23_POS_12 - Postulat Pierre Wahlen et consorts au nom de Romain Pilloud - Protégeons nos élues communales et élus communaux contre la judiciarisation des débats démocratiques.
Séance du Grand Conseil du mardi 19 novembre 2024, point 20 de l'ordre du jour
Texte déposé
Il est parfois difficile pour un élu ou une élue, même en toute bonne foi, de savoir où se trouve la limite à la liberté d’expression et à l’exercice des droits politiques dans le cadre d’un mandat électif communal. Les récentes affaires qui agitent le Conseil communal lausannois, dont des membres ont été accusés de diffamation dans le cadre de propos tenus au plénum dans un cas et dans le texte d’une interpellation dans un autre, en sont l’illustration.
Des dispositions visant à protéger les membres des législatifs existent pourtant aux niveaux fédéral et cantonal.
Les membres de l’Assemblée fédérale, tout comme celles et ceux du Conseil fédéral ou encore le chancelier de la Confédération, bénéficient d’une immunité absolue pour les propos qu’ils tiennent devant les conseils et leurs organes, conformément à l’article 162 alinéa 1 de la Constitution[1]. Une immunité relative est prévue pour d’autres cas, qui ne concernent pas les débats en plénum.
Au plan cantonal, la loi sur le Grand Conseil (LGC) précise à son article 14 que « L’immunité des députés est réglée par la loi d’introduction du Code de procédure pénale suisse [LVCPP] ». L’article 17 LVCPP indique que « Les conseillers d’État et les députés du Grand Conseil ne peuvent être traduits devant les tribunaux à raison des déclarations qu’ils font ou des opinions qu’ils manifestent devant le Grand Conseil, son Bureau ou l’une de ses commissions »[2]. Contrairement au niveau fédéral, l’immunité cantonale peut être levée, à la demande du procureur général, sur préavis du Bureau du Grand Conseil et par décision votée au scrutin secret par les membres du Grand Conseil, comme stipulé aux alinéas 3 et 4 de l’article 17 LVCPP.
L’immunité cantonale n’est donc pas totale ou absolue, ce qui parait être un juste compromis. Il serait souhaitable qu’une telle protection existe au niveau communal, afin de permettre le bon déroulement des séances tout en laissant une marge de manœuvre pour pouvoir sanctionner en cas de graves dérapages. Cela permettrait ainsi des débats plus sereins, mettant ainsi un frein à la judiciarisation croissante du débat démocratique. Dans un système de milice comme le nôtre, il est primordial de garantir la possibilité, pour les élues et élus, d’agir en toute bonne foi sans crainte d’être poursuivi-e-s, en particulier pour des motifs politiques ou arbitraires. Le risque d’être mis au pilori peut constituer un frein à l’engagement citoyen, qu’il s’agit de tempérer.
Fort de ces constats, les postulants demandent au Conseil d’État :
- d’examiner les possibilités législatives d’étendre l’immunité au niveau communal
- d’étudier d’autres moyens de protéger les élues communales et élus communaux (soutien juridique en cas de conflit, prise en charge des frais de procédure par le bureau du Conseil ou le Canton, soutien par le département, etc.)
[1]https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/1999/404/fr#a162
[2]https://www.lexfind.ch/tolv/117788/fr
Conclusion
Renvoi à une commission avec au moins 20 signatures
Liste exhaustive des cosignataires
Signataire | Parti |
---|---|
Cendrine Cachemaille | SOC |
Cédric Roten | SOC |
Sylvie Podio | VER |
Alice Genoud | VER |
Yannick Maury | VER |
Théophile Schenker | VER |
Martine Gerber | VER |
Rebecca Joly | VER |
Laurent Balsiger | SOC |
Sébastien Cala | SOC |
Valérie Zonca | VER |
Nathalie Jaccard | VER |
Yves Paccaud | SOC |
Sylvie Pittet Blanchette | SOC |
Felix Stürner | VER |
Vincent Keller | EP |
Julien Eggenberger | SOC |
Kilian Duggan | VER |
Nathalie Vez | VER |
Pierre Fonjallaz | VER |
Muriel Thalmann | SOC |
Patricia Spack Isenrich | SOC |
Jean Tschopp | SOC |
Carine Carvalho | SOC |
Yolanda Müller Chabloz | VER |
Romain Pilloud | SOC |
Isabelle Freymond | IND |
Sandra Pasquier | SOC |
Andreas Wüthrich | V'L |
Hadrien Buclin | EP |
David Raedler | VER |
Documents
Transcriptions
Visionner le débat de ce point à l'ordre du jourA l’origine de ce dépôt de notre collègue Pierre Wahlen, associé à Romain Pilloud, se trouvent plusieurs cas de plaintes pénales dirigées contre des élus communaux en raison de propos tenus dans le cadre de débats au sein d’un conseil communal, alors même que ces élus remplissaient pleinement leur rôle. Actuellement, le cadre légal ne prévoit aucune protection spécifique pour ces élus, contrairement aux dispositifs d’immunité existant aux niveaux fédéral ou cantonal.
