21_MOT_4 - Motion Raphaël Mahaim et consorts - Abroger la loi vaudoise interdisant la mendicité.

Séance du Grand Conseil du mardi 29 novembre 2022, point 10 de l'ordre du jour

Texte déposé

Dans un arrêt du 19 janvier 2021, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a condamné la Suisse pour l'interdiction genevoise de la mendicité, considérant notamment qu'une telle mesure était contraire à l'art. 8 CEDH (droit au respect de la vie privée). Cette décision, prise à l'unanimité des juges à la CEDH, ne laisse aucune place à l'ambiguïté: une interdiction absolue de la mendicité n'est pas proportionnée et viole les droits fondamentaux des personnes concernées.

 

La loi vaudoise interdisant la mendicité a été combattue par un recours déposé par plusieurs personnes pratiquant la mendicité en terre vaudoise, roms et suisses, de même que par plusieurs personnes donnant occasionnellement de l'argent. Cette procédure est actuellement aussi pendante devant la CEDH. Au vu de la décision dans l'affaire genevoise, il est désormais clair que la loi vaudoise est également contraire aux droits fondamentaux.

 

Les motionnaires soussignés demandent ainsi l'abrogation, à brève échéance, des dispositions de la loi pénale vaudoise qui consacrent cette interdiction de la mendicité (en tous les cas l'art. 23 al. 1 LPén).

 

Conclusion

Renvoi à une commission avec au moins 20 signatures

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Anne-Laure Métraux-BotteronVER
Léonard Studer
Didier LohriVER
Sabine Glauser KrugVER
Alice GenoudVER
Jean-Marc Nicolet
Nathalie JaccardVER
Olivier Epars
Pierre FonjallazVER
David RaedlerVER
Felix StürnerVER
Anne Baehler Bech
Andreas WüthrichV'L
Cendrine CachemailleSOC
Hadrien BuclinEP
Rebecca JolyVER
Céline MisiegoEP
Stéphane BaletSOC
Julien EggenbergerSOC
Valérie InduniSOC
Jean TschoppSOC

Documents

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. Yann Glayre (UDC) — Rapporteur-trice

La commission chargée d’étudier ces deux motions s’est réunie à deux reprises, en novembre 2021 et janvier 2022. Une délégation représentant divers secteurs de l’Etat – juridique, procureur et police – a permis d’approfondir ce dossier pour le moins complexe. Les discussions ont porté sur ce qu’il est possible de faire dans le cadre de l’arrêté de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Pour rappel, la situation juridique créée par l’arrêt de la CEDH concerne un cas d’espèce d’une personne condamnée à une amende convertie en peine privative de liberté. La CEDH met en avant la question de la proportionnalité qui pose des problèmes dans l’application de la loi vaudoise, qui réprime sans nuance et sans se préoccuper de la situation de la personne ainsi que des motifs qui l’ont amenée à mendier.

Par rapport aux discussions ayant eu lieu en 2016, le Conseil d’Etat continue d’estimer que certaines formes de mendicité doivent être interdites, à l’instar de l’utilisation des enfants ou de personnes vulnérables. La discussion générale a permis de mettre en lumière des avis divergents et des faits concernant la mendicité en Europe et en Suisse. Sur les 38 Etats européens signataires des conventions de la CEDH, il est rappelé que 29 interdisent ou limitent la mendicité.

Il a été évoqué par un commissaire que la majorité des mendiants ne font pas partie de réseaux. La Police cantonale informe qu’elle suit toutes les formes d’exploitation, mais indique qu’établir qu’il y a des réseaux de criminalité forcée dans le domaine de la mendicité n’est pas une affaire aisée et demande des moyens d’enquête importants. La difficulté est que les auteurs se trouvent parmi les victimes, dont ils sont difficilement dissociables. Par rapport au droit des étrangers, elle indique également que dans la mesure où ces personnes proviennent d’Etats européens, elles peuvent circuler librement en Europe et effectuer deux séjours de trois mois par an, en Suisse, et qu’il est difficile de prouver qu’une personne est partie ou revenue.

Afin de permettre au Conseil d’Etat de formuler une proposition légalement valable, les deux motionnaires acceptent de transformer leurs motions en postulat. Les opinions des commissaires se sont opposées. Pour certains membres de la commission, interdire la mendicité dans les zones piétonnes revient à interdire toute mendicité. Un député annonce être opposé aux deux motions ; il est défavorable à la mise en place d’une loi à tiroirs avec plusieurs niveaux dans la mendicité. Il trouverait préférable de passer à un régime d’amende d’ordre tout en maintenant un système d’amende préfectorale. Plusieurs avis expriment la volonté de trouver un compromis, en s’inspirant du règlement lausannois qui interdit la mendicité avec des enfants et la mendicité agressive.

Par 5 voix contre 4 et 1 abstention, la commission recommande au Grand Conseil de classer la motion Mahaim transformée en postulat par son auteur. Afin que vous puissiez débattre en toute connaissance de cause, je vous informe que le texte de notre collègue Florence Bettschart-Narbel a également été refusé par la commission.

Mme Séverine Evéquoz (VER) — Président-e

La discussion est ouverte.

