24_HQU_110 - Question orale Elodie Lopez au nom EP - Consommation de substances illicites: quelles suites suite à l'appel des communes ?.
Séance du Grand Conseil du mardi 8 octobre 2024, point 3.6 de l'ordre du jour
Texte déposé
Le mois dernier, je demandais au Conseil d’Etat comment l’inquiétante flambée du crack était anticipée. La réponse donnée, très Lausanno-centrée, considérait peu les autorités communales comme des partenaires concernés d’une part et d’autre part, faisait principalement état de mesures prises dans le passé, l’urgence et la capitale, en attendant la la stratégie 4 piliers. Cette réponse n’était pas satisfaisante face à une situation en évolution, nécessitant une action coordonnée, actualisée et anticipatrice, notamment pour soutenir les autorités territoriales concernées. Depuis, trois communes ont adressé un courrier au Conseil d’Etat, lui rappelant l’actualité des problématiques rencontrées dans le Canton, et appelant à la tenue d’assises de la chaîne pénale et de la santé publique.
Nous avons ainsi l’honneur de demander au Conseil d’Etat de renseigner le Grand Conseil sur la suite qu’il compte donner à ce courrier.
Transcriptions
Département de la jeunesse, de l’environnement et de la sécurité
Question orale Elodie Lopez au nom EP – Consommation de substances illicites : quelles suites suite à l'appel des communes ? (24_HQU_110)
Le mois dernier, je demandais au Conseil d’Etat comment l’inquiétante flambée du crack était anticipée. La réponse donnée, très lausanno-centrée, considérait peu les autorités communales comme des partenaires concernés d’une part et, d’autre part, faisait principalement état de mesures prises dans le passé, l’urgence et la capitale, en attendant la stratégie quatre piliers. Cette réponse n’était pas satisfaisante face à une situation en évolution, nécessitant une action coordonnée, actualisée et anticipatrice, notamment pour soutenir les autorités territoriales concernées. Depuis, trois communes ont adressé un courrier au Conseil d’Etat, lui rappelant l’actualité des problématiques rencontrées dans le canton, et appelant à la tenue d’assises de la chaîne pénale et de la santé publique. Nous avons également vu que les structures à bas seuil étaient confrontées à une forte augmentation de leurs besoins.
Nous avons ainsi l’honneur de demander au Conseil d’Etat de renseigner le Grand Conseil sur la suite qu’il compte donner à ce courrier.
Nous avons une réponse conjointe de M. Vassilis Venizelos et de Mme Rebecca Ruiz.
Comme pour le projet, le plan d’action deal de rue est porté par nos deux départements, et nous allons donc répondre conjointement sur cet objet extrêmement sensible. En préambule, le Conseil d'Etat souhaite rappeler qu'il est vivement préoccupé par la situation que vivent certaines villes de notre canton, confrontées à des phénomènes de deal et de consommation dans l'espace public. La situation dans certains lieux et quartiers est devenue inacceptable. Il est impératif de rétablir la sérénité sur le terrain. Cette situation aiguë génère un sentiment d'insécurité très important parmi la population, et nous comprenons le sentiment d'impuissance exprimé par les communes.
Le canton a fait de la lutte contre les produits stupéfiants une priorité. Des mesures fortes ont été mises en place au cours de ces dernières années en matière de prévention, de soins, de réduction des risques et, bien entendu, de répression, conformément à la politique des quatre piliers. Sur le terrain, la situation évolue rapidement, et le canton a toujours répondu présent. Il adapte en permanence sa réponse ; il l'a fait avec le plan d'action drogue et continue de le faire aujourd'hui avec de nouvelles mesures que je vais vous présenter. Le canton n'a donc pas attendu l'appel à l'aide des municipalités de Lausanne, Vevey et Yverdon relayé par les médias pour agir et renforcer son action en matière de lutte contre le trafic et la consommation de stupéfiants, tout en apportant son soutien aux communes.
Commençons par un bilan : la grande majorité des mesures du plan d'action drogue élaboré en 2021 ont été mises en œuvre, y compris le drug checking, qui nous permet d'obtenir une vision complète des produits et des filières présents sur le territoire vaudois. Sur le plan répressif, la police cantonale collabore activement avec les polices communales, assurant une présence uniforme visible dans les rues et menant des opérations ciblées qui ont permis de perturber les réseaux de trafic et d'interpeller des dealers.
