19_MOT_117 - Motion Hadrien Buclin et consorts - Mettre un terme aux discriminations en matière de droits politiques contre les personnes atteintes de troubles psychiques ou de déficience mentale. (Suite des débats).

Séance du Grand Conseil du mardi 5 octobre 2021, point 7 de l'ordre du jour

Texte déposé

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Documents

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. Jean Tschopp (SOC) — Rapporteur-trice

La démocratie est l’affaire de toutes et tous et la Commission thématique des institutions et des droits politiques, que je présidais à l’époque, s’est réunie pour traiter cette motion Buclin le vendredi 14 février 2020. Vous avez sous les yeux le rapport qui rend compte de ces discussions – et il n’y en a qu’un seul, c’est important de le mentionner. Je le disais en introduction, la démocratie est l’affaire de tous ; or, pour beaucoup de personnes en situation de handicap, la révision du droit de la curatelle a provoqué une perte de leurs droits politiques. Je souhaite vous faire entendre le témoignage de Loïc, personne en situation de handicap, qui s’est adressé à nous ce matin. A cette occasion, il y avait plusieurs personnes en situation de handicap qui nous ont accueillis ce matin, à l’entrée du Grand Conseil. Je cite Loïc : « J’ai voulu récupérer mon droit de vote et cela a été compliqué. Il a fallu effectuer de nombreuses démarches. J’ai trouvé humiliant de devoir prouver devant un médecin que je suis capable de comprendre les choses. On pense encore trop souvent qu’une personne trisomique ne peut pas être cultivée ou s’y connaître en politique. Je m’intéresse à beaucoup de choses, j’aime donner mon avis. Depuis que j’ai retrouvé mon droit de vote, je suis un bon citoyen et je ne rate aucune votation ».

En commission, nous avons entendu des représentants d’associations de personnes en situation de handicap, à la fois le Groupe d’accueil et d’action psychiatrique (GRAAP) ainsi qu’une représentante de Solidarité-Handicap mental. En réalité, nous aurions pu entendre n’importe quelle association, car il y en a beaucoup dans notre canton, et toutes auraient salué la demande de la motion Buclin dont nous débattons aujourd’hui. J’aimerais aussi évoquer avec vous une expérience que j’ai vécue et que nous avons été plusieurs à vivre dans ce parlement. Avec notamment Raphaël Mahaim et Florence Bettschart-Narbel, nous avons été invités par Insieme, association de parents d’enfants en situation de handicap mental qui défend les personnes handicapées, à participer à un débat. Cela a été une expérience très enrichissante qui nous a beaucoup appris. Les personnes en situation de handicap ont participé à ce débat, elles nous ont interpellés et elles avaient souvent des questions pointues, sans détour. Nous avons pu très concrètement expérimenter ce que signifiait, pour les personnes handicapées, l’exercice du droit de vote et l’importance aussi qu’elles mettaient derrière ce droit. D’autres expériences existent telles que Bla-Bla Vote, projet développé depuis plusieurs années par la Fondation Eben-Hézer de Lausanne, avec la Maison de quartier de Chailly. Il s’agit d’une excellente initiative. Vous êtes sans doute nombreux dans cet hémicycle à avoir participé à ces débats, qui se font avec des personnes handicapées qui expriment leur avis et qui nous forcent aussi à avoir un discours plus clair et direct… (le président de la commission est interrompu par la présidente qui lui rappelle que sa mission consiste à donner l’avis de la commission, n.d.l.r). Je résume les enjeux derrière cette motion.

