal, si vous permettez l'analogie, l'administration ne demande pas des pièces justificatives à l'ensemble des contribuables, mais procède à des contrôles ponctuels.

Sur le fond, il n’est pas acceptable que des entreprises utilisent de l'argent public destiné à maintenir l'emploi pour enrichir des actionnaires. Ce principe doit donc clairement être inscrit dans la loi. C'est d'ailleurs ce qu'ont reconnu les autorités suisses et vaudoises à plusieurs reprises ces dernières années, notamment pour les aides liées au Covid ou encore sur le plan cantonal, je le rappelle, pour l'aide aux médias, où ce sont des députés PLR qui étaient intervenus lors de la législature précédente pour éviter que des aides cantonales aux médias partent sous forme de dividendes à des grands groupes, notamment un grand groupe zurichois. J’appelle donc les élus qui étaient intervenus à ce sujet à faire preuve de cohérence en soutenant ce principe de non-versement de dividendes lors d'aides publiques.

M. Sébastien Humbert (V'L) —

Concernant ma question lors du premier débat sur les critères de durabilité minimaux que les entreprises doivent respecter, Mme la conseillère d'État a mentionné l'existence d'un formulaire d'auto-déclaration sur l'environnement et les règles de durabilité émises par l'Office cantonal de la durabilité et du climat (OCDC). Serait-il possible de nous indiquer où les trouver ou alors nous les partager ? En effet, il sera intéressant de les connaître afin de voir s'ils répondent aux questions soulevées, notamment par notre collègue Buclin.

M. Philippe Miauton (PLR) —

Il est essentiel d’étudier l'utilité de ce fonds, de comprendre à quoi il sert et dans quelle mesure il a été particulièrement utile aux entreprises. Ce fonds a été créé dans un contexte perturbé, en 2015 par rapport au franc fort et en 2020 par rapport au Covid. Or, ce contexte perdure. Les problèmes de franc fort sont toujours là ; les questions d'énergie, mais aussi du prix des matières premières et j'en passe, font que les exportations sont actuellement compliquées ; toutes les tendances nous le montrent. Nous parlons ici de petites et moyennes entreprises (PME) industrielles et j'insiste sur leur taille ainsi que sur l'aspect industriel dans un contexte où, je vous le rappelle, au sortir du Covid, l'ensemble des pays occidentaux parle de réindustrialisation. En l'occurrence, le Canton de Vaud a une chance particulière : il y a toujours eu des industries de types différents et variés qui font que le tissu économique de notre canton nous est envié, notamment par nos voisins cantonaux.

En outre, ce fonds de soutien a plusieurs visées. Il vise notamment à maintenir cette industrie, mais aussi à maintenir les emplois industriels durant ces périodes compliquées. Or, nous avons là un projet qui anticipe la réactivation de ce fonds au moment venu. Le Conseil d'État fait donc preuve de réactivité par rapport à des situations qui vont arriver.

Quant aux propositions qui sont émises, la première concerne l'aspect environnemental. Je vous invite à lire le chapitre 1.4 « Projet éligible » indiquant que les investissements pour ces projets éligibles doivent concerner l'outil de production, l'acquisition et le renouvellement d'équipements et de machines. Je déclare mes intérêts : je suis directeur de la Chambre vaudoise du commerce et de l'industrie. Lorsque nous effectuons ce type de renouvellement, nous ne nous amusons pas à acheter des machines au charbon. Le but est de moderniser le matériel, ce qui génère des économies de production. Ce sont des investissements dans l'outil de production qui maintient l'industrie dans le canton, qui la modernise, la rend compétitive par rapport aux concurrents. Je souligne encore « l'outil de production en lien avec des besoins en matière d'efficience énergétique ». Veuillez m’excuser, mais si cet élément ne vous paraît pas être de nature à aller en direction d’une vision environnementale, je ne sais plus quoi vous dire.

Sur l'aspect des conditions sociales de ces entreprises – Germinal est passé hier soir à la télévision, dans sa nouvelle version. Je pense que vous étiez tous en train de le regarder – nous parlons de PME. Or, vous faites un amalgame entre très grandes entreprises et PME qui ne sont pas en discussion pour distribuer des dividendes, mais qui cherchent simplement à maintenir les emplois dans le canton, des emplois qui sont importants, bien rémunérés, avec une capacité à innover. Tous ces éléments que vous avancez cherchent la petite bête dans un fonds qui a pourtant fait ses preuves et qui parle d'une taille d'entreprise que nous serions censés, à mon avis, soutenir sans aller chercher chaque virgule dans ce projet.