Cette situation crée un risque majeur : elle permet à des acteurs mécontents de l’issue de débats démocratiques d’exercer une forme de pression en déposant des plaintes, conduisant à une judiciarisation de la vie politique. Une telle démarche, avec tout ce qu’elle implique en termes de lourdeurs administratives et de stress pour l’élu visé, peut le dissuader d’intervenir, ce qui appauvrit inévitablement le débat démocratique.
Le postulat vise donc à répondre à cette problématique par une double demande. Premièrement, il propose d’étudier la faisabilité légale d’instaurer un dispositif d’immunité pour les élus communaux. Deuxièmement, dans l’hypothèse où cela ne serait pas possible, il suggère d’explorer les aides qui pourraient être apportées aux élus, que ce soit au niveau cantonal ou communal.
Lors des travaux en commission, il est rapidement apparu que l’instauration d’un dispositif d’immunité pour les élus communaux relève de la compétence fédérale, et non cantonale. Par ailleurs, une motion – il me semble – visant à instaurer une telle immunité avait déjà été déposée à Berne, mais rejetée. Les débats se sont donc concentrés sur la deuxième partie du postulat, à savoir les moyens de soutien qui pourraient être envisagés pour les élus visés par des plaintes, qu’il s’agisse d’un appui informatif ou, potentiellement, d’une aide financière.
Une minorité de la commission a exprimé la crainte que de telles mesures puissent encourager certains élus à dépasser les bornes, tout en estimant que la décision d’apporter un soutien devait relever des conseils communaux eux-mêmes. A l’inverse, la majorité de la commission a jugé que le risque de judiciarisation des débats démocratiques constituait une menace sérieuse qu’il ne fallait pas sous-estimer.
La demande du postulat reste modeste : il s’agirait d’effectuer une étude simple, pour rappeler aux communes les possibilités actuelles de soutien, le cadre légal applicable, ou encore les bonnes pratiques, par exemple. Une étude pourrait également examiner le rôle que la Direction générale des affaires institutionnelles et des communes (DGAIC) pourrait jouer pour accompagner les élus communaux face à cette problématique spécifique.
Il est important de noter que les services de l’Etat sont déjà régulièrement sollicités par les conseils communaux, leurs présidents ou d’autres acteurs, pour ce type de questions. Il s’agirait donc de formaliser et de préciser cette démarche pour une thématique aussi délicate que celle-ci.
Au final, la commission s’est prononcée de manière très serrée – 6 voix contre 5 – en faveur d’une prise en considération partielle du postulat. Ma voix a été prépondérante pour soutenir le renvoi de ce texte au Conseil d’Etat.
La discussion est ouverte.
Ce postulat fait suite à la condamnation d’un conseiller communal pour diffamation en raison de propos tenus dans le cadre d’un conseil communal. Comme l’a rappelé le président de la commission, le postulat demande d’étudier deux axes : d’une part, la possibilité d’introduire une immunité au niveau communal et, d’autre part, l’éventualité d’une aide juridique ou financière pour les conseils communaux confrontés à une plainte.
Concernant le premier axe, il a été souligné, à juste titre, que la mise en place d’un tel dispositif relève de la compétence fédérale et non cantonale. Ainsi, cette partie du postulat n’a pas été retenue. Toutefois, pour la deuxième partie, il faut reconnaître que les débats sur l’autonomie communale reviennent régulièrement dans ce plénum et prennent souvent beaucoup de temps.
Pour la moitié de la Commission, dont les représentants du PLR, cette question doit être réglée directement par les communes elles-mêmes. C’est à elles de décider si elles souhaitent engager des démarches en ce sens, si c’est justifié ou nécessaire. Il est toujours possible de s’adresser au Service des communes ou à la DGAIC pour obtenir des conseils à ce sujet.
D’un point de vue pragmatique, il semble pertinent d’offrir aux communes une marge de manœuvre, dans la législation, leur permettant, si elles le souhaitent, d’inscrire dans leur règlement communal des dispositions concernant la défense des membres du conseil communal. Cela tiendrait compte des réalités variées auxquelles les communes font face. Une discussion pourrait ainsi être envisagée dans le cadre de la révision de la Loi sur les communes.
