REP_679721 - Réponse du Conseil d'Etat au Grand Conseil à l'interpellation Arnaud Bouverat et consorts - Perte injustifiée des droits politiques pour personnes sous curatelle : incurie, problème de formation, législatif ou règlementaire ? (19_INT_377).
Séance du Grand Conseil du mardi 21 décembre 2021, point 33 de l'ordre du jour
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Visionner le débat de ce point à l'ordre du jourVous me voyez au regret de devoir vous communiquer mon insatisfaction par rapport à la réponse du Conseil d’Etat. Je l’articulerai en trois points. D’abord, je suis insatisfait du délai de traitement de cette interpellation qui fut déposée en 2019. Certaines des mesures suggérées par ladite interpellation pouvaient être une simple lettre adressée aux personnes sous mesures de protection pour leur permettre d’être sensibilisées à leurs droits, pour corriger des problèmes de retrait de droits politiques. Ces options ont été, de fait, écartées, parce que nous avons attendu de traiter la révision de la loi dans son ensemble, pour avoir quelque évolution en la matière. Je considère que l’instrument de l’interpellation, quelque léger soit-il, doit aussi permettre, en tout cas de manière transitoire, de veiller au respect des droits des personnes. Pour moi, c’est un échec dont des personnes ont pâti, des personnes qui ont dû mener leur combat seules, sans appui de la part de l’administration cantonale.
Ensuite, et vous m’en voyez un peu étonné, car dans les débats, madame la conseillère d’Etat, vous avez fait preuve de compréhension des problèmes de mise en œuvre du nouveau droit de protection de l’adulte, alors que la réponse formulée reflète plutôt un déni de réalité sur le taux élevé que notre canton possède en matière de curatelles de portée générale, ce qu’attestent les statistiques 2019 de la Conférence en matière de protection des mineurs et des adultes (COPMA). Cela montre également que, ces dernières années, notre canton s’est enferré dans une proportion particulièrement élevée des personnes sous curatelle de portée générale. Ainsi, même si vous ne possédez pas de statistiques en la matière et présumez du peu de personnes touchées, nous n’en avons finalement aucune idée dans les faits, car cela dénote de votre réalité par rapport à celle des associations. D’ailleurs, je déclare mes intérêts comme membre de deux associations : Solidarité-Handicap mental et Cerebral Vaud. Dans un cercle assez restreint autour de moi, au sein de ces deux associations, des personnes se sont retrouvées privées de leurs droits. Par conséquent, je n’ose pas imaginer combien de personnes se sont retrouvées effectivement touchées par de telles mesures.
Par ailleurs, en déclarant qu’il suffit d’un certificat médical, vous semblez ignorer la réalité et le parcours du combattant que ces personnes doivent mener pour obtenir à nouveau leurs droits. En effet, par le passé, les choses n’étaient de loin pas aussi claires et, dans ce cadre, l’interpellation posait ces questions au Conseil d’Etat. En outre, les personnes et les municipalités se sont retrouvées quelque peu désemparées pour la réintroduction de leurs droits avec, et je le rappelle, aucune continuité de transmission des droits d’une commune à l’autre, parce qu’il n’y a, à ma connaissance, toujours pas d’outils qui permettent de garantir à une personne citoyenne de le rester si elle déménage, ce qui me semble à nouveau particulièrement discriminatoire à l’adresse de personnes en difficulté pour faire valoir leurs droits.
En outre, j’aimerais ajouter un dernier point sur le déni de réalité. En effet, la question de la formation des Justices de paix doit se poser. Dans la mise en œuvre de la nouvelle loi, vous évoquez des perspectives de coordination. Honnêtement, je considère aussi le fait que vous signaliez qu’il n’y a pas de signe de manque de formation ou de manque de personnel, de ressources pour accomplir ce travail comme problématique, parce que je ne m’explique alors pas pourquoi des personnes avec une pleine compréhension du monde politique, de la réalité et des enjeux de société ont pu se voir privées de leurs droits politiques. En effet, si la formation était adéquate, et si la lecture des dossiers avant l’attribution de curatelle était si correctement effectuée, cela ne serait pas le cas.
