24_HQU_66 - Question orale Circé Barbezat-Fuchs au nom du groupe Vert'Libéral - Bénédicte a besoin d'amour.
Séance du Grand Conseil du mardi 11 juin 2024, point 3.5 de l'ordre du jour
Texte déposé
Née il y a un an, la petite, que les médias ont appelée Bénédicte, a vécu toute la première année de sa vie loin de sa maman et des siens. Son état de santé reste fragile, confiée aux soins des professionnel-les chargé-es de l'héberger. Beaucoup s'inquiètent des effets d'un très long placement sur le développement affectif de l'enfant. Début 2024, le Tribunal fédéral a donné sa caution à l'éloignement du bébé; il a toutefois demandé des visites et contacts plus fréquents avec sa mère en particulier.
Il importe dès lors de regarder vers l'avant, d'éviter la prolongation excessive du placement et de préparer les conditions de retour de l'enfant auprès de celles et ceux qui l'aiment.
Ma question est donc la suivante : Comment le Conseil d'État conçoit-il le retour de la petite Bénédicte auprès de sa maman?
Transcriptions
Question orale Circé Barbezat-Fuchs au nom du groupe Vert’libéral – Bénédicte a besoin d’amour (24_HQU_66)
Née il y a un an, la petite – que les médias ont appelée Bénédicte – a vécu toute la première année de sa vie loin de sa maman et des siens. Son état de santé reste fragile, confiée aux soins des professionnels chargés de l’héberger. Beaucoup s’inquiètent des effets d’un très long placement sur le développement affectif de l’enfant. Début 2024, le Tribunal fédéral a donné sa caution à l’éloignement du bébé. Il a toutefois demandé des visites et contacts plus fréquents avec sa mère en particulier. Il importe, dès lors, de regarder vers l’avant, d’éviter la prolongation excessive du placement et de préparer les conditions de retour de l’enfant auprès de celles et ceux qui l’aiment. Ma question est donc la suivante : comment le Conseil d’Etat conçoit-il le retour de la petite Bénédicte auprès de sa maman ?
Retour à l'ordre du jourJe remercie Mme la députée Barbezat-Fuchs pour sa question qui me donne l’occasion de faire le point sur la situation de Bénédicte et de préciser un certain nombre d’éléments. En préambule, je souhaite indiquer deux aspects qui me semblent essentiels pour aller au-delà cette affaire qui a fait la une des médias. D’abord, faire part de mon empathie en tant que ministre en charge de la jeunesse, mais aussi en tant que père : la situation des 8000 enfants suivis chaque année par la Direction générale de l’enfance et de la jeunesse (DGEJ) me touche et me préoccupe, tout comme j’ai de la compréhension pour la souffrance, la tristesse, voire la colère que certaines situations peuvent engendrer, notamment pour les familles et pour les proches concernés. Je souhaite que chaque enfant puisse trouver une solution adaptée pour permettre son épanouissement, que chaque père, que chaque mère puisse monter en compétence parentale. C’est pourquoi nous devons gérer toutes ces situations avec professionnalisme et humanité. C’est la raison pour laquelle j’ai fait de la protection des mineurs une des priorités de cette législature.
Cela étant dit, je tiens à rappeler deux aspects très importants de la situation précise de Bénédicte. Premièrement, lorsqu’un parent s’oppose à une mesure de protection et médiatise sa situation, le secret de fonction empêche les services de l’Etat de divulguer des informations au public et de défendre l’action publique. En effet, que ce soient les professionnels concernés, notamment ceux de la DGEJ, mais également ceux du Child Abuse and Neglect Team (CAN Team) – le groupe hospitalier du CHUV en charge de la détection et de la prévention de la maltraitance envers les enfants – ou encore les éducateurs et éducatrices du foyer ou les médecins qui ont vu l’enfant, toutes ces personnes sont tenues au secret de fonction, voire au secret médical, dont je rappelle qu’il a pour principal but de préserver le droit à la personnalité de l’enfant et de protéger sa vie privée – en d’autres termes, de préserver l’intérêt de l’enfant. Il n’est donc pas dans l’intérêt de cet enfant ni dans celui de la mère, que je vous donne ici des informations sur leur état de santé physique et psychiatrique, tout comme il n’est pas non plus dans l’intérêt de l’enfant que des médias publient des photos de Bénédicte, même si son visage est légèrement flouté.
