22_PAR_5 - Rapport de commission de surveillance chargée de contrôler la gestion sur l'utilisation des fonds cantonaux versés à la Fondation de Beaulieu entre 1999 et 2009 et précautions prises pour qu'il n'y ait plus de pertes pour le Canton dans ce dossier.
Séance du Grand Conseil du mardi 17 mai 2022, point 6 de l'ordre du jour
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Visionner le débat de ce point à l'ordre du jourPour votre information, je vous indique quelques éléments concernant le déroulement de la procédure sur ce dossier. Je passerai tout d’abord la parole à Mme la présidente de la Commission de gestion, Monique Ryf, qui introduira la présentation. Ensuite, cette dernière alternera avec Mme la députée Catherine Labouchère le développement des questions auxquelles la Commission de gestion avait mandat de répondre.
Ainsi qu’annoncé par courrier aux chefs de groupes, je vais ensuite ouvrir la discussion sur ce rapport et les conclusions de la commission, en donnant la parole tout d’abord aux représentants et représentantes des groupes dans l’ordre établi, soit dans l’ordre décroissant, puis aux membres du plénum et enfin au Conseil d’Etat.
Vous avez reçu, vendredi dernier, le résultat d’un long travail de la Commission de gestion sur « l’utilisation des fonds cantonaux versés à la Fondation de Beaulieu entre 1999 et 2009 et sur les précautions prises pour qu’il n’y ait plus de pertes pour le canton dans ce dossier ».
C’est le titre du mandat qui a été accepté par la Commission de gestion à la fin de l’été 2020. Nous ne savions pas à ce moment le travail que ce mandat allait engendrer. L’histoire a commencé bien plus tôt, le 1er octobre 2019, date à laquelle le Grand Conseil a validé l’abandon d’un prêt de 15 millions de francs octroyé à la Fondation de Beaulieu en 2009.
Cette décision a incité des parlementaires à demander l’institution d’une Commission d’enquête parlementaire (CEP) pour faire toute la lumière sur l’utilisation de l’argent du canton. Le Bureau du Grand Conseil a fixé un délai au Conseil d’Etat pour produire un rapport. Lequel rapport a été rendu public le 13 février 2020. Les groupes devaient se prononcer à ce sujet, mais le COVID a fait son apparition et les travaux ont été suspendus avant la reprise, en juin 2020, avec la publication du rapport du Bureau qui comprenait notamment un projet de mandat pour une éventuelle CEP, projet qui comprenait 6 points précis.
Je rappelle ce contexte, car ce sont très exactement ces 6 points – que l’on retrouve en page 3 du rapport – qui ont été repris par les groupes socialistes et Verts qui ont demandé à la commission de gestion de se saisir du dossier, ainsi que l’autorise la Loi sur le Grand Conseil (LGC).
La Commission de gestion a alors cerné le périmètre du travail et formé une délégation pour traiter du sujet. La délégation fut composée de Catherine Labouchère, Isabelle Freymond, Nathalie Jaccard, Denis Rubattel et de moi-même, présidente de la Commission de gestion. Avec l’aide de la Chancellerie, nous avons pu obtenir les documents nous permettant de faire notre travail. Nous avons également procédé à plusieurs auditions afin de bien comprendre le fonctionnement du conseil de fondation, ainsi que les enjeux et les prises de décisions. Cela nous a permis de recouper et de valider nos informations.
Avec le rapport que nous avons rédigé et que vous avez reçu vendredi dernier, vous avez également reçu une lettre du Conseil d’Etat. Nous nous étions engagés à lui soumettre notre travail, car nous avons travaillé avec beaucoup de documents confidentiels, comme les rapports du Contrôle cantonal des finances (CCF), un audit interne du Contrôle des finances de la Ville de Lausanne, ainsi que des auditions, alors que nous garantissions la confidentialité aux personnes que nous auditionnions. Comme vous le savez, seul le Conseil d’Etat peut décider de la publication ou non des informations contenues notamment dans les rapports du CCF. Les auditions effectuées ont également un caractère de confidentialité. Ce sont les raisons pour lesquelles nous avons soumis notre rapport au Conseil d’Etat, qui nous l’a retourné avec la lettre d’accompagnement que vous avez reçue.
Enfin, nous posons encore un autre élément avant d’aborder le sujet précis, dont nous avons dû tenir compte dans notre travail : une enquête pénale est encore ouverte, mais qui concerne essentiellement la période de 2012 ou 2013 à 2017, c’est-à-dire après l’échec de la tour TAOUA et la remise en question complète de la stratégie Beaulieu 2020. Nous n’avons pas eu accès aux pièces qui sont à la disposition du Ministère public et du procureur, mais nous avons pu avoir un échange avec le procureur en charge du dossier.
En ce qui concerne la méthodologie, nous avons choisi de prendre chaque question du mandat et d’y répondre dans l’ordre dans lequel elles avaient été posées. Pour rappel, voici ces questions : (Elles sont affichées à l’écran.)
- Déterminer si les fonds publics cantonaux versés suite aux décrets du Grand Conseil de 1997 et de 2009 ont été utilisés conformément à ce qui avait été annoncé et, sinon, dans quelle mesure et pourquoi.
- Déterminer si le Canton et ses représentants dans la Fondation de Beaulieu ont suivi et contrôlé l’usage des fonds publics cantonaux de manière satisfaisante.
- Déterminer si des erreurs de gestion ont été commises par le Canton et ses représentants et, si oui, par qui.
- Etablir les responsabilités politiques à l’échelon cantonal dans les pertes financières engendrées par ce dossier depuis 1999.
- S’assurer que toutes les précautions ont été prises pour que le Canton ne puisse pas essuyer de nouvelles pertes dans ce dossier, en particulier suite au cautionnement de CHF 27,3 millions voté dans le cadre du décret 2020.
- Examiner les mesures prises par le Conseil d’Etat dans le cadre de la « Directive générale en matière de participations financières et personnelles » et, si nécessaire, proposer de nouveaux mécanismes de contrôle, des moyens et des procédures à même d’éviter la reproduction de situations de ce type.
Comme nous avons travaillé ensemble, en délégation, Mme la députée Catherine Labouchère a accepté de présenter deux des questions sur lesquelles elle a plus spécialement travaillé et je l’en remercie très sincèrement. Je lui passe donc directement la parole pour la réponse à la première question : déterminer si les fonds publics cantonaux versés suite aux décrets du Grand Conseil de 1997 et de 2009 ont été utilisés conformément à ce qui avait été annoncé et, sinon, dans quelle mesure et pourquoi.
Pour répondre à cette question, la Commission de gestion a étudié de manière approfondie tous les documents cités en pages 24 et 25 du rapport, qu’il serait trop long de citer ici, mais que vous pouvez consulter. De plus, les auditions de onze personnes, mentionnées à la page 25 du rapport, ont apporté des éléments de vérification supplémentaires. Nous avons aussi pu avoir accès aux archives de la fondation, situées dans les sous-sols du Palais de Beaulieu. Nous avons pu consulter les classeurs et toutes les factures, par sondages aléatoires, sur toute une période de l’existence de la Fondation, hormis les documents relevant de l’enquête pénale.
Les examens ont tout d’abord concerné l’exposé des motifs et projet de décret 323 de 1997, qui comprenait une décision de 30 millions proposée par le Conseil d’Etat et acceptée en vote final par le Grand Conseil à une majorité importante, malgré plusieurs questions sur les éléments financiers. Cette somme était destinée à doter la Fondation d’un capital de 80 millions avec, en plus, des apports de la Ville de Lausanne, des communes avoisinantes et de fonds privés. Les examens ont permis de conclure que ces fonds ont été utilisés pour reprendre les dettes au bilan de la société coopérative Comptoir Suisse et pour des travaux d’assainissement et d’entretien du site. Les factures contrôlées portaient toutes de doubles visas et les bulletins de paiement concordaient avec les factures. L’organe de révision a également attesté de la validité des comptes présentés pour cette période. Aucune audition ne nous a fait penser que tel n’était pas le cas. D’ailleurs, les exposés des motifs et projets de décret et divers rapports suivants l’ont confirmé.
En ce qui concerne l’exposé des motifs et projet de décret 190 de 2009, le Conseil d’Etat constatant que les fonds alloués par l’exposé des motifs et projet de décret de 1997 et la structure juridique – c’est-à-dire une fondation plus une société d’exploitation – n’ont pas été suffisants pour remettre à flot les bâtiments vétustes afin d’avoir des revenus permettant de rénover les halles sud et nord et les travaux d’entretien lourds du bâtiment. Il a donc été proposé au Grand Conseil d’allouer la somme de 35 millions de la part de l’Etat de Vaud – 20 millions en capital et 15 millions en prêt, avec en plus l’abandon de 1,8 million du Fonds d’équipement touristique instauré en 2007. Ces fonds furent complétés par la Ville de Lausanne, la Fondation de Beaulieu et un pool d’actionnaires, pour atteindre 100 millions en 2015. Le prérequis était que MCHGroup – à l’époque vu comme le leader dans le domaine de l’organisation des foires – reprenne la majorité du capital de Beaulieu exploitation.