Quoi qu’il en soit, la Suisse est partie à la Convention des Nations Unies pour les personnes en situation de handicap (CDPH). Cette convention engage les pays tels que la Suisse à dépasser les discriminations envers les personnes en situation de handicap. Au chapitre des discriminations, le retrait du droit de vote est sans doute l’une des plus incisives pour les personnes handicapées, leurs parents, leurs proches, les éducateurs en institution qui s’engagent jour après jour pour l’autonomie des personnes en situation de handicap. Ces discriminations sont vécues très durement. Le motionnaire, Hadrien Buclin, s’est basé sur une note juridique du professeur de droit Thierry Tanquerel, qui estime que la mise en conformité avec la CDPH justifie un changement de système et un renversement de fardeau de la preuve – c’est cela que demande au fond le motionnaire. Le canton de Genève a déjà emprunté ce chemin, avec une votation populaire récente ayant montré un large soutien de la population à ce changement de paradigme, à savoir que, selon ce système, la capacité de discernement des personnes en situation de handicap est présumée et, si ce n’est pas le cas, il faut pouvoir démontrer que ces dernières n’ont pas le discernement suffisant pour pouvoir voter. Il y a naturellement des personnes en situation de handicap qui n’ont pas le discernement suffisant pour se prononcer en toute connaissance de cause et nous ne combattons pas cette réalité. Toutefois, la majorité de la commission estime que ce changement est nécessaire et qu’il impliquera sans doute une révision de la Constitution. En effet, avec les débats que nous venons d’avoir sur la Loi sur l’exercice des droits politiques (LEDP), nous avons vu qu’il était possible de prévoir quelques petits aménagements et cela a été fait autour de l’article 4, mais un changement avec une présomption de capacité de discernement et un renversement du fardeau de la preuve imposent une révision de la Constitution.

Par 7 voix contre 6 et 2 abstentions, la commission vous recommande la prise en considération de la motion Buclin intitulée « Mettre un terme aux discriminations en matière de droits politiques contre les personnes atteintes de troubles psychiques ou de déficience mentale ».

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est ouverte.

M. Arnaud Bouverat (SOC) —

Je déclare mes intérêts : je suis membre de plusieurs institutions pour les personnes en situation de handicap, Solidarité-Handicap mental et Cerebral Vaud, et je suis membre du comité de la Maison de quartier de Chailly qui coorganise le Bla-Bla Vote. Sur le sujet qui nous occupe aujourd’hui et la motion fort pertinente de notre collègue Buclin, nous avons trois raisons qui nous incitent à la soutenir : premièrement, l’issue des débats sur la LEDP et son article 4, ainsi que la médicalisation choisie pour l’attestation de la capacité de discernement. Actuellement, ce sont les autorités de protection de la personne qui sont compétentes sur la question de recourir aux médecins pour étayer la présence ou non d’une capacité de discernement ; dans la nouvelle loi, il y a l’exigence d’un certificat médical. Lors des débats, notre collègue Vuillemin a indiqué que le certificat médical n’était pas suffisant et qu’il fallait une expertise pour examiner la faisabilité de la reprise des droits politiques. Dans un premier temps, j’ai été heurté par la position de notre collègue Vuillemin que j’ai vue comme un nouvel obstacle et rempart pour la reprise des droits politiques. Je me suis dès lors intéressé à la littérature médicale qui traite de l’examen par les médecins de la capacité de discernement des patients. Dans la plupart des situations, cela concerne la capacité de discernement à prendre des décisions en matière médicale et on constate, à travers cette littérature, toute la difficulté du corps médical à pouvoir examiner et détecter la capacité de discernement. En effet, ce sont des procédures relativement lourdes, si la déontologie veut être respectée. Nous devons donc nous interroger sur une mesure qui paraissait bonne en commission, mais qui n’a pas été examinée jusqu’au bout car, à l’issue de nos débats, si le parcours du combattant face aux justices de paix est désormais remplacé par un parcours du combattant devant le corps médical, nous n’aurons pas gagné grand-chose. Nous avons décidé que la modalité change, mais, fondamentalement, une discrimination persiste toujours et encore. Il faut également s’interroger sur la proportionnalité d’une telle mesure. Lorsqu’on lit les courriers du lecteur du 24heures, est-ce que la capacité de discernement de certaines observations nous saute aux yeux ? Quand nous sommes sur un stand et qu’une personne nous indique que c’est son mari qui vote à sa place, nous pouvons nous poser des questions sur sa capacité de discernement. Lorsque vous votez, est-ce que les facteurs d’influence de votre vote ont tous été examinés ? Et de quel droit certaines personnes passent un examen pour avoir le droit de voter et d’autres pas ? Qui sommes-nous pour être les juges de cette situation ? Si vous lisez – des collègues médecins pourraient en attester – la littérature médicale, cela impose de rester très humble sur la capacité à évaluer le discernement d’une personne, et encore plus en matière politique.