Deuxièmement, toutes les décisions ont été prises par la Justice de paix, qui a rendu, dans cette situation, plus d’une douzaine de décisions. La mère a fait usage de son droit de recours auprès du Tribunal cantonal, puis auprès du Tribunal fédéral – l’arrêt de ce dernier est publié sur son site Internet. Notre haute instance a rejeté le recours de la mère et a estimé que le Tribunal cantonal du Canton de Vaud avait bien tenu compte de tous les faits pertinents ; elle a considéré qu’au regard des circonstances concrètes, le placement était actuellement la seule solution possible. Le Tribunal fédéral a toutefois souligné dans sa décision qu’il fallait aussi veiller au rétablissement progressif et durable d’un lien entre l’enfant et sa mère, en permettant à cette dernière d’avoir des contacts personnels plus fréquents avec son enfant. Dès lors, la DGEJ a immédiatement mis en place une visite médiatisée supplémentaire pour pouvoir permettre l’observation de la mère avec sa fille et a autorisé ensuite des visites libres le week-end sous la surveillance de la tante de l’enfant, d’abord durant trois heures le samedi, puis il y a ajouté le dimanche et enfin a étendu ses visites de 10 à 18 heures le samedi et le dimanche. Les contacts entre la mère et son enfant ont donc été progressivement étendus.
Dans son arrêt confirmé par le Tribunal fédéral, la cour cantonale a rappelé, je cite : « les différentes carences reprochées à la recourante au regard des besoins essentiels de sa fille, ce sur les plans affectifs, émotionnels, sécuritaires ou de la gestion du quotidien. La cour cantonale en a déduit que l’intéressée ne pouvait pas satisfaire à minima les besoins les plus élémentaires de son enfant. » Ces constats sur les limitations importantes de la mère à comprendre les besoins de sa fille ont fait l’objet d’évaluations régulières et ont été confirmés tout au long de ces derniers mois par les professionnels qui suivent cette situation, qu’ils soient assistants sociaux, éducateurs, éducatrices, pédiatres. La Justice de paix a par ailleurs ordonné une expertise pédopsychiatrique et nommé un expert, lequel a été proposé par la mère. À la suite des conclusions rendues en mars dernier, l’avocat de la mère a néanmoins demandé et obtenu la récusation de cet expert et de son expertise. Aussi, un nouveau mandat d’expertise est ordonné. Pour les raisons précédemment évoquées dans l’attente de cette nouvelle expertise, un retour à domicile ne s’avère pas possible dans l’immédiat. En revanche, les visites surveillées dans et hors du foyer sont maintenues et ont été étendues dans le sens que je viens d’indiquer. La DGEJ poursuit son travail pour essayer de faire évoluer la situation, avec des visites surveillées et des visites libres. Je note toutefois que la collaboration avec la famille et ses soutiens est loin d’être sereine et qu’il est difficile pour les professionnels, tant du DGEJ que du foyer, d’être l’objet d’attaques, voire de propos à la limite de la diffamation, alors que leur travail se concentre sur l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit primer.
En conclusion, Bénédicte a besoin de protection et la DGEJ et ses partenaires mettent actuellement tout en œuvre pour garantir le bien de l’enfant et permettre son développement, tout en veillant au lien avec sa mère, dans le respect de l’arrêt du Tribunal fédéral. Dans cette situation, comme pour les 8 000 autres enfants suivis par la DGEJ, ce sont autant de situations personnelles et humaines, autant de parcours de vie souvent cabossés, avec leurs difficultés, mais aussi avec leurs espoirs, où il nous incombe, dans le respect des règles, de mettre toujours l’intérêt de l’enfant au centre de notre action, ceci avec tout le sérieux, le professionnalisme et l’humanité requis par les circonstances.