L’exposé des motifs et projet de décret a été accepté par le Grand Conseil à une majorité certaine, malgré des questions sur la viabilité du site, à terme. Un suivi plus serré de l’Etat a aussi été demandé. Cet exposé des motifs et projet de décret comprenait trois phases de réalisation. La première : la rénovation du corps principal de Beaulieu et de son aile Nord, la valorisation du front Jomini, la démolition et reconstruction des halles Sud. La deuxième : la rénovation des halles Nord, la reconstruction des jardins et la rénovation des infrastructures centralisées. La troisième : la rénovation des structures intérieures de Beaulieu. Les 100 millions étaient dévolus aux deux premières étapes.
Au fil des mois, il est rapidement apparu que tant la fondation que le MCH n’arrivaient pas à mobiliser des fonds privés ou de tiers pour assurer la rentabilité. Et les travaux de la phase 1 étaient plus chers que prévu. Là également, tous les documents et rapports étudiés et analysés permettent de conclure que les fonds cantonaux ont été utilisés pour la phase 1 du projet.
Je reprends effectivement la main pour la deuxième question : déterminer si le canton et ses représentants dans la fondation de Beaulieu ont suivi et contrôlé l’usage des fonds publics cantonaux de manière satisfaisante.
Répondre à cette question a été plus difficile pour la Commission de gestion et pour la délégation. Nous avons ainsi pu constater, au fil de nos investigations, les éléments suivants :
- Le CCF a vérifié l’utilisation des fonds cantonaux pour la reconstruction des halles Sud. Il a produit trois rapports, en 2011 et 2012, qui ont indiqué, au final, qu’il y avait des coûts pour 47,5 millions de francs, avec un surcoût, justifié, de 7,5 millions de francs. L’argent du canton a été utilisé pour la reconstruction des halles Sud et c’était correct.
- L’exposé des motifs et projet de décret qui proposait d’accorder ces fonds à la Fondation de Beaulieu prévoyait en fait 3 étapes, citées par ma collègue. Seule la première étape a pu être réalisée. La stratégie « Beaulieu 2020 » n’a pas fonctionné, mais l’argent a été utilisé correctement pour les halles Sud.
- Pour la période précédente, il n’y a pas eu de contrôle du CCF, qui n’existait pas encore, mais aussi parce que les fonds dégagés par l’exposé des motifs et projet de décret de 1997 ont servi dans leur totalité à racheter les dettes de la Société coopérative de Beaulieu.
La Commission de gestion a pu relever, dans cette question de contrôle de l’usage des fonds, que tout n’était pas fait de la manière la plus stricte. Ainsi :
- L’organe de révision des comptes – la fiduciaire OFISA – est resté le même de 1999 à 2017, alors qu’il est d’usage aujourd’hui de changer régulièrement de société en charge de la révision des comptes ;
- OFISA n’a pas fait une seule mise en garde, par exemple sur la présentation particulièrement complexe des comptes par le secrétaire général.
- Le contrôle des factures semble avoir bien fonctionné, mais il faut relever qu’au plus fort des travaux, ce sont plusieurs classeurs de documents – de 4 à 5 – qui parvenaient au Service de l’économie du logement et du tourisme (SELT) chaque mois.
- La question des lettres de mission nous a posé plus de problèmes. Dans les auditions, un des représentants nommés par le Conseil d’Etat – et qui est d’ailleurs resté au conseil de fondation jusqu’à la fin – nous a dit n’avoir jamais reçu d’invitation à s’exprimer. Mais les lettres de mission que nous avons pu consulter précisent bien que c’est le représentant de l’Etat qui doit prendre un contact et rapporter régulièrement. Donc cette personne n’avait pas forcément compris son rôle au sein dudit conseil. De plus, cette personne qui a été auditionnée par la Commission de gestion nous a dit, l’année passée encore, ne pas savoir si elle était réellement encore membre du conseil de fondation ou non.
- Concernant ces lettres de mission qui définissent les devoirs des représentants de l’Etat, nous n’avons pu obtenir les exemplaires spécifiques que depuis 2016. Nous avons demandé à plusieurs reprises si nous avions tous les documents, mais sans rien obtenir de plus. Alors peut-être que ces lettres de mission existent – ainsi que le précise le Conseil d’Etat dans la lettre que vous avez aussi reçue – mais nous ne les avons jamais eues sous les yeux, avant celles de 2016. Et nous avons dû passablement insister pour obtenir ces lettres de mission établies en 2016.
Finalement, un contrôle des fonds a bien eu lieu, mais il ne semble pas avoir été très efficient.
Je passe à nouveau la parole à Mme la députée Catherine Labouchère pour la troisième question.
La question 3 demandait de déterminer si des erreurs de gestion avaient été commises par le canton et ses représentants et, si oui, par qui. Pour comprendre tout le fil conducteur de la gestion de ce dossier, au fil des années, il faut contextualiser l’historique. En 1997, la décision de créer une fondation et une société d’exploitation pour reprendre la Société coopérative de Beaulieu a fait l’objet d’une décision politique, tant du gouvernement que du Grand Conseil. Beaulieu avec le Comptoir faisait partie de l’ADN du canton et tout le monde croyait en son avenir, pour organiser tant des foires que des congrès. A cette époque, le canton connaissait une situation complexe, tant du point de vue institutionnel que financier. A posteriori, on peut s’étonner qu’un bilan d’entrée sur l’état des bâtiments n’ait pas eu lieu et que les inquiétudes des débats du Grand Conseil sur les questions financières n’aient pas eu une grande influence sur les votes. En bref, à l’époque, Beaulieu avait fait l’objet d’un large consensus tant politique que de la population. Personne ne se doutait alors que des changements allaient arriver.
La fondation n’a pas largement recouru à l’emprunt afin de rénover massivement les bâtiments, comme il l’aurait fallu afin de préserver sa situation financière. En 2009, les changements se dessinaient avec des foires locales, plus récréatives que commerciales. Internet arrivait, ainsi qu’une concurrence plus présente, avec de hauts lieux d’exposition plus modernes. A l’époque, MCH, leader incontesté des grandes organisations, a été vu comme le sauveur d’une situation qui devenait difficile. Force est de constater qu’au fil des années, cela n’a pas été le cas. Il est également à relever qu’en 2009, personne n’a demandé un état des lieux des bâtiments. Il s’est très vite révélé que les fonds accordés ne pourraient servir qu’à la réalisation de la phase 1 des travaux, soit les halles Sud et une partie de ceux prévus dans le bâtiment principal. Est-ce à dire que personne n’a réagi, au sein du Conseil ? Non, certains ont réagi et tiré la sonnette d’alarme, mais sans succès, même si à plusieurs reprises, l’adéquation du budget a été questionnée par le conseil.
Le vote négatif sur la tour TAOUA, en 2014, puis l’abandon par MCH de l’exploitation unique de Beaulieu pour devenir locataire, a conduit à ce que la fondation devienne à la fois exploitante du parc immobilier et opératrice en charge d’accueillir des événements, sans en posséder ni la structure ni les moyens.
La Commission de gestion s’est étonnée de la forme de la gouvernance et, tout d’abord, de l’engagement sous forme de mandat du secrétaire général à 50 puis à 75 %. Il n’y a aucune trace dans les procès-verbaux d’une évaluation de ce dernier, ni étonnement ou évaluation des délégations qu’il a été amené à faire à différents prestataires. Alors que la demande de changement de réviseur figure dans les procès-verbaux de la fondation, elle n’a jamais été réalisée. La Commission de gestion considère qu’il y a eu un flou dans la mission des représentants de l’Etat, car si la fondation avait pu être nantie de lettres de mission et de certains avenants depuis 2016, ainsi que l’a dit Mme la présidente, elle n’a pas été en possession dès le début d’un cahier des charges ou d’évaluation des missions au fil du temps. La Commission de gestion a pu relever le mélange entre stratégie et opérationnel, alors que ce dernier ne relève pas d’un conseil de fondation. La composition du conseil, avec une mixité de représentations politiques différentes – canton, Ville de Lausanne et communes – et de collaborateurs de l’Etat ainsi que des personnes externes, portait en elle des difficultés, personne ne voulant assumer la responsabilité de l’avenir du site de Beaulieu. En bref, une gouvernance de beau temps, sans questionnement par l’autorité de nomination sur son organisation.
Finalement, la Commission de gestion a constaté un modèle d’affaires trop optimiste, un manque d’anticipation sur les changements et une remise en question tardive, sans changer la structure et la gouvernance du Conseil de fondation. Le rôle et le mandat du secrétaire général n’a pas été évalué, ni les délégations à différents prestataires. La composition du conseil n’a pas facilité la prise de décision, mais surtout, comme vous le retrouvez dans le communiqué de la Commission de gestion au Grand Conseil, personne à quelque niveau que ce soit n’a envisagé de « tirer la prise » de Beaulieu.
