23_POS_45 - Postulat Cédric Weissert et consorts - La transparence des deux côtés du miroir.

Séance du Grand Conseil du mardi 23 mai 2023, point 15 de l'ordre du jour

Texte déposé

En début de chaque législature, les députées et députés doivent déclarer leurs liens d’intérêts dans un registre public et sont tenus de le mettre à jour. Cette pratique est conforme au principe de transparence qui prévaut dans notre démocratie.

Dans le même état d’esprit que ce qui vaut pour les députées et députés, les motionnaires demandent la création d’un registre des intérêts pour les journalistes employés ou mandatés par des éditeurs dont les médias perçoivent des aides publiques cantonales au sens de l’EMPD adopté par le Grand Conseil le 9 mars 2021 en réponse au postulat 17_POS_238 ou qui sont soumis à des obligations de service publique en raison de la perception d’une concession ou d’une subvention.

Cette demande est conforme au principe de transparence qui prévaut dans notre démocratie et conforme aux devoirs des journalistes tels que prévus par le Conseil suisse de la presse (art. 9.2 Liens d’intérêt, page 34, https://presserat.ch/wp-content/uploads/2017/08/Meilensteine_fr.pdf) qui dit : « A l'instar des membres du parlement, les membres d'une rédaction devraient rendre publics les intérêts qui les lient (appartenance à un parti, au comité d'associations et à des conseils d'administration). Les rédactions doivent publier à intervalles réguliers les listes y relatives. »

Les motionnaires demandent le renvoi en commission afin de définir le périmètre exact dudit registre des intérêts des journalistes.

Conclusion

Renvoi à une commission avec au moins 20 signatures

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Yvan PahudUDC
Jean-Luc BezençonPLR
Nicolas GlauserUDC
Florence GrossPLR
Werner RiesenUDC
Alexandre BerthoudPLR
Georges ZündPLR
Nicolas BolayUDC
Sacha SoldiniUDC
Jean-François CachinPLR
Yann GlayreUDC
José DurusselUDC
Jean-François ThuillardUDC
Sylvain FreymondUDC
Maurice NeyroudPLR
Pierre-Alain FavrodUDC
Aliette Rey-MarionUDC
Anne-Lise RimePLR
Jean-Bernard ChevalleyUDC
Dylan KarlenUDC
François CardinauxPLR
Jean-Daniel CarrardPLR
Céline BauxUDC

Documents

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. Alberto Mocchi (VER) — Rapporteur-trice de majorité

La commission s’est réunie le jeudi 1er septembre 2022 en présence notamment de Mme la conseillère d’Etat Christelle Luisier Brodard. M. Yvan Cornu, secrétaire de la commission, a tenu les notes de séance ; qu’il en soit remercié. Le motionnaire a indiqué en préambule que l’objet parlementaire visait l’instauration d’un registre des intérêts pour les journalistes employés ou mandatés par des éditeurs dont les médias perçoivent des aides publiques cantonales au sens du projet de décret (190) adopté par le Grand Conseil en mars 2021 ou qui sont soumis à des obligations de service public en raison de la perception d’une concession ou d’une subvention. Il a tenu à préciser qu’il ne s’agissait en aucun cas d’une attaque contre le métier de journaliste, mais plutôt d’un moyen de faire regagner à ce dernier la confiance du public. Afin de mettre en perspective leurs prises de position, les parlementaires doivent annoncer leurs intérêts. Par conséquent, selon le motionnaire, il est primordial que le monde journalistique en fasse de même. Le motionnaire a également souhaité revenir sur le point 9.2 « liens d’intérêt », document intitulé « devoirs des journalistes » du Conseil suisse de la presse et en a donné la lecture en commission.

Dans le cadre des entreprises de médias, Mme la conseillère d’Etat dit compter sur l’autorégulation et penser qu’il n’est pas toujours nécessaire ni proportionné que les autorités politiques interviennent sur ces problématiques, d’autant plus si les règles sont déjà édictées par les acteurs de la branche concernée. Tout en comprenant et souscrivant à l’intérêt public ainsi qu’à la volonté de transparence, la conseillère d’Etat s’est dit également attachée à la liberté de la presse et d’entreprise. Elle a ainsi indiqué qu’à son sens, il conviendrait au moins de transformer cette motion en postulat, puisqu’il serait peut-être intéressant de dresser un panorama de ce qui existe en la matière.

