22_LEG_270 - EMPL Interdiction de la mendicité – Modification de la Loi pénale vaudoise (LPén) (1er débat).

Séance du Grand Conseil du mardi 17 septembre 2024, point 17 de l'ordre du jour

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Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
Mme Thanh-My Tran-Nhu (SOC) — Rapporteur-trice de majorité

La commission s’est réunie les 2 et 6 octobre 2023. Le conseiller d’Etat a présenté l’exposé des motifs et projet de loi en rappelant le contexte dans lequel il s’inscrit. Il a estimé que le projet de loi est équilibré dans la mesure où il respecte le principe de proportionnalité et est applicable sur le plan juridique.

Lors de la première séance, la commission a auditionné, pour l’Union des communes vaudoises (UCV), M. Grégoire Junod, vice-président de l’UCV et syndic de Lausanne, M. Eloi Fellay, directeur de l’UCV, et, pour l’association Opre Rom, Mme Véra Tchérémissinoff, présidente.

Du point de vue de l’UCV, plusieurs lieux ne sont pas assez précis dans le projet actuel et il a été proposé plusieurs modifications : notamment de concevoir l’entier du périmètre du marché, d’ajouter une précision sur le lieu de culte sauf autorisation expresse d’un responsable du lieu, de préciser la notion de proximité immédiate en la remplaçant par la mention « à moins de 5 mètres » et d’ajouter la notion de mendicité en groupe. Ces demandes de modifications ont été accueillies de manière partagée par les membres de la commission. S’agissant de l’association Opre Rom, sa présidente a indiqué que l’association ne s’opposait pas à une réglementation de la mendicité, mais qu’il fallait offrir une contrepartie aux Roms. Elle a rappelé le déficit de formation et la situation d’extrême précarité que vit cette population.

L’association Opre Rom, par la voix de sa présidente, a suggéré plusieurs voies de réflexion dans le cadre des travaux de la commission. S’il a été admis une interdiction de mendier aux endroits où de l’argent peut être manipulé – tels les bancomats, les bureaux de poste, les banques et les horodateurs – ou encore les lieux où les gens sont momentanément statiques et peuvent se sentir piégés tels les files d’attente, ce n’est pas acceptable de concevoir une interdiction sur l’entière surface du marché, les terrasses des cafés et restaurants ou encore les arrêts de bus.

Lors des discussions de la commission, de nombreux avis divergents et variés sont ressortis. Certains commissaires ont contesté les propositions de l’UCV, considérant que cela s’apparentait, d’une part, à sanctionner la mendicité passive et, d’autre part, à interdire tout le périmètre du centre-ville. D’autres commissaires ont soutenu les modifications de l’UCV, estimant que le Conseil d’Etat n’avait pas tenu compte des avis exprimés lors de la consultation. Enfin, d’autres commissaires ont pris une position plus restrictive, notamment en remettant en cause l’avertissement préalable prévu par l’article 23, alinéa 4, du projet de loi et en faisant part d’une volonté de faire fi de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) à laquelle la Suisse est rattachée.

Lors de la discussion sur les articles du projet de loi, la majorité de la commission a soutenu le changement de paradigme de départ de la loi, en modifiant l’article 23 alinéa 1, lettre e de la Loi pénale vaudoise (LPén), en ce sens que la mendicité est autorisée sous réserve des comportements de nature à porter atteinte à la liberté de choix du passant. Ainsi, le mot « interdite » a été supprimé. S’agissant de l’article 23, alinéa 2, de la LPén, une députée a d’abord déposé un amendement reprenant les propositions de l’UCV, sans la notion de 5 mètres. Un travail de réécriture par le Conseil d’Etat a abouti à un nouveau texte, repris par la même députée à titre d’amendement. Les lieux qui touchaient au domaine privé ont été retirés. Ainsi, l’article 23, alinéa 2, lettre a, a subi l’ajout de la notion de « mendicité déloyale et trompeuse » en sus de la « mendicité intrusive et agressive ». Cette modification figure tant dans le rapport de majorité que de minorité. La modification de l’article 23, alinéa 2, lettre b prévoit, en substance, l’entier du périmètre du marché ; s’y ajoutent de nouveaux lieux tels que les crèches, les immeubles d’habitation et de bureaux, les bâtiments et installations publiques, les établissements médicaux et de soins, les musées, les théâtres et les cinémas. Cet alinéa a été refusé par la majorité qui a estimé qu’il était disproportionné et manquait de cohérence par rapport au projet du Conseil d’Etat, lequel répondait à une logique claire de l’état captif de la personne face à une personne qui mendie. Enfin, la commission a recommandé l’entrée en matière sur ce projet de loi par 10 voix contre 2.

Mme Florence Bettschart-Narbel (PLR) — Rapporteur-trice de minorité

Je ne reviendrai pas sur les points relevés par la rapportrice de majorité, mais me pencherai exclusivement sur les questions qui se posent à la minorité. Tout d’abord, pour la minorité, il est clair que la législation vaudoise doit être adaptée à l’arrêt de la CEDH − l’arrêt Lacatus − selon lequel bien que l’interdiction de la mendicité soit une question ouverte, il faut la laisser ouverte, mais que des interdictions dans certains périmètres ne semblent pas être disproportionnées. Pour cette raison, j’avais déposé, à l’époque, une motion, traitée par cet exposé des motifs.

Lors des travaux de consultation, certains partis politiques dont le PLR, ainsi que l’UCV ont critiqué le projet mis en consultation par le Conseil d’Etat, considérant qu’il n’allait pas assez loin. Cette consultation a pris fin en août 2022 et le projet de loi est sorti en juillet 2023. Or, entre l’avant-projet et le projet de loi, un arrêt du Tribunal fédéral sur la loi bâloise de Bâle-Ville a validé le projet et la législation de ce canton sauf pour les parcs publics. Par conséquent, la minorité considère que le Conseil d’Etat aurait dû s’inspirer fortement de cet arrêt du Tribunal fédéral, qui valide la loi bâloise avec certains périmètres élargis comme le proposaient le PLR ou l’UCV. Il a aussi été constaté que depuis que la loi vaudoise sur l’interdiction de la mendicité n’est plus appliquée, la situation en ville de Lausanne s’est fortement dégradée. Il en va de même dans d’autres villes du canton, même si certaines statistiques ne semblent pas relevantes, puisqu’elles prennent comme mesure uniquement les personnes notifiées par la police. La population exprime un ras-le-bol général qui démontre qu’elle n’en peut plus de voir les rues de Lausanne ou d’autres villes peuplées de mendiants qui deviennent de plus en plus agressifs, utilisent aujourd’hui des méthodes déloyales et sont, par rapport à des populations vulnérables comme les personnes âgées, de plus en plus agressives. Nous avons reçu nombre de messages notamment de maraîchers, qui nous faisaient part de leurs préoccupations dans les marchés. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons proposé d’élargir le périmètre à l’entier des marchés. Lorsque la mendicité prend des proportions trop importantes, cela crée non seulement de l’insécurité, mais aussi des situations où les gens ne sont pas à l’aise dans l’espace public. Ils ont le sentiment que l’espace leur est confisqué, ils sont sans cesse dérangés pendant qu’ils font leur marché et se promènent dans la rue. Autant un peu de mendicité est comprise, autant ce n’est plus le cas lorsqu’elle n’est plus gérable et atteint certaines proportions en étant dérangé de manière très régulière et permanente, avec un sentiment d’impunité en raison de l’absence d’un cadre légal permettant de la réglementer.

Par conséquent, nous allons redéposer les amendements que nous avions déposés en commission et qui n’ont pas été acceptés, en particulier à l’article 23, alinéa 2, lettre b. Les amendements seront séparés en sous-amendements afin de nous prononcer périmètre par périmètre. Par ailleurs, nous reviendrons aussi sur l’article 23, alinéa 1, et le changement de paradigme, selon lequel la mendicité est autorisée. La minorité de la commission demande le retour au projet du Conseil d’Etat, car ce changement de paradigme ne nous paraît pas souhaitable et, surtout, il risque de provoquer des difficultés d’application par la police. C’est ce que je voulais expliquer concernant le rapport de majorité ; je reviendrai sur les amendements de manière plus précise par la suite.

M. Jean-François Thuillard (UDC) — Président-e

La discussion sur l'entrée en matière est ouverte.

M. Guy Gaudard (PLR) —

Ce sujet est un serpent de mer, pour ne pas dire un véritable fléau. La mendicité a réussi, en quelques années, à altérer le quotidien de nombreux citoyens des centres urbains d’innombrables communes du canton. Citoyens qui se voient régulièrement accostés, parfois de manière intrusive, voire agressive par des personnes issues très souvent de la communauté rom et qui quémandent de l’argent. Cette situation qui impose cette pratique à la population n’est plus admissible sans cadre légal efficace et dissuasif. L’exposé des motifs qui nous est présenté par le Conseil d’Etat répond partiellement aux attentes des passants, des commerçants et du PLR.

Le PLR acceptera l’entrée en matière afin que ce Parlement puisse se prononcer sur la révision de la loi pénale vaudoise. Toutefois, plusieurs amendements seront déposés par le PLR, par l’intermédiaire de notre collègue Florence Bettschart-Narbel, rapportrice de minorité. Ils sont issus des discussions avec plusieurs acteurs économiques, la Fédération patronale vaudoise, l’UCV et les associations de commerçants, raison pour laquelle nous vous invitons à suivre le rapport de minorité.

Ce nouveau projet de loi fait suite à la décision de la CEDH qui a jugé arbitraire l’interdiction de la mendicité appliquée dans notre canton depuis le 1er novembre 2018. En 2021, elle a statué sur un cas genevois, estimant injustifiée la proscription sans nuance de la mendicité, et qu’il fallait prioritairement connaître les raisons pour lesquelles une personne mendiait avant de la réprimer. L’arrêt de la CEDH a donc invalidé l’initiative visant à interdire la mendicité., déposée en 2013. Les lieux publics tels les marchés, les gares, les grandes surfaces, les parvis d’église, les bancomats, les horodateurs, etc. sont tous concernés par ces agissements désagréables et qui agacent beaucoup de monde. Il faut souligner que la population rom de Roumanie présente dans notre canton est pour la majorité sédentaire et pourrait, pour une partie, valoriser ses compétences par le travail. C’est à elle de faire le premier pas. Les amendements que nous déposerons apportent de la cohérence à ce projet de loi en rappelant à tout un chacun que pour lutter efficacement contre la mendicité, il ne faut rien donner. 

M. Sébastien Cala (SOC) —

En préambule, le groupe socialiste tient à rappeler que mendier est un droit fondamental, rappelé par la CEDH, et que ce n’est pas en cachant la misère sociale que nous réglerons la problématique de fond, à savoir la situation très précaire des personnes résolues à mendier. C’est bien en renforçant les mesures d’accompagnement social et de prévention que nous améliorerons la situation.

Ce propos liminaire établi, le groupe socialiste conçoit que si mendier est un droit humain fondamental, l’accès à un espace public sécurisant doit aussi être un droit. Or, il faut le reconnaître : si la mendicité passive dans les lieux autorisés n’apporte aucune difficulté, la mendicité active peut engendrer un sentiment d’insécurité au sein d’une part de la population. Les premières personnes à être importunées sont les populations les plus vulnérables − personnes âgées, enfants, personnes fragilisées − qui, de fait, tendent à éviter certains espaces publics. En ce sens, la mise en place d’un cadre de réglementation apparaît opportune pour améliorer la situation et trouver un équilibre afin que chacune et chacun puisse profiter librement de l’espace public. Le groupe socialiste propose donc d’entrer en matière sur ce projet de loi et de soutenir le rapport de majorité.

