23_REP_122 - Réponse du Conseil d'Etat au Grand Conseil à l'interpellation Pierre Dessemontet et consorts - Horaires CFF 2025 et dégradation de l’accessibilité croisée entre arcs lémanique et jurassien : que compte faire le conseil d’état ? (23_INT_77).
Séance du Grand Conseil du mardi 4 février 2025, point 40 de l'ordre du jour
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Visionner le débat de ce point à l'ordre du jourJe déclare mes intérêts : je suis syndic d'Yverdon-les-Bains, une commune lourdement touchée par le changement d'horaires survenu cette année. Je suis également, même si cela mérite d'être nuancé, député du district du Jura-Nord vaudois, une région tout aussi affectée par cette modification.
L'interpellation que j'ai déposée remonte à juin 2023, soit au moment des premières annonces des CFF concernant le projet d'horaires 2025. La réponse du Conseil d'Etat, quant à elle, date de janvier 2024, soit environ 7 à 8 mois plus tard. Elle est donc en partie dépassée, étant donné que la situation a évolué en 2024 et au début de 2025.
Je remercie néanmoins le Conseil d'Etat pour ses réponses et salue les efforts fournis, qui ont permis d'aller au moins partiellement dans la bonne direction. En effet, des liaisons directes supplémentaires entre Neuchâtel et Genève ont été ajoutées aux heures de pointe par rapport à ce qui était initialement prévu. De plus, le canton s'est engagé à rétablir dès que possible les liaisons suspendues avec l'horaire 2025. J'imagine d'ailleurs que des précisions pourront être apportées sur l'état actuel des discussions.
Je suis donc partiellement satisfait des réponses du Conseil d'Etat. Toutefois, les constats et les craintes exprimés lors de la publication du projet d'horaire il y a près de deux ans restent d'actualité.
Prenons l'exemple d'Yverdon-les-Bains – l'exercice pourrait être fait pour toutes les villes impactées, mais je commencerai par la mienne. On observe notamment :
La perte de la liaison directe horaire de/vers Morges, Genève et son aéroport.
La solution de remplacement, impliquant un transbordement à Renens, avec un temps de correspondance de cinq minutes, se révèle très problématique. En l'absence d'une solution « quai à quai », il est clair que cette solution ne fonctionne pas pour une grande partie des usagers.
Un allongement significatif du temps de parcours sur les liaisons maintenues, rendant celles-ci non concurrentielles par rapport à la solution officielle – celle du transbordement à Renens. Par exemple, le trajet entre Yverdon et Genève prend désormais plus de 20 minutes de plus.
La perte de la liaison directe sans arrêt vers Lausanne, allongeant le trajet de 22 à 27 minutes pour les trains les plus rapides.
Ces cinq minutes supplémentaires peuvent sembler insignifiantes, mais elles ont un impact majeur. Pour une personne travaillant à Lausanne et vivant à Yverdon, cela représente 10 minutes de trajet par jour, près d'une heure par semaine, soit environ 40 heures par an. Cela équivaut à une semaine de travail passée dans le train en plus par rapport à 2024. Ce type de changement peut influencer les décisions de lieu de résidence ou de travail.
A Yverdon-les-Bains, en 2021, selon le relevé structurel, environ 15’000 actifs résidents de la ville ont des données de pendularité. Parmi eux, 52 % ont un trajet de 22 minutes ou plus, mais seulement 43 % ont un trajet de 27 minutes ou plus. Cela signifie que, sur cinq personnes qui acceptent de faire au moins 22 minutes de trajet, une personne renoncera à faire un trajet supérieur à 27 minutes. Cela signifie que la ville va perdre un cinquième d’attractivité résidentielle, avec ce rallongement de la durée de trajet.
Cet effet est encore plus marqué pour les trajets plus longs. Par exemple, la différence d'acceptation entre 30 et 35 minutes, voire entre 40 et 45 minutes – qui sont des temps de pendulage normaux pour quelqu’un qui habite dans la région et travaille à Lausanne – est significative, entraînant une perte d'attractivité allant jusqu'à un quart pour Yverdon-les-Bains. Pire encore, cette situation pourrait perdurer longtemps, avec des conséquences structurelles sur les décennies à venir, jusqu'à la réfection de la gare de Lausanne ou la rénovation du bypass de Bussigny. Or, ces échéances semblent lointaines, et les signaux actuels ne sont guère rassurants. Dans la stratégie ferroviaire cantonale 2050, la ligne du Pied-du-Jura est principalement destinée au transport de marchandises. Le bypass n'est pas considéré comme prioritaire, mais seulement comme une mesure transversale. Lors d'une réunion technique récente avec l'entreprise, une échéance de chantier a même été évoquée pour... 2060. C'est dans 35 ans ! Cela explique que je sois d’humeur eschatologique, ces derniers temps.