Deuxièmement, vous avez, dans ce conseil, validé deux motions pour la réalisation des engagements de la CDPH au sein du canton et des institutions vaudoises. Chers collègues, vous avez accepté ces deux motions à l’unanimité. Certes, il ne s’agissait encore que de principes. Nous sommes aujourd’hui confrontés à une proposition très concrète, à une mesurette parmi beaucoup d’autres, que nous devons prendre pour assurer l’égalité envers les personnes en situation de handicap. L’article 29 de la CDPH stipule qu’il ne doit pas y avoir de discrimination et le Comité des droits des personnes handicapées qui applique cette convention précise que « l’article 29 ne prévoit aucune restriction raisonnable et n’autorise d’exception pour aucune catégorie de personnes handicapées. En conséquence, un retrait du droit de vote au motif d’un handicap psycho-social ou intellectuel, réel ou perçu, y compris une restriction fondée sur une évaluation individualisée, constitue une discrimination fondée sur le handicap, au sens de l’article 2 de la convention ». Nous avons le choix d’être cohérents avec les engagements que nous avons déjà pris, tant au niveau national que dans ce conseil il y a quelques mois à peine, ou nous avons le choix d’être en infraction avec nos engagements internationaux. Si une nouvelle piste peut être imaginée, nous ne l’avons pas encore aujourd’hui et la LEDP telle qu’elle est sortie de nos débats ne nous permet pas d’être conformes à la CDPH. En comparaison internationale, des pays tout à fait sensés tels que la Suède et la France respectent les engagements internationaux et on ne constate pas de captation massive de suffrages ou des scandales de ce type. Du reste, comme vous le savez, nous avons des dispositifs pénaux qui permettent de poursuivre ces éventuelles infractions.

Troisièmement, les personnes en situation de handicap, aujourd’hui et malheureusement encore demain, sont confrontées à un parcours d’obstacles pour se réapproprier leurs droits politiques. Ce sont souvent des personnes sous curatelle et qui doivent disposer d’aide pour les démarches administratives et, en gros, on ajoute encore une démarche supplémentaire par rapport à d’autres citoyens pour recouvrer les droits politiques. On a des personnes en difficulté et on ajoute un obstacle supplémentaire pour que ces dernières aient les mêmes droits que les autres. Cette situation est indécente. J’ai accompagné plusieurs personnes dans ce parcours du combattant entre Justice de paix, administration communale et contacts avec le curateur. Ce parcours du combattant est inacceptable, au regard de la facilité avec laquelle vous et moi pouvons exercer nos droits – nous recevons l’enveloppe et nous votons ou pas. Comment cela se fait-il que je n’aie pas besoin d’aller chez mon médecin pour passer un entretien et être éventuellement renvoyé vers un autre médecin, ou trouver un médecin qui me comprenne ? Il faut se rendre compte qu’il est difficile de trouver des médecins comprenant la situation des personnes dont nous parlons et qui prennent le temps d’examiner leur capacité de discernement.

Il y a également une autre embûche que j’ai essayé de soulever dans le cadre des débats de la LEDP : il s’agit de la question de la réintroduction des droits politiques par les municipalités. Si une municipalité réintroduit les droits politiques et que la personne déménage, que se passe-t-il et quelles sont les assurances que nous avons que ses droits politiques soient maintenus ? Je n’ai pas obtenu de réponse précise et convaincante de la part du Conseil d’Etat à ce moment-là et je pouvais bien comprendre l’esprit. J’ai donc téléphoné à quelques communes pour obtenir l’assurance que tout était réglé. Eh bien non, rien n’est encore réglé et, lorsque je demande des pistes aux administrations communales – je n’ai pas encore demandé à l’administration cantonale qui doit répondre à une motion datant de 2019 – je n’obtiens pas de solution. Nous avons donc un parcours du combattant, nous avons des droits politiques dont nous avons l’assurance qu’ils peuvent être réintroduits après une ou des consultations médicales mais, si vous déménagez, vous perdez vos droits et vous recommencez potentiellement à zéro. Il s’agit à nouveau d’une discrimination qui ne tient pas la route. En juillet 2019, notre groupe avait déjà interpellé le Conseil d’Etat pour exiger une stratégie d’information et de réintégration des droits politiques aux citoyennes et citoyens qui en auraient été privés injustement, en raison de différents mécanismes administratifs, de droits de la personne mal appliqués, de déménagements qui n’ont pas fait suivre les droits politiques. A cette interpellation, deux ans plus tard, nous n’avons pas encore obtenu de réponses pouvant corriger ces problèmes. Nous avons des personnes ayant perdu leurs droits politiques et, depuis deux ans, il n’y a pas de réponse administrative à ces situations, en dehors d’une révision de la LEDP qui formalise un obstacle. Chers collègues, il est désormais temps de changer d’option, de franchir ces obstacles et de voter les conclusions de la commission qui propose le renvoi de la motion Buclin au Conseil d’Etat.  