Mme Claude Nicole Grin (VER) —

(remplaçant Raphaël Mahaim, ancien député) Pour rappel, la motion de notre ancien collègue demande l’abrogation des dispositions de la Loi pénale vaudoise (LPén) qui consacre l’interdiction de la mendicité, car ses dispositions sont contraires aux droits fondamentaux, suite à l’arrêt du 18 janvier 2021 de la CEDH. Ainsi, les avis de droit de la Direction générale des affaires institutionnelles et des communes (DGAIC) ensuite de l’arrêt de la CEDH ont confirmé qu’en l’état actuel, l’article 23 de la LPén n’est pas applicable. La motion de Mme Florence Bettschart ne demande pas l’abrogation de l’article 23 LPén, mais sa révision afin de mieux répondre aux exigences de la CEDH. Elle propose une adaptation de la LPén, à savoir que la mendicité soit encadrée et qu’elle ne soit pas tolérée dans certains lieux, notamment les rues piétonnes et les abords des gares. Il est à remarquer que si ces lieux, qui sont des espaces du domaine public et des lieux de passage, sont interdits à la mendicité, cela compromet sérieusement la pratique de la mendicité. D’autre part, je ne vois pas de quel droit il faudrait interdire la présence de personnes dans l’espace public et ainsi rétablir une ségrégation de triste mémoire.

Lors des débats de la commission, la conseillère d’Etat, Mme Béatrice Métraux, a rappelé que le Conseil d’Etat continue d’estimer que certaines formes de mendicité doivent être interdites, à l’instar de l’utilisation des enfants et des personnes vulnérables. Si le Conseil d’Etat peut concevoir qu’une loi pourrait interdire la mendicité agressive et même passive en certains lieux, il importe tout d’abord que le législateur respecte une certaine proportionnalité dans la délimitation des lieux interdits, car interdire un trop grand nombre de lieux reviendrait de fait à interdire la mendicité dans les communes. D’autre part, si en principe, dans la loi vaudoise, en cas d’amende non payée, toute peine pécuniaire est convertible en peine privative de liberté, il est aussi important d’appliquer un principe de proportionnalité et de ne pas réprimer sans nuances. Il est important de tenir compte de la situation de la personne, ainsi que des motifs qui l’ont amenée à mendier. Les sanctions doivent être examinées au cas par cas, ce que la loi vaudoise ne permet pas. Rappelons aussi que les personnes amenées à mendier sur la voie publique sont aussi bien des jeunes en rupture et des personnes sans domicile fixe ou des personnes venant d’Europe de l’Est. Pour toutes ces personnes, une peine privative de liberté ne ferait qu’augmenter leur détresse. De plus, ce serait aussi contribuer à l’engorgement des lieux pénitentiaires, déjà très problématique.

Il est donc d’autant plus nécessaire de revoir la LPén que le droit actuel n’est plus applicable suite à la décision de la CEDH. Les règlements communaux – comme celui de Lausanne, par exemple, qui introduit une interdiction de la mendicité dès le 1er novembre 2018 – ne sont plus applicables non plus. Les deux motions ont été transformées en postulat par leur auteur. Les Vertes et les Verts vous recommandent, comme la commission du Grand Conseil, le classement de ces deux postulats.

Mme Florence Bettschart-Narbel (PLR) —

Je reviens sur la prise de position de notre collègue Grin au nom de notre ancien collègue Mahaim. Tout d’abord, certaines choses dites sont fausses. En réalité, l’arrêt de la CEDH laisse ouverte la question de savoir si l’on peut, ou non, interdire la mendicité. Il dit toutefois que, si on l’interdit, ce doit être fait sur une base de proportionnalité et que l’on peut imaginer une interdiction dans certains périmètres, à certains endroits. C’est donc pour cette raison que j’avais déposé cette motion, à l’époque, puisque les autorités de la chaîne pénale avaient visiblement décidé d’appliquer une forme de moratoire à l’application de la LPén en matière de mendicité.

Vu ce moratoire, la situation devient difficile, notamment en ville de Lausanne où l’on constate effectivement une forte recrudescence de la mendicité, avec des mendiants relativement agressifs. Au marché, on voit des mendiants aller, aux stands, vers les personnes âgées qui ont leur portemonnaie ouvert, ce qui est toujours une situation compliquée. J’ai aussi eu des témoignages de parents d’adolescents qui sont visiblement particulièrement visés par les mendiants, eux aussi, n’étant pas forcément armés de la même manière que les adultes pour répondre à leurs sollicitations. On voit donc que la situation est difficile et, par conséquent, il faut que l’on trouve une solution aujourd’hui.

Nous sommes dans une situation particulière, puisque nous discutons aujourd’hui de deux motions transformées en postulats, alors qu’en parallèle, le Conseil d’Etat a déjà proposé un avant-projet de modification de la LPén – le conseiller d’Etat pourra peut-être nous expliquer pourquoi ils sont déjà allés de l’avant dans ce dossier. Le délai de consultation allait jusqu’à la fin de l’été et, aujourd’hui, j’imagine que nous attendons un projet de loi sur cette question, qui sera adapté aux différentes réponses à la consultation. Pour moi, j’estime que nous devons légiférer dans ce domaine et que nous devons garder un article dans la LPén, mais que nous devons effectivement l’adapter à l’arrêt de la CEDH. En effet, cet arrêt a posé certains jalons et laissé certaines questions ouvertes, mais il dit tout de même aussi que l’on peut légiférer en matière de mendicité et cela surtout dans certains périmètres.

Je vous propose donc de ne pas suivre la commission, en tout cas en ce qui concerne ma motion, et je vous propose de revenir en arrière et d’accepter ma motion transformée en postulat, en vote final.

M. Marc Vuilleumier (EP) —

Ces dernières années, la mendicité s’est souvent invitée dans notre Parlement, avec quasiment chaque fois son lot de fausses nouvelles, de mauvaise foi et de charges émotionnelles. Les débats concernant les propositions de M. Mahaim et de Mme Bettschart-Narbel n’ont pas échappé à la règle ! Malgré les dénégations des représentants de l’administration et notamment de la police, nous avons entendu à nouveau et parfois même deux fois – puisque la commission s’est réunie deux fois – les mêmes refrains : les mendiants Roms font l’objet de traite d’êtres humains, ils sont exploités par des réseaux mafieux et ils causent de nombreux problèmes de sécurité. C’était faux avant les débats de la commission, c’était faux après les mêmes débats et c’est toujours faux aujourd’hui.