J'ai 56 ans, et même si je suis en bonne santé, les statistiques me donnent un gros quart de siècle à vivre. J'ai donc perdu tout espoir de voir de mon vivant la qualité de service ferroviaire qu'Yverdon-les-Bains avait encore le 14 décembre dernier.
Cela dit, comme le disait mon père – paix à ses cendres : « Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre ». C'est pourquoi je dépose une détermination réaffirmant le rôle essentiel de la ligne du Pied-du-Jura, à égalité avec les autres lignes principales du canton, et le rôle indispensable du bypass. J’avais fait circuler ce texte dans les groupes, en septembre dernier, mais j'ai finalement décidé de ne pas ajouter de revendication concernant le quai à quai à Renens, mais si quelqu'un souhaite le faire, je le soutiendrai. Voici le texte de la détermination :
« Le Grand Conseil souhaite que le Conseil d’Etat réaffirme le rôle central joué par la ligne ferroviaire du Pied-du-Jura, à égalité avec les autres grandes lignes du Canton, dans la gestion de la mobilité cantonale et de la métropole lémanique, tant pour la desserte locale et régionale que pour le trafic de grandes lignes. Le Grand Conseil souhaite que le Conseil d’État défende tant le rétablissement complet le plus rapide possible de la grande ligne IC5 Genève-Aéroport-Genève-Morges-Yverdon-les-Bains-Neuchâtel-Bienne et au-delà, que la modernisation indispensable la plus rapide possible du bypass Morges-Bussigny. »
La discussion sur la détermination est ouverte.
Je prends rarement la parole sur les questions liées aux transports publics, aux CFF ou aux horaires. Cependant, je rejoins entièrement l'analyse de M. Dessemontet : on accuse un retard considérable dans le domaine de la mobilité.
Il y a dix ou quinze ans, il a fallu mener un véritable combat pour obtenir un deuxième train par heure s'arrêtant à Rolle et à Gland. À l'époque, ces localités étaient perçues comme de petites villes, mais aujourd'hui, elles peuvent être considérées comme de grandes communes, avec d'importants bassins de population. Les réseaux de bus y sont bien organisés pour faciliter le transfert modal.
Pourtant, comme M. Dessemontet, je suis sceptique quant à l'arrivée de trains toutes les quinze minutes à Rolle. Je pense que je serai morte et enterrée bien avant de voir cela se réaliser. Quant à la rénovation de la gare de Lausanne... je n'en parlerai même pas tant l'environnement est devenu hostile.
Je le constate depuis quelques mois : la politique de circulation à Lausanne est devenue extrêmement pénalisante pour les automobilistes, y compris pour nous, députés, qui sommes censés représenter l'organe législatif du canton. Il semble qu'il n'y ait plus de place pour nous non plus.
Je déclare mes intérêts : j'ai 68 ans. Monter les escaliers ne me pose pas trop de problèmes, mais les descendre, c'est une autre histoire. Heureusement, j'ai trouvé les ascenseurs à la gare de Lausanne, mais soyons francs : nous avons un vrai problème d'accessibilité aux transports publics dans nos villes. Cela concerne aussi les personnes dont la mobilité commence à se réduire, rendant les déplacements à pied difficiles à Lausanne.
C'est pourquoi je soutiens la détermination de M. Dessemontet, ce qui n'était pas mon intention en arrivant ici aujourd'hui, mais je le fais désormais avec conviction et plaisir.