M. Hadrien Buclin (EP) —

La révision de la LEDP que nous venons de terminer a légèrement amélioré l’accès aux droits politiques des personnes sous curatelle de portée générale. Toutefois, cette amélioration est loin d’être suffisante. La procédure prévue pour recouvrer ces droits politiques reste lourde, coûteuse et humiliante pour les personnes concernées, comme l’a très bien détaillé M. Bouverat. Il ne s’agit pas seulement de l’avis des députés soutenant cette motion, mais aussi celui de nombreuses associations de soutien aux personnes sous curatelle qui ont eu l’occasion d’interpeller les élus ces derniers jours et dont certains membres étaient aussi présents ce matin devant ce parlement pour dire combien ce sujet leur tient à cœur, puisqu’il est question d’en finir avec une véritable discrimination qui frappe les personnes en situation de handicap.

Je vous invite donc à soutenir la présente motion qui a été déposée à un moment où on ne savait pas si une simple modification de la LEDP serait suffisante ou si une modification de la Constitution serait nécessaire. Après les travaux de la commission, il est apparu évident que la voie constitutionnelle était la plus claire et nette pour aller de l’avant dans ce dossier et suivre l’exemple du canton de Genève où la population a largement accepté – à 75 % de suffrages positifs – d’en finir avec cette législation très paternaliste qui présume que les personnes sous curatelle n’ont pas la capacité de se déterminer par rapport aux enjeux politiques. Or, à travers de nombreux témoignages et exemples, on voit bien que ce n’est pas le cas et que ces personnes ont les capacités réelles de se déterminer sur les grands enjeux politiques, sociaux.

Il faut aussi rappeler brièvement, comme l’ont fait certains de mes préopinants que, par le biais de la CDPH, la Suisse est désormais engagée à favoriser leur participation à la vie politique et qu’elle doit dès lors inverser le fardeau de la preuve. En partant du principe que ces personnes sont capables de participer, la Suisse se conforme à la CDPH. Pour toutes ces raisons, j’espère que vous suivrez l’avis de la commission et prendrez en considération cette motion.

M. Jean-Luc Chollet (UDC) —

« Voter, c’est exister », telle est l’affirmation écrite sur l’affiche qui nous a été distribuée ce matin, à notre arrivée au Parlement. Je le crois, ne serait-ce que par respect pour toutes les femmes et hommes que se sont battus pour ce droit et en sont parfois morts sans l’avoir obtenu. Je suis donc parfaitement en phase avec votre affirmation. Je constate toutefois avec regret que, suivant les objets mis en votation ou les personnes soumises aux élections, entre 30 à 60 % des citoyens de ce pays choisissent délibérément de ne pas exister. Pour en revenir aux personnes qui, pour de multiples causes, ne sont pas en mesure de gérer elles-mêmes leur vie sous l’angle administratif, je suis fier et reconnaissant d’appartenir à une collectivité publique qui se préoccupe de leur fournir l’appoint de compétence leur permettant de mener une existence digne et libre. Tout comme je suis fier de consacrer une part de mon temps à l’accompagnement sous ses multiples facettes d’une personne dont l’âge plus qu’avancé ne lui permet plus, entre autres, d’exercer son libre arbitre lors de votations ou d’élections.

Je me trouve donc dans une situation inconfortable, dès lors que je dois décider – ne nous piquons pas de mots, car souvent c’est ce dont il s’agit – pour la personne dont j’assume la représentation légale. Compte tenu de ce qui précède et conscient qu’il existe une marge d’appréciation large et objective de la part des instances concernées, à savoir l’Office des curatelles et la Justice de paix, je voterai en défaveur de la motion Buclin.  