M. Kilian Duggan (VER) —

Ces amendements ne cherchent pas à vider ce fonds de sa substance ou de son objectif. Comme mon préopinant l'a dit, il a fait ses preuves et il faut le maintenir. Il faut peut-être améliorer la question du versement de dividendes lorsqu'une aide publique est octroyée, car cela paraît tomber sous le sens. En effet, si une aide publique est demandée, elle est nécessaire. Elle est nécessaire aux emplois et au tissu économique de notre canton, car il semble logique de faire preuve de solidarité. Lorsque l'État met la main au porte-monnaie pour aider une entreprise, il paraît évident qu'il ne doit pas servir à financer les actionnaires, dans tous les cas, durant cette période. Enfin, cela renforce la stabilité financière de l'entreprise, parce qu'en gardant des liquidités dans l'entreprise et en interdisant la distribution, on lui donne une plus grande résilience pour apprécier et faire face aux enjeux futurs. Il est donc sensé d'introduire ces aspects dans cet exposé des motifs et projet de décret et d’attendre du Conseil d'État qu’il l’applique de manière pragmatique, sans mettre en place des contrôles complets, mais plutôt des pointages. Je vous invite donc à soutenir cet amendement.

Mme Carole Dubois (PLR) — Rapporteur-trice

Je souhaite revenir sur le contexte dont nous parlons. Sur les deux fois où le fonds a été activé, il s’agit d’une aide d'une moyenne de 80’000 francs par entreprise aidée par ce fonds. Je ne crois pas que nous puissions parler de multinationales qui vont distribuer des centaines de milliers de francs à leurs actionnaires. Je rappelle aussi le premier but de cette aide de fonds à l'industrie : maintenir l'activité, donc les emplois. J'invite mes chers collègues qui soutiennent cet amendement à visiter une petite manufacture ou une PME dans le domaine de l'industrie. Pour ces entreprises, une machine qui ne fonctionne pas équivaut à une à deux places de travail mises en danger.

Pour des aides ponctuelles en cas de crise, est-il absolument nécessaire de complexifier les procédures pour retarder l'octroi d’aide à des entreprises qui en ont besoin pour maintenir des emplois vitaux pour leur personnel ? Je vous rappelle encore la moyenne de l'aide lors de l'activation du fonds : 80’000 francs par aide. L’exposé des motifs et projet de décret est très bien rédigé, ses buts sont clairement exprimés. Je vous invite donc à refuser ces amendements afin de ne pas engluer dans des procédures insupportables ces entreprises qui veulent juste survivre en temps de crise.

M. Alexandre Berthoud (PLR) —

Je souhaite revenir sur les propos en lien avec le dividende. Je rappelle à M. Buclin que l'amendement a été transformé dans le cadre de l'aide à la presse en un vœu. Ce dernier indiquait que « le Conseil d'Etat devra privilégier les médias qui ne distribuent pas de dividende, y compris dans le cadre d'un groupe, ainsi que les entreprises qui ne recourent pas à des licenciements économiques malgré des résultats bénéficiaires, y compris dans le cadre d'un groupe, et les bénéficiaires qui recourent à la formation ». Encore une fois, il s’agissait d’un vœu.

Maintenant, concernant ce projet de décret, je rappelle à M. Duggan – cela me surprend parce que je crois qu'il est conseiller financier – qu'il existe certaines structures en termes de financement qui passent par de la holding. C’est par exemple le cas de l'appareil de production et de l'immobilier, et une holding différenciée de la société d'exploitation. La société d'exploitation est la cible, elle ramène du bénéfice. Le bénéfice doit remonter par du dividende et ce dernier permet de payer la dette. Monsieur Duggan, je veux bien que nous fassions toujours le plus propre et le plus net possible, mais ce genre de structure financière apparaît très souvent dans l'industrie. Pour ma part, interdire aux entreprises de produire du dividende ne permettra pas de bénéficier de cette dette. C'est tout simplement technique et garanti sur facture, monsieur Duggan.