Concernant la question 4 consistant à établir les responsabilités politiques à l’échelon cantonal dans les pertes financières engendrées par ce dossier depuis 1999, je me suis efforcée, en début de rapport, de rappeler le contexte, car c’est une question préparée pour un éventuel mandat à une CEP et non pour un mandat à une commission de gestion. Mais la question est restée dans notre mandat. Nous avons consulté le Chancelier à ce sujet, et sa réponse est très claire, alors qu’il s’appuie pour cela sur l’article 67 alinéa 2 de la LGC. La compétence pour déterminer des responsabilités de personnes a été dévolue par la législature aux CEP, dont la procédure spécifique comporte à cet effet un certain nombre de droits de la personne – article 77 LGC – dite procédure n’étant à dessein pas prévue pour les investigations de la Commission de gestion qui poursuivent un but différent. Il n’entre donc pas dans les compétences de la Commission de gestion de se prononcer sur les responsabilités politiques.
Nous pouvons dès lors passer à la question 5 : « S’assurer que toutes les précautions ont été prises pour que le canton ne puisse pas essuyer de nouvelles pertes dans ce dossier, en particulier suite au cautionnement de 23,5 millions voté dans le cadre du décret 129 ». Le canton a tiré certains enseignements de ce dossier Beaulieu, bien sûr. On peut ainsi citer un désengagement complet de la gouvernance de Beaulieu avec l’adoption de l’exposé des motifs et projet de décret 129 cité dans la question. La Fondation de Beaulieu a été liquidée. Une société anonyme (SA) constituée par la Ville de Lausanne a repris les actifs et assure la gestion, la location et la valorisation du site. Le canton n’est pas représenté dans les actifs de cette société anonyme. Le prêt de 15 millions accordé en 2009 a été abandonné dans le cadre du décret 129 de 2019, qui est justement à l’origine de cette discussion. Par ce même décret, le canton octroie à la nouvelle SA un cautionnement de 27,3 millions destiné spécifiquement aux travaux de l’Ecole de La Source (ELS). Selon la loi sur les HES, en effet, l’Etat doit mettre à disposition les locaux nécessaires à la formation. Les bâtiments auraient pu se trouver à Beaulieu ou ailleurs ; le canton devait assurer cette mise à disposition.
Pour répondre à la question, la Commission de gestion considère que toutes les précautions ont été prises, quand bien même il subsiste peut-être un risque minime avec le cautionnement accordé pour l’ELS. En effet, si la nouvelle SA constituée par la ville venait à faire faillite, ce cautionnement devrait ou pourrait être actionné.
Nous abordons maintenant la question 6 « Examiner les mesures prises par le Conseil d’Etat dans le cadre de la directive générale en matière de participation financière et personnelle et si nécessaire proposer de nouveaux mécanismes de contrôle des moyens et des procédures à même d’éviter la reproduction de situations de ce type. » Que ce soit dans l’examen des documents, en particulier des procès-verbaux des séances de la fondation, ou dans les auditions, un élément est ressorti de manière récurrente : le mélange de représentations canton et commune n’est pas judicieux, aucun des partenaires n’osant proposer des solutions qui auraient pu être douloureuses – ma collègue l’a évoqué : tirer la prise – en particulier pour le Comptoir de Beaulieu, une décision douloureuse.
La directive générale en matière de participation financière et personnelle a été modifiée, en interdisant maintenant en principe la représentation de l’Etat au sein d’un conseil de fondation par des collaboratrices et collaborateurs de l’Etat. Dans les modifications également effectuées dans cette directive, on peut relever que les personnes désignées par le Conseil d’Etat pour le représenter doivent suivre des séances d’information qui leur rappellent leurs responsabilités et leurs devoirs d’information. Il nous semble qu’à ce stade, les précautions adéquates ont été prises.
Les conclusions du rapport se trouvent en page 20. Nous vous présentons un résumé des conclusions de notre travail. Nous relevons ainsi plusieurs points qui nous ont beaucoup étonnés en termes de gestion, mais bien sûr, après coup, il est plus facile de refaire l’histoire. Ainsi, on peut noter quelques éléments, pour l’essentiel, dont le fait qu’il n’y a pas eu d’état des lieux des bâtiments au moment de leur reprise, l’engagement sous forme d’un mandat à 50 % d’une personne pour gérer plus de 100 millions, soit une stratégie de beau temps qui ne veut pas tenir compte d’une évolution environnante en dépit de plusieurs remarques, ainsi que le rôle des représentants de l’Etat défini tardivement. Jusqu’en 2009, la présidence était assumée par un membre du Conseil d’Etat et il s’agissait vraisemblablement de cette « gouvernance de beau temps ».
En ce qui concerne le travail de la Commission de gestion, nous avons pu constater de réelles limites, certainement déjà éprouvées lors du rapport au sujet de l’entreprise Swiss Space System (S3). L’accès aux documents nous a certes été facilité par la Chancellerie et nous avons pu mener les auditions que nous souhaitions, mais très honnêtement – on l’a vu avec les lettres de missions qui sont rappelées dans la lettre du Conseil d’Etat – nous ne pouvons pas garantir, à ce stade, que nous avons obtenu tous les documents nécessaires pour faire notre travail de manière pleine et entière.
La discussion est ouverte.
En préambule, le groupe PLR salue le très beau travail fait par la Commission de gestion, travail qui se solde par un rapport très précis. Je remercie donc Mmes Ryf et Labouchère pour leur présentation au nom de la Commission de gestion. Nous avons relevé certains points qui apparaissent non seulement dans le rapport, mais aussi dans leurs présentations orales de ce jour.
Nous avons pris acte que l’organe de révision a visiblement manqué de curiosité, comme cela a été dit. Nous pouvons aussi regretter qu’aucun contrôle ordinaire n’ait été demandé. C’est quelque chose qui aurait pu être fait. Savoir s’il fallait changer de réviseur ou pas, bien qu’il fût en place depuis longtemps, n’est pas une question qui appartient vraiment au Grand Conseil. Sur le fond, cela n’aurait pas changé grand-chose, mais cela aurait peut-être permis à d’autres une lecture un peu différente. Le manque de lettre de mission aux représentants de l’Etat est effectivement quelque chose qui peut interroger, j’imagine que c’est une chose à laquelle le Conseil d’Etat peut remédier relativement rapidement. Je pense qu’il a entendu les remarques – voire les reproches – émises par la Commission de gestion.
Dans le rapport, il est un peu dérangeant de lire que les contacts avec le Conseil d’Etat étaient, semble-t-il, inexistants depuis 2010. On peut se demander s’il n’y avait pas un manque de dialogue à ce niveau. Evidemment, il faudrait dorénavant pouvoir y remédier. Visiblement, il manquait aussi des comptes-rendus, des protocoles, toutes les liaisons qu’il peut y avoir entre les différents organismes.
On constate aussi que, sur les 100 millions qui ont été imaginés, il n’y a que la part du canton qui a été activée. Les partenaires n’ont donc pas rempli leur part, comme ils l’avaient annoncé. Autre particularité : l’absence de bilan complet de l’état des bâtiments. Evidemment, lorsqu’on engage des sommes pareilles, on peut se poser des questions sur le suivi et la curiosité qui va avec. Je parle de curiosité, mais il devrait y avoir un côté professionnel qui fait que l’on regarde où l’on met les pieds et ce à quoi on devra faire face.
Nous avons aussi entendu que la Commission de gestion n’est pas une CEP ; elle a donc été limitée dans son travail. Elle a fait ce qu’elle a pu, mais le côté pénal a évidemment été mis de côté. Si l’on constate qu’il n’y a pas de faute crasse de qui que ce soit dans ce dossier, on peut quand même remarquer un manque de suivi, un manque de curiosité et un manque d’échanges. Cela nous semble être suffisamment important pour être signalé et que, pour d’autres dossiers à venir, les choses soient faites différemment. Pour d’autres dossiers de ce type, le PLR invite donc le Conseil d’Etat et ses représentants à plus de curiosité, mais surtout plus de suivi afin que nous ne nous retrouvions pas avec ce genre d’interrogation. Vous en conviendrez, cela est très peu rassurant.
En conclusion, le PLR acceptera le rapport tel que présenté.
Le groupe socialiste remercie aussi la Commission de gestion et en particulier la délégation formée pour le suivi de ce dossier. Il nous importe de relever le travail titanesque qui a été accompli. Néanmoins, malgré cela, nous devons constater les limites de l’exercice. Bien sûr, la plainte pénale déposée limite l’accès à certains documents, mais nous devons aussi relever que les compétences de la Commission de gestion telles que définies par la Loi sur le Grand Conseil ne permettent pas de répondre à toutes les questions du mandat qui lui a été confié, mandat initialement prévu pour une CEP. Ainsi, la question de l’établissement des responsabilités politiques n’a pas pu trouver de réponse. Cette responsabilité aurait de toute façon été difficile à établir étant donné la composition mixte du Conseil de fondation mélangeant canton et ville.