Pour ces raisons, au nom du groupe PLR, je vous invite à ne pas entrer en matière sur ce postulat et à le classer, afin d’éviter de relancer un débat déjà abordé.
Le groupe socialiste vous invite à accepter la prise en considération partielle de ce postulat, comme le propose la commission. Avant tout, il me semble important de rappeler que la personne mentionnée précédemment n’a pas été condamnée, mais acquittée par le Tribunal cantonal.
Cela dit, nous estimons essentiel de souligner que nous faisons face aujourd’hui, tant au niveau communal qu’à d’autres échelons, à ce que l’on peut qualifier de « procédures bâillon ». Ces pratiques détournées visent à empêcher les élus, quel que soit leur bord politique, de s’exprimer ou de critiquer des éléments d’intérêt public, en les intimidant par des menaces ou en engageant des procédures judiciaires souvent injustifiées.
Je tiens à rappeler que les élus communaux incarnent l’esprit même de notre système de milice. Ce sont des citoyens engagés, souvent novices en politique, qui ne vivent pas de leur mandat. Nous savons tous combien il est déjà difficile d’encourager les gens à s’engager politiquement. Alors, si ces personnes doivent vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de leur tête, sous la menace constante de procédures pénales pour des propos souvent tenus de bonne foi, comment pourront-elles continuer à s’exprimer librement et à s’investir dans la vie publique ?
La proposition ici faite ne prétend pas éliminer ces risques, mais elle offre un accompagnement aux élus confrontés à ces situations. Accepter cette prise en considération partielle ne signifie pas imposer des obligations aux communes. Entre ce vote et le rapport du Conseil d’Etat, nous pourrons mener une réflexion approfondie. Cette démarche pourrait d’ailleurs être précieuse dans le cadre des discussions à venir sur l’évolution de la Loi sur les communes.
Sinon, nous aurons à nouveau ce même débat au moment des travaux sur la Loi sur les communes, sans bénéfice des études ou des rapports que cette prise en considération pourrait fournir. Nous aurons alors les mêmes discussions que celles qui ont déjà eu lieu lors des travaux de la commission.
Le groupe socialiste souhaite obtenir des réponses concrètes, évaluer les solutions possibles et identifier celles qui pourraient réellement soutenir les communes. Les discussions en commission ont mis en évidence un flou sur cette question, et il serait judicieux de le dissiper.
Les objectifs de ce postulat ont déjà été rappelés. Contrairement à nous, députés, qui sommes au bénéfice de l’immunité, les conseillers communaux et élus communaux ne disposent d’aucune protection face à ce risque. Ce danger, auquel ils sont exposés dans l’exercice de leur mandat, mérite une réponse.
Plusieurs pistes peuvent être envisagées. La question de l’autonomie communale, tout comme les différences significatives entre les communes de notre canton, justifie que le canton joue un rôle pour organiser et offrir un soutien à ces élus communaux, même pour des cas rares. Si l’instauration d’une immunité est impossible en raison des contraintes imposées par le droit fédéral, il semble indispensable de prévoir un accompagnement ou un soutien pour ces élus lorsqu’ils sont attaqués – souvent de manière injuste – pour des propos tenus dans le cadre de débats ou d’une assemblée.
Je vous invite à garder cela en tête au moment de voter : vous, nous, en tant que députés, bénéficions d’une immunité, mais ce n’est pas le cas des élus communaux. Ils méritent qu’on réfléchisse à des mesures pour les protéger, ou tout au moins pour leur offrir un soutien face à de telles situations.
Avant tout, je déclare mes intérêts : je suis syndic et membre du comité de l’Union des Communes Vaudoises (UCV). Face à ce postulat pris en considération partielle, je me pose une question essentielle : existe-t-il réellement un problème ou une demande claire de la part des communes, en la matière ? A ma connaissance, ce n’est pas le cas.
Quel bénéfice une telle disposition apporterait-elle au débat démocratique ? Aucun, à mon avis. Dans certains débats, une protection excessive pourrait même encourager les débordements. Par ailleurs, elle risquerait de limiter la possibilité de rappeler à un membre d’un conseil qu’il dépasse les bornes. Et que faire des membres d’un conseil général, qui ne sont pas des élus ? Devrait-on étendre une telle protection juridique à toute personne ayant un droit de vote ? Cela soulève des questions de faisabilité et d’équité.
