23_POS_54 - Postulat Aurélien Demaurex et consorts au nom du groupe Vert'libéral - Innover, c’est bien. Commercialiser, c’est mieux.

Séance du Grand Conseil du mardi 7 mai 2024, point 33 de l'ordre du jour

Texte déposé

L’innovation est cruciale pour stimuler la croissance économique, améliorer la compétitivité de notre Canton et de notre pays, et résoudre les importants défis sociétaux et environnementaux qui sont devant nous. Le Canton de Vaud possède un potentiel d'innovation élevé et une communauté dynamique d'entrepreneurs, de chercheurs et d'innovateurs. Le mot innovation est d’ailleurs répété 20 fois dans le Programme de législature du Conseil d’État.

 

La Confédération investit massivement dans la formation, la recherche et l'innovation, de l’ordre de 10% de son budget annuel (2023). En ajoutant le secteur privé, ces investissements en R&D sont de l’ordre de CHF 22 milliards par an, soit CHF 6 milliards de recherche publique et CHF 16 milliards de recherche privée[1].

 

Si notre pays investit de manière importante dans les premières étapes de la chaîne de valeur de l’innovation scientifique, le tableau est tout autre en bout de chaîne où moins de 20% sont investis pour la commercialisation de ces technologies innovantes (CHF 3 milliards par an investit en Venture Capital en moyenne ces 3 dernières années)[2]. De plus, seulement 20% environ de ces fonds viennent d’investisseurs suisses[3]. Une proportion qui descend à moins de 10% pour les derniers tours de financement des sociétés suisses les plus prometteuses[4].  

 

Et c’est tout le paradoxe suisse : financer CHF 22 milliard par an dans la recherche à fonds perdus, mais seulement CHF 600 millions environ par an dans le Venture Capital, qui rapporte de l’argent, dans la commercialisation de la recherche issue des spinoffs des laboratoires scientifiques, c’est-à-dire seulement 3% du budget R&D ! La Suisse pourrait beaucoup mieux exploiter son potentiel.

 

De plus, la part importante d’investisseurs étrangers (de l’ordre de 80%) nous fait perdre le contrôle capitalistique des sociétés les plus innovantes et les rend dépendantes des fonds étrangers. Une telle situation s'avère problématique pour l'écosystème suisse, car elle représente une dépendance à l'égard des sources d'investissement étrangères, qui peuvent être volatiles ou politiquement problématiques (selon les régimes dans les pays qui investissent).

 

Et c’est le deuxième paradoxe suisse : nous dépensons la majeure partie de notre argent au stade le plus risqué (R&D et stade précoce), mais nous perdons ensuite le contrôle au profit de l’étranger quand le risque diminue.

 

Il s'agit, à la fois, d'un manque à gagner financier en Suisse qui a pourtant permis la valorisation des investissements en R&D et, en plus, d'une perte de pouvoir de décision sur l'orientation stratégique et l'engagement des ressources/emplois (par exemple, délocalisation du siège). Une perte de pouvoir dont la conséquence est de laisser à d'autres pays le fruit des investissements et la détention ensuite de technologies pourtant stratégiques, voire sensibles, même dans des secteurs souverains comme la défense, la production alimentaire et énergétique, l'éducation, etc.

 

La situation actuelle est d'autant plus problématique qu'elle représente un désavantage massif tant pour les startups suisses vis-à-vis de leurs consœurs basées à l’étranger, que pour les professionnels suisses du capital-risque, sachant que les autres pays innovants investissent dans le Venture Capital, à l'image des exemples ci-dessous :

 - Le fonds britannique British Patient Capital a été créé en 2018 par le gouvernement avec 2.5 milliards de livres pour investir dans des fonds de Venture Capital et dans les startups directement[5].

 - BPI France a investi 4.8 milliards d'euros rien qu'en 2022, dont un tiers dans 160 fonds de Venture Capital et deux tiers directement dans les startups[6].

