24_POS_61 - Postulat Mathilde Marendaz et consorts au nom Laure Jaton - Construire sans démolir, et rénover l'existant : pour une stratégie cantonale de limitation de la casse !.

Séance du Grand Conseil du mercredi 18 décembre 2024, point 2.4 de l'ordre du jour

Texte déposé

Le canton de Vaud s’est engagé dans des objectifs de réduction des émissions de Gaz à Effet de Serre (GES) conformément aux objectifs de la Confédération et des engagements internationaux (Accord de Paris, Objectifs de développement durable de l’ONU). Le secteur du bâtiment représente une part significative des émissions de gaz à effet de serre. D’une part l’utilisation d’énergies fossiles dans les bâtiments peu efficaces pour chauffer ou refroidir, enjeu au cœur de la révision de la Loi sur l’Énergie vaudoise, et d’autre part en raison de la part importante de carbone contenu dans les matériaux utilisés couramment dans la construction aujourd'hui dans notre canton. Pour faire baisser les émissions du secteur du bâti et préparer l'économie de la construction de demain, il faut engager ce secteur sur une voie d'amélioration continue, de résilience et de sobriété matérielle et énergétique. C’est ce que le Conseil d’État a commencé, conformément aux mesures 2.1, 2.3 et 2.9 du Programme de législature 2022-2027, via le contre-projet à l’initiative « Sauvons le Mormont ». Il prévoit également d’élargir son action dans le cadre de la refonte de la loi sur la gestion des déchets, prévoyant la prolongation de la durée de vie des objets ; dans la future loi-cadre durabilité et climat et dans la révision de la LATC. Ces nouvelles orientations seront retranscrites dans la révision du Plan directeur cantonal des révisions des planifications directrices en matière d’approvisionnement en matières minérales et de gestion des déchets (Plan directeur des carrières, notamment.)

 

Des actions de grande ampleur seraient nécessaires pour répondre à nos objectifs de réduction des gaz à effet de serres dans ce secteur. Il s'agirait de passer par la rénovation massive des structures existantes et l'utilisation de matériaux bas carbone pour ces rénovations ainsi que pour les constructions neuves. Mais il faut également encadrer davantage le phénomène très répandu du processus de démolition de bâtiments existants, suivie de la construction de nouveaux bâtiments, le « faire tabula rasa » dans les cas où la rénovation et la transformation du bâti existant auraient été possibles techniquement. Les processus de démolition-reconstruction ont pour principaux effets d’augmenter la demande en matériaux neufs, ce qui pèse sur le bilan carbone. En outre, la démolition engendre la production de déchets de construction[1] (plus de 80% de nos déchets sont des déchets de chantier)[2], qui représentent une part importante des flux de déchets à amener en décharge et à enfouir, sans parler des terres d’excavation. Enfin, la démolition de bâtiments anciens exige l'expulsion de leurs habitantes et habitants et supprime des logements relativement abordables.

 

Depuis 2020, la France dispose d’une règlementation environnementale dans le domaine de la construction (RE2020[3] qui prévoit un bilan carbone avec des seuils de performance révisés tous les trois ans et réduit de 15% à chaque fois). Paris présente un nouveau plan local d’urbanisme bioclimatique qui impose de favoriser systématiquement la réhabilitation et la rénovation à la démolition. La directive EPBD de l’UE va imposer un budget carbone à tous les bâtiments neufs dès 2028 pour tous les pays membres. En Suisse, la protection patrimoniale parvient à empêcher les démolitions en imposant de maintenir l’existant avec rénovation, assainissement et parfois même agrandissement. Le canton peut l’imposer lorsque le bâtiment est porté à l’inventaire ou classé comme monument historique ; quelques communes s’y attèlent également avec une règlementation particulière (comme Morges dans son projet de PACom). En Suisse, des incitations existent pour favoriser la rénovation, notamment par le biais de la « densification douce », dont l’objectif est d’utiliser les droits à bâtir d’une parcelle tout en maintenant ce qui est déjà construit, permettant de valoriser l’existant et de préserver le sol de qualité[4]. En Suisse, le site « https://aufbruch-statt-abbruch.ch/ » émanant du groupe SIA pour la conservation des ouvrages (GCO) présente une sélection de transformations de bâtiments qui s'avèrent rentables, grâce à des solutions architecturales / d'ingénierie qui y sont présentées en détails. Sans cadre légal ni incitations économiques, seules les personnes convaincues s’y attèlent. 

 

Ce débat est très actuel dans la mesure où beaucoup de bâtiments construits dans le boom des trente glorieuses ont besoin d’être rénovés pour garantir leur habitabilité et leur performance énergétique. Il revient au choix des propriétaires/maitres d’ouvrage de démolir ou de rénover. Les principaux freins à la transformation du bâti existant sont l’absence d’incitations, de cadre, et d’intérêt économique : le marché de la construction est globalement “fait pour le neuf” qui coûte moins cher, à court terme, que la rénovation. De surcroît, la démolition-reconstruction permet de relouer des logements beaucoup plus chers, renforçant la crise des logements abordables.

 

Ce postulat propose de réfléchir à des mesures à plus large échelle qui permettraient de rendre la rénovation du bâti avantageuse économiquement et d'encadrer les démolitions, afin de diminuer la demande globale en matériaux neufs, limiter la consommation de sol et réduire la pollution générée par la démolition. Divers projets en Suisse mettent en valeur la capacité du patrimoine bâti existant à maintenir du logement abordable et même créer du logement supplémentaire via son potentiel de transformation par des stratégies de rénovation qualitative[5].  Il s’agirait de trouver des solutions innovantes pour une stratégie de sobriété énergétique de la construction.