La majorité de la commission a estimé qu’il n’était ni nécessaire ni souhaitable de créer un registre des intérêts des journalistes et que ce postulat s’avérait ainsi peu opportun. L’argument principalement avancé a été celui de la liberté de la presse qui doit pouvoir rester indépendante de toute pression politique. Les commissaires ont également fait remarquer que des journaux publiaient ce qui a trait aux commentaires, éditoriaux et autres billets d’humeur en séparant clairement cela des autres articles factuels dans lesquels s’appliquait une neutralité journalistique. Par ailleurs, les médias hors service public doivent pouvoir être libres de prendre position sur des sujets d’actualité et adopter parfois des positions partisanes. Les lectrices et lecteurs savent a priori faire la part des choses et différencier un commentaire d’une information factuelle.

Enfin, la mise en place d’un tel registre semblait compliquée et son contenu difficile à contrôler. A l’issue des discussions en commission, le motionnaire a formellement décidé de la transformation de sa motion en postulat. Le député accepte aussi la proposition de ne pas limiter cette exigence de transparence aux journalistes des médias qui reçoivent des aides publiques. Par 5 voix contre 4, la commission recommande au Grand Conseil de ne pas prendre en considération cette motion transformée en postulat.

M. Jean-Rémy Chevalley (PLR) — Rapporteur-trice de minorité

Si les commissaires de minorité se sont immédiatement ralliés au principe de transformation de la motion en postulat, ils ne se sont pas associés à l’esprit de la majorité, parce qu’il paraîtrait de bonne forme d’obtenir un rapport du Conseil d’Etat sur les pratiques actuelles et, en particulier, sur les règles de formation de déontologie, ce qui permettrait d’avoir un aperçu de la manière dont les directives du Conseil suisse de la presse sont appliquées sur le terrain. Mme Myret Zaki, en tant qu’oratrice invitée du 28 février dernier, a également conforté notre prise de position lors de l’atelier FPA !, ateliers de formation « faites le plein d’acouet ! » organisés par le Bureau (et destinées à la députation, n.d.l.r). A la question qui lui a été adressée sur ce qu’elle pensait d’un registre des intérêts pour les journalistes, cette dernière a répondu que cela permettrait d’établir un climat de confiance entre la personne qui fournit l’information et celle qui la transmet à l’ensemble de la population. Ainsi, ce registre des intérêts permettrait d’établir une certaine confiance et s’avérerait très bénéfique pour la presse ; raison pour laquelle la minorité vous demande de suivre son rapport.

M. Laurent Miéville (V'L) — Premier vice-président

La discussion est ouverte.

M. Cédric Weissert (UDC) —

Je remercie les deux auteurs des rapports qui reflètent bien la teneur de nos discussions en commission. Comme évoqué, à aucun moment, mon souhait n’a été de m’attaquer au métier de journaliste, mais plutôt d’offrir une transparence telle que nous la connaissons pour notre activité de politicien. A la suite des discussions tenues en commission, j’ai accepté de transformer cette motion en postulat afin de répondre aux craintes de certains commissaires de limiter cet éventuel registre aux seuls journalistes touchant des aides publiques, ce qui laisse de facto une certaine liberté au Conseil d’Etat pour le traitement de ce postulat. Par exemple, il permettrait de recenser les règles déjà mises en place au sein des rédactions, mais aussi de savoir comment les journalistes sont formés sur cette question importante et sensible de la relation entre le métier de journaliste et la politique au sens large.