Mme Rebecca Joly (VER) —

A mon tour, en préambule, de rappeler la raison pour laquelle nous sommes ici. Nous devons modifier la loi, parce qu’en effet, le Grand Conseil avait pris la décision, il y a quelques années, d’interdire complètement la mendicité dans l’espace public, ce qui est contraire aux droits humains comme cela a été rappelé par la CEDH. Au fond, cette dernière a rappelé que l’on ne peut pas interdire d’être pauvre et que tendre la main est un droit fondamental. Le groupe des Vertes et Vertes rappelle que ce n’est pas en interdisant aux gens d’être pauvres que nous pourrons lutter contre la pauvreté, ce n’est pas en interdisant la misère que nous pourrons lutter contre elle. Les personnes qui subissent la pauvreté et la précarité ne le veulent pas, ne le choisissent pas forcément. Elles ont besoin d’aide et pas simplement et bêtement de l’interdiction du dernier recours dont elles disposent pour survivre. 

Cela dit et comme l’a expliqué mon préopinant, une majorité du groupe des Verts entrera en matière sur ce projet de loi afin d’offrir un cadre pour la mendicité, un cadre proportionné et conforme à nos obligations en vertu de la CEDH, et de permettre cette pratique tout en limitant le sentiment d’insécurité chez certaines personnes dans l’espace public. Toutefois, le vote d’entrée en matière sera bigarré de notre part, puisque pour certaines et certains d’entre nous, toute forme d’interdiction de la pauvreté n’est qu’hypocrisie et ne pourrait pas mener à lutter contre le problème de fond, à savoir la précarité, qui malheureusement occupe bien peu notre Grand Conseil.

M. Cédric Weissert (UDC) —

Tout d’abord, le groupe UDC rappelle avoir toujours souhaité l’interdiction totale de la mendicité depuis la prise en compte par ce même Grand Conseil d’un texte allant dans ce sens en 2016. Nous déplorons fortement que cette loi ait été déboutée par la CEDH, entité étrangère venant interférer dans nos décisions. Nous souhaitons que notre population puisse se déplacer librement dans nos rues sans être sans cesse importunée par des mendiants, œuvrant pour la plupart dans des filières. Ces personnes sont utilisées et manipulées la plupart du temps par des réseaux. Soutenir la mendicité – ou laisser une large place à cette pratique – empêche d’améliorer la condition de ces personnes, mais revient à autoriser de telles filières et l’exploitation humaine. Nous avions démontré à l’époque, photographies à l’appui, que certaines de ces personnes sont déposées le matin à des endroits stratégiques et récupérées le soir. Certaines personnes avaient une jambe gauche amputée ou gravement blessée, mais, comme par hasard, quelques jours plus tard, la jambe avait totalement récupéré voire avait repoussé, mais l’autre jambe était désormais atteinte. 

Bref, vous l’aurez compris, soutenir la mendicité revient à contribuer à faire vivre les réseaux qui exploitent ces personnes souvent originaires de l’est de l’Europe, qui ne sont pas plus riches le soir que le matin et dont les pontes vivent à l’étranger avec bien plus d’argent de poche que vous et moi. De plus, certains mendiants s’approchent directement des véhicules à l’arrêt aux feux rouges, ce qui va à l’encontre de toute sécurité. La grande majorité de notre groupe va soutenir les amendements de la minorité de la commission et déposer d’autres amendements qui cadrent mieux la loi et répondront aux craintes des habitants des zones urbaines qui n’en peuvent plus de cette situation.

M. Jerome De Benedictis (V'L) —

Le groupe vert’libéral soutiendra le rapport de minorité, préoccupé, comme une grande partie de la population vaudoise, par les problématiques engendrées par une mendicité hors de contrôle. Les amendements proposés par le rapport de minorité tendent à améliorer le projet de loi et, en ce sens, notre groupe les soutiendra pour interdire non la pauvreté, mais bel et bien la mendicité qui importune la population.

Mme Joëlle Minacci (EP) —

L’exposé des motifs que nous traitons aujourd’hui découle de l’arrêt de la CEDH qui considère que l’interdiction absolue de la mendicité est disproportionnée et viole la Convention européenne des droits de l’homme. Cet arrêt réaffirme que le droit au respect de la vie privée comprend le droit de s’adresser à autrui pour obtenir de l’aide. L’exposé des motifs qui nous est présenté propose donc une forme d’interdiction partielle de la mendicité, un compromis entre la volonté du législatif et l’arrêt de la CEDH.

Nous le disons d’entrée : ce projet de loi est représentatif d’un problème de vision qui se limite à la répression, sans proposer de mesures sociales pour traiter la problématique de la mendicité. Les villes tentent de réguler, d’interdire et de limiter la mendicité depuis des siècles. Criminaliser le vagabondage et la mendicité relève d’une vieille tradition. Cela fait des siècles que cela ne fonctionne pas, car nous ne pouvons pas chasser la pauvreté sans la traiter. Nous ne pouvons que relever la vanité des décisions parlementaires à persister dans cette voie unique et nous poser les questions suivantes : est-ce que criminaliser la pauvreté est une manière de résoudre le problème de la pauvreté ? Quelles autres mesures pourrions-nous prendre ? La répression ne fait que chasser les pauvres, les punir avec des amendes qu’ils sont incapables de payer du fait de leur pauvreté, et les interdire de territoire puisqu’ils ne peuvent pas payer parce qu’ils sont pauvres. Nous relevons l’absurdité et l’inefficience de la charge administrative liée à la gestion des amendes, une masse de travail délirante et coûteuse qui n’a aucun sens à part donner du travail à la police et à l’administration.

Les personnes concernées sont généralement catégorisées comme « Roms », qui regroupent en réalité des personnes qui ne partagent pas de langue, de religion ou d’origine commune. Pour autant, selon toutes les enquêtes sur le racisme en Suisse et en Europe, ce groupe se situe en haut de l’échelle des discriminations. Nous avons une responsabilité immense à déconstruire les stéréotypes qui entourent ces personnes. Les propos de l’UDC montrent que le chemin est encore long bien que, depuis des années, les autorités, y compris la police, ne cessent de démentir de tels discours. Cela pourra commencer aussi par ajouter au discours des citoyens excédés celui des personnes touchées par la situation des mendiants, qui leur parlent, les connaissent et se mobilisent individuellement ou collectivement pour les aider. Cela montre la diversité des sentiments de la population face à la pratique de la mendicité et aux situations de pauvreté. 

Nous regrettons que, dans ce projet de loi, aucune mesure positive ne soit imaginée ni proposée en parallèle par le Conseil d’Etat pour traiter la question de la mendicité. Nous tournons en rond dans la logique répressive, alors que d’autres solutions sont possibles : un médiateur à l’image du sergent Glassey à Lausanne, il y a quelques années, des mesures d’intégration par le travail et le logement qui ouvriraient des opportunités suffisantes pour que les personnes qui mendient n’aient plus la nécessité de le faire.

Nous avons déposé plusieurs postulats dans ce sens – que nous vous invitons à soutenir – en faveur d’un inventaire de la politique sociale du logement, du développement du Housing First ou de la mise en place d’une expérience pilote d’aide à l’insertion de familles roms par le logement, la scolarisation et le travail. Nous croyons fermement que tout le monde gagnerait à investir dans ce type de mesures qui agiraient sur les causes de la mendicité et plus seulement ses symptômes.

Concernant l’exposé des motifs, nous saluons le changement de paradigme à l’article 2, alinéa 1, qui autorise la mendicité sous réserve plutôt qu’elle ne l’interdit dès le départ. Nous défendons le droit à la mendicité passive et défendons une loi qui permet réellement la pratique limitée de la mendicité et qui ne soit pas une interdiction totale déguisée. Nous savons pertinemment que nous sortirons de ce débat avec un projet de répression de la mendicité. Nous avons donc le choix entre la proposition du rapport de majorité − la solution la moins pire − ou le rapport de minorité qui va plus loin dans la logique répressive. Par conséquent, notre groupe soutiendra le rapport de majorité et continuera, en parallèle, à proposer d’autres façons de réduire la mendicité via l’intégration, le logement et le travail. Pour l’heure, notre groupe acceptera l’entrée en matière.

M. Yann Glayre (UDC) —

L’interdiction de la mendicité est une décision du peuple souverain qui ne saurait être remise en question par une autorité extérieure à la Suisse. Se plier à la décision de la CEDH revient à admettre qu’une autre autorité décide chez nous. Or, notre souveraineté n’est pas négociable. Le 9 avril dernier, lorsque la CEDH a condamné la Suisse pour inaction climatique, une majorité politique s’est exprimée pour rappeler qu’en Suisse, le Parlement décide des lois. Ce n’est pas le rôle d’un tribunal de développer de nouveaux droits humains et de légiférer. A la suite de cette décision, trois motions UDC ont été déposées sous la coupole, demandant que le Conseil fédéral fasse le nécessaire pour que la Suisse dénonce l’accord avec la CEDH et quitte le Conseil de l’Europe. 

La question de la souveraineté n’est pas la seule raison de ne pas entrer en matière sur ce projet de loi. Cette modification de loi ne règle en aucun cas la question de la transformation d’amendes d’ordre en peines de privation de liberté, mais elle ajoute des barrières en tout genre afin de ne plus délivrer d’amendes. Non seulement la mendicité ne s’arrêtera pas, mais en plus, on demandera aux forces de l’ordre de juger si la zone est propice ou non à la mendicité. La zone d’interdiction sera si importante qu’un nouveau recours à la CEDH condamnera à nouveau le canton de Vaud et nous serons revenus à la case départ, dans quelques années.

Il est de notre responsabilité de ne pas mettre le doigt dans l’engrenage et de clore ce dossier en maintenant l’interdiction décidée par le peuple. Comme si cela ne suffisait pas, les forces de l’ordre auront pour mission de gérer des listes d’avertissements donnés à des personnes qui n’ont potentiellement pas de papiers d’identité sur elles et ni d’adresse en Suisse. A croire que, dans le canton de Vaud, il est possible de supprimer le principe de la plaque d’immatriculation puisque l’on veut donner des avertissements à des personnes dont on ne connaît pas l’identité. Je refuserai donc l’entrée en matière, l’entièreté du projet de loi et tous les amendements proposés.

Pour conclure, je m’adresserai aux agriculteurs et agricultrices : mesdames, messieurs, le jour où l’Union européenne (UE) vous dira comment gérer vos champs, vos paysages et vos bêtes, vous serez bien contents que des élus pro-souveraineté vous défendent face aux politiques inféodées aux yogourts européens périmés.

M. Romain Belotti (UDC) —

J’ai fait partie de la commission qui a examiné le projet de loi. En 2013, le peuple vaudois a accepté un texte interdisant la mendicité sur tout le territoire cantonal. En 2021, après un arrêt de la CEDH concernant la sanction infligée à une personne mendiante à Genève, les juges de Strasbourg ont considéré que la répression sans nuance de la mendicité n’était pas conforme au principe de proportionnalité. Qui commande dans ce canton : le peuple souverain ou la CEDH ? En acceptant le texte qui vous est soumis, nous n’avons aucune garantie qu’une autre personne, à l’avenir, ne fera pas recours auprès de la CEDH pour les mêmes raisons. Notre pays est souverain, indépendant et neutre. Notre population a clairement manifesté le désir d’interdire cette mendicité qui amène de l’insécurité, des incivilités et du désordre dans nos rues. Pour toutes ces raisons, je vous invite à soutenir tous les amendements de la minorité et, par défaut, à revenir à ce que la population a clairement exprimé, à savoir l’interdiction totale de la mendicité sur sol vaudois.

