22_REP_249 - Réponse du Conseil d'Etat au Grand Conseil à l'interpellation Valérie Zonca et consorts - Frais illicites des régies: pour une meilleure protection du droit des locataires (22_INT_166).

Séance du Grand Conseil du mardi 29 août 2023, point 24 de l'ordre du jour

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Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
Mme Valérie Zonca (VER) —

Je remercie le Conseil d’Etat pour ses réponses à mon interpellation. Pour rappel, il s’agit d’une interpellation pour mieux protéger les locataires d’une pratique qui se généralise, celle de certaines régies immobilières qui facturent des frais illégaux – qui peuvent s’élever à plusieurs centaines de francs – aux locataires. Il y a deux jours, la RTS consacrait son enquête du « 19h30 » à ce sujet, avec notamment l’intervention d’un spécialiste du droit du bail qui qualifiait ces types de frais de « non admissibles ». Depuis, une vague de témoignages de personnes victimes de ces frais illégaux a déferlé sur les réseaux sociaux. Les régies épinglées justifient cette pratique par une jurisprudence qui ne serait pas unanime sur la légalité de ces frais.

Dans sa réponse à mon interpellation, le Conseil d’Etat relève qu’à sa connaissance, la question n’a jamais été tranchée par une autorité judiciaire et que la compétence est en grande partie fédérale. Si la question du droit du bail est en grande partie fédérale, le contrat-cadre Règles et usages locatifs du Canton de Vaud (RULV) protège les locataires sur le plan cantonal. Dans un contexte de logements toujours plus rares dans le canton, ainsi que d’une explosion des charges et des loyers, il est scandaleux que certaines régies arrivent encore et toujours à obtenir plus de profits sur le dos des locataires. Rappelons aussi que 70 % des Vaudoises et des Vaudois sont locataires et que seule une infime part ose se dresser contre les régies immobilières qui sont les garantes d’un toit au-dessus de sa tête.

Finalement, dans sa réponse, le Conseil d’Etat relève également qu’il n’existe aucune statistique cantonale sur le sujet. Ce constat est regrettable, car ces données permettraient de faire pression sur les régies concernées et contribueraient à faire la lumière sur ce sujet relativement opaque. Il est à espérer que les récentes émissions, enquêtes et débats sur le sujet permettront aux locataires de mieux connaître et faire valoir leurs droits à l’avenir.

M. Laurent Miéville (V'L) — Président-e

La discussion est ouverte.

Mme Jessica Jaccoud (SOC) —

On a l’habitude de dire qu’il faut traiter les deux faces d’une médaille. Or, la problématique que notre collègue Zonca évoque dans son interpellation a deux faces : une face juridique et une face politique. La face juridique – c’est la voie qu’a prise le Conseil d’Etat – est finalement assez simple : aujourd’hui, il est juste de dire qu’il appartient aux autorités judiciaires de contrôler le respect de l’application de la loi. Je vais tout de même voir avec vous la face politique de ce sujet qui n’a pas été abordée par le Conseil d’Etat – de manière involontaire, je l’espère. Je suis choquée de constater à quel point le Conseil d’Etat minimalise la problématique et refuse de la considérer comme un enjeu politique. Notre collègue Zonca l’a dit, la RTS a dévoilé sa grande enquête il y a quelques jours : dans le canton de Vaud, dix régies facturent aux locataires et de manière systématique des frais qui ne sont pas dus par ceux-ci. On parle de frais de résiliation anticipée, de frais d’ouverture de dossier, de frais en cas de baisse de loyer, de frais liés à la convention de sortie ou encore de frais pour sous-location.

Chaque fois, ce sont des frais à trois chiffres facturés par des régies qui savent pertinemment qu’elles n’ont pas le droit de le faire. Malheureusement, la pratique leur donne raison. Les locataires sont majoritairement peu informés ou craignent la réaction de leur régie, et payent simplement ces frais pour éviter tout conflit. Ils craignent de figurer sur une liste noire, peur de voir leur bail être résilié ou peur de ne pas récupérer leur garantie de loyer. Le rapport de force, dans ce cas précis, n’est clairement pas égal. Les gérances profitent – avec l’aval de leurs clients, les propriétaires – de cette situation pour encaisser indûment des centaines de francs par cas. Je vois cette pratique au quotidien dans mon activité d’avocate notamment au service de l’Association suisse des locataires (ASLOCA).

C’est précisément là que ça devient politique : notre gouvernement ne fait rien pour protéger les administrés contre ces pratiques pourtant systématiques. Il botte en touche dans sa réponse à l’interpellation de Mme Zonca. Je pense au contraire qu’il est de la responsabilité de la sphère politique d’agir pour que les choses puissent changer. Je vous donne deux exemples dans lesquels la sphère politique peut agir. Elle peut notamment agir par le biais des partis politiques qui encaissent de généreux dons de la part de propriétaires immobiliers et de grandes gérances immobilières. Je pense ne pas avoir besoin de citer le nom qui fait tant polémique pour vous convaincre. Le politique peut également agir grâce aux députés membres de conseils d’administration de grandes gérances immobilières. Ce sont deux exemples concrets dans lesquels le politique peut avoir un impact concret sur la vie des locataires. Mesdames et messieurs, vous qui en avez le pouvoir, faites cesser ces pratiques.

