24_INT_168 - Interpellation Mathilde Marendaz - Conditions de détention illicites : quelle transparence et quelles voies de recours pour le respect des droits des personnes ? (Développement).
Séance du Grand Conseil du mardi 3 décembre 2024, point 9 de l'ordre du jour
Texte déposé
Depuis un certain nombre d’années, il existe plusieurs lieux de détention dans le Canton de Vaud, dont les cellules et les conditions de détention sont illicites et contraire aux droits humains. Différents critères sont pris en considération pour évaluer l'illicéité, impliquant la violation du droit : taille de la cellule, chauffage, isolation, nombre de personnes détenues, existence de sanitaires, etc..
Plusieurs cellules sont concernées, en particulier dans les établissements de détention courte et du Bois-Mermet, notamment en raison de leur vétusté, de leur taille trop petite, et de la surpopulation carcérale (liée en partie à la sur-incarcération). Il n’existe pas de voie de droit effective (administrative ou judiciaire) pour contester des conditions de détention illicites et obtenir leur mise en conformité et le respect des droits fondamentaux. Les personnes détenues dans des conditions illicites doivent faire constater le caractère illicite de leurs conditions de détention soit durant leur procédure pénale, avant qu’un jugement au fond n’ait été rendu (c’est à dire qu'avant que leur condamnation n’ait été prononcée), soit en ouvrant une action en responsabilité de l'Etat, dont les conditions sont restrictives, durant ou après leur détention. Dans ces deux cas de figure, des écueils existent qui empêchent les personnes détenues de faire vraiment valoir leurs droits.
Encore faut-il que ces personnes soient informées de l’existence de ces droits : qu’elles sachent quels sont les facteurs permettant de conclure à l'illicéité des conditions de détention ; et si ils/elles sont défendu·e·s, que leurs avocat·e·s requièrent spécifiquement les informations requises sur les conditions de détentions, ou que le Ministère public ou les juges demandent au lieu de détention qu’il indique ces éléments pour qu’ils soient versés au dossier. En pratique, l’examen de ces facteurs qui doit intervenir en principe d’office est régulièrement oublié par ces acteurs lors des procédures de jugement et, lorsque le séjour dans une cellule illicite intervient postérieurement au jugement, quasi impossible à faire constater (cf. Loïc Parein, L’impossible constat des conditions de détention illicites dans le canton de Vaud, in : plaidoyer 2024/3). Pourtant, comme cela a été rappelé dans la jurisprudence constante de la Cour d’appel pénale et notamment dans un arrêt du 16 aout 2021/247, en particulier le temps passé en Zone carcérale après 48h est illicite et donne droit à une réduction de peine correspondant à 1/2 du nombre de jours passés sur place. La jurisprudence considère également que, dans l’établissement du Bois-Mermet où des cellules sont métriquement inférieures à 4m2 par personne, une réduction de peine d' ¼ par jour doit être accordée aux détenu·e·s. En outre, lorsque l’on calcule les métrés des cellules, si les sanitaires sont dans la même pièce, il faut encore déduire de l'espace, à raison d'1,5m2 en moins sur la taille de la cellule (TF 1B_325/2017). L’existence d’un rideau ignifuge ne change rien au caractère illicite (TF 1B_70/2016 du 24 juin 2016, c. 3). Dans un tel contexte, connaître les tailles en métrés des cellules, et celles qui sont dépourvues de parois pour séparer les sanitaires (les simples rideaux ignifugés étant également illicites), ainsi que le relevé des températures des cellules, l’existence de fenêtres, etc., sont des éléments essentiels pour le respect des droits des personnes détenues (en lien avec l’art. 431 CPP) et leur défense. C'est l'objet de cette interpellation qui demande que ces informations soient publiques.
Il n’existe par exemple pas à ce jour de liste accessible des cellules dont on sait que les métrés sont inférieurs au 4m2 minimaux par détenu, ni de celles qui ont un rideau ignifuge, ni de celles dont les températures ou l’éclairage naturel sont insuffisants, etc. Ces informations sont uniquement indiquées sur demande au cas par cas, par les établissements pénitentiaires, dans le cadre d’une procédure judiciaire. Pourtant, une telle liste est essentielle à l’exercice de leurs droits par les personnes détenues et devrait par conséquent leur être accessible et être publique.