M. Romain Pilloud (SOC) —

Je reviendrai plus tard sur un amendement en particulier qui pose problème au groupe socialiste. Néanmoins, je me permets de prendre brièvement la parole parce que nous avons tout de même des bêtises concernant le droit en Suisse et le droit international. Je rappelle que la Suisse a ratifié la Convention européenne des droits de l’homme, que les décisions de la CEDH font donc partie intégrante du droit suisse et que tout cela a été décidé historiquement par des instances démocratiques de notre pays. Je ne suis pas juriste, néanmoins, je connais la différence entre la CEDH et l’UE. La CEDH est en lien avec le Conseil de l’Europe dont la Suisse est un membre actif. Cela n’a rien à voir avec l’UE. La tentative de conclusion sur les agricultrices ou agriculteurs est complètement hors de propos et n’a rien à faire dans notre débat. D’ailleurs, si vous avez tant de difficultés avec la CEDH, vous devriez demander à votre collègue de parti, M. le conseiller national Jean-Luc Addor en Valais, de retirer son recours à la CEDH dans le cadre d’une condamnation qu’il a reçue en Suisse.

M. Nicola Di Giulio (UDC) —

Il est crucial de rappeler que la problématique de la mendicité s’est aggravée avec l’arrivée des mendiants roms, une conséquence directe de la libre circulation des personnes. En 2011 et 2012, divers règlements communaux ont été élaborés, mais ces mesures se sont révélées insuffisantes, comme nous l’avons déjà indiqué. En 2013, l’UDC a pris l’initiative de déposer une proposition d’interdiction de la mendicité sur tout le territoire vaudois, acceptée par le Grand Conseil en 2016. Cette loi a permis de maintenir la situation sous contrôle pendant plusieurs années. Cependant, une décision de la CEDH, que certains considèrent comme absurde, a récemment invalidé cette loi, rendant la situation à nouveau ingérable. Il est impératif de rappeler que la stabilité passée est le fruit des efforts de l’UDC – j’insiste sur ce point.

Nous devons soutenir les amendements de la minorité pour une interdiction aussi large que possible de la mendicité. Il est révélateur que la municipalité de Lausanne, pourtant très à gauche, reconnaisse la nécessité d’une loi plus restrictive. Cela prouve que la proposition actuelle du Conseil d’Etat est malheureusement insuffisante et qu’il est essentiel de la renforcer. L’UDC se tient à l’avant-garde de cette lutte pour garantir la sécurité et la dignité de nos citoyens. Ensemble, réaffirmons notre engagement pour une politique pragmatique et efficace.

M. David Raedler (VER) —

Je m’exprime rapidement à la suite de ce qu’a déclaré M. Pilloud, notamment. Il faut essayer de limiter nos débats à ce qui a du sens et de ne pas dire absolument n’importe quoi par respect pour notre institution et les personnes qui nous ont élus. Cela a été très clairement énoncé : la CEDH découle du Conseil de l’Europe, qui n’est pas l’UE. Cela n’a absolument rien à voir et c’est dommage d’attaquer ce texte fondamental pour les droits humains, auquel a fait appel M. Addor, comme d’autres personnes qui relèvent notamment de l’UDC et d’autres partis. C’est aussi un texte qui découle du Conseil de l’Europe dont M. Berset a été élu secrétaire général. Cet organe est donc lié à la Suisse. Remettre en cause le Conseil de l’Europe revient à remettre en cause le rôle fondateur de la Suisse dans la création de ce conseil, ainsi que dans l’adoption de la CEDH.

Le Conseil de l’Europe trouve son origine à Zurich en 1946. L’idée à germer de créer ce conseil afin de garantir la paix. Autant discuter de la mendicité et de savoir à quel point nous pouvons la limiter : peut-on la limiter ? Est-ce justifié ? C’est parfaitement pertinent de débattre et on peut le faire en toute intelligence, mais il faut absolument cesser de dire n’importe quoi sur la CEDH, ce qui est malheureusement trop fréquent.

M. Vassilis Venizelos (C-DJES) — Conseiller-ère d’Etat

Le débat part sur de bonnes bases avec beaucoup d’émotions… La Suisse n’est pas une île. Elle est signataire de la CEDH et doit respecter les décisions qui y sont prises. Cette convention place des principes et valeurs au cœur de ces préoccupations, comme le droit à la vie, l’interdiction de la torture ou la liberté d’expression. Je verrais évidemment d’un mauvais œil que le canton de Vaud ne suive pas ces principes essentiels − il faudrait me passer sur le corps.

La Suisse, dont le canton de Vaud, n’est pas une île, est exposée à la pauvreté donc à la mendicité. En 2018, ce Parlement, et non la population vaudoise − il est important de le rappeler, car il n’y a pas eu de votation populaire sur la mendicité – a voté la loi d’interdiction de la mendicité. A la suite de l’arrêt de la CEDH, cette loi est devenue inapplicable. Pour cette raison, des interventions parlementaires ont été déposées notamment par Mme Bettschart-Narbel et M. Mahaim à l’époque. Toutefois, le Conseil d’Etat n’a pas attendu le traitement de ces interventions parlementaires pour proposer un projet de loi qui respecte les principes de la CEDH. Aujourd’hui, notre projet est équilibré et reprend les éléments ciblés par la CEDH dans le cadre de cet arrêt qui porte sur la loi genevoise, et non sur la loi vaudoise. Par analogie, les juristes et l’Ordre judiciaire vaudois ont considéré que les remarques et les propositions d’adaptation formulées par la CEDH devaient être appliquées à la loi vaudoise. Entre-temps, il y a eu l’arrêt du Tribunal fédéral, qui n’est pas un arrêt de la CEDH, raison pour laquelle le Conseil d’Etat vous invite à la plus grande sagesse. Différents amendements ont été annoncés dans le rapport de minorité, et d’autres que je viens d’entendre. Je vous invite à la plus grande sagesse si vous voulez qu’une loi vaudoise réglant la mendicité soit applicable sur territoire vaudois. Si vous avez la main trop lourde, un nouveau recours pourrait être déposé et bloquerait l’ensemble du dispositif et le processus.

Le projet vise à sanctionner la mendicité agressive et intrusive. Le Conseil d’Etat a repris les éléments qui ressortent de l’arrêt de la CEDH, notamment la notion de liberté de choix du passant qui figure à l’article 23, alinéa 1, du projet de loi qui vous est proposé. Lorsque le passant est en position d’immobilité, il n’a pas toujours la liberté de choix et nous pouvons considérer, dans certaines situations, qu’il est confronté à une forme de mendicité agressive ou intrusive. Nous nous sommes donc concentrés sur ces différents éléments en reprenant une liste de lieux proportionnée. Il importe aussi que le dispositif qui serait voté par votre Parlement offre une certaine marge de manœuvre sur le plan des opérations de police par la suite. Les agents et agentes sur le terrain doivent avoir une marge de manœuvre pour que les décisions et éventuelles sanctions soient proportionnées dans le respect de la dignité humaine.

Je tiens à le rappeler : la mendicité, du point de vue policier, n’est pas un problème de sécurité. Elle génère un sentiment d’insécurité et il peut être inconfortable, dans certaines situations, de voir une forme de pauvreté. Nous pouvons entendre que cela peut générer, dans certaines situations, un sentiment d’insécurité, mais ce n’est pas le problème de sécurité numéro 1 dans le canton de Vaud. Nous sommes confrontés à d’autres problèmes de sécurité bien plus importants qui génèrent une mobilisation des forces de police plus conséquente, tels les brigandages, les cambriolages, voire certaines formes de hooliganisme que nous connaissons bien en ville de Lausanne. Pour un débat serein sur cette thématique, il est essentiel de garder cet élément à l’esprit.

Finalement, en réponse à l’intervention de Mme Minaccci concernant la nécessité d’une approche autre que répressive : Mme la députée a raison. Le canton et certaines communes – dont Lausanne – ne restent pas inactives. Des actions très concrètes sont menées avec les travailleurs sociaux sur le terrain pour offrir des solutions. Un certain temps, des accords avaient été trouvés avec certaines associations présentes en Roumanie. Ces accords n’ont pas été pérennisés pour différentes raisons. Différentes options sont à l’étude pour agir aussi à la source du problème − si vous me passez l’expression − pour qu’il y ait une approche sociale de la mendicité.

Je vous invite à analyser ce projet de loi à l’aune des décisions prises par la CEDH. Encore une fois, si vous avez la main trop lourde avec des amendements, le risque est grand qu’un recours bloque l’ensemble du dispositif et l’ensemble du processus. Il est important, pour la population vaudoise, ainsi que pour les agents de police sur le terrain, que le dispositif soit clairement applicable. Il est important que la volonté du Parlement soit claire et puisse être déployée de façon nuancée, équilibrée et proportionnée sur le territoire.

M. Jean-François Thuillard (UDC) — Président-e

La discussion est close.

L’entrée en matière est admise avec plusieurs avis contraires et quelques abstentions.

Il est passé à la discussion du projet de loi, article par article, en premier débat.

Art. 23.

Mme Thanh-My Tran-Nhu (SOC) — Rapporteur-trice de majorité

Comme rappelé, la majorité de la commission a décidé – par 6 voix contre 6, avec ma voix prépondérante – de changer le paradigme de la loi et d’adopter l’amendement suivant :

« Art. 23. – Al. 1 : La mendicité est autorisée sous réserve des comportementsinterdite si elle est de nature à porter atteinte à la liberté de choix du passant. »

Je précise que, dans le projet de loi, il est indiqué que l’alinéa 1 pose le principe de base selon lequel la mendicité reste autorisée pour autant qu’elle ne porte pas atteinte à la liberté de choix du passant. Il était un peu curieux que l’exposé des motifs et projet de loi souligne bien que la mendicité est autorisée, mais que cela ne ressorte pas dans l’article de loi.

Mme Florence Bettschart-Narbel (PLR) — Rapporteur-trice de minorité

La minorité demande de revenir à la proposition du Conseil d’Etat, c’est-à-dire que la mendicité est interdite si elle est de nature à porter atteinte à la liberté de choix du passant. Il est vrai que ce changement de paradigme nous pose un problème, parce le fait d’autoriser « sous réserve » risque de poser un certain nombre de problèmes d’application, alors que la formulation proposée initialement par le Conseil d’Etat nous semble beaucoup plus simple et moins de nature à entrainer des difficultés d’interprétation. Je pense qu’il est plus clair de dire que la mendicité est interdite – plutôt qu’autorisée sous réserve – lorsqu’elle est de nature à porter atteinte à la liberté de choix du passant. Cela facilite beaucoup la compréhension.

M. Romain Pilloud (SOC) —

Je vois mal en quoi la proposition de la majorité créerait la moindre confusion. Bien au contraire, la proposition est extrêmement claire. Elle reprend précisément, comme cela a été souligné par la rapportrice de majorité, des éléments relevés dans le projet de loi. Je crois que le plus important – cela a été relevé dans les discours d’entrée en matière – est que l’on puisse s’assurer de la liberté de choix du passant qui permet se déplacer librement dans l’espace public sans se sentir forcé de devoir donner quelque chose, sans se sentir contraint d’une quelconque manière. En ce sens, il me semble que la position du rapport de majorité devrait être suivie en l’état.

