21_INI_8 - Initiative Carine Carvalho et consorts au nom Au nom du groupe socialiste - Initiative cantonale Pour l'introduction dans le code pénal des dispositions réprimant l’usage abusif de l’image et atteinte à la personnalité (Mettons fin au revenge porn !).

Séance du Grand Conseil le mercredi 15 juin 2022, point 8 de l'ordre du jour

Texte déposé

Le revenge porn, littéralement la vengeance pornographique, consiste à diffuser généralement sur internet des images de nus ou à caractère sexuel sans l’autorisation de la personne qui apparaît sur ces images. L’intention est de se venger, dans le cadre d’une relation intime ou d’une rupture, mais l’expression est souvent réductrice. La diffusion non consentie d’images a aussi l’intention de nuire, d’humilier, de menacer la victime, ou pour la forcer à donner de l’argent, à fournir d’autres images, à effectuer des actes sexuels, ou encore pour la faire taire à propos d’un autre délit. Les personnes auteures d’un tel acte peuvent vendre les images à des tiers, par exemple des sites internet ou les montrer à leurs ami·e·s pour s’amuser ou s’auto-promouvoir. Les femmes et les jeunes sont particulièrement touché·e·s par ce comportement, généralement associé aux violences envers les femmes et au harcèlement scolaire.  

 

L’impact de la diffusion non consentie d’images à caractère sexuel est énorme. Une fois qu’une image circule sur internet, il est difficile de la supprimer. La victime y est constamment confrontée et est souvent obligée de se retirer complètement du monde numérique (avec les conséquences professionnelles et sociales que cela implique), de déménager, de changer d’école ou d’emploi.

 

Dans un monde où le numérique prend une place aussi importante, nous ne pouvons que constater les limites du droit Suisse dans la protection des victimes. Actuellement, le revenge porn pourrait être sanctionné pour pornographie (Art. 197 Code pénal suisse), pour autant que l’auteur y confronte un mineur de moins de 16 ans (art. 197 al. 1 CP) ou un tiers de façon inopinée (art. 197 al. 2 CP). Et cela ne serait le cas que si les images peuvent être qualifiées de pornographie, ce qui suppose selon le Tribunal fédéral que les images visent «  à provoquer une excitation sexuelle du consommateur alors que la sexualité est à tel point détachée de ses composantes humaines et émotionnelles que la personne en est réduite à un pur objet sexuel dont on peut disposer à volonté. »[1]. La publication de photos d’une personne, même nue, a ainsi de grandes chances de ne pas être sanctionnée pour pornographie, faute pour la sexualité d’être suffisamment « détachée de ses composantes humaines ». On pourrait également songer à l’infraction pénale de violation du domaine secret ou du domaine privé au moyen d’un appareil de prise de vues sanctionnée par l’art. 179quater du Code pénal suisse. Cette infraction nécessite toutefois que l’image ou la vidéo litigieuse soit parvenue à son auteur sans le consentement de la victime. Si la victime a donné son accord, il est à craindre que l’auteur ne soit ensuite plus punissable en la transmettant, pas plus qu’en la modifiant avant de la transmettre. Cette disposition ne constitue ainsi pas une sanction, respectivement un moyen de prévention adéquate non plus.

La transmission de photos ou images sans le consentement de celle ou de celui qui y figure, à plus forte raison la publication de telles images sur Internet, est constitutive d’une atteinte à la personnalité au sens des art. 28 ss du Code civil suisse. Il appartiendra toutefois en procédure civile à la victime, préalablement à toute protection, de saisir le juge pour rendre vraisemblable une telle atteinte, illicite, à sa personnalité, ce qui n’est pas chose aisée et surtout ce qui suppose qu’entre temps, la publication reste visible sur Internet et que l’auteur de la diffusion perd tout contrôle sur celle-ci. Les images peuvent ainsi être téléchargées ou copiées par un nombre infini d’utilisateurs d’Internet, de sorte que la possibilité même d’obtenir du juge qu’il fasse cesser l’atteinte (art. 28a al. 1 ch. 2 CC) ne protège plus la victime. Pas de quoi créer un effet préventif propre à inciter les auteur·e·s à renoncer à nuire.

Ce sujet n’a pas été intégré dans la révision du droit pénal en matière sexuelle actuellement en examen. D'autres pays européens, à l'instar de l'Allemagne et de la France, ont déjà légiféré sur des dispositions pénales sanctionnant le « revenge porn ». 

 

Au vu de ce qui précède, et afin de combler une lacune dont les conséquences sont graves pour les victimes, nous demandons au Conseil d’État d'intervenir auprès des autorités fédérales afin d'introduire dans le code pénal des dispositions réprimant l’usage abusif de l’image et atteinte à la personnalité.