 

Au niveau cantonal, des soutiens existent pour les sociétés innovantes, notamment les subventions LADE ou le fonds de soutien à l’innovation, se déployant, entre autres, à travers Innovaud ou la Fondation pour l’Innovation Technologique (FIT) et ses prêts aux startups.

 

Au vu des importants enjeux présentés ci-dessus, le Canton devrait investir davantage dans son futur pour soutenir les entreprises innovantes qui feront l’économie du Canton de demain. De plus, les moyens dégagés grâce à l’acceptation de l’imposition minimale OCDE/G20 sur les grands groupes d’entreprises le 18 juin 2023 devraient entre autres être utilisés pour améliorer la compétitivité du Canton et de ses entreprises technologiques.

 

Nous pensons notamment à la création d’un fonds à l’innovation public-privé qui pourrait prendre différentes formes ou avoir diverses modalités d’investissement. Par exemple en faisant du « match funding » (chaque franc investit par un investisseur privé/institutionnel peut être doublé par le fonds), en investissant dans des fonds de Venture Capital à l’image du projet de Fonds à l’innovation fédéral en préparation, en investissant d’avantage dans la FIT lui permettant d’octroyer plus de prêts à des startups, ou encore en cautionnant des prêts à l’image du Technology Fund fédéral pour les startups actives dans le développement durable. Les entreprises contrôlées par l’Etat (BCV, Retraites Populaires, etc.) seraient vivement encouragées à y participer.

 

Par le présent postulat, nous invitons donc le Conseil d’Etat à :

- faire un état des lieux comparatif des soutiens actuels aux entreprises innovantes

- proposer des renforcements des soutiens déjà en place en faveur des entreprises innovantes

- développer de nouveaux soutiens en faveur des entreprises innovantes, notamment en étudiant la création d’un fonds à l’innovation vaudois

 

 

Sources :

 

[1] SBFI/SEFRI, Research & Innovation Report 2020

[2] SECA & Startupticker, Swiss Venture Capital Report 2023

[3] Université de Lausanne & Stratupticker, Startup Radar 2019

[4] Estimations Swisscom Ventures

[5]www.britishpatientcapital.co.uk

[6] BPI France, Bilan d'activité 2022

Conclusion

Renvoi à une commission avec au moins 20 signatures

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Nicolas SuterPLR
Laurent MiévilleV'L
Blaise VionnetV'L
Laurence BassinPLR
Carole DuboisPLR
Circé FuchsV'L
Jacques-André HauryV'L
Cédric WeissertUDC
Michael WyssaPLR
Elodie Golaz GrilliPLR
Vincent KellerEP
Oscar CherbuinV'L
David VogelV'L
Laurent BalsigerSOC
Cloé PointetV'L
Graziella SchallerV'L
Sébastien HumbertV'L
Jerome De BenedictisV'L
Jean-Louis RadiceV'L
Alexandre BerthoudPLR
Nicolas BolayUDC
Pierre-André RomanensPLR
Pierre FonjallazVER
Fabrice MoscheniUDC
Sergei AschwandenPLR
José DurusselUDC

Documents

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. Denis Dumartheray (UDC) — Rapporteur-trice

La commission traitant ce postulat s'est réunie le 14 novembre 2023 en la présence de la conseillère d'Etat Mme Isabelle Moret, accompagnée de M. Raphaël Conz, chef du Service de la promotion de l'économie et de l'innovation (SPEI). M. Yvan Cornu, secrétaire de la commission, a établi les notes de séance ; il en est remercié.

En préambule, le postulant nous a rappelé que son postulat traite du soutien à l'innovation et plus spécifiquement de la valorisation de l'innovation ou, entre autres termes, sa commercialisation. Le mot « innovation » figure en bonne place dans le Programme de législature, mais selon le journal 24 heures, la Suisse aurait perdu une place pour figurer maintenant au troisième rang du classement de la compétitivité mondiale. La Confédération investit 22 milliards dans la recherche, au total, en Suisse. Seulement 2 à 3 milliards sont consacrés au financement de la commercialisation ; 80 % des fonds proviennent de l'étranger. Cette surreprésentation provoque un manque de gains, mais surtout une fuite de la concrétisation et commercialisation des projets à l'étranger. La concurrence internationale est rude et les pays concurrents investissent massivement dans leurs entreprises innovantes, au contraire de la Suisse.