Mme Muriel Thalmann (SOC) —

Je précise que ces frais sont prélevés indûment, ce qui a été confirmé par maître François Bonnet, un expert reconnu dans le domaine du bail. En effet, des gérances prélèvent entre 100 et 300 francs pour une résiliation anticipée, 200 francs pour une sous-location, 50 francs pour une notification de nouveau loyer sur le formulaire officiel. Or, selon maître François Bonnet – encore une fois, un spécialiste du droit du bail reconnu – il s’agit d’un droit du locataire et le bail comprend bien tous ces frais de gérance. J’espère que le Conseil d’Etat contactera au minima les milieux économiques pour les sensibiliser à cette problématique et j’aimerais aussi qu’il fasse preuve de plus de courage pour protéger les locataires qui sont la partie faible du contrat.

M. Marc-Olivier Buffat (PLR) —

Je fais partie, je l’ai dit tout à l’heure, de ces affreuses régies immobilières qui, soit dit en passant, travaillent aussi majoritairement pour des caisses de pensions qui versent des rentes à la population – mais c’est hors débat, je l’admets bien volontiers. Je suis d’accord avec Mme Jaccoud et les autres intervenants qui se déclarent choqués par ces pratiques. Les régies immobilières doivent effectivement avoir une certaine déontologie. Je vous informe que, dans les labels des régies immobilières, il y a notamment le label de l’Union suisse des professionnels immobiliers (USPID) : un label interne qui vérifie les bons usages et les bonnes pratiques des régies immobilières. C’est déjà un indicateur que les régies immobilières font elles-mêmes le travail. Je ne dis pas que tout est bleu ciel et il faut admettre que des abus sont régulièrement dénoncés.

En disant cela, on participe à l’émotion générale – et je ne peux que m’élever contre ce genre de pratiques – mais on n’a rien résolu. On a demandé ce que le Conseil d’Etat pouvait faire. S’agissant du droit des obligations, le Conseil d’Etat ne peut évidemment rien faire. Il peut faire de l’information, mais on peut alors en faire sur d’autres sortes de choses. En tant que consommateur, lorsqu’on renouvelle un contrat de téléphonie mobile, c’est exactement le même système. Pour des abonnements dans la consommation de tous les jours, ce type de problématiques est souvent dénoncé par Monsieur Prix. Le Conseil d’Etat pourrait dénoncer ce genre de pratique, mais je crois que cela figure clairement dans sa réponse : « c’est illicite ». Tout le monde sera d’accord, dans cet hémicycle, pour dire que ce n’est pas acceptable, mais on ne voit pas très bien ce que le Conseil d’Etat pourrait faire de plus. Je rappelle qu’en droit public, le Conseil d’Etat, pour agir, doit bénéficier d’une base légale. Il doit prendre une décision sur la base d’une base légale qui lui permet d’asseoir son action étatique. En l’occurrence, cette base légale n’existe tout simplement pas. Je ne peux qu’encourager le Conseil d’Etat, dans les communications qu’il peut faire sur les baux à loyer ou d’autres thématiques, à rappeler ce qui est légal et ce qui ne l’est pas, mais cela va s’arrêter là. Dans les biens de consommation courants, je conçois volontiers que le logement est prioritaire et important pour nos concitoyens et concitoyennes, mais ce n’est malheureusement pas une communication de l’Etat qui va empêcher ceux qui agissent mal de continuer à prélever ces frais abusifs. Cela a été dit, il y a eu des communications à ce sujet dans des émissions télévisées. La Fédération romande des consommateurs (FRC) a attiré l’attention à ce sujet et les régies immobilières elles-mêmes, par le biais de contrôles internes, font également la chasse à ces mauvaises pratiques. Je tenais à le préciser ici.

M. Pierre Zwahlen (VER) —

Il est heureux que notre collègue Marc-Olivier Buffat reconnaisse qu’il s’agit d’abus de la part de certaines régies ou de certaines gérances. Le Conseil d’Etat est parfaitement explicite dans sa réponse. Je le cite : « L’art. 264 CO ne prévoit ainsi aucun frais ou dédommagement à verser par le locataire, lequel est libéré de ses obligations s’il présente un candidat solvable disposé à reprendre le contrat aux mêmes conditions. » La situation est absolument limpide. Dans ce contexte, est-ce que le gouvernement a vraiment besoin d’une base légale pour informer ? Je n’en suis pas sûr. Il est dommage que le Conseil d’Etat reconnaisse les faits, mais se contente de renvoyer aux commissions de conciliation et aux pouvoirs judiciaires. Cela met évidemment en valeur le travail de l’ASLOCA – dont je rappelle que je suis membre du bureau exécutif vaudois – et des personnes ou des médias qui font passer cette information indispensable. Mais il est vrai qu’année après année, on ne peut pas se contenter de voir passer les abus. C’est bien la question qui se pose et, en ce sens, la réponse du Conseil d’Etat est dommageable.

M. Laurent Miéville (V'L) — Président-e

La discussion est close.

Ce point de l’ordre du jour est traité.

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