 

[1]Arrêt du Tribunal fédéral 6B693/2020 du 18 janvier 2021 consid. 5.1

Conclusion

Renvoi à une commission avec au moins 20 signatures

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Isabelle FreymondIND
Eliane DesarzensSOC
Circé FuchsV'L
Josephine Byrne GarelliPLR
Alberto CherubiniSOC
Anne-Laure Métraux-BotteronVER
Didier LohriVER
Jean-Louis RadiceV'L
Alice GenoudVER
Céline MisiegoEP
Hadrien BuclinEP
Sébastien CalaSOC
Arnaud BouveratSOC
Sacha SoldiniUDC
Jean TschoppSOC
Blaise VionnetV'L
Graziella SchallerV'L
Sonya ButeraSOC
Jean-Claude GlardonSOC
Valérie InduniSOC
Cendrine CachemailleSOC
Jérôme Christen
Yves PaccaudSOC
Delphine ProbstSOC
Muriel Cuendet SchmidtSOC
Cédric EchenardSOC
Julien EggenbergerSOC
Rebecca JolyVER
Nicolas BolayUDC
Elodie LopezEP
Vincent KellerEP
Stéphane MontangeroSOC
Monique RyfSOC
Léonard Studer
Taraneh AminianEP
Felix StürnerVER
Nathalie JaccardVER
Claire Attinger DoepperSOC
Jean-Christophe BirchlerV'L
Anne Baehler Bech

Documents

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
Mme Anne Baehler Bech — Rapporteur-trice

Considérant que le revenge porn, en bon français une sorte de revanche par la diffusion d’images ou d’enregistrements à caractère sexuel sans le consentement, bien entendu, de la personne concernée, sur les réseaux, jouit hélas, encore et toujours d’une forme de vide juridique. En effet, le Code pénal suisse (CP) ne protège qu’insuffisamment les victimes. De son côté, la procédure civile demeure longue et incertaine pour les victimes qui doivent apporter elles-mêmes les éléments de preuve et, même, facteur aggravant, si celles-ci obtiennent gain de cause, rien n’indique que l’usage abusif des images sur la toile cessera.

Considérant également que les Chambres fédérales débattent actuellement d’une révision du CP, notre collègue, Mme Carine Carvalho, a jugé opportun de déposer une initiative cantonale afin que le canton envoie un signe politique clair relativement à cette problématique. Tous les commissaires s’accordent à déplorer cette espèce de vide juridique, tout comme à dire que ce revenge porn cause des dégâts considérables sur les victimes, tant sur le plan émotionnel que psychique, entraînant parfois les victimes à attenter à leur intégrité physique.

Si des commissaires se sentent un peu impuissants face à ce problème, certes réel, mais qui est de compétence fédérale et doutent de l’efficience d’une initiative cantonale, d’autres estiment au contraire nécessaire d’agir et de se saisir de cette problématique en utilisant les outils à disposition des parlementaires vaudois, soit en l’occurrence l’initiative cantonale, pour envoyer un signal politique fort et clair à l’intention du Conseil fédéral et des Chambres fédérales.

Par conséquent, par 7 voix et 2 abstentions, la commission recommande au Grand Conseil de prendre en considération cette initiative

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est ouverte.

Mme Carine Carvalho (SOC) —

Je remercie la rapportrice pour son rapport très complet et la diligence dont elle a fait preuve pour qu’il puisse rapidement être placé à l’ordre du jour, même si la vitesse de nos travaux n’a pas permis de le traiter immédiatement. Je remercie également la conseillère d’Etat et ses collaborateurs pour les informations amenées en séance et qui renforcent le constat de l’existence d’un problème et de lacunes dans le CP actuel.

Je rappelle ce qui m’a motivée à déposer une telle initiative. La publication d’images ou d’enregistrements à caractère sexuel sans le consentement des personnes, est une pratique malveillante, impactante et qui occasionne beaucoup de dégâts humains, et jouit d’un vide juridique.

En effet, le CP ne protège pas suffisamment, et la démarche civile s’avère aussi très difficile et insuffisamment dissuasive. Que pouvons-nous faire actuellement pour faire cesser la diffusion d’images sur Internet ? Presque rien. Comme vous pouvez le constater, les débats de la commission n’ont pas tellement porté sur le fond et sur la nécessité d’agir – largement reconnue – une reconnaissance importante pour les personnes, notamment les jeunes, qui en sont victimes. Les discussions ont plutôt porté sur l’instrument qu’est l’initiative cantonale et l’intérêt de son renvoi aux autorités fédérales.