Quelques pistes ont été évoquées, en particulier la création d'un fonds public vaudois. Mme la conseillère d'Etat s'est positionnée positivement sur le postulat. Des précisions ont été apportées sur les demandes du postulat, en particulier sur les comparatifs demandés. Ils seront repris de Innovaud, pour ne pas surcharger les services. Bien que le canton de Vaud soit trop petit pour la création d'un fonds vaudois, le postulat pourrait permettre de réfléchir à d'autres solutions. Au niveau fédéral, un fonds à l'innovation a été étudié, mais il est pour le moment bloqué pour des raisons financières. L'ensemble de la commission estime que le postulat peut apporter des pistes et des réponses sur la problématique entre la mise de fonds initiale et la première commercialisation. La commission recommande à l'unanimité de prendre en considération ce postulat.

M. Laurent Miéville (V'L) — Président-e

La discussion est ouverte.

M. Aurélien Demaurex (V'L) —

Je déclare mes intérêts : je suis fondateur d'une entreprise innovante à forte croissance, une scale-up, dans le domaine de l'intelligence artificielle appliquée à l'agriculture et je suis membre du comité d'Innovaud, l'agence vaudoise de promotion de l'innovation. Dès lors, vous comprenez pourquoi ces questions d'innovation sont importantes pour moi ; elles sont absolument clés pour assurer le développement et la prospérité de notre canton dans le futur. Comme vous avez pu le lire dans le postulat, ce constat est aussi partagé par le Conseil d'Etat – le mot « innovation » est répété 20 fois dans le Programme de législature. Pour que vous compreniez bien, je vais vous citer un exemple que j'avais partagé en commission, afin de vous montrer que, dans le cadre de l'innovation, l'argent est le nerf de la guerre : en 2009, une startup issue de l'Ecole hôtelière de Lausanne, appelée HouseTrip, a créé l’idée assez géniale de permettre le partage ou la mise en location temporaire d’une pièce de son appartement. Une année avant, Airbnb avait été créé en Californie avec un concept relativement similaire. Objectivement, le projet de HouseTrip était meilleur, mais entre 2009 et 2012, HouseTrip a levé 60 millions ; or, sur la même période, 2008-2011, Airbnb a levé 120 millions. Résultat des courses, Airbnb a levé 6,4 milliards au total et a complètement étouffé son concurrent, qui a été racheté pour une bouchée de pain en 2016 par Tripadvisor. Deux fois plus d'argent au même stade de développement et la bataille était gagnée. C'est peut-être un peu simpliste, il y a certes eu des erreurs chez HouseTrip, mais c’est un exemple proche qui montre que le financement, soit l'argent, est le nerf de la guerre dans l'innovation.

Je pense honnêtement qu'on est l'un des meilleurs cantons de Suisse pour le soutien à l'innovation, avec la Loi sur l’appui au développement économique (LADE), la Fondation pour l’innovation technologique (FIT), etc., mais on peut toujours faire mieux et c'est le but de ce postulat. Comme mon collègue Dumartheray l'a relevé tout à l'heure, j'ai lancé plusieurs pistes dans ce postulat : la création d’un fonds, le renforcement de la FIT, réfléchir à comment augmenter les cautionnements des prêts bancaires des startups et des scale-ups. Il y a plusieurs autres idées à creuser et c'est pour cela que je vous invite à soutenir ce postulat, comme l'a fait l'unanimité de la commission. Nous devons investir aujourd'hui dans les entreprises qui feront l'économie de demain. Je conclus par un petit rappel historique : Nestlé a été créé en 1866, Bobst en 1890 et SICPA en 1927.

M. Laurent Miéville (V'L) — Président-e

La discussion est close.

Le Grand Conseil prend le postulat en considération avec 1 avis contraire.

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