Bien sûr, la question que nous nous posons toutes et tous est la suivante : fallait-il ou non « tirer la prise » et qui aurait dû avoir le courage de le faire ? Il est clair que personne n’a osé prendre cette responsabilité, d’autant plus que l’on parlait du Comptoir suisse, un événement quasi centenaire. On restait sur l’idée qu’il fallait continuer avec le même modèle d’affaires. Après coup, nous ne pouvons que constater un manque de vision stratégique.
Si l’argent du canton a été utilisé à ce pour quoi il était destiné, beaucoup de questions se posent aujourd’hui sur la légèreté du fonctionnement du conseil de fondation, mais on ne peut pas refaire l’histoire et les conclusions du rapport ne changent rien à l’avenir de Beaulieu. Nous pouvons par contre en tirer des enseignements importants pour d’autres engagements futurs, notamment les besoins d’une gouvernance de fondation claire et la nécessité d’éviter des gouvernances mixtes canton-commune. Mais aussi que le profil, les compétences et la formation des personnes amenées à assurer la charge de représenter l’Etat dans les conseils de fondation sont primordiaux. Il est impératif que les responsabilités liées à cette charge soient clairement établies et rappelées ; c’est un changement que le Conseil d’Etat semble avoir déjà engagé.
Ainsi, au-delà de considérations politiques, mon groupe ne peut que souhaiter que le principe de transparence et de vision stratégique prévale à l’avenir sur tout autre enjeu dans le fonctionnement des conseils de fondation liés à l’Etat.
Dans les conclusions du rapport, c’est avec soulagement que le groupe UDC a pris note que les fonds cantonaux versés à Beaulieu ont été utilisés conformément à leur destination, c’est un « ouf de soulagement » pour les deniers publics vaudois. Néanmoins, le groupe UDC constate que la gouvernance complexe mise en place entre les autorités de la ville de Lausanne et le canton a montré ses limites, personne ne voulant assumer ses responsabilités. Finalement, rien de nouveau !
De plus, le rôle des représentants de l’Etat n’a été défini que tardivement et sans lettre de mission claire. Nous relevons également que des flous sont apparus dans les interactions entre l’Etat et ses représentants, dans les modalités du suivi financier, ainsi que dans l’enchevêtrement et un mélange de genres entre Fondation de Beaulieu et Beaulieu Exploitation SA.
Le groupe UDC relève néanmoins à satisfaction que, suite au dossier Beaulieu, des mesures ont été prises, en particulier par des directives nouvelles claires émises par le gouvernement et par le refus de s’engager désormais dans des gouvernances mixtes.
Concernant le travail de la Commission de gestion, nous constatons avec regret que sous le point 3 des conclusions, on puisse lire : « (…) celui-ci avait de réelles limites » et que la commission « (…) ne peut garantir à ce stade qu’elle a pu obtenir tous les documents nécessaires pour faire son travail de manière pleine et entière. » Si nous devons lancer une CEP pour chaque point que la Commission de gestion pourrait traiter, cela pose tout de même la question suivante : cette commission a-t-elle toutes les bases légales pour exercer son mandat ?
Néanmoins, le groupe UDC remercie vivement la commission pour son important travail d’analyse et de synthèse. Dans ce contexte, la majorité de notre groupe prendra acte de ce rapport.
Le groupe des Vertes et des Verts vaudois remercie également la sous-commission pour son excellent rapport et tout le travail mis en œuvre. Il ressort explicitement du rapport que le sujet de Beaulieu a ceci de particulier qu’il touche un point particulièrement sensible de notre canton, non seulement sous l’angle historique, mais surtout sous l’angle identitaire : sa sensibilité agricole et viticole, son aspect particulièrement populaire et son inscription générale dans le terroir. Beaulieu, c’était le Comptoir suisse. Cette sensibilité du sujet et son inscription dans notre patrimoine apparaissent bien comme ayant été l’une des sources principales des problèmes qui ont affecté la gestion du site de Beaulieu dans son ensemble.
A ce titre, le travail qui a été fait par la sous-commission de la Commission de gestion est particulièrement central et utile. Tout d’abord, parce qu’il montre l’utilité d’un organe comme la Commission de gestion dans ce type de situation aux côtés des autorités « ordinaires », à savoir les autorités pénales qui font toujours leur travail et dont l’importance est énorme. Ensuite, parce qu’il permet d’exclure une utilisation externe des fonds qui ont été alloués. Comme l’a dit mon préopinant, c’est quelque chose qui doit nous rassurer sur l’état de nos institutions. Enfin, nonobstant cette utilisation « dans les lignes », il y a bien eu de forts problèmes de gouvernance. Ces derniers doivent nous interpeller par les lacunes de gestion que le rapport a mises en lumière et les ratés d’une cogestion dans laquelle chacun se renvoyait la balle et ne souhaitait pas prendre ses responsabilités.
Sans revenir sur les différents manquements qui ont été constatés et qui sont très bien détaillées dans le rapport, je m’arrêterai sur deux cas particuliers qui doivent attirer notre attention :
- premièrement, le fait que cette composition mixte canton-commune a effectivement posé problème, notamment le fait que personne ne voulait, comme cela a déjà été dit, « tirer la prise ». Il s’agit de quelque chose d’émotionnel et de politique dont nous avons maintenant tiré les leçons, mais auquel nous devons faire particulièrement attention pour les prochains projets qui seraient également en cogestion et en codirection. Cela doit également nous amener à réfléchir à notre propre rôle, celui du Grand Conseil, dans ce cadre. En effet, nous non plus, nous n’avons pas vu – ou su voir – l’aspect suranné de certaines activités qui nous portaient tant à cœur.
- Deuxièmement, la responsabilité de l’autorité publique n’est en réalité pas la seule en cause – c’est un point important à noter. En effet, les acteurs privés impliqués dans la gestion de Beaulieu ont également failli. Ceci est notamment le cas de deux acteurs privés directement liés à ces activités : tout d’abord, le groupe MCH qui, malgré le fait qu’il s’agisse d’un acteur privé spécialisé dans l’événementiel, n’a pas vu venir ou n’a pas su dire qu’il y avait des problèmes dans l’aspect actuel des activités de Beaulieu. Il n’a pas su guider la fondation et les autorités dans le changement qui aurait dû être opéré. Par ailleurs, cela a également été relevé dans le rapport, par l’auditeur qui – entre 1997 et 2017, soit une période très longue – n’a pas non plus vu venir les problèmes financiers importants qu’ont connus la fondation et le site de Beaulieu. C’est une réelle problématique, car c’était l’un des rôles revenant à cet acteur.
Dans l’ensemble, beaucoup de leçons peuvent être tirées de ce rapport. Certains problèmes ont déjà été résolus, à nous maintenant de faire preuve de plus de réalisme dans nos propres travaux, dans notre propre surveillance et dans nos propres votes, lorsqu’il en va des activités de notre canton.
« Et si tout n’était pas de la faute d’un seul homme ? », c’était le titre du 24heures du 7 janvier 2018. Le journal connaissait-il déjà le rapport de la Commission de gestion d’aujourd’hui ? Depuis des années, dans cette affaire, on a parlé de maquillage des comptes, de doutes sur la gouvernance politique, de fiasco, de chienlit, de débâcle, de situation critique ou de mesures urgentes. Le rapport de la Commission de gestion aurait pu faire un historique de tous les maux dont a souffert ce site.
S’il n’y a pas eu de grande surprise à la lecture de ce rapport, ce dernier aurait eu le mérite d’avoir établi l’historique des dysfonctionnements et mis en lumière le flou qui a régné, depuis les années 2000, dans une gouvernance désuète et contre-productive. Ce qu’il révèle, c’est une succession d’erreurs graves ou légères, une dilution des responsabilités, des informations floues, un manque de vision et d’anticipation, un manque de courage pour tourner la page du modèle d’affaires des foires et des congrès et pour « tirer la prise », comme cela a été évoqué. Malheureusement ou heureusement, il n’y a pas de révélations fracassantes, pas de grosses malversations, pas de scandale à l’horizon.
Les Vert’libéraux n’avaient pas soutenu la demande de rapport par la commission de surveillance, convaincus que cette nouvelle investigation ne révélerait rien qui n’avait déjà été mis à jour par les différents audits. Nous saluons toutefois ce rapport qui a nécessité un grand investissement des commissaires de la Commission de gestion et nous remercions vivement les membres de la sous-commission. En conclusion, notre groupe prendra acte de ce rapport. Comme cela a été dit, ce travail nous interpelle sur les limites que la Commission de gestion peut consacrer à un dossier. Nous souhaitons maintenant que des enseignements en soient tirés : Beaulieu doit envisager l’avenir proche en attendant sa vraie destinée. Les activités sportives récentes mises en place laissent penser que des pistes innovantes peuvent se déployer et attirer d’autres activités, donner envie à la population de redécouvrir cet endroit. A moyenne échéance, l’endroit sera accessible par le futur tram, il n’attend que des projets réalistes pour attirer les Vaudois. La nouvelle fondation se devra d’être agile et imaginative. Faisons confiance, mais ne commettons pas les mêmes erreurs que par le passé : des mandats clairs, des entités qui supervisent, des mandataires qui rendent des comptes. Une gouvernance claire, c’est essentiel. Sans surprise, le travail de la Commission de gestion n’a pas amené de révélations incroyables, mais il a fait la lumière : tout n’a pas été la faute d’un seul homme.