La CEDH a démontré que la loi vaudoise visant l’interdiction de la mendicité, et notamment son article 23, n’était pas conforme au droit, car trop générale et sans aucune nuance. Cette même cour insiste sur le fait que chaque situation doit être considérée pour elle-même. Par ailleurs, cette loi vise essentiellement – il ne faut pas se le cacher – une communauté : la communauté Rom, qui mendie dans les villes et tout spécialement à Lausanne. Une loi qui ne vise qu’une communauté peut être considérée comme une loi discriminatoire. Ensemble à Gauche et POP soutient l’abrogation de cet aspect de la loi et notamment son article 23.

La contre-proposition de Mme Bettschart-Narbel est totalement excessive et n’est probablement pas non plus conforme au droit. Interdire la mendicité dans les zones piétonnes et aux abords des gares, là où il y a du monde, équivaut de fait à l’interdire. A contrario, l’autoriser, par exemple à l’avenue de Provence ou au rond-point de la Maladière, n’a aucun sens et n’est absolument pas respectueux d’une population qui vit dans une grande précarité.

Sur un plan plus général, vouloir interdire aux Roms de mendier est une proposition totalement dépassée. Au contraire, notre groupe soutient toutes les mesures d’intégration de cette communauté qui, je le rappelle, est une communauté européenne composée de quelque 12 millions de personnes. Ainsi Lausanne, au travers de son Bureau des immigrés, est en train de mettre en place une action visant l’employabilité des Roms, afin qu’ils puissent subvenir à leurs besoins par leur propre travail. En outre, le Conseil de l’Europe, dont je rappelle que la Suisse fait partie, a lancé un nouveau plan sur cinq ans – de 2020 à 2025 – visant l’intégration des Roms par le logement, le travail, l’alphabétisation et la santé. Pas plus tard que ce matin, à la Radio suisse romande, était relatée une expérience très prometteuse faite à Montpellier, où un bidonville a été démantelé au profit de logements avec un suivi pour les populations Roms. Je ne sais pas si c’est le fruit de ces premières actions, mais il faut en tout cas saluer le fruit d’une association : Opre Rom à Lausanne, où de nombreux Roms travaillent et où les enfants sont scolarisés. Ce sont ces actions qui doivent être soutenues et non pas des interdictions qui ne règlent aucun problème. Nous soutiendrons donc le renvoi de la proposition du postulat Mahaim au Conseil d’Etat, mais n’accepterons pas de renvoyer la proposition de Mme Bettschart, car elle revient de fait à interdire la mendicité, ce qui à notre sens n’est pas acceptable.

Mme Claire Attinger Doepper (SOC) —

L’arrêt du 19 janvier 2021 de la CEDH a condamné la Suisse pour l’interdiction genevoise de la mendicité, considérant notamment qu’une telle mesure était contraire à l’article 8 qui fait référence au droit au respect de la vie privée. Cette décision prise à l’unanimité des juges ne laisse aucune place à une quelconque ambigüité. Une interdiction absolue de la mendicité n’est pas proportionnée et viole les droits fondamentaux des personnes concernées. Pour être claire, interdire la mendicité est contraire aux droits humains et en interdire la pratique est illégal.

Cela étant, concrètement et pour la population, il est important de ne pas l’autoriser n’importe où ni d’accepter sa pratique dans n’importe quelles conditions. Un cadre est nécessaire pour que chacune et chacun se sente en sécurité et libre de répondre ou non aux sollicitations. Le PS sera attentif à la déclinaison de la pratique de la mendicité que fera le Conseil d’Etat dans la nouvelle loi en cours. Aujourd’hui, nous vous recommandons d’accepter la transformation de la motion Mahaim en postulat et de classer la motion Bettschart-Narbel transformée en postulat.

Mme Joëlle Minacci (EP) —

En préambule je déclare mes intérêts anciens, en précisant qu’il y a dix ans, étant alors étudiante en Master en travail social, j’ai participé à l’étude lausannoise sur la mendicité rom avec ou sans enfants, dirigée par Jean-Pierre Tabin et René Knüsel et parue en 2012. Cette étude avait permis de tracer les contours de la pratique de la mendicité à Lausanne dans le but de donner les informations nécessaires, notamment aux politiques. Cela m’amène à poser quelques questions factuelles sur les personnes dont nous parlons ici et qui sont principalement visées par l’interdiction de la mendicité dont nous discutons aujourd’hui.

Les personnes qui mendient dans le canton sont issues de l’Union européenne (UE), on l’a dit, et elles ont donc le droit de circuler librement en Suisse. Les raisons de leur migration sont économiques, dues à la pauvreté dans le pays d’origine, à l’impossibilité d’y trouver du travail, au manque d’aide sociale, ainsi qu’à la ségrégation vécue dans leur pays d’origine. La mendicité constitue un choix par défaut pour ces personnes et les conditions de vie liées à la mendicité sont difficiles et dangereuses pour leur santé. Leur espérance de vie est d’ailleurs réduite par leurs conditions d’existence. Ces personnes cherchent un métier, mais n’en trouvent pas. Quand elles en trouvent, les conditions de travail sont suffisamment précaires pour ne leur garantir aucune possibilité de sortir de la précarité, ce qui – en passant – interroge sur les conditions de travail proposées dans notre canton, pour cette catégorie de personnes, alors même que, si elles sont engagées, c’est qu’elles répondent à une demande du marché du travail suisse.