En 2023, la police cantonale a saisi 20 kilos de cocaïne, réalisé 26 perquisitions d'appartements et effectué une trentaine d'interpellations dans la rue. La division des flagrants délits a opéré 85 fois, soit en moyenne tous les quatre jours. En mai dernier, lors d'une opération sur une base arrière du trafic de drogue située rue de Genève, plus d'un kilo de cocaïne a été saisi, avec 39 interpellations. Enfin, depuis le 1er décembre 2023, 228 interdictions de périmètre ont été prononcées pour une durée d'un à trois mois. Des opérations de plus grande envergure, à portée intercantonale, viennent compléter le dispositif et ciblent plus spécifiquement les réseaux criminels.
Enfin, la coordination des acteurs impliqués dans cette politique publique complexe est renforcée. Nous avons consolidé les différentes plateformes de coordination, qu'il s'agisse des plateformes techniques, politiques ou régionales, notamment entre les services des départements de Mme Ruiz et les miens. Nous sommes en contact quasi quotidien avec les villes, notamment celles qui ont signé le communiqué de presse, et nous travaillons ensemble depuis plusieurs mois pour adapter le dispositif répressif et socio-sanitaire.
Bien entendu, nous reconnaissons qu'il est toujours possible de faire mieux, et nous en avons conscience. La situation s'est péjorée dans certains quartiers et certaines rues, posant de nouveaux défis. Comme nous l'avons déjà dit ce printemps, il est impératif d'adapter nos réponses à ce nouveau contexte de deal de rue et d'enrichir le plan d'action cantonal avec de nouvelles mesures. En 2021, lors de l'élaboration du plan d'action, la situation était différente de celle que nous connaissons aujourd'hui. L'arrivée de substances en plus grande quantité sur le territoire vaudois, de nouveaux modes de consommation – notamment le crack – une augmentation de la précarité, et surtout un afflux massif de cocaïne de haute pureté en Europe à des prix défiant toute concurrence sont autant de facteurs à prendre en compte.
Un chiffre illustre cette situation : à Lausanne, la boulette de cocaïne se vend à 10 francs, contre 20 auparavant, tandis qu'elle se vend entre 25 et 30 francs à Vevey ou à Yverdon. Tout cela a pour conséquence, comme le confirment les analyses des eaux usées, une augmentation croissante de la consommation, touchant à la fois des personnes en grande précarité et d'autres totalement intégrées dans la société. Je remercie donc Mme la députée de donner l'occasion au Conseil d'Etat de présenter ces nouvelles mesures. Tout d'abord, nous tenons à rassurer les communes signataires du courrier. Leurs préoccupations ont été entendues, et elles sont d'ores et déjà invitées à une rencontre extraordinaire sur la question du deal de rue et de la consommation. Je crois savoir que le courrier a été envoyé ce matin.
A cette occasion, nous aurons la possibilité de discuter de l'opportunité d'organiser un événement du type assises ou, si nécessaire, de renforcer les différentes plateformes de coordination existantes, voire d'en créer une nouvelle. Je tiens d'ailleurs à rappeler l'existence des réunions appelées « Coordination de la chaîne pénale », qui se réunissent plusieurs fois par an en présence de tous les acteurs de la chaîne pénale, ainsi que de la ville de Lausanne, dont la police possède des compétences judiciaires. J'ai demandé que la question du deal de rue soit à nouveau abordée lors de la prochaine réunion de la chaîne pénale, prévue pour fin octobre. Plus concrètement, je peux vous annoncer qu'une task force sur le deal de rue a été mise en place depuis la rentrée. Cette task force vient renforcer le dispositif répressif déjà en place avec les mesures suivantes.
Premièrement, le renforcement de la présence d’agents en uniforme permanente dans les rues, en particulier aux points de fixation spécifiques liés au deal. Cette présence est assurée depuis plus d'un an, tant à Lausanne qu'à Vevey ou à Yverdon. Deuxièmement, des opérations coup de poing sur le terrain seront organisées ces prochains mois. En deux mots, il s'agit de continuer à prononcer les interdictions de périmètre, mais surtout de mener des opérations répressives ciblées, coordonnées et régulières pour interpeller des dealers. Le but est simple, nous voulons perturber les réseaux de trafic. Troisièmement, certaines places de détention ont été débloquées et affectées à des courtes peines. Et enfin, nous voulons procéder à une accélération des renvois de trafiquants en séjour illégal en coordination avec le Service de la population.