En 2019, lorsque le Conseil d’Etat a demandé d’abandonner le prêt de 15 millions octroyé à la fondation de Beaulieu, mon groupe a été l’un de ceux qui ont demandé en vain une commission d’enquête pour faire la lumière sur ce dossier, au vu des montants très conséquents qui ont été accordés par l’Etat et par d’autres communes sur ce site durant de longues années. S’agissant des montants en jeu, je rappelle que, en l’an 2000, 80 millions ont été injectés comme capital de la fondation de Beaulieu. En 2009, 55 millions ont à nouveau été débloqués, notamment pour la construction des halles Sud – des halles qui ne sont aujourd’hui presque plus utilisées. A ces injections de fonds, il faut aussi ajouter des coûts indirects, en particulier des réductions de loyer à répétition en faveur du groupe MCH pour des montants qui, sur la durée, sont très importants. Le total des montants injectés par l’Etat et les communes sur le site étant finalement nettement supérieur à ceux qui sont en jeu dans le dossier de l’Hôpital Riviera-Chablais, pourquoi la majorité de ce Grand Conseil a-t-elle jugé utile de lancer une commission d’enquête dans le cadre de l’hôpital, mais pas dans celui de Beaulieu ? Peut-être simplement parce que, dans le cas de Beaulieu, ce n’est pas une élue socialiste qui gérait le dossier au sein du Conseil d’Etat, mais plutôt des représentants du PLR. (Réactions dans la salle.)
Il n’en demeure pas moins que la commission d’enquête a été refusée, mais la pression politique que nous avons exercée a tout de même permis d’arriver à ce rapport qui, comme certains collègues l’ont dit, a produit des résultats intéressants. Nous ne pouvons que remercier les commissaires pour le travail accompli, même si leur rapport présente aussi quelques limites sur lesquelles je vais revenir. Parmi les résultats intéressants, il y a la mise en évidence des lacunes du contrôle exercé par l’Etat sur l’activité du site pendant de nombreuses années. A mon avis, le Conseil d’Etat – et en particulier M. le conseiller d’Etat Philippe Leuba – aurait dû demander des comptes beaucoup plus réguliers et précis aux trois représentants de l’Etat – oui, il y en avait bien trois – au sein du conseil de fondation. L’Etat et le Département de l’économie en particulier ont validé un modèle d’affaires beaucoup trop optimiste et s’y sont tenus durant de nombreuses années avec, il faut tout de même le dire, un certain aveuglement. Concernant les travaux, les recommandations de diverses expertises immobilières qui alertaient sur la vétusté du site et sur la sous-évaluation des investissements prévus ont été largement ignorées, en tout cas à ma connaissance. M. Carrard a parlé d’un manque de curiosité et de suivi, pour ma part, j’irai plus loin en parlant d’un contrôle public lacunaire et négligent.
Lorsque les difficultés financières se sont aggravées, la tactique poursuivie par le Conseil d’Etat, mais aussi par la municipalité de Lausanne, a été de faire porter le chapeau à l’ancien secrétaire de la fondation qui, à mon sens, a joué le rôle de lampiste dans cette affaire. Je note d’ailleurs qu’après plus de quatre ans de procédure pénale à son encontre, aucune condamnation n’a été prononcée à ce jour. Par contre, la procédure revêt quand même un avantage pour les autorités, celui de réduire l’accusé au silence, puisqu’il ne peut évidemment pas se prononcer sur une affaire pénale en cours. Pourtant, il est un peu facile de charger cet ancien secrétaire de la fondation sans rappeler qu’il n’était pas le seul à signer pour les commandes et mandats ; il le faisait sous la supervision des représentants de l’Etat au conseil de fondation qui auraient quand même dû se montrer beaucoup plus vigilants, d’autant que, comme le souligne le rapport de la commission, les ressources dont disposait l’ancien secrétaire pour accomplir ses missions étaient bien trop faibles vu l’ampleur des taches et le volume des sommes engagées. Cet ancien secrétaire se retrouvait à devoir gérer des investissements à hauteur de dizaines de millions ; il ne travaillait même pas comme salarié de la fondation, mais sur mandat, à un taux d’activité de 50 %. C’est tout de même assez léger comme mode de gestion ! A mon avis, ce sont des éléments qui auraient dû alerter les représentants de l’Etat et le Conseil d’Etat et qui ressortent bien du rapport de la Commission de gestion.
En préambule, j’ai dit que le rapport de nos collègues présentait certaines limites. Elles sont d’ailleurs reconnues par la commission elle-même qui souligne que l’ampleur et la complexité du dossier étaient difficiles à assumer. C’est la raison pour laquelle nous voulions pour notre part privilégier une CEP. Concernant les problématiques abordées dans le rapport, la principale limite, selon moi, est la faible attention accordée aux avantages qui ont été octroyés au groupe MCH qui exploitait le site. A mon avis, il s’agit d’un des aspects les plus problématiques du dossier, puisque l’on est dans le cas d’une privatisation des bénéfices et d’une socialisation des pertes. En effet, il me semble que de l’argent public a tout de même été utilisé pour accorder notamment d’importants rabais de loyer au groupe MCH, un groupe qui, pendant des années, a tout de même réalisé des profits importants sur ce site. En effet, il fut un temps où le groupe louait à prix d’or des surfaces aux exploitants, autour de 240 francs le mètre carré, selon des informations que j’ai pu recueillir auprès de personnes qui connaissaient bien les activités liées aux foires ou au Comptoir à Beaulieu. Malgré toutes ces aides publiques, ce groupe a finalement licencié ses salariés par petites tranches, de manière assez retorse : des tranches à chaque fois trop faibles pour devoir financer un plan social. Là aussi, je pense qu’une certaine complaisance fut manifestée pour ce groupe de la part des représentants de l’Etat au conseil de fondation. Je trouve que cette problématique aurait pu être un peu plus présente dans le rapport de la commission.
En conclusion, l’étude de ce dossier et le débat que nous avons aujourd’hui sont d’autant plus utiles que ce type de partenariat public-privé et la délégation de tâches publiques à des fondations sont tout de même des phénomènes assez récurrents dans ce canton. A mon avis, ils n’ont pas fini de nous poser problème, comme l’a suggéré notre collègue Carine Carvalho dans son intervention. Il y a tout de même le problème du déficit du contrôle démocratique, lorsque des tâches sont déléguées à des fondations, un problème qui se pose aussi dans d’autres dossiers qui ont défrayé la chronique médiatique ces derniers mois et ces dernières années. Je pense donc que le débat sur ce rapport est aussi utile au-delà du seul site de Beaulieu.
Tout d’abord, comme cela a été fait par l’ensemble des groupes, nous aimerions remercier la Commission de gestion pour son travail remarquable, largement supérieur à ce que l’on est en droit d’attendre de cet organe. Nous croyons volontiers, comme elle l’écrit, que ce travail a nécessité un investissement et une énergie considérables, nettement au-delà de ce que peuvent réaliser sereinement des députés membres d’une Commission de gestion. C’est en effet le travail d’une CEP, option que les Libres avaient défendue à l’instar du groupe Ensemble à Gauche et POP. Ce rapport démontre qu’une telle commission aurait été justifiée au vu de la gravité des manquements. On peut les citer en vrac :
- le manque de curiosité de l’organe de révision ;
- son impassibilité face à une comptabilité que l’on peut qualifier de « bricolée » ;
- son incapacité à détecter des manquements ;
- la curieuse absence de changement d’organe de révision ;
- des dépenses courantes qui passaient de manière injustifiable dans la rubrique « immeubles » pour permettre de présenter un compte d’exploitation à l’équilibre, en augmentant uniquement la valeur des immobilisations ;
- l’absence de véritable rôle joué par l’autorité de surveillance des fondations ;
- la seconde signature déléguée à la secrétaire de direction du Service de la promotion économique qui a visé des factures sans en connaître le bien-fondé. Nous avons de la peine à le croire et pourtant…
- l’absence de lettre de mission pour les représentants de l’Etat de Vaud de 2005 à 2015, dix ans tout de même ;
- le manque de réaction aux avertissements du Contrôle cantonal des finances sur les difficultés de la fondation de Beaulieu à rassembler les fonds nécessaires pour concrétiser la stratégie « Beaulieu 2020 » ;
- les interactions entre les représentants de l’Etat et ce dernier, qui auraient mérité d’être davantage formalisées et plus régulières ;
- l’absence de bilan complet de l’état des bâtiments de Beaulieu, ainsi que de données financièrement davantage détaillées. Suite au constat de vétusté de Beaulieu décrit dans l’exposé des motifs du projet de décret de 2009, l’absence d’un état des lieux complet du site ;
- le concept historique pourtant déjà vacillant sur lequel on faisait reposer l’avenir de Beaulieu n’a pas été remis en question ;
- un mandataire unique qui pilotait l’entier des missions ;
- plusieurs entités politiques qui se partagent les compétences et se renvoient la responsabilité sur l’avenir du site ;
- un modèle économique qui n’est pas questionné…
N’en jetez plus, la coupe est pleine ! La liste n’est pas exhaustive, nous rejoignons également les Verts sur la réponse à la question du rôle des Bâlois du MCH qui auraient effectivement pu voir un certain nombre de choses. Lors du débat sur l’assainissement du désastre de Beaulieu, notre groupe avait fait une déclaration qui est toujours d’actualité : ce dossier nous laissait un sentiment de malaise. Il est frappant de constater à quel point le gouvernement, avec la complicité du Parlement, a laissé engloutir des sommes faramineuses d’argent public dans la gestion de Beaulieu, arrivant à chaque fois à convaincre que le salut était en point de mire.