Relevons aussi que le manque de places dans les hébergements d’urgence ne leur garantit aucunement un toit pour la nuit. Ces personnes dorment souvent dehors, où elles courent le risque d’être réveillées en pleine nuit par la police et amendées pour camping sauvage. Dans le contexte des conditions d’accueil dans les hébergements d’urgence, on peut relever les enjeux inhérents à la scolarité des enfants. Le problème n’est pas que les enfants ne vont pas à l’école, mais que le format des hébergements d’urgence ou la vie dans la rue ne leur donnent aucune possibilité de suivre une scolarité dans des conditions acceptables, sans un lieu où faire leurs devoirs, par exemple. Nous parlons donc de personnes dans une situation de pauvreté totale, soumises à une ségrégation, tant dans leur pays d’origine que dans les pays d’Europe de l’Ouest et en Suisse.

L’interdiction de la mendicité a pour effet principal de renforcer la situation de précarité des personnes en criminalisant cette activité. Au vu de leur situation économique, il est évident que ces personnes n’ont pas la capacité de payer les amendes qui leur sont adressées. Le travail du photographe Yves Leresche, qui a suivi pendant des années des familles dans leurs parcours de mendicité, montre de manière saisissante en quoi l’interdiction de la mendicité impacte les conditions de vie de ces personnes, avec le risque de prison ou d’exclusion du territoire. Les mêmes schémas se répètent ailleurs, dans d’autres pays, sans fin. Ces personnes sont donc discriminées systématiquement et partout ; interdire la mendicité revient à vouloir invisibiliser ces personnes par leur mise à l’écart de l’espace public. Le but n’est même pas atteint, puisque la pratique de la mendicité continue ; c’est sans surprise, puisque ces personnes existent toujours, ainsi que la pauvreté. Je me demande aussi quel est le coût étatique de l’interdiction et de la répression de la mendicité, dont les effets sont si peu probants pour un coût si grand en termes de conditions de vie des personnes concernées.

Finalement, on parle souvent des désagréments, évoqués par des citoyens, mais peu des gestes de solidarité – nombreux – envers les personnes qui mendient. Ainsi, l’interdiction de la mendicité ou sa limitation reviennent à lutter contre les pauvres. L’arrêté de la CEDH est venu confirmer l’inadéquation et la disproportion d’une telle loi. Pour le groupe Ensemble à Gauche et POP, comme l’a dit précédemment mon collègue Marc Vuilleumier, il est donc primordial d’abroger l’interdiction de la mendicité en tant que telle, puisqu’elle relève d’une violation du droit fondamental à demander l’aumône, alors que l’observation du contexte de mendicité vaudois permet de comprendre la dimension de pauvreté qui sous-tend cette activité. Les pistes d’intégration amenées par mon collègue Marc Vuilleumier montrent aussi que des mesures plus efficaces et humaines sont possibles et que les coûts et les moyens devraient être consacrés à d’autres types de mesures, puisque les coûts de la répression sont probablement énormes. Ces moyens seraient peut-être plus utiles dans des mesures de type intégratif.

M. Romain Pilloud (SOC) —

Lors de la consultation de l’avant-projet modifiant la LPén vaudoise concernant la répression de la mendicité et qui devrait effectivement faire l’objet de futurs débats, ici, le Parti socialiste vaudois avait pris une position assez claire. De manière générale, sans vouloir répéter ce que mes préopinants ont déjà pu dire, l’interdiction générale signifie effectivement aujourd’hui la négation, dans notre société, des situations de précarité et de pauvreté dans lesquelles vit une partie non négligeable de personnes dans ce canton. De plus, on le sait : les systèmes d’aide et de soutien publics, associatifs et privés ne répondent pas à l’ensemble des besoins des personnes séjournant sur le territoire vaudois, malgré le travail des associations déjà citées, comme Opre Rom, par exemple.

Lors de la consultation, nous avons aussi précisé qu’il serait pertinent de relever que la mendicité est évidemment autorisée sous réserve de comportements qui ne portent pas atteinte à la liberté de choix des passants. Mais il n’est ni opportun ni nécessaire de lister des lieux exhaustifs, ce qui revient à une interdiction de fait. Quant aux amendes, permettez-moi de rappeler qu’il s’agit de personnes vivant dans une grande précarité. A quel moment peut-on trouver logique qu’infliger des amendes permette de changer quoi que ce soit et de faire notre part pour préserver la dignité de ces personnes ? Quant à l’idée des réseaux, il s’agit d’un fantasme qui ne se base sur aucun constat, sur aucun rapport, sur aucune réalité. Oui, il y a des allers-retours pour certaines personnes qui viennent, de l’étranger. Oui, évidemment, il existe des déplacements communs. Mais n’entrons pas dans le fantasme de réseaux mafieux dont l’existence n’est ni prouvée ni même envisageable, à ce stade. Evidemment, comme l’a dit ma préopinante, nous soutiendrons le postulat Mahaim, mais pas le postulat Bettschart-Narbel.

Mme Florence Bettschart-Narbel (PLR) —

J’aimerais revenir sur certains propos de certains préopinants et en particulier sur la lecture de l’arrêt de la CEDH. J’ai en effet parfois l’impression qu’en réalité, tous ne l’ont pas lu. Cet arrêt avait pour but précis de savoir s’il est proportionnel qu’une amende d’ordre soit transformée en peine de prison, à quoi la cour a répondu que ce n’est pas proportionnel. La CEDH a répondu sur ce point uniquement et non de manière générale. Si vous lisez cet arrêt, il laisse expressément ouverte la question de la mendicité. Sur cette question, il dit également et précisément que des interdictions de périmètre seraient vraisemblablement proportionnelles à la législation de la CEDH. Il me semble donc nécessaire de faire attention à ce que l’on dit sur cet arrêt, car il ne dit en rien que l’interdiction de la mendicité est illégale. Je pense qu’il faut faire attention, quand on lit des arrêts, de pouvoir les interpréter de manière correcte. Or, je pense que ce n’est pas le cas ici. (L’intervention de Mme Berttschart-Narbel est interrompue par un exercice d’évacuation.)