M. Xavier de Haller (PLR) —

A titre personnel et au nom du groupe PLR, je vous invite à ne pas suivre cet amendement du rapport de majorité qui, à mon sens, va à l’encontre de notre ordre juridique. Je vais expliquer pourquoi, mais je me permets, à titre liminaire, de – oreille sensible s’abstenir – citer un arrêt du Tribunal fédéral de 2018. Je cite : « Le fait de mendier consiste à demander l’aumône, à obtenir une aide très généralement sous la forme d’une somme d’argent. Il peut s’agir d’un comportement occasionnel ou d’un véritable mode de vie. Le plus souvent, la mendicité résulte de l’indigence et vise à remédier à une situation de dénuement. Ainsi, le fait de mendier, comme forme du droit de s’adresser à autrui pour obtenir de l’aide, doit être considéré comme une liberté élémentaire, faisant partie de la liberté personnelle garantie par l’article 10 de la Constitution fédérale. » Je vous fais l’économie des différentes références auxquelles le Tribunal fédéral renvoie. Ce dernier poursuit son raisonnement : « A l’instar de tout autre droit fondamental, la liberté personnelle n’est toutefois pas absolue. Une restriction de cette garantie est admissible si elle repose sur une base légale qui, en cas d’atteinte grave, doit figurer dans une loi au sens formel, si elle est justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui et si elle respecte le principe de la proportionnalité. » En d’autres termes, le droit de mendier est d’ores et déjà couvert par l’article 10 de la Constitution fédérale. 

Aujourd’hui, la question qui est soumise à notre Parlement est de savoir si, dans le canton de Vaud, nous voulons ou pas restreindre cette liberté fondamentale. A mon sens, par cohérence législative, si nous voulons effectivement créer une base légale qui permet de restreindre cette liberté fondamentale qui, selon le Tribunal fédéral, est garantie par l’article 10 de la Constitution, la seule formulation adéquate est l’interdiction. A défaut, nous risquons de créer une forme de confusion, puisqu’au niveau cantonal, nous autorisons à nouveau, sous réserve de certains comportements, quelque chose qui est d’ores et déjà couvert par une garantie fondamentale de rang constitutionnel. Pour ce premier motif, je vous invite à rejeter cet amendement et à revenir au régime prévu par le Conseil d’Etat. 

Par ailleurs, je me permettrais de soulever une question pour ceux qui ont formulé cette proposition d’amendement. Au fond, avec une telle formulation insérée dans une loi pénale, qui a priori interdit d’autres comportements – je prends par exemple l’article 10 de la Loi pénale vaudoise – ne risquerait-on pas de créer une forme de régime d’autorisation qui inviterait chaque mendiant à devoir, préalablement à son activité, demander l’autorisation à l’autorité cantonale ou communale ?

Mme Joëlle Minacci (EP) —

Je vous invite à accepter cet amendement tel que proposé par le rapport de majorité. Je pense qu’il va tout à fait dans le sens de ce que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dit, à savoir que demander de l’aide à autrui est un droit, comme l’a rappelé M. de Haller dans l’exemple qu’il a donné. Cet article 23, alinéa 1, tient non seulement compte du droit à demander l’aumône – c’est-à-dire qu’il autorise à demander l’aumône – mais il respecte en même temps cette limite de l’atteinte à la liberté de choix du passant. Cet article met le passant et la personne qui mendie sur un pied d’égalité, parce qu’il définit les droits et les responsabilités sans partir de la notion d’interdiction. Je rappelle que la CEDH a justement rappelé que la mendicité est un droit. Ainsi, je pense que la formulation proposée par le rapport de majorité pour cet article 23, alinéa 1, est intéressante, parce qu’elle tient compte à la fois de la volonté du législateur et à la fois de ce que la CEDH a rappelé à la Suisse.

M. Philippe Jobin (UDC) —

Il me semble que cet article 23 cadre quand même assez bien le fait de mendier ou pas. Cela permet de garantir un équilibre entre les droits individuels des personnes qui mendient et ceux de la collectivité. Dans la discussion d’entrée en matière, nous avons un peu oublié de dire que cette loi tend aussi à protéger celles et ceux qui marchent dans la rue, les citoyennes et les citoyens – notamment à Lausanne – qui ont parfois quelques problématiques avec ce genre d’agissements. 

Madame Minacci, le but n’est pas de pénaliser les plus démunis, mais de protéger l’intérêt général, notamment en ce qui concerne la tranquillité et la qualité de vie des citoyennes et des citoyens dans les espaces publics. Il s’agit d’assurer que les rues restent accessibles, sûres et agréables pour tous, y compris pour les personnes âgées qui sont les plus vulnérables – à Lausanne en particulier. C’est en tout cas mon expérience. 

M. de Haller a tout à fait raison, je rejoins parfaitement ses propos. J’appuierai également le texte du Conseil d’Etat. Monsieur le conseiller d’Etat, si le texte n’était pas bon, je pense que la CEDH nous le dirait et nous pourrions arrêter nos débats. Personnellement, je pense que l’article 23 tel que proposé va dans le bon sens. 

M. Marc-Olivier Buffat (PLR) —

Comme cela a été dit, la liberté d’aller et venir et le droit de mendier – garantis par l’article 10 de la Constitution fédérale – ne sont pas contestables. Ces garanties figurent aussi aux articles 2 et 4 de la CEDH. Dès lors, comment faire pour bien faire ? Il me semble qu’une autre pratique qui se déroule parfois sur la voie publique devrait inspirer nos travaux : la prostitution. Dans la Loi vaudoise sur la prostitution, vous ne verrez nulle part écrit que cette dernière est autorisée, même si elle l’est ipso jure et ipso facto, puisque l’exercice de la prostitution est aussi protégé par l’article 10 de la Constitution et par des arrêts déjà très anciens du Tribunal fédéral en relation avec la liberté d’aller et venir. Néanmoins – vous me permettrez l’analogie – du point de vue moral, du point de vue du sentiment de sécurité, cela pose un peu les mêmes problèmes. Que dit la loi vaudoise en la matière ? L’article 7, intitulé « Restrictions », de la Loi vaudoise sur la prostitution stipule : « L'exercice de la prostitution sur le domaine public, sur des lieux accessibles au public ou exposés à la vue du public, quelles qu'en soient les modalités, peut être interdit aux moments ou dans les endroits où il est de nature à troubler l'ordre et la tranquillité publics (…) ». C’est exactement le même texte que celui qui est proposé aujourd’hui par le Conseil d’Etat, respectivement soutenu par la minorité de la commission. 

A juste titre, notre collègue de Haller insiste sur la difficulté de cette « autorisation » déclarée dans la loi. Si vous voulez prévoir une autorisation, vous vous retrouvez dans les mêmes considérations que dans la Loi sur la prostitution, c’est-à-dire qu’il faudrait que délivrer des autorisations et recenser les mendiants. C’est le pendant de l’autorisation que vous voulez déclarer. On le voit bien dans l’analogie et les problématiques de ces deux lois, si on les met l’une face à l’autre : ce n’est manifestement pas ce que nous voulons, ni ce que la commission – le rapport de minorité ou le rapport de majorité – voudrait. Dès lors, il faut en rester à la proposition du Conseil d’Etat et de la minorité de la commission, une proposition qui est parfaitement cohérente et parfaitement assimilable à d’autres lois. J’imagine qu’il y en a d’autres. Je n’ai pas dressé la liste de toutes les restrictions à l’usage du domaine public, mais le même principe s’applique partout. Je vous remercie de rejeter cette proposition d’amendement.

Mme Céline Misiego (EP) —

J’aimerais revenir sur la liberté de choix des passants. Cet alinéa tel que proposé par la majorité a justement le mérite de laisser chacune et chacun déterminer si sa liberté de choix est atteinte. En tant qu’habitante de Lausanne – et je passe plusieurs fois par jour à la Riponne – je n’ai jamais l’impression que ma liberté de choix est atteinte. Je n’ai jamais l’impression de ne pas pouvoir dire non lorsque je suis sollicitée. J’imagine que ce n’est pas la même chose pour tout le monde, mais au moins avec cet alinéa, nous avons le mérite de pouvoir nous déterminer sur notre libre choix.

M. Yves Paccaud (SOC) —

J’ai sous les yeux l’article 10 de la Constitution fédérale qui est intitulé « Droit à la vie et à la liberté personnelle ». Il y a trois alinéas – et aucun ne mentionne la mendicité – je vous les lis, alinéa 1 : « Tout être humain a droit à la vie. La peine de mort est interdite. » Alinéa 2 : « Tout être humain a droit à la liberté personnelle, notamment à l’intégrité physique et psychique et à la liberté de mouvement. » Alinéa 3 : « La torture et tout autre traitement ou peine cruels, inhumains ou dégradants, sont interdits ». J’aimerais savoir à quoi fait référence M. le député de Haller quand il parle de l’article 10 de la Constitution fédérale.

Mme Patricia Spack Isenrich (SOC) —

On l’entend aujourd’hui, l’interdiction de la mendicité est un sujet controversé qui pose des questions sur l’équilibre entre sécurité publique, gestion des espaces urbains et droits fondamentaux. Bien que certains justifient cette interdiction proposée par le rapport de minorité pour des raisons de sécurité ou de lutte contre des réseaux criminels, c’est une mesure inefficace à long terme et qui crée une stigmatisation envers les plus démunis. La réponse à la mendicité nécessite une approche plus globale, avec des solutions centrées sur l’inclusion sociale, le soutien économique et l’accès aux services plutôt que sur la répression. Or, on l’a évoqué, la CEDH dans son arrêt du 19 janvier 2021, avait jugé que les autorités genevoises, en interdisant complètement la mendicité et en infligeant une amende ou une peine d’emprisonnement de 25 jours, avaient privé les mendiants du droit de s’adresser à autrui pour en obtenir de l’aide et satisfaire leurs besoins élémentaires. Selon la CEDH, criminaliser les victimes ne rend pas plus efficace la lutte contre les réseaux de mendicité. Le Tribunal fédéral lui-même a également rendu un arrêt selon lequel la mendicité fait partie d’un droit constitutionnel à la liberté individuelle. Le député Buffat vient de poser la question : comment bien faire pour régler cette question ? Je suis d’avis qu’il convient de laisser le principe de l’autorisation de la mendicité à l’article 23, alinéa 1, comme précisé par le projet de loi, tout en précisant quels comportements ne sont pas tolérés dans un alinéa subséquent. Cette manière de procéder serait conforme à l’arrêt rendu par la CEDH et au principe établi par la jurisprudence du Tribunal fédéral, ainsi par le sens et le principe voulus dans le projet de loi. 

S’agissant des effets de cette loi, le principe de la possibilité de mendier serait conservé. On respecterait le droit supérieur, mais on définirait ensuite les endroits précis où la mendicité serait interdite. Je vous invite à soutenir le rapport de majorité.

M. François Cardinaux (PLR) —

Je crois qu’il faut faire preuve de bon sens. Le bon sens dit que les personnes chargées des contrôles sont souvent des gens en uniforme. Si, d’entrée de cause, ils doivent savoir si oui ou non – ou peut-être – la mendicité est possible, ils ne vont pas s’en sortir. Le plus simple est de revenir au texte du Conseil d’Etat. Ainsi, ceux qui devront faire ces contrôles auront la possibilité de le faire en toute connaissance de cause. Souvent, ceux qui me demandent de l’argent ne sont pas ceux qui en ont réellement besoin. Comme l’a dit un de mes prédécesseurs, ce sont surtout des bandes organisées.