Comme évoqué dans les rapports, je rappelle que le Conseil suisse de la presse mentionne en son point 9.2 qu’à l’instar des membres du Parlement, ceux d’une rédaction devraient rendre publics les intérêts qui les lient, comme le fait d’être membre d’un parti, d’un comité d’association ou d’administration. Les rédactions doivent publier à intervalles réguliers les listes y relatives. C’est donc bien le Conseil suisse de la presse qui prône ce type de registres, et je ne crois pas qu’on puisse le positionner à droite de l’échiquier politique. En outre, dans une interview parue dans l’émission « Forum » datant de mai 2022, M. François Pilet, journaliste d’investigation et fondateur de Gotham City, revue d’investigation spécialisée dans la criminalité économique, était interrogé sur le vote du national permettant d’interdire un article de presse plus facilement. A la fin de cet entretien, le journaliste de « Forum » lui demandait ce qu’il pensait de la motion déposée dans notre canton et objet de notre présent débat. M. Pilet s’y déclarait favorable, estimant que ce qui est demandé aux politiques devrait l’être également aux journalistes. Cela démontre bien que ce type de registres est également bien perçu par un certain nombre d’acteurs concernés du métier. Il est possible, voire probable, que certaines rédactions possèdent déjà des règles relativement restrictives sur la question ; mais comment le savoir à l’heure actuelle sans un postulat qui permettrait de dresser un état des lieux de la situation et pourrait faire partager les bonnes pratiques ? Il permettrait aussi de lever les idéologies autour de la question et, si nécessaire, d’intervenir pour unifier les pratiques. Je vous remercie par avance pour votre soutien à ce postulat qui permettrait d’y voir plus clair sur cette question importante et destinée à apaiser le débat public.

M. Jean-Daniel Carrard (PLR) —

Pour autant qu’il s’agisse d’intérêts, je les déclare comme membre de la commission. Il a été beaucoup question d’opposer la liberté d’expression à la transparence, ce qui est, à mon sens, erroné. La transparence qui nous est demandée et qui pourrait être réclamée aux journalistes par l’instauration d’un registre des intérêts ne doit pas bloquer le travail d’investigation de ces derniers, et par là même leur travail, mais servir à poser les bases d’une relation de confiance. Nous en avons fait de même avec les partis politiques en mettant à jour leur financement sans pour autant les brider dans leur action. Ainsi, cette motion transformée en postulat offre la possibilité d’étudier cette idée sans pour autant être contraignante.

Elle permettrait aussi, comme indiqué dans le rapport de minorité, de demander leur avis aux professionnels de la branche, à savoir les journalistes et ainsi de « connaître l’avis des deux côtés du miroir », pour pasticher le motionnaire. Nous ne devons pas craindre de procéder à une introspection dans ce domaine ni de fâcher éventuellement les journalistes – on les adore et cela ne devrait en rien changer la relation professionnelle que le Parlement entretient avec ces derniers. En conclusion, discutons ensemble et appuyons le rapport de minorité en renvoyant ce postulat au Conseil d’Etat.

M. Vincent Keller (EP) —

Dernièrement, j’ai lu un article du journal Le Courrier ; tous les journalistes du monde sont des gauchistes ! Même une étude le dit pour la SSR ! « Gauchisation » des médias, formatage de la population et pensée unique… ! Alors, dorénavant, moi, je procède à mes propres recherches par moi-même sur Facebook. J’y ai trouvé le blog de Marie-Lucette de Bremblens – j’ignore si vous la connaissez – qui à côté de sa délicieuse recette de sablés au chocolat parle enfin de la véridique vérité vraie qu’on nous cache dans le narratif officiel ! Un brin caricatural… il est vrai ; mais j’ai tellement entendu le mot confiance que je souhaitais amener cette discussion vers un côté qui peut paraître drôle, mais qui, au fond, ne l’est pas – car finalement pas tellement caricatural dans ce domaine – celui des fake news et des bulles de filtre qui sont à combattre. Et, ce combat est difficile. Si vous n’êtes pas convaincu, référez-vous à la Loi de Brandolini.

Sur le long terme, seule l’éducation peut fonctionner. Alors, aujourd’hui, quoi de mieux que d’accéder à un panorama de médias différents abordant un même événement sous différents angles, voire avec différentes sensibilités politiques ? Et, surtout, faire appel à la pensée critique. Exprimer un désaccord relativement à un article ne signifie pas forcément conflit d’intérêts chez celui ou celle qui l’a écrit. Il existe peut-être des faits, des preuves, des observations qu’une vision de politicien ne peut ou ne veut intégrer à son logiciel de pensée, au hasard, le réchauffement climatique. Je déclare mes intérêts comme abonné à plusieurs quotidiens, hebdomadaires ou mensuels, notamment 24heures, Vigousse et La Nation ; vous en conviendrez, cela me fournit un large panel de sensibilités politiques. Si j’admets que la diversité de la presse romande n’est plus ce qu’elle était, là ne réside toutefois pas le débat. La caisse de résonance des réseaux sociaux attire de plus en plus de Vaudoises et de Vaudois vers des contenus souvent de faible qualité qui les éloignent d’un travail journalistique professionnel, puisque tout le monde peut y publier n’importe quoi. Les réseaux sociaux les rapprochent dangereusement des fake news et les confinent dans les bulles de filtre dont je parlais plus haut.