Mme Isabelle Moret (C-DEIEP) — Conseiller-ère d’Etat

Le formulaire d'auto-déclaration dont nous avons parlé est disponible en ligne sur le site du Service de la promotion économique et de l'innovation. Ce formulaire d'auto-déclaration s'applique à toutes les aides distribuées par ce service, quelle que soit la base légale, la Loi sur l’appui au développement économique (LADE) ou les différents fonds ou crédit-cadres. Il s'applique à tous. Ce formulaire d'auto-déclaration porte sur les conditions de travail et la protection des travailleurs, l'égalité salariale entre femmes et hommes, l'impôt et les charges sociales, la faillite et le concordat, le travail au noir et les travailleurs détachés, la question des sous-traitants directs, ainsi que sur la protection de l'environnement et la préservation des ressources naturelles.

Concernant le respect des conditions de travail et des dispositions relatives à la protection des travailleurs, un engagement indique que « Pour les prestations fournies en Suisse, le bénéficiaire déclare respecter les dispositions relatives à la protection des travailleurs ainsi que les conditions de travail. Les conditions de travail sont celles fixées par les conventions collectives et les contrats types de travail. En leur absence, ce sont les prescriptions usuelles de la branche professionnelle qui s'appliquent. Pour les prestations exécutées à l'étranger, le bénéficiaire déclare respecter les conventions fondamentales de l'OIT ». S'ensuit la liste des documents qui pourraient être requis. S'agissant d'un formulaire d'auto-déclaration, une fausse déclaration constitue un délit pénal, plus précisément un faux dans les titres.

Concernant en particulier l'égalité salariale – un domaine que je connais bien puisque le Bureau de l'égalité est dans mon département – il y a un tirage au sort d'entités. Nous arrivons parfois à des contrôles où l'égalité salariale n'est pas réalisée. Nous impartissons alors un délai pour que la situation soit mise à jour. Au sein du même département, la Direction générale de l'emploi fait partie de la commission tripartite et ce formulaire a aussi été rédigé en collaboration avec l'Office cantonal de la durabilité et du climat. De ce point de vue, le Service de la promotion économique et de l'innovation est un service pilote, en coopération avec l'Office de la durabilité. Je rappelle aussi que le règlement du fonds de soutien prévoira qu'une attestation de paiement des assurances sociales devra être fournie ou sinon qu'un plan de recouvrement des arriérés et des charges sociales soit validé par les institutions de prévoyance concernées. J'espère ainsi avoir répondu à vos premières inquiétudes et je réitère encore que les partenaires sociaux seront consultés sur le texte du règlement.

Concernant la question des dividendes, nous pouvons très bien en discuter dans le cadre de la Loi sur les subventions, mais cela devrait alors s'appliquer à toutes les aides de l'État, pas seulement à l'industrie. Dans le cadre de la LADE, on entend par « gros montants » les montants versés sous forme de prêts ou de cautionnements au titre de la LADE, soit des sommes de plus de 500’000 francs. Pour ces cas, on a introduit ces conditions. Pour les montants en dessous de 100’000 francs, soit les montants dont nous discutons dans le cadre de ce règlement à l'industrie, il n'y a pas de vérifications. Dès lors pourquoi traiter différemment le tourisme de l'industrie ? Cela peut donner lieu à des discussions, mais dans le cadre de la Loi sur les subventions. Pourquoi traiter différemment les aides que l'État donne pour les questions énergétiques de l'industrie ?

L'objectif de ce fonds est de maintenir des emplois industriels dans le canton ainsi que le savoir-faire lié à ces emplois. Avant d'octroyer une telle aide, le service concerné vérifie si la marge des affaires a bien été impactée, que ce soit au niveau du carnet de commandes, du chiffre d'affaires ou de la rentabilité, avec des comparaisons avec les années précédentes. Nous agissons pour aider ces entreprises, pour maintenir des emplois et le savoir-faire, raison pour laquelle je vous demande de bien vouloir refuser ces deux amendements.

M. Laurent Miéville (V'L) — Président-e

L’amendement Hadrien Buclin (alinéa 2 bis nouveau) est refusé par 78 voix contre 49 et 6 abstentions.

L’amendement Hadrien Buclin (alinéa 4 nouveau) est refusé par 79 voix contre 50 et 6 abstentions.

L’article 3 est accepté tel qu’admis en premier débat avec de nombreuses abstentions.

Les articles 4 à 10 et 11, formule d'exécution, sont acceptés tels qu’admis en premier débat.

Le projet de décret est adopté en deuxième débat et définitivement avec 4 abstentions.

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