Mme Florence Bettschart-Narbel (PLR) —

Finalement, l’autre côté de cet hémicycle exprime assez peu de compréhension. Il s’agit donc quand même de dire à quel point certains comportements de mendiants peuvent être intrusifs, agressifs envers des personnes qui se trouvent aussi en situation de vulnérabilité, je pense notamment aux personnes âgées pour qui, lorsqu’elles se retrouvent devant l’étal du marché, porte-monnaie ouvert, il ne leur est pas toujours aisé de dire non.

Je considère que la gauche témoigne aussi relativement peu de compréhension pour cette situation, ce que je regrette, car il y a une nécessité de limiter d’une certaine manière la mendicité. La motion que j’avais proposée en son temps permet cela. Ainsi, j’espère que le projet du Conseil d’Etat ira dans ce sens.

M. Marc-Olivier Buffat (PLR) —

Je déclare mes intérêts comme avocat depuis une trentaine d’années. Je partage l’analyse de notre collègue Florence Bettschart-Narbel sur la portée de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) relatif à une jurisprudence genevoise, dans un cas particulier d’amendes successives pour une personne pratiquant la mendicité. Ensuite, il faut évidemment lire l’arrêt. Il est intéressant de voir comment la CEDH interprète l’arrêt et la Convention européenne des droits de l’homme. Elle indique de façon claire et répétée que l’interdiction de la mendicité en tant que telle n’est pas du tout exclue par la CEDH, ce qui paraît évident, même si, comme toujours lorsqu’il s’agit de jurisprudence – je suis bien placé pour le savoir – chacun a tendance à interpréter les choses à sa manière.

Par rapport au débat de ce matin qui a vu d’aucuns indiquer que nombre de personnes se trouvaient en situation de précarité, reprenons les débats déjà tenus en 2014, 2015 ou 2016. En effet, au détour de ces derniers, j’avais eu l’occasion de rappeler que la Suisse a investi environ 200 millions en Roumanie pour l’aide aux Roms ; 200 millions, à l’aune de ce que nous venons de discuter tout à l’heure sur le Plan climat, ne constituent tout de même pas une bagatelle. En Bulgarie, il s’agit de 100 millions. Et, comme j’avais déjà eu l’occasion de le dire, lors d’un voyage d’anciens constituants, en Roumanie, nous nous étions malheureusement aperçus que cette aide financière n’avait finalement servi à rien, ce qui est regrettable, car il est très difficile de socialiser et d’intégrer ces populations dans leur pays. Par conséquent, stigmatiser l’attitude de la Suisse, des Suissesses ou des Suisses eux-mêmes en déplorant que nous ne fassions rien pour ces pauvres gens me paraît un petit peu court ou en tout cas totalement contraire à la réalité des choses.

En outre, dans la pesée des intérêts, il faut aussi prendre en compte la liberté d’aller et venir de nos concitoyennes et concitoyens. Après l’exercice d’alerte de tout à l’heure, je suis retourné au Petit-Chêne, puis remonté à pied. J’ai croisé 11 mendiants aux attitudes diverses, dont certains sont assis avec une pancarte, quand d’autres se tiennent debout avec un bonnet de laine, tous affichent curieusement la même phrase sur le froid qu’il fait. On a beau me dire qu’il n’existe pas de réseau, force est quand même de constater qu’ils présentent tous le même texte. Quant à ce soir, lorsque je retournerai à l’étude, je croiserai sans doute entre 11 et 15 dealers… à ceux qui me disent qu’on ne sait pas où est le deal de rue, je vous invite volontiers à cheminer avec moi, et vous offre une bière à la Bavaria, car vous aurez encore droit à un petit extra au bas du Petit-Chêne au croisement avec la Rue du Midi, puisque vous avez régulièrement un attroupement de dealers qui attendent le chaland, en particulier ceux qui vont prendre le train.

Quant aux réseaux, je me souviens très bien qu’au Conseil communal de Lausanne, dans le cadre de l’initiative sur l’interdiction de la mendicité, nous avions des rapports de réseaux qui venaient en particulier de France, localisés vers Annecy, ce à quoi on peut bien entendu me rétorquer que cela n’est pas prouvé ; cela existe néanmoins. Par ailleurs, dans le prolongement de l’Avenue de Provence, lorsque vous vous rendez au Ministère public à Longemalle, vous rencontrez aussi un mendiant qui vient vers les voitures, qui frappe aux fenêtres et que j’ai moi-même vu remettre les sommes d’argent récoltées à un type à bicyclette qui ne ressemblait pas vraiment à un assistant social de Caritas et qui expliquait au premier où aller mendier ensuite. Je considère qu’il ne faut pas non plus nier les évidences : il existe une problématique et une réelle intrusion. Ainsi, la mouture du texte proposé par notre collègue Florence Bettschart-Narbel est parfaitement proportionnée aux circonstances et à l’arrêt de la CEDH, et je vous invite à l’accepter. En revanche, je vous recommande de refuser la motion Mahaim qui n’est ni conforme à l’arrêt de la CEDH ni aux souhaits d’une large majorité dont on doit aussi tenir compte.