M. Jean-Daniel Carrard (PLR) —

Dans tout ce qu’on entend, je trouve que l’on mélange l’intérêt et la tranquillité des citoyens avec un pseudo-soutien aux plus pauvres. Je pense que nous sommes tous d’accord pour aider les gens en nécessité, mais ils ne sont pas forcés de passer par la mendicité. En Suisse, il y a de nombreuses aides pour les plus démunis, il n'est pas nécessaire de devoir passer par l’instrumentalisation que l’on connait de la mendicité. Il est relativement simple de revenir au texte du Conseil d’Etat qui précise d’ailleurs le type d’interdiction : il est précisé que la mendicité est interdite si elle est de nature à porter atteinte à la liberté du choix du passant. Il y a encore en plus un « si ». Je crois que nous voulons nous donner bonne conscience, mais cette mendicité est devenue insupportable. Je vous encourage à revenir au texte du Conseil d’Etat.

M. Xavier de Haller (PLR) —

Monsieur Paccaud, vous avez entièrement raison : l’article 10, alinéa 2, de la Constitution ne mentionne pas la mendicité en tant que telle. En revanche, le rôle du législateur est d’édicter des règles générales et abstraites en termes généraux et ensuite, le rôle des tribunaux est d’en faire une application concrète, ce qui a été fait par le Tribunal fédéral, qui a précisé dans différents arrêts que la mendicité est incluse dans la liberté fondamentale garantie par l’article 10, alinéa 2 de la Constitution. Je n’allongerai pas, estimant avoir répondu à la remarque du député Paccaud. 

M. Grégory Bovay (PLR) —

Comme l’a dit mon collègue Carrard tout à l’heure, quand on entend le côté gauche de ce Parlement aujourd’hui, on a l’impression que tous les pauvres iraient mendier. Je trouve cela un peu dérangeant. Je pense tout d’abord à toutes les personnes qui ne mendient pas quand elles sont dans des situations précaires. Comme l’a rappelé mon collègue Jean-Daniel Carrard, il est vrai que de nombreuses aides existent en Suisse pour les personnes en difficulté financière. Néanmoins, pour pouvoir prétendre à ces aides, encore faut-il avoir un titre de séjour valable. Je rappelle que, dans une réponse à une motion, de M. Berthoud, le Conseil fédéral avait répondu que les ressortissants des Etats de l’Union européenne et de l’AELE et des Etats tiers qui se livrent à la mendicité ne satisfont généralement ni aux critères de séjour prévus par Loi fédérale sur les étrangers et l'’intégration (LEI) ni à ceux prévus par le Code pénal. Les cantons ont donc déjà la possibilité de renvoyer les étrangers qui se livrent à la mendicité. Par conséquent, je pense que le texte initial du Conseil d’Etat est suffisant, qu’il faut effectivement respecter l’article que Me de Haller a rappelé, mais que d’autres conditions doivent aussi amener à cadrer l’activité de la mendicité.

Mme Joëlle Minacci (EP) —

J’aimerais brièvement rappeler deux ou trois choses. Je pense que l’autorisation – ou l’interdiction – de la mendicité pose des questions bien plus larges qu’il convient de garder en tête : à qui appartient l’espace public ? Doit-on accepter la diversité des situations ou essayer de cacher certaines formes d’occupation de l’espace public ? Doit-on réserver l’espace public au commerce en premier lieu ou à d’autres choses ? Quel est notre droit de restreindre l’accès à l’espace public ? A qui le restreindre ? Et pourquoi ? J’aimerais tout de même rappeler que, même si la pratique de la mendicité dérange certains, les pauvres ont le droit d’occuper l’espace public. M. le conseiller d’Etat a rappelé que la mendicité ne pose pas de problème de sécurité. Elle peut déranger certaines personnes, mais je rappelle aussi que certaines personnes connaissent les mendiants et les soutiennent. Ce n’est pas parce qu’elles sont moins bruyantes qu’elles n’existent pas et qu’elles ne sont pas aussi nombreuses. J’aimerais également rappeler qu’il n’y pas seulement des passants excédés qui occupent l’espace public, il y a une diversité de réactions et de comportements face aux pratiques de la mendicité. Je pense qu’il est important de le rappeler. 

Par ailleurs, je pense que nous devons respecter le principe fondamental rappelé par la CEDH qui mentionne qu’il est autorisé de demander de l’aide à autrui. La modification proposée par le rapport de majorité va dans ce sens. Elle propose un changement de paradigme qui autorise des formes de mendicité – puisque la pratique est limitée dans le cadre de cette loi – plutôt que de l’interdire de fait. 

J’aimerais rappeler aussi aux députés qui ont ressorti l’argument des réseaux que ces derniers n’existent pas. Cela ne veut pas dire que tout le monde est bien traité au sein des familles, mais la Mercedes qui vient collecter l’argent n’existe pas. La mendicité ne rapporte pas beaucoup. Ce n’est pas intéressant pour les réseaux : les mendiants ne gagnent pas beaucoup d’argent par jour. On ne peut pas construire des réseaux sur cette mendicité. Cet état de fait est d’ailleurs confirmé par des études. Je ne sais pas si c’est un intérêt qu’il convient de déclarer, mais il y a 12 ans, avec M. Tabin, j’ai participé à une étude sur la mendicité à Lausanne mandatée par le Service de protection de la jeunesse (SPJ) de l’époque et la ville de Lausanne. Cette étude a duré un an et demi, vous avez certainement pu lire ses conclusions – enfin, je l’espère. Ces constats sont aussi rappelés par les autorités et par la police : il n’y a pas de réseau, il n’y a pas de Mercedes. Je pense qu’il faut maintenant sortir de ce discours pour pouvoir véritablement réfléchir à la loi qui nous est proposée, avec des arguments factuels et non des stéréotypes racistes.

Mme Thanh-My Tran-Nhu (SOC) — Rapporteur-trice de majorité

Je me permets de rappeler que la volonté de la majorité est de rappeler que le contexte a changé avec l’arrêt de la CEDH. C’est-à-dire que l’on tend vers une forme de reconnaissance de la pauvreté, du droit de demander de l’aide et de mendier. Maintenant, il est question de modifier la législation pour respecter le droit supérieur et non plus d’une interdiction de la mendicité. 

M. Marc-Olivier Buffat (PLR) —

Le débat est un peu long et nous n’arriverons sans doute jamais à nous mettre d’accord sur le fond du problème, mais nous sommes un organe législatif et il convient de faire des lois cohérentes par rapport à d’autres aspects de la société. La mendicité est certes un élément important – puisque l’on en débat aujourd’hui – mais en matière de lois, il faut édicter des principes qui soient applicables et de manière générale. 

Mme Minacci pose une vraie question. : la mendicité étant un droit reconnu par la CEDH, comment veut-on affecter le domaine public ? Il faut savoir – c’est un lieu commun, mais il me paraît important de le répéter – que nul n’a droit à l’usage accru du domaine public. Madame Minacci, on ne peut donc pas s’installer sur le domaine public et pratiquer la mendicité. Même si la mendicité n’est pas interdite selon la CEDH, il n’y a pas non plus de droit absolu. C’est exactement le même pendant que les arrêts qui concernent la prostitution de rue. Je le répète, par parallélisme des formes, c’est exactement le même instrument législatif, avec un certain nombre de restrictions de lieux, de restrictions temporaires, etc. Si vous inscrivez dans la loi que la mendicité est autorisée, d’une part, vous répétez un principe qui est déjà contenu dans le droit fédéral et dans la CEDH et, d’autre part, vous allez à l’encontre du principe fondamental selon lequel nul n’a droit à l’usage accru du domaine public. Vous allez donc entrer dans un domaine d’autorisations, comme pour les musiciens de rue ou les commerçants dans la rue ou d’autres types d’activités qui peuvent se dérouler dans la rue. Il faudrait alors complètement revoir la loi pour dire où cette autorisation doit être appliquée, alors que la systématique qui a été adoptée par l’ensemble de la commission prévoit un système différent – par analogie avec la problématique d’autres activités qui peuvent être gênantes – qui restreint ces pratiques dans un certain nombre de lieux. Si vous modifiez le principe de la loi, vous modifiez tout le contenu de la loi et vous devrez partir sur un régime d’autorisations, puisque c’est l’autorisation de l’usage accru du domaine public qui résulte de ce principe fondamental de la liberté d’aller et venir. 

Encore une fois, le droit constitutionnel est un ensemble de normes, c’est un ensemble de règles que l’on assimile parfois à des boules dans un bol qui doivent être équilibrées. Dans ce sens, le projet du Conseil d’Etat est équilibré et, si vous le modifiez, c’est tout l’équilibre de la loi qui sera modifié.

Mme Florence Bettschart-Narbel (PLR) — Rapporteur-trice de minorité

J’aimerais revenir sur cette question de l’existence d’une organisation criminelle ou non. On cite toujours l’étude du professeur Tabin – effectivement, elle existe – mais on peut aussi lui opposer un certain nombre d’arrêts de tribunaux cantonaux, notamment un arrêt à Genève en 2024. Je cite le titre d’un article dans Le Temps : « Le chef des mendiants est sévèrement condamné à Genève. » Ce chef de famille bulgare, reconnu coupable de traite d’être humain pour métier, a écopé de 7 ans de prison pour avoir exploité plusieurs mendiants roms. Son fils et son épouse ont également été condamnés. Le verdict évoque une entreprise organisée. Parallèlement à cette étude du professeur Tabin, un certain nombre de jugements des tribunaux démontrent aussi qu’il y a des formes d’organisations criminelles derrière ces mendiants roms – et cela est malheureux pour les gens qui en sont victimes. Je suis heureuse que des jugements démontrent l’existence d’exploitations d’êtres humains derrière ces manières de faire et je pense que nous devons aussi combattre ces pratiques.

En conclusion, je pense qu’il faut faire attention à ce que l’on dit sur ces questions d’organisations criminelles. Nous n’avons pas tous les éléments qui nous permettent de juger, mais le dernier jugement que j’ai mentionné est relativement sévère à ce sujet.

Mme Joëlle Minacci (EP) —

Madame Bettschart-Narbel, l’exemple que vous donnez est très important. Ce sont des violences, des maltraitances ou une exploitation intrafamiliale qui ont fait l’objet d’une condamnation. C’est-à-dire qu’au sein d’une famille, il y a des personnes qui font l’objet de maltraitances ou d’exploitation. Les mêmes faits peuvent intervenir au sein d’une famille suisse, mais on ne parlera alors pas d’un réseau criminel. Etes-vous d’accord ? En revanche, il y a toute une rhétorique qui est construite autour des personnes roms ; cette rhétorique conduit directement à embrayer sur un discours sur les réseaux criminels. Dans l’exemple que vous donnez, il s’agit de violences et de l’exploitation intrafamiliale pour des petits groupes. Ce n’est pas un réseau criminel, ce sont des petites organisations familiales. J’aimerais que vous me montriez l’exemple d’un réseau qui ne serait pas une petite cellule familiale à l’intérieur de laquelle il y aurait de la maltraitance. Je suis d’accord avec vous : ces maltraitances doivent être condamnées, il n’y a pas de problème, mais je condamne simplement les termes utilisés pour parler de ces violences.