M. Pierre Volet (PLR) —

Malgré tout le respect que j’ai pour M. Tschopp, je tiens à souligner que ce dernier n’a pas à émettre des considérations personnelles, puisqu’il était président de la commission et qu’à ce titre il devait donner l’avis de cette dernière. Il pouvait toujours prendre la parole dans un deuxième temps pour donner son avis personnel.

M. Grégory Devaud (PLR) —

M. Chollet a bien résumé mon avis ; je l’en remercie et je suis en totale adéquation avec ses propos. Je souhaite vous apporter un témoignage. Dernièrement, nous avons tenu un match de foot du FC Grand Conseil contre l’institution Eben Hézer. A cette occasion, en particulier lors de l’apéritif qui a suivi – je sais que les personnes au balcon y étaient – nous avons eu d’agréables échanges avec un certain nombre de collègues anciens députés ou de personnes touchées par cette situation, soit en situation de handicap, soit en situation de curatelle de portée générale et, pour certaines, avec une mention d’incapacité durable de discernement. Je comprends dès lors cette problématique et les personnes que j’ai rencontrées nous ont touchés. Elles ont pu exprimer clairement quelles étaient leurs volontés, comme cela a été le cas tout à l’heure, devant ce parlement. Je suis particulièrement attentif à ces demandes et revendications et nous y avons aussi été attentifs dans le cadre de l’examen de la LEDP.

Ce sujet avait déjà fait débat avant même l’examen de la LEDP. Dans le cadre de la commission sur la LEDP, nous en avons beaucoup parlé et j’ai même été l’auteur d’une motion d’ordre demandant de pouvoir reporter cette discussion, que nous tenons à l’instant, après le vote sur la LEDP, puisque, et nous pouvions le dire à l’époque, nous avons souhaité apporter plusieurs clarifications, et j’en ai parlé tout à l’heure, lors de la discussion finale sur la LEDP. Des clarifications sur ce système sont nécessaires – j’entends les revendications de plusieurs de ces personnes – et il est intolérable d’avoir un flou juridique, artistique ou technique, simplement par méconnaissance de certaines entités, que ce soit de la Justice de paix, des municipalités ou de toute autre personne appelée à prendre position sur la capacité de discernement durable ou non de ces personnes. Nous avons apporté ces précisions et insisté lourdement sur ce point auprès de Mme la conseillère d’Etat, lors de nos débats, mais aussi en commission, afin de relayer ces préoccupations auprès des communes et Justices de paix et que les personnes se trouvant privées de leurs droits puissent les faire valoir et être intégrées au corps électoral.

A mon sens, nous avons fait un pas important et nous avons permis de mettre ces éléments en lumière. Tant mieux que ce débat ait lieu et que l’on puisse échanger avec ces personnes ou avec leurs représentants. Encore une fois, j’ai particulièrement apprécié les échanges que nous avons eus à Epalinges, il y a trois semaines. On nous a expliqué qu’il était clairement demandé une adaptation bien plus fondamentale et, cela a été dit par le motionnaire et certains de mes préopinants : inverser le fardeau de la preuve est très compliqué d’un point de vue administratif – qui fait quoi ? Qui prend les décisions ? A quel moment ? Et quelle autorité doit finalement pouvoir identifier l’une ou l’autre personne comme étant dans une incapacité durable de discernement ? Et qui devrait être privée de ses droits ?

C’est véritablement compliqué et je le dis ici ouvertement – je pourrai échanger tout à l’heure avec ces personnes – il m’est intellectuellement compliqué d’adhérer à cette proposition tant il est possible aujourd’hui de faire valoir ses droits. Concernant la personne avec laquelle j’ai échangé des propos et qui nous a encore écrit quelques courriels, la loi telle qu’elle existe actuellement lui permettrait, avec son représentant, de faire appel auprès d’une Justice de paix ou d’une municipalité pour faire valoir ses droits, être réintégrée au corps électoral, pouvoir user de son droit démocratique et participer à l’ensemble de notre vie politique. En cela, nous avons fait un pas conséquent et il n’y a pas lieu d’aller plus loin. Comme mon collègue Chollet, je vous remercie ne pas aller en direction de cette thématique, car je suis en défaveur de cette proposition.