Pour cibler les gros poissons, nous avons renforcé notre action pour remonter les filières et mener des opérations spéciales ciblant les réseaux de trafiquants. Concrètement, il s'agit d'actions intercantonales menées au niveau financier, en matière de stupéfiants et de traite des êtres humains. Vous comprendrez aisément qu'il n'est pas possible, ici, d'en dire plus sur ce type d'opération. Cette task force sur le deal de rue continuera ainsi à monter en puissance pour coordonner les actions des différents acteurs dans le but d'avoir un impact encore plus significatif sur le terrain et d'identifier des mesures supplémentaires à prendre. Nous devons également renforcer la coordination entre les cantons et entre les différents maillons de la chaîne sécuritaire, notamment entre les douanes, l’Office fédéral de la police (FEDPOL), le Ministère public de la Confédération, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) et les polices. Seule la Confédération peut jouer ce rôle. C'est un sujet que j'aborderai avec le conseiller fédéral Beat Jans lors d'une prochaine rencontre. Je thématiserai également ce point avec mes collègues des autres cantons dans le cadre de la Conférence intercantonale des chefs de départements en charge de la justice et de la police.
Ce dispositif répressif renforcé constitue une plus-value manifeste pour apporter de la sérénité sur le terrain, mais il ne saurait être la panacée. La répression règle temporairement, à court terme, la face la plus visible du problème, celle qui génère un sentiment d'insécurité. Cependant, le deal de rue n'est que la pointe de l'iceberg du trafic de stupéfiants. Il ne faut pas oublier le contexte international : des centaines de tonnes de cocaïne sont déversées chaque année en Europe, générant des milliards de francs dans cette économie illégale. Cette offre abondante, bon marché, variée et omniprésente de drogues illégales répond à une demande de consommation. Il y a de tout, partout, tout le temps, pour tout le monde. Ainsi, nous allons continuer à créer des places de détention : 250 ont été créées ces dix dernières années et 400 sont prévues à l'horizon 2031. Nous allons poursuivre nos actions d'interpellation, d'incarcération, de renvoi de dealers et de trafiquants, de démantèlement de filières et de prononcé d'interdictions de périmètre. Nous devons le faire pour apaiser l'espace public et protéger la population. Cependant, nous devrons également avoir le courage de mener un débat national sur la manière dont l'Etat entend reprendre le contrôle de ce marché incontrôlé et criminel, que nul gouvernement n'a réussi à juguler jusqu'à présent, et peut-être remettre en question notre modèle prohibitif.
Je souhaiterais également apporter quelques précisions concernant le volet socio-sanitaire, car mon département a pris un certain nombre de mesures depuis le printemps 2023. Nous avons mis en place une veille médico-sociale dans l'espace public lausannois, ainsi qu'une cellule de crise qui augmente la capacité d'action des différents services impliqués. De plus, le canton participe depuis 2022 au financement de l'espace de consommation sécurisé (ECS), qui offre aux consommateurs et consommatrices de stupéfiants à Lausanne une alternative à la rue, tout en visant à alléger la pression sur l'espace public. Tels étaient les objectifs de l'ECS avant l'arrivée du crack. Le Département de la santé et de l’action sociale (DSAS) se concentre également sur les besoins des autres villes touchées par cette crise. L'Office du médecin cantonal entretient des contacts réguliers avec les lieux d'accueil qu'il subventionne et répond activement aux demandes qui lui sont adressées par les communes.
Concrètement, à Yverdon, en réponse à la demande du centre d'accueil Zone Bleue, le DSAS augmentera son soutien à partir du mois d'octobre pour renforcer l'équipe en place. À Vevey, l'Office du médecin cantonal est également en contact avec le Conseil de la Fondation Addiction, Action communautaire et Travail social (AACTS). Il a rencontré la direction de l'Association de la région d'action sociale (ARAS) pour échanger sur les besoins et les missions de cette fondation, dont le mandat va au-delà des mesures de réduction des risques pour les personnes toxicomanes. Cette fondation joue en effet un rôle important dans l'accueil des publics précarisés. Concernant le cas de Vevey, mon département est disposé à renforcer la fondation en bonne intelligence avec les autorités locales. Au niveau cantonal, le programme de remise de matériel stérile a également été renforcé dans le but de prévenir la transmission de maladies infectieuses parmi les consommateurs, en particulier l'hépatite C.
De manière générale, ces mesures permettront, ne serait-ce que temporairement, d'alléger la charge des équipes sur le terrain et d'améliorer le soutien aux personnes en situation de détresse. Par ailleurs, et c’est un point important, mes services travaillent actuellement en collaboration avec des experts en addictions pour élaborer des mesures supplémentaires en réponse aux défis spécifiques posés par ces nouveaux produits, qui remettent en question l'ensemble des dispositifs que nous connaissions jusqu'à présent. Nous allons notamment examiner la possibilité de mettre en place des filières de prise en charge intensives, tant médicales que sociales, spécifiquement pour les consommateurs de crack. En parallèle, il est essentiel de renforcer la prévention de la consommation de crack auprès des populations à risque. Nous savons en effet qu'on ne devient pas consommateur de crack sans avoir, au préalable, eu des expériences avec d'autres drogues dures. Ainsi, il existe des marges de progression significatives en matière de prévention, notamment à travers des messages ciblés destinés à des consommateurs déjà actifs, qu'ils soient socialement intégrés ou, comme l’a souligné mon collègue, déjà très désinsérés et confrontés à des situations de précarité et de détresse.