M. Philippe Jobin (UDC) —

A l’époque, nous avions un conseiller d’Etat de gauche, M. Maillard, qui disait que le maillage social de notre Etat vaudois était bon, mais qu’il fallait continuer à le performer. A l’heure actuelle, ce que j’ai entendu à gauche revient à ce manque de performance. Finalement, la majorité de gauche qui a quitté le gouvernement n’a pas bien rempli sa tâche sociale, puisque nous avons encore des gens qui mendient dans la rue. Je reste convaincu d’une chose : la motion Bettshart-Narbel apporte des solutions qui, si elles ne me plaisent que moyennement – je ne vous le cache pas – sont les moins mauvaises, les plus praticables possible. Autoriser ou laisser des gens mendier ne me semble pas digne d’un Etat de droit comme le nôtre. Par ailleurs, nous avions mis en place la possibilité pour une partie de ces gens de travailler dans les métiers de la terre ; force est de constater qu’il n’y a pas eu pléthore de personnes qui se sont empressées de venir travailler. Enfin, je constate qu’à Lausanne, on assiste à une recrudescence de la mendicité – les propos de M Buffat sont pertinents. Pour ma part, je me rends de temps en temps aussi à pied et en transports publics au Parlement pour voir ce qu’il se passe dans les rues. Je considère que nous devons amener des solutions politiques qui admettent une certaine portance. Ainsi, la motion Bettschart-Narbel que je soutiendrai me paraît porteuse de solutions.

Mme Joëlle Minacci (EP) —

Madame Bettschart-Narbel, vous nous dites que notre lecture de l’arrêté de la CEDH est erronée. Or, en réalité, nous parlons des effets pervers de l’interdiction de la mendicité. C’est sur la disproportion des effets concrets de cette interdiction que s’est penchée la CEDH. En effet, lorsque vous amendez des personnes en situation de grande précarité, pour des activités telles que la mendicité qui relève en réalité de comportements de survie, mais que vous rendez criminels, vous amenez de fait, et de manière récurrente, les personnes concernées à des situations telles que celle qui a fait l’objet de l’arrêté de la CEDH.

Voilà ce que produit l’interdiction de la mendicité : impossibilité de payer les amendes ; argent de la mendicité confisqué par la police ; transformation des amendes en peine de prison ; impossibilité de revenir sur le territoire suisse sous peine d’emprisonnement, alors même que ces personnes ont à la base un droit de circulation, puisqu’elles viennent d’un pays de l’Union européenne (UE). Les motifs de la mendicité sont une situation de pauvreté extrême et de ségrégation. Je le répète : interdire la mendicité revient à amender des personnes qui sont en incapacité de payer de telles amendes. Ainsi, je réitère mes interrogations sur les conséquences de cette interdiction en termes d’aggravation de la pauvreté des personnes concernées et en termes de résultats sur la réduction de la mendicité qui sont mauvais, puisqu’on en parle encore ici et maintenant, et en termes de coûts étatiques de cet arsenal répressif, quand des mesures qui viseraient l’intégration de ces personnes auraient des effets tellement plus humains et efficaces. Interdire la mendicité n’est pas un outil adapté pour réduire la mendicité – ce que démontrent ces quelques années d’expérience – et ne respecte pas la dignité des personnes.

Enfin, monsieur Buffat, en tant qu’avocat, vous me voyez tout de même un peu surprise que vous sous-entendiez l’existence de tels réseaux sur la base de votre avis subjectif, alors même que les professionnels de terrain, y compris la police, démentent de tels états de fait. En conclusion, je réitère mon invitation à soutenir la motion Mahaim transformée en postulat.

Mme Claire Attinger Doepper (SOC) —

En réponse aux propos de Mme Bettschart-Narbel qui annonce que la gauche ne tient pas compte des réactions de la population vaudoise, j’aimerais signifier qu’au contraire, l’interdiction de la mendicité est inverse aux droits humains. En interdire sa pratique est illégal. Toutefois, concrètement, permettre cette activité n’importe où et n’importe comment est inopportun, puisque cela rend la situation de certaines personnes compliquée – les plus fragiles et vulnérables, celles qui arrivent peut-être le moins à se défendre, à ne pas oser dire non devant quelqu’un qui tend la main. Il faut évaluer comment un cadre peut être proposé pour que ces dernièrers se sentent à l’aise de dire non. Nous tenons compte de toute la population vaudoise tout en défendant également le fait que la mendicité ne peut être légalement interdite.

M. Marc Vuilleumier (EP) —

Il y a quelques années, on entendait l’histoire de la Mercedes blanche qui amenait les mendiants au centre-ville, les plaçait, puis qui, le soir, revenait les chercher, et dont les occupants allaient dormir dans un bel hôtel, quand les mendiants, eux, dormaient sous tente, dehors. Comme presque évoqué tout à l’heure par M. Buffat, vint ensuite l’histoire de l’homme qui collecte les sous auprès des mendiants, puis dort dans les bons hôtels, quand tous les autres sont logés à la belle étoile. Aujourd’hui, on entend à nouveau régulièrement parler de la traque aux seniors, de mendiants qui attendent que les personnes âgées ouvrent leur porte-monnaie pour les solliciter au marché par exemple. A titre personnel, je me rends presque tous les samedis au marché, je suis une personne âgée, j’ouvre fréquemment mon porte-monnaie aux stands des marchés, mais il ne m’est jamais arrivé qu’on me demande des sous. Il me semble qu’il s’agit plutôt d’une nouvelle légende entourant la population rom – puisque c’est d’elle qu’il s’agit. Je ne veux pas dire que cela n’arrive jamais, mais plutôt qu’il ne s’agit pas d’une pratique régulière. Ensuite, M. Buffat revient avec l’histoire – un brin péjorative tout de même – des hypothétiques réseaux et des « types au bonnet de laine ». La traite des êtres humains, avec ou sans Roms, est interdite. Si cela existait, des plaintes auraient été déposées, des instructions seraient en cours. Ainsi, M. Buffat peut-il nous communiquer le dépôt d’une plainte pour traite des êtres humains qui serait en voie d’enquête dans le canton de Vaud par rapport à la population rom ?