M. Vassilis Venizelos (C-DJES) — Conseiller-ère d’Etat

En ce qui concerne la thématique de l’exploitation d’êtres humains, un cas genevois a été cité en exemple. Je tiens à rappeler – cela a été fait en commission – que, dans le canton de Vaud, il n’y a eu qu’un seul cas identifié de traite d’êtres humains qui a fait l’objet d’une condamnation. C’était en 2013, d’ailleurs il n’y a eu aucun cas depuis. Sur le territoire, depuis ces 5 ou 10 dernières années, nous n’observons pas de recrudescence de la mendicité. Les rapports de police le confirment : nous n’observons pas de recrudescence de l’agressivité de la part des mendiants et nous n’observons pas non plus de traite d’êtres humains compte tenu des différentes actions déployées sur le terrain. 

En ce qui concerne l’amendement proposé, il n’est pas interdit d’interdire : c’est le point de vue défendu en 2018 par votre Parlement qui a souhaité interdire la mendicité. La CEDH a confirmé qu’il n’est pas interdit d’interdire, mais a précisé qu’il faut le faire avec proportionnalité et nuance. C’est ce créneau que le Conseil d’Etat a choisi d’emprunter, par cohérence avec d’autres articles et d’autres dispositions de la loi pénale vaudoise. Je pense à l’article 17, qui porte sur les manifestations, qui rappelle par exemple qu’il est interdit de manifester en se voilant le visage ou en portant une arme. Tout cela semble évident, mais c’est tout de même inscrit dans la loi. On parle donc d’interdiction dans la loi pénale vaudoise. On parle aussi d’interdiction à l’article 25 qui concerne les mesures d’éloignement. Le Conseil d’Etat s’est inscrit dans ce sillon. Le Parlement a souhaité parler d’interdiction. La CEDH n’exclut pas de parler d’interdiction, mais de façon un peu plus nuancée et proportionnée. Par ailleurs, la loi pénale vaudoise parle d’interdiction. C’est la raison pour laquelle le Conseil d’Etat a choisi cette formulation. Maintenant, un débat politique s’est engagé au sein du Parlement pour savoir s’il faut parler d’interdiction ou plutôt d’un euphémisme de l’intention du premier pouvoir. Dans la pratique, quelle que soit la version qui sera retenue par ce Parlement, cela ne changera rien au travail des forces de police qui ont bien compris la volonté du législateur de faire en sorte que la mendicité intrusive soit empêchée sur le domaine public. C’est dans ce sens que les forces de police interpréteraient un tel article. Encore une fois, l’intention du Conseil d’Etat était de s’inscrire dans la continuité de la volonté du Parlement d’interdire la mendicité, avec la nuance apportée par la CEDH.

M. Alexandre Démétriadès (SOC) —

M. le conseiller d’Etat a apporté une précision importante : il n’y a pratiquement pas de cas d’exploitation documenté dans le canton. Je pensais qu’il allait donner une deuxième précision, mais il ne l’a pas fait, c’est la raison pour laquelle j’interviens après lui. Cette loi ne traite pas de la question de l’exploitation des êtres humains, de l’exploitation intrafamiliale ou d’autres cas dans la société. Cette loi ne traite pas de violence, mais de la mendicité exclusivement. A mon avis, la commission a eu raison de préciser que la mendicité – et cette dernière uniquement, pas les réseaux, pas les trafics – est autorisée à quelques restrictions près. Je vous encourage vivement à soutenir ce rapport de majorité, mais j’aimerais surtout que ce Parlement, lorsqu’il traitera les prochains articles, garde en tête que nous parlons uniquement de la mendicité, et non pas de réseaux d’exploitation – de mineurs ou d’adultes, peu importe.

M. Jean-François Thuillard (UDC) — Président-e

L’amendement de la majorité de la commission est refusé par 79 voix contre 56 et 1 abstention. 

Mme Thanh-My Tran-Nhu (SOC) — Rapporteur-trice de majorité

Par 7 voix contre 5, sans beaucoup de discussion, la majorité de la commission vous propose l’amendement suivant : 

« Art. 23. – Al. 2 : Est de nature à porter atteinte à la liberté de choix du passant :

  1. la mendicité intrusive,ou agressive, déloyale ou trompeuse ; »
Mme Florence Bettschart-Narbel (PLR) — Rapporteur-trice de minorité

La minorité de la commission soutient cet amendement. Aujourd’hui, on constate certaines pratiques de personnes qui mendient en présentant des papiers ou en se faisant passer pour des sourds. C’est aussi pour cadrer ces pratiques que nous avons ajouté les mots « déloyale ou trompeuse ».

M. Jean-François Thuillard (UDC) — Président-e

L’amendement de la majorité de la commission est accepté par 113 voix contre 15 et 5 abstentions.

Mme Florence Bettschart-Narbel (PLR) — Rapporteur-trice de minorité

J’ai transmis au Secrétariat général du Grand Conseil les amendements que nous avions déposés. Je propose de les soumettre au vote séparément, parce qu’il s’agit d’éléments essentiels. Pour le premier, le syndic de Lausanne nous a rendus attentifs au fait que l’interdiction ne devait pas seulement concerner les files d’attente, mais l’ensemble du périmètre du marché. 

« Art. 23. – Al. 2, lit. b, la mendicité pratiquée :

– dans les transports publics et leurs arrêts, les cimetières, les marchés et files d’attente des marchés ou d’établissements qui pratiquent la vente de mets ou de boissons à l’emporter, »

Mme Thanh-My Tran-Nhu (SOC) — Rapporteur-trice de majorité

Je rappelle que Than-My est mon prénom et Tran-Nhu mon nom de famille. Je rappelle également que la majorité de la commission a accepté le projet initial du Conseil d’Etat qu’elle estime proportionné et respectueux de la CEDH.

M. Vassilis Venizelos (C-DJES) — Conseiller-ère d’Etat

Encore une fois, le Conseil d’Etat vient avec un projet qui reprend les préoccupations, les remarques, et les observations formulées par la CEDH dans son arrêt. C’est la raison pour laquelle il vous invite à en rester aux files d’attente des marchés. Certes, il y a cet arrêt du Tribunal fédéral sur le cas bâlois, mais cela ne veut pas dire que la CEDH partagera l’appréciation du Tribunal fédéral. La volonté du Conseil d’Etat est d’avoir un dispositif applicable, qui ne fera pas l’objet d’un nouveau recours. C’est la raison pour laquelle le Conseil d’Etat vient avec cette proposition relative aux files d’attente des marchés. 

Par ailleurs, j’imagine que de nombreux amendements vont être déposés pour essayer d’élargir cette liste à foison. Si l’on met bout à bout les différents lieux qui pourraient être ajoutés à ce projet de loi, il pourrait arriver qu’il ne reste plus aucun morceau de territoire des centres-villes dans lesquels on pourrait envisager de mendier. Par conséquent, la CEDH pourrait considérer que le dispositif vaudois serait disproportionné. Ainsi, je vous invite à faire preuve de sagesse et à en rester à la proposition du Conseil d’Etat. C’est une intention qui est donnée à travers cet article de loi. Il y aura ensuite une appréciation sur le terrain de la part des forces de police pour éviter les comportements intrusifs sur l’ensemble de l’espace des marchés. Encore une fois, l’intention du Conseil d’Etat est d’avoir un projet équilibré qui ne fera pas l’objet d’un nouveau recours.

Mme Florence Bettschart-Narbel (PLR) — Rapporteur-trice de minorité

Je suis un peu étonnée de la position du conseiller d’Etat sur les marchés – mais peut-être qu’il n’y est jamais allé. Il est compliqué de se rendre compte à quel moment on se trouve dans une file d’attente ou à quel moment on se promène. Elargir le périmètre à l’ensemble des marchés ne me semble pas disproportionné. J’aimerais tout de même rappeler que l’arrêt bâlois qui a éliminé les parcs publics de la liste de la loi bâloise s’est justement penché sur la question de la proportionnalité et de la convergence avec la CEDH. Dès lors, ajouter les marchés dans leur ensemble ne poserait pas de problème en matière de proportionnalité et semble parfaitement acceptable – et surtout plus facile à appliquer par les forces de l’ordre lorsqu’elles devront agir. 

Mme Joëlle Minacci (EP) —

Je m’excuse de prendre la parole après le conseiller d’Etat, d’autant que je voulais défendre à peu près la même chose que lui. Il est important d’éviter de dresser une liste tellement grande des lieux où la mendicité serait interdite que la mendicité serait, de fait, totalement interdite. Cela ne respecterait pas l’arrêt de la CEDH. Je pense que nous devons être attentifs à cela, être proportionnés dans les limitations que nous donnons. Par ailleurs, il est parfaitement imaginable que les personnes qui se font aborder dans des files d’attente puissent se sentir prises au piège, parce qu’elles ne peuvent pas trop bouger. Quand vous vous baladez dans le marché, je pense qu’il y a tout de même une proportionnalité : vous pouvez tout à fait dire non à une personne qui vient vous demander l’aumône. Je vous invite donc à en rester à la proposition du Conseil d’Etat et à ne pas accepter ces lieux supplémentaires demandés par la minorité de la commission.

M. Marc-Olivier Buffat (PLR) —

Evidemment, il s’agit d’une question d’appréciation et de proportionnalité. Encore une fois, ce sont les mêmes théories que dans d’autres types d’interdictions. Le Tribunal fédéral s’est déjà assez largement exprimé sur ce sujet, mais il faut être clair : que voulons-nous définir ? Que voulons-nous interdire ? Qu’est-ce qu’une file d’attente ? Notre collègue Bettschart-Narbel a raison : voulons-nous autoriser la mendicité ? Je vous donne un exemple : sur le stand d’un marché où il y a 3 personnes, est-ce une file d’attente ? Il faudra définir ce que l’on entend par file d’attente. Voulons-nous permettre l’exercice de la mendicité sur un stand du marché autour duquel se trouvent deux ou trois personnes ? Ces personnes sont en train d’acheter des fruits et des légumes – ou d’autres biens – elles ont leur porte-monnaie ouvert, etc. Quelqu’un va venir leur demander une petite pièce. C’est cela que nous voulons autoriser ? Il faut être clair : sans l’amendement de la minorité de la commission, ce type de comportement sera autorisé, alors que la mendicité dans la file d’attente sera potentiellement interdite. A la place de la Palud, je vois souvent une dizaine de personnes qui viennent acheter du lait bio provenant de la ferme devant le Café du Raisin. Dans ce cas, la mendicité sera interdite. En revanche, si une personne seule se trouve sur le stand d’à côté qui vend des salades, elle sera autorisée… Soyons clairs, c’est inapplicable ! Aucun policier lausannois ne pourra s’y retrouver dans une telle définition, pas plus que le policier veveysan ou yverdonnois.

Si vous voulez autoriser la mendicité sur les stands des marchés, même s’il y a peu de monde, il faut refuser l’amendement de la minorité de la commission. Si vous estimez que ce n’est pas gérable et que l’on a le droit d’aller faire ses courses sans être importunés sur un marché, il faut accepter cet amendement.