Le groupe Ensemble à Gauche et POP soutiendra le rapport de majorité, convaincu que la liberté de la presse est un bien très précieux qu’il ne faut en aucun cas museler. Même si en la matière notre pays est bien placé au classement mondial – 14e – nous pouvons faire mieux. Et, ce n’est certainement pas en jetant l’opprobre sur une profession que nous y parviendrons. D’autres pays s’y essaient, mais ne sont pas en tête du classement. Comme nous trouvons inacceptable que le Conseil d’Etat s’immisce dans les affaires du Grand Conseil, le 4e pouvoir ne doit souffrir de la moindre ingérence de la part du Grand Conseil. Nous suivons les services de l’Etat qui estiment que l’on peut compter sur une liberté totale, mais régulée par ceux qui doivent en profiter, c’est-à-dire eux-mêmes ! Et, pour nous, cela est suffisant, d’autant plus qu’il existe déjà des cautèles à cette liberté autorégulée que le rapport de majorité a listées avec notamment la déclaration des droits et des devoirs des journalistes. Peut-être que l’UDC et les nombreux signataires de droite devraient accepter avec plus de bienveillance le fait qu’une ou un journaliste est aussi – je vous l’apprends ! – un être humain avec sa sensibilité et qu’il ou elle a aussi le droit de vote. « L’objectivité ne signifie pas impartialité, mais universalité » pour citer Raymond Aron – grand intime de Jean-Paul Sartre. Peut-être n’est-il point besoin de s’acheter des rédactions et laisser écrire sans sourciller que nous sommes les Grecs de la Suisse, avec un « g » majuscule !

Le groupe Ensemble à Gauche et POP vous propose de suivre la majorité de la commission et de classer cette motion transformée en postulat.

M. Alexandre Berthoud (PLR) —

J’ai signé ce texte, parce que je considère qu’il est important d’entendre des considérations différentes. Ensuite, pour cette séance de commission, je peine à comprendre l’absence d’auditions, notamment des acteurs de la branche qui auraient permis de faire connaître leur position, puisqu’on parle de quatrième pouvoir – nous avons entendu les propos bienveillants de M. Keller. Nous aurions pu partager avec eux certains principes, notamment, dans le fond, comment notre presse possède un code de déontologie ou des registres d’intérêts et comment ils sont mis en place. Cela m’intéresserait beaucoup. Fondamentalement, le Parlement doit traiter les textes qui lui sont soumis. Comme nous n’avons aucune réponse à ces questions et qu’il existe un rapport de majorité et de minorité, j’estime qu’il est opportun de laisser faire le gouvernement et de maîtriser les conditions et les positions des journalistes, celles des acteurs de la branche, celles du Conseil de la presse. Je me réjouis de pouvoir consulter un rapport. A ce titre, je vais évidemment me prononcer en faveur du rapport de minorité.

Mme Sylvie Pittet Blanchette (SOC) —

Comme membre de cette commission, en demeurant brève, je souhaite dire que la liberté de la presse doit être garantie, que la méfiance ne doit pas être jetée sur cette profession. Ainsi, cette motion – même transformée en postulat – est irrespectueuse de la déontologie existante de la profession. Le groupe socialiste et moi-même vous invitons à suivre le rapport de majorité et à classer ce texte.

M. Cédric Weissert (UDC) —

Pour revenir sur l’intervention de notre collègue Keller qui s’avère aussi valable pour celle de Mme Pittet Blanchette, monsieur Keller êtes-vous bridé dans vos propos par l’annonce de vos intérêts ? Je ne le crois pas. Par conséquent, je ne vois pas en quoi un journaliste le serait par une annonce de ses intérêts. Il est parfaitement erroné de dire que la liberté d’expression serait mise à mal par ce postulat.