Nous abordons ici un sujet qui nous concerne directement, tout en relevant d’une compétence qui n’est pas la nôtre, illustrant ainsi l'articulation complexe qui nous est imposée. Pour rappel, l’horaire dit des CFF est principalement déterminé par les CFF eux-mêmes et, dans une moindre mesure, par l'Office fédéral des transports qui valide l'offre ferroviaire en Suisse. Les cantons, quant à eux, se contentent de co-commander des offres régionales et de relayer les besoins de la population dans une diplomatie typiquement helvétique. La mobilité représente en effet l’expression la plus magnifique et en même temps la plus complexe de notre architecture institutionnelle, où chaque échelon joue sa partition selon ses compétences.
En l'occurrence, nous sommes clairement ici dans le domaine de compétences de la Confédération. Toutefois, les cantons ont un rôle essentiel à jouer pour relayer les préoccupations de la population, mais aussi pour co-financer et co-commander les offres régionales. Or, pour commander des offres, il faut disposer d’infrastructures. Et en la matière, il faut bien reconnaître que le temps des infrastructures se décline en temps long, très long, voire extrêmement long. Le canton de Vaud dénonce depuis des années le sous-investissement massif de la Confédération dans nos infrastructures, qu’elles soient routières ou ferroviaires.
La situation de la ligne du Pied-du-Jura découle d’un arbitrage difficile, face aux nombreux chantiers de plusieurs milliards de francs nécessaires pour préserver la praticabilité du réseau d’ici 2030. Cette situation révèle aussi la vétusté de notre réseau, conséquence de l’incurie de la Confédération à soutenir une région qui, elle, a continué de se développer et de contribuer à la dynamique économique du pays.
Rappelons que la métropole lémanique est la deuxième métropole économique de Suisse, représentant 40 % du produit intérieur brut national. Il est donc légitime que des travaux d'envergure y soient enfin réalisés. Toutefois, ces chantiers se déroulent simultanément, entraînant paradoxalement une réduction de l'offre de transport au moment où la demande est en pleine croissance.
Le canton de Vaud a dénoncé cette situation dès le début, tout en s’efforçant d'obtenir un horaire de chantier, dit horaire de crise, qui serve au mieux les intérêts des Vaudoises et des Vaudois. L'objectif reste de réduire progressivement les détériorations, au fur et à mesure de l'avancement des chantiers, en particulier pour la ligne du Pied-du-Jura. Le Conseil d'Etat a toujours plaidé pour un horaire 2025 évolutif, avec des impacts limités dans le temps, même si des sacrifices sont nécessaires pour mener à bien ces travaux indispensables.
Cependant, dans le contexte des récentes annonces d'économies de la Confédération et du projet Transports ‘45 – priorisation des projets d'infrastructure dévoilée la semaine dernière par Albert Rösti – il est crucial de rappeler avec force les adaptations nécessaires et le respect des engagements pris par l'Office fédéral et les CFF pour rétablir au plus vite les dessertes et réduire les temps de parcours sur cette ligne. C'est pourquoi le canton de Vaud, aux côtés des cantons de Suisse occidentale et de OuestRail, soutiendra – avec quelques nuances sur la forme – l'événement organisé vendredi par l'Alliance des villes, visant à rappeler aux CFF et à l'Office fédéral leurs engagements.
Nous souhaitons que toutes les lignes menant aux nœuds ferroviaires de Lausanne bénéficient du même niveau de desserte. Cela concerne bien sûr l'axe du Pied-du-Jura, mais aussi celui reliant Lausanne à Berne, pour lequel nous attendons toujours des investissements fédéraux afin de réduire les temps de parcours et d’assurer une égalité des correspondances. Faute de cela, nous risquons de nous retrouver avec un réseau ferroviaire à deux vitesses : un réseau national très bien connecté en Suisse alémanique et un réseau régional en Suisse occidentale mal connecté au réseau ferroviaire national.
Nos demandes ont été exprimées depuis longtemps via la Conférence des directeurs des transports de Suisse occidentale. Elles figurent également dans la stratégie ferroviaire 2050 approuvée par le canton de Vaud et soutenue par cette assemblée. Nous restons donc attentifs aux décisions qui seront prises concernant la priorisation du réseau national par l'Office fédéral dans les mois à venir. Soyez assurés que nous soutenons pleinement la détermination du député Dessemontet, car nous partageons ses préoccupations et ses objectifs.
Retour à l'ordre du jourLa discussion est close.
La détermination Pierre Dessemontet est adoptée par 114 voix et 13 abstentions.
Ce point de l’ordre du jour est traité.