M. Alexandre Démétriadès (SOC) —

Je voudrais à nouveau recadrer le débat. Nous parlons de pratiques de mendicité qui ne seraient ni intrusives, ni agressives, ni déloyales, ni trompeuses. Nous parlons d’une personne qui demande une pièce de manière non agressive, il faut quand même le préciser. Fondamentalement, je trouvais que la notion de file d’attente était intéressante, puisque la volonté des interdictions proposées par le Conseil d’Etat était d’éviter de mettre des gens dans des situations délicates lorsqu’ils sont en train de manier de l’argent. La file d’attente était pour moi relativement claire, mais j’ai compris qu’une majorité probable souhaitait étendre la notion au marché. J’aimerais que la rapportrice de minorité précise un peu la notion dont nous parlons : en effet, la notion de marché peut définir un périmètre assez large. Par exemple, une question très pragmatique : selon vous, est-ce que le marché de la Riponne représente une notion qui est temporelle et localisée ? Les jours où il n’y a pas de marché à la Riponne, considérez-vous qu’il s’agit une zone de marché ? J’aimerais obtenir des clarifications les plus précises possibles pour savoir si une zone dans laquelle il y aurait un stand un jour par semaine serait considérée les autres jours où il n’y a pas de stand comme étant une zone de marché. L’amendement que vous avez proposé couvre un périmètre tellement large qu’il rend le concept un peu flou. Madame la rapportrice de minorité, j’aimerais bien que vous nous donniez quelques éléments sur l’aspect territorial et ponctuel ou non de votre dispositif.

M. Jean-Daniel Carrard (PLR) —

Lorsque l’on rédige des articles de loi, il faut penser à ceux qui devront les appliquer. Comment voulez-vous appliquer une loi qui stipule « dans les files d’attente des marchés » ? Maintenant se pose encore la question du type de marché… Au secours ! Il faut donner des éléments clairs et la version de la minorité à propos des marchés est claire et facile à appliquer. Je vous invite à suivre le rapport de minorité.

M. Pierre Zwahlen (VER) —

La Cour européenne a reconnu le droit d’exercice de la mendicité. Nous devons maintenant trouver un équilibre dans cette loi qui devra être applicable pour les autorités communales et pour les villes en particulier. En ce sens, je suis sensible à l’amendement proposé. En effet, je crois que la distinction entre le périmètre d’un marché et les files d’attente à l’intérieur de ce marché poserait énormément de difficultés aux organes chargés d’exécuter cette loi. Dès lors, il me semble que nous pouvons élargir l’interdiction à l’ensemble des marchés et à l’entrée des établissements publics. Cela permettra effectivement de rendre cette loi à la fois adaptée, appropriée et réaliste.

Mme Florence Bettschart-Narbel (PLR) — Rapporteur-trice de minorité

Notre collègue Démétriadès m’a interpellée pour savoir ce que j’entendais par marché. Je crois que les notions de la Police du commerce sont assez claires : des autorisations sont accordées pour des périodes données et des zones données. Selon moi, c’est ce qui définira la notion de marché. Je pense que la police sait très bien quand il s’agit d’un marché, d’une brocante ou d’un autre événement. Selon moi, les législations en vigueur permettent de déterminer assez clairement ce qu’est qu’un marché.

Mme Carine Carvalho (SOC) —

C’est vrai qu’il s’agit d’un débat compliqué. Le premier amendement concernait l’autorisation de la mendicité – ou son interdiction – et nous sommes maintenant dans le fine tuning de cette loi. Nous sommes maintenant confrontés à des principes de réalités vécues par certaines personnes, des personnes qui mendient ou des piétonnes et piétons qui profitent de l’espace public. En tant que Lausannoise, j’observe que cette discussion devient de plus en plus tendue dans notre ville, mais pas en raison d’une aggravation de la mendicité. M. le conseiller d’Etat l’a rappelé : il n’y a pas plus de mendicité qu’avant et cette dernière ne devient ni plus violente ni plus intrusive. Cela s’explique simplement par la raréfaction de l’espace public. Nous sommes dans une situation dans laquelle il y a beaucoup de politiques publiques de développement urbain ; les travaux deviennent interminables dans nos villes, les piétonnes et piétons ont l’impression d’avoir moins accès à cet espace public. Parlons aussi de la place des voitures qui est plus envahissante qu’avant. Nous avons aussi la chance d’avoir des marchés publics et des événements publics qui sont dynamiques et vivants. Il y a donc une concurrence pour cet espace public qui se fait sentir : elle est peut-être conjoncturelle, mais peut-être aussi liée à des modifications de l’espace urbain. 

Je peux comprendre la gêne que pourrait éprouver une famille coincée entre une grille de chantier et la route et qui devrait faire face à une personne qui mendie de manière insistante. C’est gênant, même si je ne suis pas d’accord de dire qu’il s’agit d’un problème de sécurité. Ces situations deviennent de plus en plus fréquentes et engendrent un malaise grandissant. Nous sommes donc tentés de vouloir légiférer en mentionnant des lieux précis, des zones qui échapperaient à cette tension, notamment dans les cadres des marchés qui sont extrêmement prisés par les Lausannois. Je comprends aussi la tension que cela peut générer, même au sein des personnes qui soutiennent la position de la minorité de la commission. D’un côté, on nous dit que la notion de marché est suffisamment claire, que les policiers vont pouvoir agir dans ce cadre, mais d’un autre côté, on nous dit que ce n’est pas clair. Je ne comprends pas du tout la position de M. Buffat lorsqu’il dit que ce n’est pas clair, que quelqu’un qui sort son argent devant un stand du marché pourrait se faire interpeller par un mendiant. Je pense que la loi est très claire sur cette question. 

On le voit aussi dans ce débat, les définitions de certaines choses amènent de la tension. Ce qui me pose un problème, c’est que la minorité a déposé tellement d’amendements restrictifs que, de fait, cela revient à interdire la mendicité. Ainsi, nous perdons complètement l’aspect proportionnel qui nous a été rappelé à maintes reprises. Pour ma part, sachant que cette idée de marché ne fait pas consensus dans ce débat, je vous invite à ne pas suivre la minorité en ce qui concerne la restriction de tous les autres aspects. Il en va de l’équilibre de l’objet que nous votons aujourd’hui.

Mme Graziella Schaller (V'L) —

J’ai aussi un problème de clarification concernant la question posée à propos des marchés. Certaines plaintes sont remontées concernant des situations lors des festivals qui ont eu lieu récemment à Lausanne, par exemple le Festival de la Cité. Je voudrais savoir si cette question de la présence de mendiants pendant les festivals a été évoquée en commission et si ces derniers sont inclus dans les marchés et établissements qui pratiquent la vente, comme précisé dans l’article b.

Mme Joëlle Minacci (EP) —

Il me semble que le critère de la file d’attente – au marché ou devant des établissements – est clair, compréhensible et applicable pour la police, mais aussi compréhensible pour les personnes qui mendient. Il faut avoir conscience que, si nous allongeons la liste des lieux interdits, les personnes qui pratiquent la mendicité risquent d’être perdues face à cette multitude d’interdictions. Selon moi, la file d’attente est un critère qui convient parfaitement. Cela évite les situations dans lesquelles des personnes peuvent se retrouver captives d’une demande, parce qu’elles ne peuvent pas bouger. Si vous déambulez dans un marché ou dans la rue, les personnes ont le droit de vous aborder, mais vous pouvez partir ; vous pouvez dire oui ou vous pouvez dire non. 

Je pense qu’il faut en rester à la proposition du rapport de majorité qui mentionne les files d’attente des marchés ou des établissements et arrêter d’élargir les lieux interdits pour les personnes qui mendient. Comme l’a rappelé ma collègue Carvalho, à force d’élargir la liste des lieux interdits, nous risquons d’arriver à une interdiction totale effective de la mendicité.

M. Marc-Olivier Buffat (PLR) —

Puisque je suis interpellé, je reviens sur la notion de marché. Comme dit précédemment, lorsque vous tenez un stand sur un marché, vous obtenez une autorisation avec une durée, un début et une fin. A Lausanne, vous avez même un emplacement. Il est donc relativement simple pour l’autorité municipale de déterminer à quelle heure commence le marché et quelle est son implication locale, puisque tous les stands sont déclarés et font l’objet d’une autorisation avec des horaires précis. Lorsque l’horaire prévu pour le marché – ou la manifestation publique – est terminé, on sort évidemment du cadre de la notion de marché, raison pour laquelle l’autorité municipale a toutes les données en main pour définir quel est le périmètre du marché et surtout quelle est sa durée temporelle. Ce critère est donc parfaitement applicable, parfaitement maîtrisable. 

En ce qui concerne la file d’attente, j’attends que l’on précise le nombre de personnes que cela concerne : 2, 3, 4, 5, 10 ou 12 ? Il faut préciser ce critère. Si nous optons pour 5 personnes, il ne faudra pas revenir dans un an pour dire que ce chiffre est trop bas – ou trop haut pour certains – et proposer le chiffre de 6 personnes pour définir une file d’attente – un peu comme nous l’avons fait pour les logements d’utilité publique (LUP) dans un autre débat. 

Pour répondre à notre collègue, je pense que lorsque vous êtes seule sur le stand d’un marché en train d’acheter vos fruits et légumes – seule ou à côté d’une ou deux personnes, peut-être avec une poussette ou en train d’accompagner une personne un peu plus âgée ou à mobilité réduite – vous ne constituez pas une file d’attente à vous seule. Contrairement à Renaud qui chantait « Je suis une bande de jeunes à moi tout seul », vous ne constituez pas une file d’attente à vous toute seule et vous pourriez, cas échéant, vous faire importuner par quelqu’un qui exerce la mendicité dans le cadre légal que vous auriez proposé. Personnellement, je n’entends pas accepter ce type de situation ni de solution. Je pense que l’interdiction générale de manière ciblée par la définition du marché est beaucoup plus cohérente, beaucoup plus efficace et beaucoup plus conforme au principe de proportionnalité.

M. Philippe Miauton (PLR) —

Loin de moi la volonté d’allonger ce débat, mais on a entendu précédemment qu’il n’y aurait pas de recrudescence de la mendicité. J’ai un avis certainement différent – j’habite à Lausanne – mais tout cela est certainement subjectif. J’aimerais bien un peu d’objectivité et peut-être que M. le conseiller d’Etat pourra nous dire s’il y a de nouvelles observations en la matière. 

Concernant les marchés, j’ai entendu certains collègues de gauche nous parler d’une population vulnérable qu’il fallait protéger. Or, s’il y a bien un endroit où toutes ces populations vulnérables se retrouvent, c’est lors des marchés : on y trouve aussi bien des jeunes que des personnes âgées. A mon avis, il n’est pas plus simple de définir ce lieu dans son ensemble qu’au travers d’une notion très floue, comme l’a fait mon voisin de pupitre.

Mme Thanh-My Tran-Nhu (SOC) — Rapporteur-trice de majorité

Pour répondre à Mme Graziella Schaller qui s’interrogeait sur la notion de festival, avec la rapportrice de minorité, nous n’en avons pas discuté dans le cadre de la commission. Nous avons évoqué de nombreux lieux, mais pas ce type de manifestations qui, à mon sens, ont leurs propres règles. 

Monsieur Miauton, dans le cadre de la commission, nous avons aussi demandé au Conseil d’Etat pourquoi il estimait qu’il n’y avait pas de recrudescence de la mendicité. Le Conseil d’Etat nous a donné quelques chiffres : en 2017, il y a eu 417 entrées dans le Journal des événements de police (JEP). A fin septembre 2023, on comptabilisait 498 entrées.

Mme Joëlle Minacci (EP) —

A entendre notre collègue Buffat, j’ai l’impression que tout à coup, la notion de la file d’attente devient extrêmement compliquée et qu’il vaudrait mieux interdire tout le périmètre d’un marché. Non, il y a des règles très simples : vous êtes dans une file d’attente quand vous êtes à un stand ou devant un établissement pour acheter quelque chose. Cette règle de fonctionnement n’est pas compliquée à comprendre et elle est parfaitement proportionnée. Il faut aussi se rendre compte que, si vous voulez interdire le périmètre des marchés à Lausanne, il faut en connaître les horaires. C’est aussi un périmètre assez large qui s’étale sur plusieurs rues, la restriction de périmètre serait énorme. Ce n’est pas parce que certaines personnes ne comprennent pas ce qu’est une file d’attente qu’il vaut la peine d’élargir l’interdiction à tout le marché. Je pense que cette règle sera comprise par les personnes qui mendient et par la police qui devra la faire respecter. 