Mme Aude Billard (SOC) —

Je me sens obligée de réagir aux propos de Me Buffat qui m’attristent. Moi aussi, à midi, je suis descendue en ville, et ma lecture s’avère assez différente des mendiants que j’ai vus. J’ai partagé avec eux mon repas et le peu d’argent que j’avais dans mes poches, constatant une vraie détresse : des gens qui avaient vraiment froid et faim. Il est vrai que j’ai pu observer certains se regrouper ; et cela m’a réjouie de penser qu’ils étaient peut-être en famille et que dans cette détresse, ce froid, cette mendicité à laquelle ils sont obligés de consacrer leur journée, ils n’étaient au moins pas seuls.

Pour revenir à l’objet qui nous occupe, j’ai lu avec attention le texte de Mme Bettschart-Narbel. J’ai de la peine à suivre ce qui est proposé. En effet, d’un côté, on souhaite s’adresser seulement à ceux qui seraient très actifs et qui viendraient vraiment vous demander l’aumône de manière insistante, voire vous arracher votre porte-monnaie – tel que décrit – et, d’un autre côté, il s’agit plutôt – et c’est différent – d’interdire la mendicité qu’elle soit active ou passive. Pour ce dernier qualificatif, je pense à ceux que j’ai vus, assis par terre, qui ont froid et faim. Leur interdire les zones piétonnes aux abords des banques, des distributeurs d’argent, des gares et des écoles ? Je ne peux pas y consentir ! Je ne peux pas ! Peut-être bien qu’il existe des abuseurs, je l’ignore ; mais ceux que j’ai vus aujourd’hui ne l’étaient pas. Ainsi, je considère qu’il faut leur laisser la possibilité de s’installer comme ils le peuvent et les aider comme nous le pouvons.

M. Marc-Olivier Buffat (PLR) —

D’abord, la gauche n’a pas le monopole du cœur, comme le disait un fameux politicien français. Il se trouve – et peut-être contrairement à ceux qui ont pris la parole tout à l’heure – que je me suis rendu sur place pour vérifier ce qui était fait de l’aide suisse apportée à ces gens pour les socialiser sur place, les aider – comme vous dites que vous voulez vous y employer – dans leur pays. Nous avons construit des immeubles pour les loger. Il se trouve qu’ils n’y habitent pas et que ces immeubles sont vides. Certaines communes du canton de Vaud établissent des parrainages avec des communes de ces régions pour construire des routes et des canalisations pour amener l’eau, pour créer des systèmes d’évacuation des eaux usées. Vous ne pouvez pas dire que nous n’entreprenons rien, que les gens de droite méprisent les situations difficiles. Nous nous sommes rendus sur place.

Ensuite, au sujet des plaintes déposées pour traite des humains, je laisserai le conseiller d’Etat en charge de la police vous répondre. Et, puisqu’il semble que nous affabulions, monsieur Venizelos, je vous informe que je vous adresserai dans les plus brefs délais les photographies que j’ai prises à l’Avenue de Provence sur lesquelles vous voyez clairement une personne, que de nombreux Lausannoises et Lausannois ont vue, circuler entre les véhicules de façon extrêmement dangereuse, même quand le feu passe au vert, et qui remet sa récolte à une personne qui manifestement ne correspond en rien à un assistant social ou à ses coreligionnaires. Monsieur le conseiller d’Etat, vous verrez ce que vous en ferez. Ce sont des photographies prises de dos, on ne voit donc pas les visages. Si vous souhaitez rester dans le déni… je suis pour ma part serein et convaincu que si des personnes nous écoutent ou empruntent les mêmes chemins que moi, elles se livrent aux mêmes constats. Que vous niiez la vérité me paraît consternant, de surcroît quand vous voulez mettre en place en Suisse des mesures d’intégration qui ont échoué dans leur propre pays. Vous m’expliquerez comment vous comptez procéder. Il me semble qu’un canton qui dépense approximativement 28 francs sur 100 pour le filet social ne se trouve pas dans la détresse ni la misère sociale, contrairement à ce que vous vous complaisez à dire régulièrement. S’il y a des aides à améliorer, rester les bras ballants, ne rien entreprendre et continuer à encourager ce type de pratiques me paraît égoïste, voire irresponsable.

Enfin, si le Grand Conseil devait refuser de maintenir ce qui avait été décidé il y a cinq ans, je me ferais fort, dans le cadre de l’alliance vaudoise, de redéposer une initiative populaire. En bon démocrate, le peuple tranchera.

Mme Joëlle Minacci (EP) —

Je suis évidemment étonnée que M. Buffat soit devenu inspecteur de police ! (Rires) Il y a environ dix ans, nous avons mené une recherche d’une année sur la question de la mendicité ; une année à se rendre sur le terrain, à interroger les gens, des personnes qui mendiaient, qui étaient en lien avec la mendicité, un large panel qui a permis de montrer que tout ce que dit M. Buffat est complètement faux ou, en tous les cas, pas de l’ordre de ce qui se passe dans la majorité des cas. Monsieur Buffat, je vous invite à lire les rapports écrits sur la question, émanant de personnes qui se sont rendues sur le terrain, de professionnels qui vous donneront des avis bien différents de ce que vous montrez. Je vous invite aussi à ne pas tenir des propos mensongers sur une population qui se trouve dans une situation de pauvreté importante. Merci.