Nous pourrions par exemple mettre davantage de critères au permis de démolir afin que celui-ci ait un niveau d’exigence similaire au permis de construire, et implique un diagnostic ressource, ainsi que prévu comme mesure symbolique dans les crédits d’1,100,000 pour la construction durable dans le plan climat. Nous pourrions inclure les émissions grises de la démolition dans les seuils d’émissions grises lors de nouvelles constructions (23_POS_79, art.35 LEN), et planifier la réduction graduelle de cette valeur limite d’ici à 2050. Nous pourrions exiger des analyses comparatives entre rénovation et “démolition-reconstruction” pour justifier le recours à la démolition. Le Canton de Vaud prévoit de soutenir une étude multicritère de l’HEPIA visant à déterminer dans quels cas de figure une rénovation devrait être privilégiée par rapport à une démolition ou reconstruction ; cette réflexion pourrait être systématisée. Enfin, nous pourrions établir des mécanismes d’incitation et de compensation. Ces mesures permettraient de réduire l’empreinte carbone du secteur de la construction, tout en soutenant la transition vers une économie circulaire et sobre. Ce postulat se base sur des mesures déjà entamées par le Conseil d’État, et propose d’en élargir l’ampleur afin d'essayer d'atteindre les objectifs de réduction de GES, nécessitant des transformations sociétales profondes, ce qui constitue en soi un défi économique, social et culturel majeur et stimulant.

 

Par ce postulat, nous demandons au Conseil d’État d’étudier la faisabilité de : 

 

  1. Mettre en place des conditions systématiques pour l’octroi d’un permis de démolition avant chaque nouvelle construction nécessitant de démolir, en s'appuyant sur un diagnostic ressource, une analyse d'impact environnemental et social, une analyse comparative entre l’impact énergétique et carbone de la rénovation et de la démolition (menée par exemple par la DGE) ; démontrant que la démolition serait plus favorable à long terme en termes d’impact environnemental ; et incluant un plan de valorisation des déchets pour démontrer comment les matériaux démolis seront réutilisés 
  2. Prendre en compte cette étude d'impact énergétique et carbone de la démolition (incluant, par exemple, les émissions contenues dans les matériaux, déchets générés et impacts de l'enfouissement des matériaux) dans les valeurs limites des émissions grises pour les nouvelles constructions et les rénovations notables (via art. 35 loi sur l’énergie en révision)
  3. Mettre en place un suivi des démolitions et des rénovations dans le canton, avec pour objectif d'établir un cadastre des matériaux sur le canton facilitant le réemploi, et de permettre de mesurer les progrès en matière de réduction des émissions de GES liées à ces politiques 
  4. Étudier, avec les services du patrimoine, la possibilité de soutenir les communes pour que les bâtiments en note 3 à 5 et les objets protégés communaux fassent aussi l’objet d’un examen visant à éviter des démolitions de bâtiments qui auraient pu être rénovés
  5. Étudier la possibilité de favoriser et rendre avantageux économiquement la « densification douce » (principe de maintenir, rénover et agrandir les bâtiments existants), en permettant des règles constructives plus souples, par exemple en matière de normes sur la surélévation ou en proposant par exemple un bonus de droits à bâtir supplémentaires (IUS, COS, hauteur) en cas de « densification douce » / rénovation, en s’inspirant de l’art 97. Al.4 de la LATC (isolation) 
  6. Que l’État assure une exemplarité en la matière, en produisant pour chaque projet de démolition-reconstruction un rapport explicitant son choix par rapport à la rénovation et l’impact énergétique et carbone de ce choix
  7. Conditionner la démolition au cycle de vie en prévoyant un nombre ambitieux d’années minimum après le dépôt du permis de construire avant de démolir (via révision LGD)
     

[1]https://www.abriss-atlas.ch/

https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home.html

 

[2]https://www.google.com/url?sa=t&source=web&rct=j&opi=89978449&url=https://www.24heures.ch/enquete-sur-les-chantiers-la-suisse-exporte-trop-souvent-ses-dechets-de-construction-534316651361&ved=2ahUKEwiuvN6S94uKAxV2zAIHHQHND8AQFnoECBcQAQ&usg=AOvVaw2xJoERbcGiHZhn4QRZffUt

[3]https://www.ecologie.gouv.fr/politiques-publiques/reglementation-environnementale-re2020

 

[4]Une étude pilote « Densification des zones villes. Une grille de référence » menée par le schéma directeur de Région Morges est disponible sous https://www.metamorphouse.ch/quartier/home/#

[5] Plateformes recensant des projets et bonnes pratiques:

https://aufbruch-statt-abbruch.ch/

https://campagne-climat.ch/bonnes-pratiques

 

Conclusion

Renvoi à une commission avec au moins 20 signatures

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Sébastien HumbertV'L
Hadrien BuclinEP
Isabelle FreymondIND
Pierre ZwahlenVER
Didier LohriVER
Théophile SchenkerVER
Céline MisiegoEP
Martine GerberVER
Felix StürnerVER
Yannick MauryVER
Elodie LopezEP
Claude Nicole GrinVER
Muriel ThalmannSOC
Valérie ZoncaVER
Cédric EchenardSOC
Joëlle MinacciEP
Aude BillardSOC
Oleg GafnerVER
Géraldine DubuisVER
Sébastien KesslerSOC
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