Mme Sylvie Podio (VER) —

Je déclare mes intérêts : je suis depuis peu directrice de Pro Infirmis Vaud, membre du comité Forum Handicap et, depuis plus longtemps, membre du comité d’ASA-Handicap mental. Je ne partage pas l’avis de M. Devaud sur le fait que les modifications liées à la LEDP sont suffisantes. Au contraire, je pense qu’elles sont insuffisantes et, M. Bouverat ayant déjà passablement développé les raisons qui y sont liées, je ne m’étendrai pas sur ce point. De plus, M. Vuillemin a souligné qu’il serait difficile de reconnaître cette capacité de discernement et cette démarche reste très humiliante pour les personnes concernées. Je tiens à rappeler que la curatelle de portée générale est d’abord une mesure de protection. Ce n’est pas une mesure d’interdiction d’exercer des choix ou encore son auto-détermination, son droit de vote et de participer à la vie politique et publique. Une mise sous curatelle de portée générale liée à une incapacité à gérer ses affaires administratives ne permet pas de présumer d’une incapacité de discernement liée à tous les aspects de la vie. Avoir des difficultés administratives n’empêche pas d’émettre des choix politiques.

Il est vrai que certaines personnes sous curatelle de portée générale peuvent avoir besoin de soutien pour les accompagner dans leurs choix. Il arrive toutefois à toute personne de la population d’avoir besoin de soutien pour faire des choix politiques, même parfois pour des personnes qui font déjà de la politique. Ce soutien doit leur être amené en tenant compte de leurs spécificités et c’est le rôle des associations et institutions de les sensibiliser et de leur apprendre à comprendre les objets mis en votation. Des expériences déjà menées par ces acteurs démontrent que c’est possible, tant sur le canton Vaud que sur le canton de Genève. Concernant les inquiétudes exprimées lors du premier débat au sujet du captage des voix, c’est avoir une bien mauvaise image des curatrices, des curateurs, des professionnels qui les accompagnent ou encore des proches aidants. Ce risque concerne d’ailleurs toutes les personnes qui se trouvent dans des situations de dépendance, comme les personnes malvoyantes, hospitalisées ou qui résident dans des EMS. Aurions-nous l’idée de remettre en question le droit de vote de ces personnes ? Je crois que personne dans cette assemblée s’y risquerait.

Pour ma part, je vous remercie d’accepter cette motion. J’aimerais rappeler qu’il s’agit d’ouvrir le débat sur la réhabilitation des droits politiques des personnes en situation de handicap psychique ou mental puisque, finalement, c’est la population qui décidera. A Genève, 75 % de la population a plébiscité cette réhabilitation. Peut-être que nous pourrions aussi, avec Genève, montrer la voie aux autres cantons et à la Confédération et redonner aux personnes sous curatelle de portée générale leur droit à participer à la société et d’être considérées comme des citoyens et citoyennes à part entière et non pas comme des citoyens de seconde zone.

Mme Sonya Butera (SOC) —

Je vais commencer par déclarer mes intérêts, même si vous devez commencer à les connaître : je siège au conseil d’une fondation située à Cugy et je suis responsable du service dentaire de trois grandes institutions socio-éducatives de la Côte vaudoise. Depuis le début des années 2000, je travaille avec des personnes en situation de handicap. J’ai d’abord travaillé en hôpital psychiatrique avec des personnes souffrant d’atteintes psychiques très variées ainsi qu’avec des personnes atteintes de troubles développementaux ou de troubles psychiatriques de l’âge avancé. Certaines de ces personnes bénéficiaient des services de l’hôpital de jour, d’autres étaient hospitalisées et d’autres étaient encore même placées en lits C, c’est-à-dire qu’elles étaient placées en hébergement à long terme, en raison de l’impossibilité de trouver une structure répondant à leurs besoins. En toute humilité, je peux ainsi me prévaloir d’une certaine connaissance du milieu du handicap psychique et mental.

Que le handicap soit psychique ou intellectuel, qu’il soit accompagné ou non d’une atteinte physique, qu’il fasse partie d’un syndrome ou pas, que la personne soit autonome dans sa vie quotidienne ou fortement dépendante, l’essentiel que je retiens de mes 20 années d’expérience est qu’il n’existe pas un seul handicap, mais des handicaps qui sont très différents les uns des autres. En fait, ainsi que nous l’a rappelé tout à l’heure notre collègue Stéphane Masson, à l’aune de la nuit, parmi les chats gris, on trouve des chats de tous les pelages ; de même derrière l’étiquette d’une curatelle de portée générale, on retrouve des individus aux profils très disparates, soit des êtres très différents les uns des autres, par leurs intérêts, leurs capacités intellectuelles, leurs talents artistiques ou leur personnalité et même de leur couleur politique.