Il est important de savoir ce qui se passe au niveau fédéral. Peut-être avez-vous dans la presse que la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats a publié fin février un rapport sur la révision du CP relative aux infractions sexuelles. À la suite d’une large consultation, cette commission propose la création d’une nouvelle infraction portant sur la porno divulgation. Seule une minorité de la commission, soit une personne, propose de renoncer à cette infraction. Au sein du Conseil des Etats, le débat a eu lieu avant-hier. Ce dernier a accepté le rapport de la commission ; la question sera donc traitée au Conseil national. Le Conseil fédéral quant à lui s’oppose à une telle disposition dans le cadre de la révision portant sur les infractions pénales, car il veut examiner la possibilité de légiférer en la matière dans le cadre de ses futurs travaux sur le cyberharcèlement. Cependant, traiter de la question de la porno divulgation comme du cyberharcèlement serait inadéquat. En effet, une personne harceleuse peut cesser son comportement suite à une plainte, alors que la diffusion d’une image à caractère sexuel est difficilement contrôlable par ce biais, car il y a très peu de chances d’obtenir le retrait du contenu, encore moins dans un bref délai. Ce qui a été diffusé sur Internet l’est pour très longtemps et auprès de beaucoup de monde. Faire cesser l’atteinte est tout à fait impossible d’où la nécessité de réprimer le comportement pour que ce contenu ne soit jamais publié. Quoi qu’il en soit, le débat est loin d’être fini, et les discussions sur le sujet encore ouvertes pendant un temps au niveau fédéral. Ainsi, le moment est plus que propice pour l’acceptation d’une telle initiative qui enverrait, comme le dit le rapport de commission, un signal politique à l’intention du Conseil fédéral et des chambres fédérales.

En conclusion, au lendemain du 14 juin et de la mobilisation de plus de 50'000 femmes et hommes solidaires pour l’égalité, je ne peux m’empêcher de dire qu’il s’agit aussi d’une question de cohérence tant avec les attentes des citoyennes et des citoyens qu’avec les efforts récents de notre canton et de notre ville pour lutter contre les violences envers les femmes et le bien-être des jeunes. Je vous invite à suivre les conclusions du rapport de la commission.

Mme Céline Baux (UDC) —

Ce sujet est très important. Malgré le fait que le moyen choisi, l’initiative, ne s’avère peut-être pas idéal, il présente néanmoins l’opportunité que notre Parlement démontre sa volonté à ce que le revenge porn soit punissable et que les victimes soient protégées. Les jeunes, et même moins jeunes, sont vulnérables face à l’utilisation de leur image à mauvais escient, alors même qu’elle avait été envoyée dans une relation de confiance, qui s’est ensuite détériorée. De tels comportements ont connu des conséquences dramatiques. Si nous pouvons prévenir des actes malveillants par la crainte de poursuites judiciaires et ainsi éviter de la détresse, cela vaut bien une modification de la loi fédérale. Les textes de loi de certains pays limitrophes répriment toute personne qui transmet ou publie des contenus à caractère sexuel, destinés à rester privés, sans le consentement des personnes représentées. Par le renvoi de cette initiative, nous incitons notre gouvernement à en faire autant. A la grande majorité de ses membres, le groupe UDC recommande le renvoi de cette initiative au Conseil d'Etat.

Mme Marion Wahlen (PLR) —

De l’avis général, il manque effectivement un cadre punissant ces actions, mais cela reste de compétence fédérale et non cantonale. Le Conseil fédéral n’a pas jugé utile de créer une loi spécifique, le droit suisse suffisant dans son ensemble. Le Conseil des Etats y travaille d’ailleurs en ce moment. Bien que conscient de la problématique, la majorité du groupe PLR s’abstiendra, considérant que cette compétence est fédérale.

Mme Muriel Thalmann (SOC) —

Nous avons affaire à un gros problème : la porno divulgation qui n’est pas couverte par notre loi. Il s’agit ici de divulgation de photos. Nous savons qu’Internet et Facebook ont une mémoire. En effet, on l’a vu, même si on essaie de faire supprimer ces photos, on les retrouve. Même dix ou vingt ans plus tard, ces dernières peuvent nuire à la réputation d’une personne. Par conséquent, il convient de légiférer de manière ciblée dans ce domaine. Je vous invite par conséquent à soutenir cette initiative.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est close.

Le Grand Conseil prend l’initiative en considération par 77 voix et 26 abstentions.

Retour à l'ordre du jour

Partager la page

Partager sur :