M. Jacques-André Haury (V'L) —

Je suis sensible aux réflexions de M. le député Berthoud, pour une fois. Il me semble qu’une autre notion devrait être éclaircie : celle de journaliste accrédité. Je considère que cette notion au sein d’une république ou d’une démocratie sent un peu le totalitarisme. Si la prise en considération de ce postulat permet aussi d’expliciter cette notion, alors elle me paraît opportune.

Mme Céline Baux (UDC) —

Pour compléter les propos de M. Berthoud, Mme Myret Zaki, à qui on avait posé la question dans le cadre d’un atelier FPA !, s’était prononcée tout à fait favorablement à l’idée et ne considérant pas que cela pouvait brider la liberté de la presse. Pour ma part, je soutiendrai ce postulat.

Mme Muriel Thalmann (SOC) —

J’aimerais préciser que l'opinion de Mme Myret Zaki ne reflète pas l’ensemble de la presse ; je ne considère pas que nous puissions nous baser sur une seule opinion pour indiquer que toute la presse abonde dans ce sens. J’aimerais rappeler que la liberté de la presse est sacro-sainte et qu’il s’agit d’être très précautionneux lorsqu’on souhaite agir à ce niveau.

M. Arnaud Bouverat (SOC) —

Lorsque je lisais dans plusieurs titres vaudois sous la plume de certains journalistes membres de sociétés industrielles ou commerciales, il m’est arrivé de m’enrager à les entendre plaider l’intérêt des sociétés industrielles et commerciales, sans mention aucune que ces gens-là représentent leur titre auprès de ces sociétés. J’ai enragé… tout en ayant la possibilité de répondre via le courrier des lecteurs, dans une tribune, dans un communiqué, pour faire entendre notre voix, c’est-à-dire celles de syndicats dont je défends les intérêts. Or, je considère que ce débat populaire vaut mieux que celui d’un registre pour lequel il faudra m’expliquer comment nous allons le contrôler tout en respectant la liberté des médias, et comment nous allons vérifier que les journalistes ont bel et bien complété l’ensemble de leurs intérêts auprès d’associations ou d’ONG. Je nourris passablement de doutes quant à la mise en œuvre de ce registre.

De plus, lorsque je constate que les propositions de registres émanent des mêmes partis qui coupent les moyens des services publics qui garantissent aujourd’hui la meilleure pluralité de la presse au vu de la concentration des capitaux auxquels nous avons affaire dans les médias, je m’inquiète de l’avenir de notre démocratie. Nous nous attaquons de toute évidence aux médias et, simultanément, l’ensemble des observateurs constate que la montée en puissance des réseaux sociaux amène aujourd’hui quantité de fake news auxquelles personne ne pense attribuer un quelconque contrôle démocratique, aucun registre d’intérêt, aucune transparence finalement sur les conflits d’intérêts qui y figurent. Je constate que nous avons intérêt, nous, politiques, à garantir une liberté de la presse la plus grande possible. Je ne vois pas comment nous pourrions nous y employer forts de la volonté policière d’introduire un registre. En revanche, je considère que des responsabilités sont à prendre au niveau des corporations de journalistes pour garantir l’indépendance des médias et la pluralité de la presse. Toutefois, ce n’est pas grâce à des mesurettes cantonales et policières que nous y parviendrons.

M. Loïc Bardet (PLR) —

Je déclare mes intérêts comme siégeant au Conseil des actionnaires du Journal Agri qui, comme La Nation ou Le Courrier, déclare clairement ses intérêts et ses orientations. Je pensais déposer une motion d’ordre, mais puisque je suis le dernier je peux m’abstenir.

Mme Christelle Luisier Brodard (C-DITS) — Président-e du Conseil d’Etat

La position du Conseil d’Etat est connue et fut clairement exprimée au sein de la commission. Les deux principes évoqués par les deux bords de l’hémicycle sont tout à fait dignes d’intérêt : d’une part, celui de transparence et, de l’autre, celui de liberté de la presse. Ces deux éléments doivent être pris en considération, et des équilibres trouvés. Relativement à la transparence, il s’agit clairement d’un élément dont l’importance a crû ces dernières années, par exemple à l’aune de la modification de la Loi sur l’exercice des droits politiques et du financement des partis, qui a clairement démontré un besoin accru en termes d’intérêt public pour maintenir la confiance entre les citoyens et les institutions, de la même manière qu’il s’agit de la préserver entre la population et les organes d’information. Dans ce cadre, la transparence en termes de registre d’intérêts déclarés par les milieux des médias sont aussi des éléments importants, qu’il s’agisse d’une presse d’opinion ou de médias dits généralistes ; l’intérêt de la transparence demeure.