En effet, il existe un intérêt public important, dans une société démocratique, à ce que l’Etat rende public et informe la population sur les établissements pénitentiaires ne respectant pas les droits des personnes détenues. L’absence de voies de droit accessible et effective pour contester des conditions de détentions rend difficile, voire impossible pour les personnes détenues de se plaindre de ces conditions de détention illicites, ni même pour savoir quelle est l’autorité compétente pour traiter de leur plainte (cf. Parein, op. cit). La CourEDH a souligné que le manque d’accès aux juges pour les personnes détenues viole l’art. 13 CEDH (cf. arrêt I. L du 20 février 2024). A cet égard, on ne peut que soutenir la critique énoncée par Parein (op. cit), et enjoindre le Canton de Vaud à créer et garantir une voie de droit effective et accessible pour permettre aux personnes détenues de contester leurs conditions de détentions et demander le respect de leurs droits fondamentaux, par exemple de prévoir que telle pourrait être la la compétence d’un tribunal d’application des peines pour connaître violations des droits des personnes détenues en détention sur le modèle de ce qui se fait d’ores et déjà en Valais (cf. 86a de l’ordonnance du canton du Valais sur les droits et les devoirs de la personne détenue). De même, il est inadmissible que le Canton, par la DGAIC, refuse d’indemniser des détenu·e·s ayant séjourné·e·s en cellule illicite lorsqu’elle estime que cette durée ne serait pas assez longue pour justifier une compensation.
En définitive, il s’agit de reconnaître que les personnes détenues sont vulnérables face aux conditions de détention et surtout à la complexité des procédures de recours, et de prendre des mesures pour leur garantir des voies de droits effectives et accessibles pour qu'iels puissent demander le respect de leurs droits. La transparence et l’effectivité des voies de recours sont essentielles pour garantir le respect des droits humains fondamentaux. Des mécanismes clairs et accessibles pour les détenu·e·s peuvent contribuer à apaiser le sentiment d'injustice et à réduire les tensions au sein des établissements pénitentiaires.
J'ai l'honneur de poser les questions suivantes au Conseil d'Etat :
- Le Conseil d’Etat peut-il rendre publique la liste des cellules illicites dans les établissements vaudois, précisant leur taille (métrés), et leurs caractéristiques (température, séparation des sanitaires, rideaux, fenêtres, ou non)?
- Si la liste n’existe pas, les établissements concernés acceptent-ils de générer un document sur la base des données existantes concernant les dimensions et les caractéristiques cellules par cellule des établissements, comme ils le font déjà à l’attention des autorités judiciaires, et l'Etat de le rendre public ?
- Quelles sont les voies de droit qui existent dans le Canton pour les personnes détenues pour se plaindre de leurs conditions de détention, en obtenir une modification et respectivement une réparation, tant avant, qu’après, qu’un jugement au fond ait été prononcé ?
- Auprès de quelle autorité et à quelles conditions des personnes détenues peuvent-elles obtenir la modification et la mise en conformité de leurs conditions de détention avec les exigences légales et conventionnelles, et ainsi le respect de leurs droits humains fondamentaux ?
- De quelles manières et dans quelles langues les informations précises sur les conditions de détention et l'illicéité des cellules sont-elles systématiquement communiquées aux personnes qui sont défendues par un·e avocat·e d’office ou à celles qui sont dépourvues de défenseurs ou de défenseuses, par exemple en l’indiquant sur l’ordre d’écrou ou sur toute autre décision relative à l’exécution de la peine ou les conditions de détention?
- Comment le Conseil d'État permet-il de vérifier, de manière publique, les tendances d'utilisation des voies de droit - par exemple sous la forme de statistiques sur les recours des personnes détenues(nature des plaintes, nombre de recours, délai de traitement, issue des recours) ?
- De quelles manières les formulaires de plaintes et de contestation sont-ils standardisés au maximum et rendu disponibles dans toutes les langues pertinentes et ainsi, un accès facilité et accéléré aux procédures garanti ?
Conclusion
Souhaite développer