Sans le savoir, vous côtoyez certainement déjà de nombreuses personnes en situation de handicap dans votre vie quotidienne – au-delà des handicaps visibles tels qu’une trisomie 21 – que ce soit le samedi matin au marché de Morges, que ce soit dans le train régional aux heures de pointe, que ce soit dans des équipes de services d’espaces verts d’une commune, ou encore à un match du Lausanne Hockey Club (LHC), je vous mets au défi de désigner lequel des individus plus ou moins jeunes que vous pouvez croiser se trouve en situation de handicap. Il faut être conscient qu’une déficience intellectuelle n’est pas incompatible avec de nombreuses décisions de la vie quotidienne. J’ai déjà eu l’occasion de le dire dans ce plénum : de nombreuses personnes concernées sous curatelle de portée générale sont capables de discerner et d’effectuer des choix dans de nombreux domaines de la vie. Elles choisissent librement de se vacciner contre la COVID ou pas, d’être en couple, de changer d’activité professionnelle.

Certaines de ces personnes revendiquent le droit de participer pleinement à la société, d’exercer un droit politique. Leur désir est légitime et la privation des droits politiques à l’égard de ces personnes est contraire aux droits des personnes handicapées. Puisque « voter, c’est exister », comme nous l’a rappelé notre collègue Chollet, il ne s’agit pas d’être touchés par ces personnes, mais de leur accorder l’existence à laquelle elles aspirent. Les modifications faites à la LEDP ne sont pas suffisantes. Il s’agit ici de changer de paradigme en inversant le fardeau de la preuve. D’ailleurs, le terme « fardeau » n’est pas anodin. Je vous invite dès lors à soutenir la motion de notre collègue Hadrien Buclin.

M. Blaise Vionnet (V'L) —

Dans ma pratique de médecin généraliste, je me suis toujours étonné de la suppression des droits politiques pour les patients sous curatelle élargie. Comme l’a dit notre collègue Butera, les troubles psychiques et le handicap représentent un éventail très large et il est difficile de mettre toutes les personnes souffrant d’une telle atteinte dans le même panier, tellement l’éventail est large. La majorité des gens souffrant d’un tel handicap gardent leur capacité d’émettre une opinion au niveau politique, malgré cette atteinte de leur état de santé. Vivre avec une curatelle élargie est déjà une mise à l’écart ; supprimer les droits politiques des gens sous curatelle l’augmente d’autant plus. Par conséquent, avec certains collègues vert’libéraux, nous soutiendrons cette motion qui permet de réintégrer la majorité des personnes sous curatelle élargie dans l’exercice de leurs droits politiques.

M. Philippe Vuillemin (PLR) —

J’ai été médecin à la Fondation Eben-Hézer de 1991 à 2017 et je connais donc plutôt bien le monde du handicap. Lorsque M. Bouverat indique que certains médecins pourraient avoir des difficultés à effectuer des expertises, j’acquiesce à ses propos. Nous sommes toujours étonnés de voir le nombre de confrères et consœurs qui, malgré le fait qu’ils aient le plus grand respect des handicapés, ont des difficultés à fréquenter le monde du handicap et c’est un peu dommage. La phrase essentielle que je retiens de ce débat est que la curatelle de portée générale est d’abord une protection. Elle n’est pas là pour limiter les droits politiques des gens. Après le combat que j’ai mené pour l’article 4, je soutiendrai la motion de M. Buclin.

M. Jean Tschopp (SOC) — Rapporteur-trice

Ayant deux éléments à apporter, je serai bref. Lorsque nous avons débattu de cette motion, nous avons envisagé le changement de loi. En commission et en plénum, nous avons pu constater que certaines choses étaient possibles et d’autres pas et que les retouches que nous pouvions apporter étaient assez minimes, ce qui légitime d’autant plus la demande et le renversement du fardeau de la preuve que demande M. Buclin. Enfin, la mise en conformité avec la CDPH est un argument central. La Suisse ne ratifie jamais une convention si elle a le sentiment qu’elle ne pourra pas la mettre en œuvre et qu’elle ne pourra pas adapter son ordre juridique. M. Bouverat a mentionné l’article 26 de cette convention qui évoque aussi la question des droits politiques. Pour supprimer une discrimination, nous avons donc la possibilité de mettre en conformité notre ordre juridique avec l’engagement de notre pays et c’est cela qui a convaincu une majorité de la commission de renvoyer cette motion Buclin au Conseil d’Etat, et qui engage finalement une vision de l’être humain tout entier pour une intégration pleine et entière des personnes handicapées.