Dans ce dossier, il est frappant de constater qu’aucun des signaux d’alerte – et ils furent nombreux – n’a été pris en compte. Il est également frappant de constater à quel point les responsables de cette débâcle sont incapables d’assumer leurs erreurs, ayant même tenté de les faire porter à l’ancien secrétaire général de la fondation. Cela a été dit par M. Buclin, c’est effectivement un lampiste. C’est malheureusement un point sur lequel la Commission de gestion n’a pas pu enquêter, muselée par l’existence d’une procédure juridique en cours. On peut constater que le pouvoir politique est limité dans son action par le pouvoir judiciaire, encore un problème de séparation des pouvoirs, mais pas forcément dans le sens où on le dit usuellement. Les responsables de cet échec et les partis gouvernementaux ne l’assument pas et peinent à en retirer les enseignements, hormis la volonté de confier l’entière responsabilité à la ville de Lausanne et d’éviter un double pilotage – et c’est effectivement un point positif. On espère que des enseignements seront tirés de ce rapport. Ce dernier répond à certaines questions, mais de loin pas toutes : le groupe des Libres regrette l’absence de l’institution d’une enquête parlementaire qui aurait permis d’établir plus clairement les responsabilités de cette débâcle. Il remercie encore la Commission de gestion pour son travail qui confirme ce que l’on subodorait et qui représente au moins l’avantage de l’établir, certes superficiellement, mais au moins de manière factuelle.
Pour conclure, le groupe des Libres aimerait encore citer un passage emblématique du rapport de la Commission de gestion : « Si par le passé, certaines représentations ont éventuellement été attribuées avec des velléités davantage honorifiques qu’en se basant sur les compétences spécifiques de la personne choisie, tel ne doit plus être le cas. » Il est temps que ce message passe, à gauche comme à droite.
Je vais reprendre quelques éléments qui ont été évoqués pour apporter d’éventuelles réponses aux questions posées ou d’éventuels rectificatifs à certaines remarques formulées dans ce débat.
Du côté du groupe PLR, il a été dit que les contacts étaient inexistants avec le Conseil d’Etat. En l’occurrence, ce n’est pas tout à fait vrai, dans la mesure où, entre 2000 et 2009, la présidence du conseil de fondation était assurée par la conseillère d’Etat Jacqueline Maurer. Suite à ses problèmes de santé, nous l’avons auditionnée, mais elle n’a pas pu nous donner beaucoup d’éléments à ce propos. Après Mme Maurer, ce n’est pas directement M. Leuba qui a été en charge. En effet, c’est M. Mermoud qui a repris ce dossier et le département. Monsieur Leuba – vous me corrigerez si je me trompe – vous êtes arrivé à la fin de l’année 2011, seulement. Lorsqu’on rejette la faute de la gestion de Beaulieu sur M. Leuba, je me dois d’apporter ce rectificatif, même si cela semble lui être assez égal. (Rires.)
En ce qui concerne la remarque du parti socialiste, il est vrai qu’une forme de légèreté a été observée dans le cadre de la gestion du conseil de fondation. La nécessité de transparence et de ne plus avoir des compositions mixtes a été relevée. C’est l’un des enseignements importants du traitement de ce dossier.
Le groupe UDC a relevé une gouvernance complexe – un mélange entre la ville et l’Etat – et le flou entre l’Etat et ses représentants. Il est vrai que sur ces liens – la manière dont les représentants de l’Etat devaient rendre les informations, quels étaient les rôles – nous n’avons eu accès à des lettres de mission que depuis 2016. Néanmoins, le Conseil d’Etat précise dans son courrier que des lettres de mission étaient existantes depuis bien avant déjà.
Le groupe des Verts a souligné l’angle identitaire de Beaulieu directement associé avec le Comptoir suisse, un élément extrêmement important, dans la mesure où c’est certainement celui qui a fait que, selon cette phrase entendue et reprise à l’envi, « personne ne voulait tirer la prise » en particulier celle du Comptoir suisse, aussi appelé Comptoir de Beaulieu.
Les problèmes de gouvernance ont également été mentionnés à plusieurs reprises. La question des acteurs privés – le MCH – ne figurait pas dans le périmètre confié dans le mandat de la Commission de gestion. On peut néanmoins préciser que – dans ce que l’on a lu dans tous les documents ou que l’on a entendu dans les témoignages des personnes auditionnées – le MCH a été vu, à un certain moment, comme le sauveur de cette stratégie par rapport à Beaulieu. En effet, à Bâle, le MCH était le représentant qui avait du succès avec les foires et qui pouvait vraiment apporter des compétences et un savoir. Peut-être que cela n’a pas marché avec Beaulieu, mais ce n’est pas forcément entièrement de la faute du MCH. Il s’agissait aussi d’une évolution conjoncturelle : ce type de foire ou d’exposition n’était plus forcément dans l’air du temps. Au fond, c’est la stratégie relative à Beaulieu qui n’était pas forcément adaptée.
Les Vert’libéraux ont relevé la gouvernance désuète et les limites de la Commission de gestion. J’aimerais apporter une petite correction à ce sujet : aujourd’hui, ce n’est pas une fondation qui gère Beaulieu, mais une société anonyme. Il n’y a donc plus du tout de participation de l’Etat à ce stade.
Le groupe Ensemble à Gauche et POP a évoqué l’ensemble des fonds investis pour Beaulieu, mais le mandat reçu par la Commission de gestion ne portait que sur les fonds cantonaux, donc sur une partie seulement de l’argent qui a été mentionné. Néanmoins, le total de ces fonds est beaucoup plus grand que la partie examinée par notre commission. Vous avez évoqué M. Leuba, mais j’ai indiqué au début de ma prise de parole que ce dernier était arrivé au département pour suivre ce dossier, en 2011, seulement. Vous avez relevé les ressources du secrétaire général. Ce dernier a commencé avec un mandat à 50 %, mais – si ma mémoire ne me joue pas des tours – il est passé à 75 % au bout de deux ans. Cela restait tout de même bien insuffisant par rapport à la masse de travail sous-évaluée qui lui incombait.
Les Libres ont relevé certains manquements. Vous avez notamment relevé la signature de la secrétaire. Si nous avons inscrit cela tel quel dans le rapport, nous nous en excusons : c’est une erreur qui a aussi été relevée par le Conseil d’Etat dans la lettre qui vous a été transmise. En fait, la secrétaire du département ne faisait qu’apposer un visa. Les signatures étaient collectives, avec le président ou l’un des représentants du conseil de fondation et le secrétaire général. La secrétaire n’avait donc pas le pouvoir de signature à ce stade.
Avant de passer la parole à ma collègue qui aura peut-être d’autres éléments à apporter, je souhaite rappeler qu’à chaque étape, le Grand Conseil n’a pas non plus montré beaucoup de curiosité. Dans des dossiers de ce type, nous sommes également toutes et tous responsables.
La présidente de la commission a fait un tour des questions relativement exhaustif. J’aimerais simplement ajouter un ou deux points. Les contacts inexistants avec le Conseil d’Etat, cela a été relevé par une seule personne lors d’une audition et non pas par l’entier des personnes entendues. Je crois qu’il est nécessaire de faire cette précision.
Quant aux fonds, c’est vrai, pour la première étape, les fonds de l’Etat de Vaud ne sont pas seuls à avoir été employés, il y a aussi ceux de la ville et des communes. Comme il n’y avait pas eu de bilan d’entrée sur la vétusté des locaux – ni en 1997 ni en 2009 – et que le Grand Conseil ne l’a pas demandé non plus, il est évident que l’état de vétusté a été constaté et seule la phase 1 de l’avancement des travaux a pu être réalisée.
Comme l’a relevé le parti socialiste, les compétences de la Commission de gestion ont été limitées. Par rapport à MCH, nous n’avons pas eu accès aux procès-verbaux de la société d’exploitation. Cela ne faisait pas partie de notre périmètre et ces documents ne nous ont pas été transmis par la Chancellerie. Je pense qu’il est important de le dire.