Par ailleurs, votre réponse à la question 3 constitue aussi un point d’insatisfaction. En effet, cette réponse mentionne qu’il n’y a pas de changement légal à venir en matière de droits politiques et de curatelle de portée générale. Or, il me semble que notre Grand Conseil a voté récemment une injonction allant dans ce sens. Ainsi, je demande si la cheffe des institutions de notre canton respecte l’institution qu’est le Grand Conseil, qui a décidé d’aller de l’avant en renversant la logique par rapport aux droits politiques présumés, plutôt que retirés d’office.
Enfin, une bonne nouvelle dans vos réponses, le fait que vous mettrez en œuvre la loi telle que nous l’avons votée, ce dont je vous remercie, même si l’on n’est jamais mieux servi que par nous-mêmes, puisqu’aller de l’avant de cette manière constituait une décision de notre Grand Conseil. Néanmoins, il est quand même à souligner que des mesures vont être prises pour réaliser ces projets. Toutefois, en matière d’information, je me demande si, en lien avec cette nouvelle loi, un courrier va être adressé à l’ensemble des personnes sous mesure de protection avec curatelle de portée générale et privation des droits politiques pour expliquer les procédures qui peuvent être saisies afin de récupérer leurs droits politiques. Je pense qu’il s’agit d’une mesure qui aurait pu être prise il y a deux ans, qu’il n’y avait pas besoin de base légale. Et, si, enfin, une base légale encourage le Conseil d’Etat à le faire, c’est tant mieux. Cette disposition serait souhaitable et permettrait peut-être d’établir des statistiques par rapport aux retours reçus par rapport à un tel courrier.
En conclusion, je renonce à déposer une détermination, mais j’appuierai la proposition de mon collègue Buclin pour disposer d’un bilan d’application du nouveau droit de protection du droit de l’adulte, parce que, de toute évidence, il s’agit d’une réalité qu’il faut mieux connaître dans notre canton, afin de pouvoir la changer. Je vous remercie de votre attention et serais heureux d’obtenir un retour de Mme la conseillère d’Etat sur la question de l’information aux personnes sous mesure de curatelle pour réobtenir leurs droits politiques à brève échéance.
La discussion est ouverte.
Les propos de M. Bouverat suscitent chez moi un certain nombre de questions. D’abord, il n’existe pas un seul type de curatelle, mais celle d’accompagnement, de représentation avec ou sans gestion, de coopération avec privation des droits civils, mais non civiques. Enfin, il existe celle de portée générale qui implique en cas d’incapacité durable de discernement la privation du droit de vote. Cela concerne véritablement la phase ultime de la curatelle avec une incapacité durable, dans quel cas, il semble que les cautèles soient prises. Ce droit de vote peut être récupéré sur attestation médicale. Par ailleurs, il semble que les propos de M. Bouverat indiquent qu’en cas de changement de commune, les informations ne suivent pas forcément. Faute de pouvoir le contrer, je ne peux que le croire. Quant à la proportion « trop élevée » – selon le terme de M. Bouverat – il est évident que la société idéale serait celle dans laquelle il n’y aurait que peu ou pas de curatelle de portée générale. Ainsi, je constate que la société et le monde dans lequel nous évoluons admettent de plus en plus de gens qui se retrouvent progressivement en marge du système, découragés et incapables de gérer leurs affaires. Je pense également que l’accroissement de l’âge amène simplement, par la force des choses, une diminution des facultés, et que nous devons nous occuper de ceux qui nous ont précédés individuellement ou institutionnellement – cela me paraît normal.
Enfin, concernant ce fameux droit de vote, je terminerai par un témoignage personnel. Effectivement, lorsque nous devons faire la totalité du travail de la personne qui est en possession de ses droits civiques, cela me donne un peu mauvaise conscience. En fait, j’aurais bonne conscience en lui disant de voter pour ceux pour qui je ne voterai jamais… Mais de toute façon, je crois que ce retrait des droits civiques est une chose normale, ce n’est pas une privation ni une amputation des droits de la personne.