Mme Christelle Luisier Brodard (C-DITS) — Conseiller-ère d’Etat

Nous y voyons un peu plus clair par rapport à la première fois où nous avions évoqué la motion de M. Buclin. Lors de la première discussion, nous avions mentionné la modification de la LEDP ainsi que la privation automatique des droits politiques en cas de curatelle de portée générale. Or, cette question a été résolue – j’y reviendrai – et il s’agit désormais d’une discussion différente qui implique, sur le fond, une modification constitutionnelle, comme cela a d’ailleurs été évoqué par MM. Buclin et Tschopp. En effet, l’objectif est que toute personne, indépendamment de sa capacité ou non de discernement, puisse exercer ses droits politiques.

S’agissant du fond, avec la LEDP, nous avons clairement éclairci une situation. Nous avons ainsi modifié la LEDP, afin d’expliquer que ce n’est pas parce qu’on est sous curatelle de portée générale que l’on est privé de l’exercice des droits politiques. Cela veut dire concrètement qu’il n’y a pas d’automatisme entre la curatelle de portée générale et l’exercice des droits politiques et c’est uniquement si la curatelle est décidée parce que la personne est incapable de discernement de manière durable qu’il y a privation de l’exercice des droits politiques. Cette solution est conforme à la Constitution vaudoise qui indique que les personnes incapables de discernement de manière durable n’ont pas l’exercice des droits politiques. Nous avons donc éclairci cette situation et, pour répondre à Mme Podio notamment, il n’y a pas lieu de savoir si la personne est capable de gérer ses propres affaires financières, car il ne s’agit pas de la question en cause. La LEDP prévoit ainsi une privation des droits politiques uniquement si l’incapacité de discernement est durable. De plus, nous avons également clarifié la manière de réintégrer une personne dans l’exercice de ses droits politiques, en précisant la nécessité d’un certificat médical pour éviter des procédures trop compliquées.

Quant à la suite donnée commune par commune, il peut potentiellement y avoir des problématiques liées à la pratique des communes. Toutefois, au fond, la règle veut que si une personne change de domicile, les informations suivent à la nouvelle commune. Si ce n’est pas le cas, la question devra être résolue dans la pratique et il faudra reprendre ces éléments, non pas sur le plan légal mais sur le plan de l’application de la loi. C’est ce que nous avons fait par le biais de la LEDP : toute personne sous curatelle de portée générale n’est plus exclue des droits politiques et il ne s’agissait d’ailleurs pas d’un problème légal mais plutôt d’application de la loi. Les personnes sous curatelle de portée générale ne sont désormais plus exclues des droits politiques si elles sont capables de discernement. La question posée ici est différente, la Constitution vaudoise indiquant que les personnes incapables de discernement sont privées des droits politiques, on souhaite au fond étendre l’exercice des droits politiques à l’ensemble de la population vaudoise, et ce, quelle que soit la situation mentale de ces personnes.

Le Conseil d’Etat n’a pas pris position sur ce texte qui implique une modification de la Constitution pour élargir l’exercice des droits politiques à toute personne, indépendamment du fait qu’elle ait ou non la capacité de discernement. Je ne prendrai dès lors pas position sur le fond, mais je souhaite vous rappeler que, si ce texte nous est renvoyé, et ce, indépendamment de son libellé qui prévoit une modification de la loi, il impliquera un changement constitutionnel. Pour le reste, s’agissant des curatelles de portée générale, nous avons éclairci la situation dans le cadre de la LEDP. A ce moment-là et si la motion lui est renvoyée, le Conseil d’Etat prendra position sur le fond avec l’idée d’un élargissement de l’exercice des droits politiques à toute personne, indépendamment de son statut mental.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est close.

Le Grand Conseil prend la motion en considération par 73 voix contre 55 et 8 abstentions.

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