Quoi qu'il en soit, nous avons plusieurs prescripteurs d’opioïde dans le canton de Vaud qui suivent un certain nombre de consommateurs, et il est essentiel de travailler en collaboration avec eux, notamment dans le cadre du drug checking. Comme nous l'avons discuté ce matin dans un autre débat, cela vise également à renforcer les messages de prévention concernant la consommation de ces produits hautement addictifs qui perturbent l'ensemble du dispositif mis en place. Je tiens à exprimer un avis personnel sur ce sujet : nous sommes confrontés à un véritable défi concernant la politique des quatre piliers que nous connaissons actuellement. Il est légitime de se demander si cette approche est encore adéquate face à l'émergence de ces nouveaux produits et aux conséquences qu'ils engendrent, tant pour les consommateurs que pour l'espace public. En effet, cela impacte également la cohabitation dans nos espaces publics.
Je remercie le Conseil d'Etat pour les réponses détaillées qu'il nous a fournies, ainsi que pour les diverses mesures qu'il met en place, notamment le renforcement des urgences des structures à bas seuil. J'aimerais poser une question complémentaire : vous avez mentionné un groupe de coordination entre les acteurs concernés, ainsi que la collaboration avec les acteurs d'autres cantons. Ma question est la suivante : des contacts et des collaborations sont-ils actuellement établis avec les autorités d'autres cantons sur ces problématiques ? En effet, une politique développée dans un canton peut avoir des répercussions sur ceux qui l'entourent. Par exemple, une initiative prise à Neuchâtel pourrait influencer la situation à Yverdon, tout comme une politique mise en œuvre dans le canton du Valais pourrait affecter les villes frontalières. Est-ce que des collaborations intercantonales sont envisagées dans les discussions que vous menez actuellement ?
Je vais apporter une réponse sur les aspects répressifs. D'abord, au niveau opérationnel, il y a bien sûr une coordination intercantonale entre les différentes polices lorsqu'il s'agit d'intervenir sur des réseaux qui font fi des limites administratives et cantonales. Cette coordination opérationnelle existe donc. Ensuite, au niveau intercantonal, il y a les conférences intercantonales que j'évoquais tout à l'heure, qui traitent de tous les aspects liés à la sécurité, pas uniquement les problématiques du deal de rue. Cependant, cette thématique est abordée de manière systématique lors de ces assemblées. Ces réunions constituent une occasion d'échanger sur nos différentes expériences et réalités, car la situation à Appenzell Rhodes-Intérieures est peut-être quelque peu différente de celle du canton de Vaud ou de celle de Zurich. En tout cas, il y a des échanges réguliers dans ces conférences intercantonales concernant les diverses options répressives qui peuvent être envisagées.
Retour à l'ordre du jourJe voudrais ajouter quelques éléments concernant la coordination intercantonale sur les aspects de la prise en charge socio-sanitaire. Nous sommes dans une situation quelque peu différente. Il n'y a pas de discussions, du moins au niveau de la Conférence des directeurs de la santé, sur cette problématique qui touche certains cantons en particulier, notamment ceux qui ont de grandes villes, car c’est là que le marché sévit, et où la consommation a significativement augmenté.Cela dit, nous observons de très près ce qui a été mis en place à Genève, un canton voisin qui dispose de structures similaires à celles que nous connaissons dans le canton de Vaud, au niveau du dispositif socio-sanitaire. D'ailleurs, le plan deal de rue, auquel faisait référence mon collègue Venizelos, a été largement inspiré par les initiatives mises en œuvre du côté bernois, ainsi que dans d'autres cantons.
Je tenais à prendre la parole pour souligner que, bien que nous continuions à regarder ce qui se passe ailleurs pour en tirer des enseignements, nous avons déjà beaucoup de travail à faire à l'intérieur du canton. Nous devons coordonner et aligner les dispositifs sanitaires et sociaux, qui n'ont pas toujours la même approche concernant la prise en charge des personnes toxicodépendantes, notamment dans des situations aussi catastrophiques que celles rencontrées par certains consommateurs de crack. Le travail que je souhaite promouvoir consiste donc à créer un alignement entre le secteur social et le secteur sanitaire au sein du canton, afin de mettre en place, si possible, des filières de soins avec une approche partagée par tous les acteurs. Il est crucial d'éviter les divergences de vues ou les désaccords idéologiques sur ces questions, qui, à mon avis, sont problématiques pour la prise en charge adéquate des personnes concernées.