Ainsi, la question posée propose d’intervenir par le biais étatique par un registre des intérêts. A ce titre, je suis bien heureuse que cette motion ait été transformée en postulat, car cela permet de définir la limite de ce qui est demandé par le texte. Un postulat nous permettra de reprendre cette question d’un point de vue différent. En effet, il s’agit de manier avec délicatesse les principes et les équilibres institutionnels. La transparence – via la déclaration des intérêts – est digne d’intérêt s’il ne s’agit pas d’une presse d’opinion. Respectivement, il existe dans notre démocratie un intérêt majeur à garantir la liberté du journaliste, celle de la presse. Les équilibres à trouver entre ces deux principes constitutionnels ou fondateurs s’avèrent extrêmement sensibles : cela requiert beaucoup de doigté. Le fait d’introduire un registre des intérêts de la part de l’Etat ou du Canton, avec « c » majuscule, nécessiterait une base légale, un intérêt public et le respect de la proportionnalité. Si l’on peut imaginer une base légale allant dans le sens de l’intérêt public lié au principe de transparence tout en garantissant l’intérêt des médias et la bonne information du public, est-ce réellement par le biais d’un registre que nous atteindrons le but recherché ?

A ce stade, je me permets une petite parenthèse personnelle d’un point de vue philosophique. En effet, j’estime que l’Etat, en tant que tel, n’a pas pour vocation d’intervenir partout et constamment au sein des entreprises privées et qu’il existe, pour ce faire, d’autres règles : celles d’autorégulation ; il s’agit d’ailleurs du principe ayant prévalu pour que le Conseil fédéral – à qui ce type de demandes avait été adressé – ne souscrive pas à une telle demande de registre d’intérêts. Pourquoi ? Parce qu’ici comme dans beaucoup d’autres domaines dans notre pays – on pense notamment aux conventions collectives de travail – on estime qu’il existe des possibilités d’autorégulation sans intervention de l’Etat sur les entreprises, respectivement sur la liberté des médias. Les règles d’autorégulation ont été rappelées clairement dans le cadre des débats en commission. Ces dernières portent notamment sur le fait de ne pas avoir de fonction publique ou de ne pas être membre d’un parti ou en tous les cas pas d’un comité directeur de parti, ce sans revenir sur l’ensemble des éléments. S’il y a lieu d’une intervention pour garantir cette indépendance, elle retourne des médias relativement à leurs propres règles de déontologie et en termes de proportionnalité par rapport à une intervention étatique.

Si le postulat vise à un état des lieux, un panorama des règles de déontologie qui existent aujourd’hui, quel que soit le type de médias, subventionnés ou non – parce que le type d’intérêt public visé n’est pas le fait de l’argent ou non octroyé à un média, mais plutôt la garantie de l’indépendance journalistique – alors cela est envisageable. Toutefois, s’il s’agit d’aller plus loin et de viser une intervention étatique dans le cadre d’entreprises, alors il nous paraît que la proportionnalité ne serait pas respectée.

Ainsi, si ce postulat nous est renvoyé, nous le traiterons dans ce sens, c’est-à-dire dans celui d’un recensement des règles d’autorégulation qui existent dans le canton, mais en maniant tout ceci avec énormément de prudence de façon à ce que nous puissions garantir l’indépendance des médias. Dans un système démocratique, nous avons toutes et tous intérêt à ce que ce principe soit respecté, qu’il s’agisse de grands ou de petits médias. Enfin, précisons que plus les médias sont locaux et implantés dans un territoire local avec des journalistes qui appartiennent à ce territoire local, plus vous pouvez trouver des implications dans la vie locale et dans la vie de la collectivité, ce qui participe à la richesse de ce canton. Une fois encore, il s’agit d’une motion transformée en postulat, si ce texte nous est renvoyé, nous veillerons à le traiter à la fois sur la nécessité de transparence, mais aussi en respectant l’indépendance journalistique.

M. Laurent Miéville (V'L) — Premier vice-président

La discussion est close.

Le Grand Conseil prend le postulat en considération par 72 voix contre 55.

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