A mon tour de me dire un peu étonnée par les propos du député qui a déposé ce texte, puisque nous avons largement discuté de ces points dans le cadre de la Loi sur l’exercice des droits politiques (LEDP), lors de différents postulats et motions, et que nous avons trouvé une solution en tous les cas intermédiaire – je ne parle pas ici encore d’un changement constitutionnel en la matière – qui a eu l’air de plaire à la large majorité de ce Grand Conseil. Le Conseil d’Etat est très attentif à ces questions, puisqu’il a lui-même voulu changer la pratique. Dans le cadre de la LEDP, il a été dit que la pratique pouvait être simplement changée sans changer la loi. Or, dans le cadre de la commission qui s’est penchée sur la LEDP, il est apparu qu’il valait mieux, d’un point de vue pédagogique, que ces changements de pratique soient ancrés dans le dispositif légal pour que nous soyons sûrs de la manière dont le processus est appliqué. Ainsi, quand M. Bouverat dit que le Conseil d’Etat n’est pas attentif à cette question, je m’étonne, puisque ce même Conseil d’Etat a souhaité que la pratique évolue.
Ensuite, par rapport au délai de traitement évoqué ici, je considère qu’il est plus avisé que la LEDP admette un changement de pratique, négocié avec l’Ordre judiciaire, les Justices de Paix et le Service des curatelles, plutôt que de vous donner une réponse du type « on y travaille, nous sommes en train de regarder comment on peut faire ». En effet, cette pratique n’implique pas seulement le Conseil d’Etat. Par conséquent, il a fallu se mettre à table avec ces partenaires pour trouver des solutions à la fois avec les Justices de Paix et avec les communes. Au moment où nous avons présenté le projet de LEDP, ces éléments étaient calés avec l’ensemble des partenaires. C’est à la suite de ceci que la discussion a eu lieu pour un changement légal. Finalement, même s’il n’y a pas eu de réponse définitive à cette interpellation, nous y avons répondu d’une autre manière, à la fois dans le cadre d’un changement de pratique que nous avons souhaité et dans la LEDP. Vous me permettrez de m’étonner de vos propos quant au délai de traitement, car au contraire, nous avons pris ce problème très au sérieux.
Quant à la pratique aujourd’hui institutionnalisée, nous avons souhaité qu’elle soit la plus simple possible, d’une part, pour éviter que les personnes qui sont sous curatelle de portée générale et qui sont capables de discernement soient, à futur, prétéritées – ce qui est actuellement acté – et, d’autre part, nous avons aussi voulu que la réintégration soit facilitée, raison pour laquelle nous avons intégré dans le dispositif légal la question du certificat médical qui a d’ailleurs occasionné beaucoup de discussions, puisque certains auraient préféré une expertise, un dispositif beaucoup plus lourd pour les personnes concernées. Or, nous avons privilégié un système léger. Bien entendu, il reste plusieurs questions en suspens, comme celle de la motion sur laquelle nous reviendrons. J’ai évoqué tout à l’heure une discussion avec Forum Handicap, nous aurons l’occasion d’y revenir. A la suite de ceci, nous aurons l’occasion de prendre position et d’aborder la question de la modification constitutionnelle qui est différente que celle que nous avions évoquée dans le cadre de la LEDP.
Enfin, quant à l’information, nous envisageons avec le Service des curatelles et l’entrée en vigueur de la nouvelle loi au 1er janvier d’informer les personnes en question, les modalités doivent encore être décidées. Comme nous le faisons pour les partis politiques, s’agissant de la transparence financière, il est question d’un courrier d’information aux partenaires et aux personnes concernées.
Je remercie Mme la conseillère d’Etat pour ses propos rassurants concernant la réponse au point 3. J’imagine qu’il y a eu un décalage dans le temps entre la rédaction exacte de la réponse et les travaux parlementaires. Je la remercie également pour les mesures d’information qui seront mises en œuvre dès l’adoption de la loi. Elles seront bénéfiques. J’espère aussi que le Conseil d’Etat pourra également procéder de cette manière, à savoir prendre des mesures administratives pour une meilleure information, afin d’éviter que nous nous retrouvions dans des situations certes passées, mais que Mme la conseillère d’Etat ne nie pas. A fortiori, la réponse donnée à mon intervention me permettait de douter que le Conseil d’Etat croyait en l’existence de ces cas, alors que, dans le monde associatif, ils sont malheureusement nombreux, sans être pléthoriques. Ils méritent d’être reconnus pour pouvoir changer les choses et avoir confiance en l’administration et son travail. Je remercie le Conseil d’Etat d’avoir entendu ce message.
Retour à l'ordre du jourLa discussion est close.
Ce point de l’ordre du jour est traité.