De manière plus fondamentale, j’aimerais quand même rappeler que l’on n’interdit pas la mendicité sur un marché parce que cela embête les gens qui veulent faire leurs courses tranquillement. Nous devons édicter des règles qui sont proportionnées et arrêter de vouloir absolument élargir les espaces d’interdiction simplement parce que vous ne voulez pas voir de mendiants.

Mme Céline Baux (UDC) —

Une petite question pour rebondir sur la remarque de M. Miauton : plusieurs témoignages m’ont fait part d’une augmentation de la violence – ou disons de l’agressivité – chez les jeunes à Lausanne, sans doute en lien avec la consommation de drogue, notamment de crack. Ce n’est pas forcément lié aux Roms dont nous parlons aujourd’hui, mais les rares fois où je me rends dans les rues de Lausanne, il me semble que les personnes qui mendient pour acheter de la drogue le font maintenant de manière un peu plus violente, ce qui entraine certaines personnes dans des situations délicates. J’aimerais savoir pourquoi cela ne ressort pas dans les différents témoignages reçus par M. le conseiller d’Etat.

M. Philippe Miauton (PLR) —

Je déduis des propos de la rapportrice de la majorité qu’il y a eu une augmentation d’environ 25 % des cas – ce qui n’est pas anodin – et qu’il s’agit uniquement des cas relevés par la police lors de contrôles. En souhaitant améliorer cette loi, nous nous rendrons certainement compte que cette proportion est beaucoup plus grande dans les faits. 

Je pense qu’il faut éviter d’aborder la thématique de la consommation du crack, parce qu’il est fort probable que le syndic de la ville de Lausanne n’ait pas tout à fait la même appréciation de la réalité du crack et de tous les malheurs qui l’entourent et qui s’invitent aussi sur nos marchés et à la place de la Riponne, pour répondre à un collègue nyonnais

Mme Graziella Schaller (V'L) —

Je reviens sur ma question concernant les festivals. Vous m’avez répondu que les festivals avaient leurs propres règles, ce que je veux bien croire, mais il n’en demeure pas moins que les mêmes problématiques ont été remontées au sujet de plusieurs festivals concernant la question des verres et de la vaisselle consignés. On m’a rapporté, à plusieurs reprises, que des mendiants sont très présents et insistent lourdement auprès des personnes pour récupérer leurs verres et empocher ainsi l’argent de la consigne. Lors du dernier Miam Festival, cela a été un vrai problème et la police était vraiment démunie. A vous entendre, cela n’est pas réglé dans cette loi et insister lourdement auprès de gens assis à des tables pourrait devenir une source de revenus pour les mendiants. Je pense qu’il y a quelque chose à compléter ou à préciser dans un article à ce sujet.

M. Vassilis Venizelos (C-DJES) — Conseiller-ère d’Etat

Madame Baux, il est évident que cette loi s’applique à toute personne sur le territoire vaudois qui pratiquerait la mendicité de façon intrusive ou agressive. Cela inclut également les personnes que vous décriviez dans votre intervention. 

En ce qui concerne l’amendement sur les marchés, quel que soit le texte que vous retiendrez, je vous invite à faire confiance aux forces de police sur le terrain. Aujourd’hui, des décisions sont prises par les autorités communales pour délimiter non pas un périmètre complet, une zone dans laquelle le marché va être possible, mais des emplacements sur lesquels les stands vont pouvoir s’implanter. Si une décision est prise pour deux stands sur l’ensemble de la place de la Riponne, que se passera-t-il entre ces deux stands ? Je suis incapable de le dire. Que vous choisissiez la version avec ou sans file d’attente, la police va de toute façon édicter dans la foulée une directive opérationnelle qui lui permettra de préciser la façon dont l’intention du Parlement pourra être mise en œuvre. De toute manière, il est clair que nous allons agir de façon proportionnée, que ce soit dans les files d’attente, sur un périmètre complet ou à proximité des stands considérés. 

Je crois que tout le monde a bien compris l’intention qui figurait dans le texte proposé par le Conseil d’Etat. Je le rappelle, notre intention est que ce texte ne fasse pas à nouveau l’objet d’un recours ou ne soit pas déformé par un arrêt de la CEDH. Sur le terrain et au niveau opérationnel, nous pouvons vivre avec ces deux versions proposées – la file d’attente ou le marché. Néanmoins, puisque d’autres amendements semblent se profiler, j’attire votre attention qu’en additionnant les périmètres d’interdiction dans la loi, cela pourrait être considéré comme une interdiction totale de la mendicité sur l’ensemble du périmètre d’un territoire. Cela pourrait faire l’objet d’un recours qui entrainerait évidemment une suspension du dispositif légal. 

En ce qui concerne la file d’attente ou le marché, je vous invite à faire confiance aux forces de police qui vont ensuite décliner ces différents éléments dans une directive opérationnelle, ce qui permettra d’avoir un dispositif efficace et en phase avec le terrain. Encore une fois, je vous conseille de ne pas avoir la main trop lourde dans les différents amendements que vous déposerez par la suite.

M. Jean-François Thuillard (UDC) — Président-e

L’amendement 1 de la minorité de la commission est accepté par 91 voix contre 31 et 12 abstentions.

Mme Florence Bettschart-Narbel (PLR) — Rapporteur-trice de minorité

Ce second amendement concerne les établissements publics. Une interdiction était prévue sur les terrasses des établissements publics, mais nous constatons que la mendicité intervient aussi aux entrées de certains établissements – je pense à des fast food bien connus – et de manière assez agressive et intrusive. Je pense qu’il faudrait préciser que l’interdiction concerne aussi les entrées de ces établissements :

« Art. 23. – Al. 2, lit. b, la mendicité pratiquée :

sur les terrasses et aux entrées des établissements publics, »

M. Jean-François Thuillard (UDC) — Président-e

L’amendement 2 de la minorité de la commission est accepté par 80 voix contre 43 et 9 abstentions.

Mme Florence Bettschart-Narbel (PLR) — Rapporteur-trice de minorité

Ce troisième amendement contient plusieurs choses : tout d’abord, la rédaction originelle du Conseil d’Etat parlait des « abords des écoles et places de jeux ». Par la suite, cet article mentionnait « à proximité immédiate des banques, bureaux de poste, distributeurs automatiques d’argent et horodateurs ». Il nous semble que les termes « proximité immédiate » sont plus clairs que « aux abords ». C’est la raison pour laquelle nous proposons de tout regrouper et de parler de « proximité immédiate ». Nous en avons discuté en commission : l’une des premières propositions était de fixer une distance à calculer, mais il est vrai que cela aurait été compliqué à appliquer. A l’époque, nous avions parlé de 5 mètres, mais la police nous avait dit que cela serait compliqué à appliquer. Par ailleurs, il nous semble qu’en plus des écoles, les crèches devraient aussi faire l’objet d’un périmètre d’interdiction.

« Art. 23. – Al. 2, lit. b, la mendicité pratiquée :

aux abordsà proximité immédiate des écoles, crèches, et places de jeux, à proximité immédiate des banques, bureaux de poste, distributeurs automatiques d’argent, horodateurs, »

M. Vassilis Venizelos (C-DJES) — Conseiller-ère d’Etat

Nous pouvons parfaitement vivre avec cet amendement, mais il y a eu des tentations, en commission, de revenir avec cette fameuse distance de 5 mètres. Je vous invite à ne pas aller dans cette direction. L’image d’un agent de police qui se balade avec une chevillère à ruban dans les rues de Lausanne ne serait pas très glorieuse. Nous pourrons vivre avec ces amendements et j’espère que la CEDH pourra aussi vivre avec en cas de recours – nous y reviendrons lors de la discussion sur le dernier amendement qui étend encore la liste des lieux interdits. Je vous demande de ne pas faire figurer de dimension métrique dans la loi et de faire confiance à la police et aux directives opérationnelles qui seront établies.

M. Jean-François Thuillard (UDC) — Président-e

L’amendement 3 de la minorité de la commission est accepté par 96 voix contre 28 et 7 abstentions.

Mme Florence Bettschart-Narbel (PLR) — Rapporteur-trice de minorité

Dans ce quatrième amendement, j’ai effectivement ajouté une liste de lieux qui semblent être problématiques. Ces lieux ont été ajoutés dans la loi bâloise sur la mendicité et ont donc été validés par le Tribunal fédéral. Je le répète : ce dernier a examiné la loi bâloise à l’aune de la CEDH. Nous pouvons donc partir du principe que le Tribunal fédéral examine les choses de manière complète ; nous pouvons faire confiance à son arrêt. C’est la raison pour laquelle, dans cet amendement, je propose d’ajouter un certain nombre de lieux : 

« Art. 23. – Al. 2, lit. b, la mendicité pratiquée :

– aux entrées des immeubles d’habitation et de bureaux, bâtiments et installations publics, magasins, établissements médicaux et de soins, musées, théâtres et cinémas. »

M. Romain Pilloud (SOC) —

Pour cet amendement – en particulier cumulé aux autres – les mots qui me viennent à l’esprit sont : inapplicable, abusif, disproportionné et voué à faire face à un mur auprès de la CEDH. Disproportionné, car la proposition n’est rien d’autre que la définition claire d’une interdiction générale de la mendicité. Si on ne peut se trouver à côté d’aucun bâtiment en ville – ce que propose l’amendement – cela revient à interdire la mendicité dans tous les lieux de l’espace urbain. La proposition est abusive, car l’amendement ne produira que des avertissements, des amendes ou des peines privatives de liberté. A quel moment trouvons-nous normal de criminaliser à ce point des gens qui n’ont rien ? Je crois que Mme Minacci l’a dit de manière beaucoup plus claire : à quel moment pense-t-on que la pauvreté va disparaître ? Cette proposition est inapplicable, parce qu’elle est probablement peu conforme à la CEDH, en particulier avec l’ensemble des autres amendements cumulés. Cela demanderait surtout une activité policière assez massive dont le seul but serait d’avertir et de réprimander les personnes qui mendient. Or, il me semble qu’aucune police communale – pas plus que la Police cantonale – ne peut se permettre de mettre à disposition cette force de travail pour faire respecter cet amendement qui, de fait, empêche la mendicité.

A titre personnel, je ne pourrais pas accepter la loi en vote final si cet amendement était accepté, parce que nous partirions d’un projet qui cadre la mendicité – le projet du Conseil d’Etat – pour arriver à un projet disproportionné, inapplicable, criminalisant la pauvreté, sans proposer la moindre mesure permettant de pacifier l’espace public et qui ne respecte ni les droits fondamentaux ni l’arrêt de la CEDH. Je pense qu’il serait irresponsable que ce plénum accepte un amendement qui irait à l’encontre de ces éléments, puisqu’à moyen terme, nous serions probablement à nouveau désavoués par la CEDH. Néanmoins, je serais curieux d’entendre l’avis du Conseil d’Etat sur cet amendement, même si nous avons déjà eu quelques indices dans les précédentes prises de parole de M. Venizelos.

M. Jean-François Thuillard (UDC) — Président-e

Je vous propose d’entendre la position du Conseil d’Etat sur cet amendement la semaine prochaine.

Le débat est interrompu.

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