En ce qui concerne les questions posées sur l’auditeur, il est légal de ne pas le changer, mais ce n’est plus dans les habitudes actuelles. L’autorité de surveillance des fondations n’a jamais fait de remarque à ce sujet, à notre connaissance. Nous n’avons pas été nantis du rapport complet de l’autorité de surveillance. On peut donc regretter qu’il n’y ait pas eu un contrôle ordinaire qui aurait peut-être apporté d’autres éléments. Il est aussi vrai que le Conseil d’Etat a pris conscience, au fil du temps, des lacunes existantes dans le contrôle des fondations. Beaucoup de choses ont été reprises dans le cadre de la directive pour éviter de connaître à nouveau ce genre de situation. Les gouvernances mixtes canton-ville-communes n’étaient évidemment pas favorables pour des décisions qui auraient dû être prises à certains moments.
En plus de cela, la situation économique a changé. Je l’ai rappelé, en 2014, l’échec de la tour Taoua a été un vrai révélateur des lacunes existantes et beaucoup de choses ont pu être prises en considération et changées depuis lors.
Pour le moment, l’atmosphère a l’air plutôt « cool » dans cette discussion et c’est très bien ainsi. J’ai personnellement écrit à la Commission de gestion pour la remercier vivement de son excellent travail, en particulier sa façon remarquable de bien situer le point 2.1. Je vous rappelle que j’ai présidé l’exposé des motifs et projet de décret (323). Ce qu’a écrit la Commission de gestion à ce sujet est remarquable de justesse.
Néanmoins, je vais amener quelques commentaires. Je rassure tout d’abord M. Buclin, La CEP ne se composait pas uniquement de gens de droite, mais aussi de gauche, puisque la ville de Lausanne est à majorité de gauche depuis 1990. Entre 1997 et 1999, il y avait même un municipal POPiste. Vous voyez donc que tout le monde était sur le pont et pas seulement des vilaines personnes de droite qui en voulaient à mort à des personnes de gauche. Personne n’en voulait à personne, et c’est la raison pour laquelle la CEP ne s’est pas faite, puisqu’arrivant bien trop tardivement, même si au fond, cela aurait pu être une bonne chose.
Une phrase de la Commission de gestion m’a frappé – j’y pense maintenant seulement, mais peut-être que mon analyse est fausse. Il est mentionné « Jusqu’en 1985, elle a investi en recourant à l’emprunt dans la construction des bâtiments, mais peine progressivement à en assumer financièrement l’entretien et la rénovation. » Je constate que c’est à partir de cette période aussi que la BVCréd disparaît tranquillement, ainsi que la Caisse d’épargne et de crédit. Ces établissements bancaires – je ne parle pas de la BCV – étaient tout de même tenus par des gens très proches du Comptoir. La BVCréd avait en son temps la réputation de savoir donner les crédits qu’il fallait. Je ne dis pas que c’était injustifié, que c’est une faute, je n’en sais rien… Je constate seulement que, lorsque tout ceci s’est éteint au fil des années 80, lorsqu’on est arrivé au début des années 90, il y avait peut-être une certaine correspondance historique qui a mené petit à petit – comme quelqu’un qui fait une anémie ferriprive et qui ne le remarque pas – à une situation dans laquelle soit on sauve le patient soit on le laisse mourir. Entre 1997 et 1999, nous ne voulions pas laisser mourir le patient.
Ceci étant, il faut également remarquer que nous nous étions beaucoup demandé si cet argent ne servait pas avant tout à réparer des bâtiments pour lesquels le Grand Conseil avait confusément une certaine appréhension par rapport aux coûts réels de leur entretien et aux coûts réels que leur rénovation demanderait. Je tire ici un parallèle avec l’Hôpital Riviera-Chablais et ses deux annexes. Nous avons commencé par dire qu’il y aurait deux annexes, sans se préoccuper des coûts. Bientôt, la CEP nous dira comment cela s’est passé. Chaque fois que l’on vous demande de l’argent pour un projet qui n’a pas une excellente finalité – ce que le Comptoir avait quand même plus ou moins – il faut vous intéresser aux coûts pour le jour où on n’en fera quelque chose ou on n’en fait plus. Nous l’avions fait, mais nous ne l’avons peut-être pas assez bien fait. C’est une tendance constante de toutes les administrations – communales, cantonales et peut-être fédérales – que pour faire passer un projet, on a tendance à ne pas toujours s’exprimer totalement et en toute franchise sur ce qui pourrait bien nous guetter. Evidemment, je dis cela maintenant, avec un certain recul et parce que j’ai vécu d’autres histoires de ce genre, mais c’est un piège pour le conseiller communal ou le député lambda.
J’aimerais tout de même rappeler que la sous-commission de gestion au Département de l’économie, dans laquelle votre serviteur était actif, s’est toujours préoccupée de Beaulieu, avec ce que l’on savait et ce que l’on ne voulait surtout pas nous dire. Nous avions toujours le sentiment que ce n’était pas clair. Je vous renvoie à la lecture des rapports de la Commission de gestion des années 1998 et suivantes sur ce sujet. Peut-être que nous nous n’en avons pas assez dit, parce que nous ne savions pas ou bien parce qu’il ne fallait pas trop en dire, parce que c’était un secret… Je ne peux plus me prononcer sur cet aspect.
Enfin, je terminerai par MCH : personnellement, je n’y ai jamais cru et je suis à deux doigts de partager le sentiment de M. Buclin. Ils sont arrivés, ils ont pensé qu’ils gagneraient beaucoup d’argent. Ils ont remarqué qu’ils étaient tombés sur un canard boiteux et ils sont repartis. La Fontaine a probablement fait une fable à ce sujet…
A mon tour de remercier la qualité du travail réalisé par la Commission de gestion. Mais que fait-on maintenant ? J’ai entendu mes collègues, je suis assez d’accord avec le député Buclin – c’est plutôt rare – des constats ont été posés, la Commission de gestion a répondu au mandat qui lui a été confié, mais que va-t-il se passer ces prochaines années pour que ce genre de situation ne se reproduise pas ? Dans le fond, c’est la même chose que pour l’Hôpital Riviera-Chablais : l’objectif n’est pas de savoir ce qui s’est passé ou qui sont les responsables, l’objectif c’est d’apporter des corrections et que ces situations ne se reproduisent plus jamais. J’aimerais que nous menions une fois une discussion à ce sujet.
Par ailleurs, je partage totalement le sentiment exprimé sur MCH Bâle : quel est son rôle, qu’est-ce qui s’est passé ? Aujourd’hui, une plainte pénale est en cours et n’allons pas pouvoir aller plus loin dans la discussion. Dans cette affaire, le canton et de nombreuses communes ont perdu beaucoup d’argent, cela se chiffre en millions, voire en dizaines de millions de francs, y compris des communes proches de Lausanne, mais aussi des communes moins proches. Aujourd’hui, ces bâtiments sont à disposition de la commune de Lausanne. J’aimerais que l’on discute aussi une fois pour toutes de cet aspect, peut-être via la Commission de gestion. Madame Labouchère que faisons-nous maintenant avec le rapport ? Je demande aux cinq membres de la Commission de gestion qui ont travaillé sur ce rapport, y compris Mme la présidente, ce que nous pouvons faire pour que ce genre de situations ne se reproduise plus ?
Je remercie aussi les cinq acteurs de la Commission de gestion. Je pense que le rapport entre l’énergie déployée et le périmètre de leurs compétences n’était pas celui qu’ils souhaitaient. C’est la différence entre une commission élargie de la Commission de gestion et une CEP. Je n’y reviendrai pas.
J’avais dit une fois, au Conseil communal de Lausanne, que ce qui a fait ce canton, entre les années 20 du siècle passé et la fin des années 70, c’était le parti radical et l’agriculture. Le déclin – momentané pour l’un, plus durable pour l’autre – de ces deux entités a entraîné dans son sillage le déclin du Comptoir. Cela a été dit et je m’en rappelle en tant que membre du Conseil communal, lorsque Messe Schweiz – devenue ensuite MCH – est venue à Lausanne, c’était un peu comme l’arrivée du Messie. Cela a été le début d’une méprise qui ne s’est jamais guérie jusqu’à la fin. Effectivement, les Bâlois débarquaient à Lausanne pensant trouver un marché florissant et, sans trop d’investissements, ils pensaient pouvoir embarquer des dividendes de l’autre côté du rideau de rösti. Du côté de la fondation de Beaulieu et de la ville de Lausanne, on pensait refiler un canard qu’on savait boiteux, mais à des professionnels et on s’imaginait – tout à fait sincèrement – que le professionnalisme des Bâlois allait nous remettre sur les rails. Je pense qu’il est faux de dire que ces derniers ont ramassé ce qu’ils ont pu, puis qu’ils sont repartis. C’est inexact. Je ne peux pas citer les années, mais je me souviens que la Commission de gestion du Conseil communal avait été invitée à Beaulieu pour une séance avec des représentants de ce qui était à l’époque Messe Schweiz. Ces représentants nous avaient clairement mis en garde à l’époque, en nous disant que s’il n’y avait pas un redressement très rapide, ils s’en iraient. A la fin du siècle passé, rares étaient les politiciens – j’en ai connu, mais je ne veux pas les citer – qui étaient sans illusion sur le devenir des grandes foires en général et de Beaulieu en particulier. S’ils avaient clamé urbi et orbi leurs doutes à l’époque, ils n’auraient de toute façon pas été crus. Et pourtant, lorsqu’on vend ses bijoux pour payer ses factures, ce n’est pas le signe d’une bonne santé financière. Cela a commencé par les écuries, ensuite la démolition du front Jomini, du restaurant du rond-point, la saga de la tour Taoua, sans parler de la durée de la foire qui est passée de trois à deux semaines. Quel signe vouliez-vous donner aux acteurs économiques de venir investir pour la foire d’automne, alors que l’on était en train de plumer le Comptoir suisse ?