Comme le rappelle le rapport de la commission, les communes qui le souhaitent ont déjà la possibilité d’agir et d’assurer, au cas par cas, la défense de leurs conseillers, notamment dans le cadre judiciaire, par exemple pour des recours en matière d’impôts. Heureusement, la justice n’instruit pas tout, et la plupart des cas d’atteinte à l’honneur sont traités par des séances de conciliation initiées par les procureurs, afin d’éviter une judiciarisation excessive.
Je m’insurge contre l’idée, évoquée par un commissaire en commission, d’imposer aux communes vaudoises la mise en place d’un système de protection obligatoire pour leurs conseillers communaux. Où est l’autonomie communale dans une telle proposition ? N’oublions pas que la moitié des communes du canton comptent moins de 1500 habitants. Ont-elles réellement les moyens humains et financiers pour instaurer un tel dispositif ?
Aujourd’hui, les communes peuvent déjà compter sur les services fournis par l’UCV. Cette dernière, fière de son indépendance, travaille en bonne intelligence avec les préfets et les services de l’Etat. Elle offre un soutien juridique préventif, aide à résoudre les problèmes avant qu’ils n’arrivent au stade judiciaire, et contribue à renforcer les compétences des acteurs de la politique communale. Ces efforts permettent d’éviter une judiciarisation excessive tout en maintenant une autonomie communale essentielle. Ainsi, je vous invite à ne pas prendre en considération ce postulat.
Pour rebondir sur ce qui vient d’être dit, je tiens à rappeler que nous, députées et députés, bénéficions de l’immunité parlementaire. Cela ne signifie pas pour autant que nos débats sont outranciers ou que nous nous permettons des débordements. L’immunité ne nous donne aucun passe-droit à ce niveau.
Je ne comprends donc pas cette idée selon laquelle une protection ou une aide apportée aux élus communaux modifierait la teneur des débats. Bien au contraire, elle apporterait davantage de sérénité à celles et ceux qui – et je ne vous le souhaite pas – se retrouvent impliqués dans une procédure pénale ou un procès alors qu’ils étaient simplement dans l’exercice de leurs fonctions.
Il n’est évidemment pas question d’imposer quoi que ce soit aux communes. Il s’agit ici de demander au Conseil d’Etat d’examiner cette problématique et de réfléchir à des solutions. Cela pourrait passer, par exemple, par une aide mutualisée au niveau cantonal, permettant de soutenir les élus communaux qui se retrouvent dans une telle situation. Je vous remercie donc de bien vouloir soutenir ce postulat pris en considération partiellement.
Nous avons eu une discussion approfondie sur cet objet, en commission. Je remercie d’ailleurs celle-ci pour son travail et pour avoir bien relevé qu’en vertu du droit fédéral, l'instauration d'une immunité communale n'est pas possible.
Mon intervention vise simplement à apporter quelques précisions. Concernant le soutien juridique aux communes, je souhaite souligner l'important travail accompli par les préfets ainsi que par la DGAIC. Ces acteurs jouent un rôle crucial en apportant quotidiennement leur appui aux communes, y compris sur des questions comme celles évoquées ici. Bien sûr, il est toujours possible de faire mieux, mais il me semblait important de reconnaître et de saluer leur engagement et celui de l'administration, dans ce domaine.
Le point le plus délicat de ce postulat, ainsi que discuté en commission et qui ressort du rapport, est celui de la défense des élus communaux. C’est là qu’il conviendrait, le cas échéant, de mener une réflexion approfondie. En tant que fervente défenseuse de l’autonomie communale, je tiens à souligner un point difficilement acceptable pour le Conseil d’Etat : la prise en charge des frais de défense, par le canton et non par les communes concernées. Cela poserait un problème en termes de répartition des compétences et des responsabilités institutionnelles.
Je ne vais pas m’étendre davantage sur ce texte, qui a déjà fait l’objet de nombreux échanges. Cependant, je tenais à préciser que, bien que la prise en charge des frais par le canton soit une disposition que nous ne pourrions pas soutenir, cela n’empêche en rien de poursuivre le travail amorcé, indépendamment du résultat de ce vote. Nous resterons attentifs à la suite des discussions et à la manière dont ces questions pourront continuer d’être abordées.
La discussion est close.
Le Grand Conseil refuse la prise en considération du postulat par 66 voix contre 57 et 5 abstentions.
Je demande un vote nominal.
Retour à l'ordre du jourCette demande est appuyée par au moins 20 membres.
Celles et ceux qui soutiennent les conclusions de la commission, soit la prise en considération du postulat, votent oui ; celles et ceux qui les refusent votent non. Les abstentions sont possibles.
Au vote nominal, le Grand Conseil refuse la prise en considération du postulat par 70 voix contre 62 et 2 abstentions.
*insérer vote nominal