Par ailleurs, si les projets que vous êtes allé suivre en Roumanie n’ont pas fonctionné, cela ne signifie pas qu’il faille cesser d’y réfléchir. En effet, il en existe qui fonctionnent, à l’instar de l’exemple de Montpellier cité ce matin par mon collègue Marc Vuilleumier, et dont on a pu prendre connaissance sur la RTS. Un projet extrêmement intéressant qui montre une volonté d’intégrer ces personnes par le logement et le travail sur place. Vous pouvez également prendre connaissance du travail qu’accomplissent depuis des années, en Suisse, des associations d’aide aux personnes qui mendient, notamment Opre Rrom, qui propose des mesures d’intégration qui fonctionnent.

Enfin, il s’agit d’une volonté politique et de répondre à la question suivante : souhaitez-vous interdire la mendicité et faire perdurer un problème de pauvreté en l’aggravant et en criminalisant ces personnes ou plutôt une politique d’intégration qui va leur permettre d’intégrer le marché du travail, du logement, d’avoir une chance de redevenir autonomes et maîtres de leur vie ?

Mme Florence Bettschart-Narbel (PLR) —

D’abord, le but d’une disposition sur la mendicité ne consiste pas forcément à distribuer des amendes, mais à diminuer le nombre de mendiants. Lorsque la police vaudoise ou la Chaîne pénale appliquait l’interdiction de la mendicité dans le canton de Vaud, une baisse de cette dernière avait été observée. Et, moins de mendiants équivaut tout de même à une situation beaucoup plus agréable pour un certain nombre de citoyens qui se promènent en ville. Ainsi, je saisis mal la volonté de la gauche de laisser des gens dans la rue, mendiant. En effet, il faut vouloir les intégrer et les sortir de leur condition. Toutefois, pour avoir assisté à un certain nombre de commissions sur la question de la mendicité, nous savons aussi et contrairement à ce qui vient d’être dit – et je considère qu’il faut cesser de se traiter de menteurs d’un côté et de l’autre de l’hémicycle – que les essais d’intégration sur un certain nombre de mendiants ne se sont pas révélés de grands succès dans le canton. Je considère qu’il est également important d’observer les limites, qu’on ne peut tout exiger de tout le monde. Aujourd’hui, nous avons besoin d’une situation stable qui rende un centre-ville à un ordre public plus agréable que ce qu’il est. Raison pour laquelle il s’agit d’accepter la motion déposée.

M. François Cardinaux (PLR) —

Il me semble que les positions sont claires ; il s’agit de passer au vote.

M. Vassilis Venizelos (C-DJES) — Conseiller-ère d’Etat

Je vous remercie pour ce débat qui constitue une sorte de mise en jambes, un échauffement, puisque le Conseil d’Etat partage les préoccupations exprimées par les deux motionnaires, tout comme le Ministère public, puisque ce dernier considère que le dispositif pénal vaudois n’est plus conforme à la jurisprudence de la CEDH. Jurisprudence qui, certes, portait sur une loi genevoise, mais dont le Procureur général a considéré par analogie qu’elle s’appliquait aussi au droit vaudois et a donc invité les différentes autorités d’exécution, notamment la Police cantonale, à ne pas appliquer le droit pénal vaudois. Ainsi, le Conseil d’Etat a envisagé la révision de cette disposition pour la rendre conforme aux dispositions de la CEDH, qui sans déclarer que l’interdiction pure et simple serait contraire au droit supérieur, comme l’a rappelé Mme Bettschart-Narbel, a considéré que la répression sans nuances de la mendicité n’était, elle, pas conforme au principe de proportionnalité.

Sur cette base et dans cet esprit, le Conseil d’Etat, lors de la précédente législature, a décidé de lancer une consultation sur un nouveau projet de loi où seule la mendicité intrusive ou agressive et dans certains lieux serait interdite, notamment dans les files d’attente ou les transports publics, des endroits dans lesquels les personnes sont en quelque sorte captives. En outre, le projet de loi du Conseil d’Etat propose de renforcer les amendes à l’encontre de l’exploitation de la mendicité, qui pourraient s’élever à 10’000 francs selon les cas de figure.

Quant à la question de la traite d’êtres humains, il s’agit de distinguer la mendicité qui peut concerner la coordination entre familles qui peut être considérée comme assimilable à un réseau et la traite d’êtres humains au sens juridique. Depuis 2013, seul un cas d’exploitation d’êtres humains fut reconnu, prouvé sur le territoire vaudois et sanctionné. Le projet de loi mis en consultation jusqu’à début octobre par le Conseil d’Etat vise à renforcer les sanctions contre ce type d’exploitation. Certains cercles et partis politiques ont souhaité bénéficier d’un délai pour se positionner à ce sujet. Mon département est en train d’analyser les différentes prises de position et vous soumettra prochainement un projet de loi, ce qui nous permettra un nouveau débat riche et nourri sur cette thématique. Quel que soit le sort que vous réserverez à l’un ou l’autre de ces textes, le Conseil d’Etat vous présentera un texte qui respectera l’esprit décrit plus haut, celui du projet de loi mis en consultation, qui tiendra compte des observations et des remarques formulées dans le cadre de la consultation publique. Sur cette base, le Parlement pourra débattre et décider s’il souhaite ou non concrétiser l’interdiction de la mendicité et, le cas échéant, de quelle nature elle doit être, sa portée et son périmètre. Le Conseil d’Etat amènera une proposition nuancée qui respectera à la lettre l’état d’esprit de la CEDH. Pour l’heure, au nom du Conseil d’Etat, je m’engage à vous présenter un projet de loi qui permettra de rendre le droit vaudois conforme à l’arrêt de la CEDH.

Mme Séverine Evéquoz (VER) — Président-e

La discussion est close.

Le Grand Conseil refuse la prise en considération du postulat par 76 voix contre 56 et 3 abstentions.

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