Il y a tout de même un point sur lequel je m’interroge : la Foire du Valais semble bien fonctionner. Certes, il y a là-bas un aspect de grande messe et de communion, et nous ne sommes pas valaisans, mais l’Olma à Saint-Gall semble aussi bien fonctionner. Je ne sais pas où en est la BEA à Berne ? Ces entités sont, en apparence, en bonne santé, mais chez nous ce n’est pas le cas. « Comparaison n’est pas raison » dit le proverbe, mais pourtant… On a souvent parlé de « tirer la prise », mais la prise est tombée d’elle-même une fois qu’il n’y avait plus de courant.
En conclusion, peut-on aujourd’hui reprocher un manque d’anticipation aux acteurs des années 1980 à 2010 ? Je nous retourne la question : est-ce que j’aurais fait mieux ? Et ce que vous auriez fait mieux ? Je laisse à chacune et chacun le soin de répondre à cette question.
Je voudrais répondre à M. Berthoud qui nous demandait quelles leçons nous avions tirées de ce dossier pour ne pas refaire les mêmes erreurs à nouveau. Je crois que nous avons déjà mentionné un certain nombre de choses. Certains éléments sont déjà venus, d’autres pourront encore venir. Je pense notamment au fait d’éviter une gouvernance mixte canton-commune. A ce niveau, il me semble que la leçon a été apprise. La redéfinition des lettres de mission, avec un suivi adéquat, est aussi un élément qui a été introduit et qui est maintenant suivi de manière plus stricte. La directive générale en matière de participation financière et personnelle, les modifications qui ont été apportées et le fait qu’il n’y ait plus d’employés de l’Etat qui puissent être délégués dans des fondations ou représenter l’Etat sont aussi des leçons qui ont été tirées directement de cette expérience.
Comme je le disais, je crois que c’est aussi à nous, députées et députés, d’avoir un œil plus attentif lorsqu’on nous proposera à nouveau de signer pour ce type de soutien ou de financement. Nous devrons alors avoir les sens en alerte pour dire « attention » ! Il y a peut-être encore d’autres choses, mais je ne vais pas allonger le débat pour que M. le conseiller d’Etat puisse aussi s’exprimer.
A mon tour et au nom du Conseil d’Etat, je remercie la Commission de gestion pour la qualité du travail qu’elle a effectué dans le cadre du rapport dont nous parlons aujourd’hui. Je mettrai de côté la question de l’injustice dont je serais frappé. La fonction l’exige ; l’institution en fait un devoir : les conseillers d’Etat assument les choix faits par leurs prédécesseurs, même s’ils n’étaient pas en fonction. Je ne me soustrairai pas à cette règle et j’assumerai également ce qui a été dit – ou ce qui n’a pas été dit – à la Commission de gestion en 1985. Encore une fois, c’est l’institution et la fonction qui le veulent. Les reproches que vous pouvez faire au Conseil d’Etat, vous pouvez me les adresser directement.
Quelles sont les leçons que le Conseil d’Etat a tirées, cela même avant que le travail de la Commission de gestion vous soit adressé ? Il s’agit notamment des aspects de gouvernance : c’est la fin de cette gouvernance bicéphale commune-canton, qui est assurément l’un des éléments qui a conduit à la paralysie et à l’absence de choix stratégiques et qui explique une partie des difficultés du site de Beaulieu.
Je ne reviendrai pas sur les propos inexacts tenus par l’un ou l’autre des députés. Par exemple, ce que faisait exactement la secrétaire de l’un des représentants du Conseil d’Etat. Je ne reviendrai pas non plus sur les liens entre le Conseil d’Etat et ses représentants. Je crois que Mme la présidente a corrigé les faits. J’aimerais néanmoins revenir sur un élément fondamental : sans exonérer quiconque de ses responsabilités ou d’une absence de vue stratégique, force est d’admettre que la gouvernance de Beaulieu et – comme l’a dit le représentant du groupe des Verts – le caractère identitaire de Beaulieu et du Comptoir suisse ont amené toutes les collectivités publiques à tenter de sauver ce qui aujourd’hui – et je précise bien, aujourd’hui – apparaît comme n’étant pas « sauvable », non pas parce que des moyens insuffisants auraient été mis, mais parce que la société a profondément changé. Les difficultés de Beaulieu sont probablement l’un des derniers éléments d’une profonde mutation du canton de Vaud sur le plan économique, politique, mais aussi sur le plan de son fonctionnement et de son organisation. Il a été fait allusion au secteur bancaire, on pourrait aussi citer le secteur de la presse ou la composition du Parlement. En 20 ou 25 ans, il y a eu une profonde mutation de ce canton sur le plan sociologique. Assurément, le mode de gouvernance de Beaulieu, qui résultait de l’Ancien Monde – si vous me passez cette expression – a perduré trop longtemps. Vous pouvez reprocher au Conseil d’Etat, et à votre serviteur, d’avoir tiré la prise trop tard, mais je constate que personne dans cet hémicycle ou ailleurs n’envisageait au départ de mettre un terme au Comptoir suisse. Encore une fois, ce dernier relevait un peu de l’identité de ce canton. Comme l’a très bien dit M. le député Chollet, c’était l’une des bases de l’économie, de la typicité et de la population de ce canton.
Cela ne doit pas exonérer les responsables politiques, qu’ils soient communaux ou cantonaux, du reproche d’une absence de vision. Néanmoins, cette absence de vision apparaît aujourd’hui, a posteriori. En 2009 – vous pouvez relire les débats sur le dernier décret financier qui a été présenté au Grand Conseil – tout le monde s’est rangé derrière le projet du Conseil d’Etat, ou en tout cas une grande majorité de ce Parlement.
En ce qui concerne les enseignements tirés de cette affaire, je crois que la Commission de gestion les a soulignés, reprenant d’ailleurs à son compte un certain nombre de réformes initiées par le Conseil d’Etat à la suite de l’analyse qui a été faite par le gouvernement du dossier de Beaulieu, qu’il s’agisse du renoncement à une dilution des responsabilités entre collectivités publiques cantonales et communales, qu’il s’agisse des lettres de mission, qu’il s’agisse de la formation des représentants du Conseil d’Etat dans les différents organes dans lesquels ils sont nommés ou qu’il s’agisse du suivi des participations. Vous allez me dire que tout ça est bien tardif… Je le concède volontiers, mais que celui qui n’a jamais péché me jette la première pierre. Finalement, c’est bien sur la base d’un certain nombre de constats ou d’expériences – nous parlons de « fautes », les Américains parlent d’« expériences » – que nous avons pu améliorer les règles régissant les participations qu’elles soient financières ou personnelles.
Si vous le permettez, je terminerai en appelant les députés et les observateurs à un peu de prudence sur le fait de qualifier Pierre, Jacques ou Jean de lampiste, de porteur de chapeau ou de fusible. Il y a aujourd’hui une enquête pénale ouverte. La séparation des pouvoirs, qui s’impose au Parlement et au gouvernement à l’endroit de l’action de l’Ordre judiciaire, devrait amener les uns et les autres à un peu plus de modération. Il sera temps, au moment où les tribunaux se seront déterminés sur les responsabilités des uns et des autres, d’émettre des jugements péremptoires. D’ici là, je souhaite que cette séparation des pouvoirs, qui est aussi une règle institutionnelle fondamentale, soit respectée par les uns et les autres.
En résumé, le Conseil d’Etat a pris acte des conclusions de la Commission de gestion. Il remercie encore une fois cette dernière et constate que – madame la présidente, je m’exprime sous votre autorité – les mesures de correction que vous appelez de vos vœux sont celles qui ont déjà été très largement adoptées par le Conseil d’Etat. Sur cette question au moins, il y a une unité de vue. Je ne sais pas si elles suffiront à éviter toute problématique. Je crois que la perfection n’est pas de ce monde, mais que la sagesse consiste à savoir tirer des enseignements des erreurs passées et d’essayer, dans toute la mesure du possible, que ces erreurs ne se répètent pas à l’avenir.
Retour à l'ordre du jourLa discussion est close.
Le Grand Conseil accepte les conclusions de la Commission de gestion par 104 voix et 12 abstentions.