22_RAP_28 - Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur le Postulat Sylvain Freymond et consorts au nom du groupe UDC - Propos et attitude du directeur du SPJ : toute la lumière doit être faite ! (18_POS_076).

Séance du Grand Conseil du mardi 19 septembre 2023, point 25 de l'ordre du jour

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Mme Josephine Byrne Garelli (PLR) — Rapporteur-trice

La commission s’est réunie le jeudi 15 septembre 2022 à la salle romane en présence du conseiller d’Etat Vassilis Venizelos, chef du Département de la jeunesse, de l’environnement et de la sécurité, ainsi que de Mme Manon Schick, cheffe de la Direction générale de l’enfance et de la jeunesse (DGEJ). Monsieur Florian Ducommun, secrétaire de commission parlementaire, a rédigé les notes de séance et en est vivement remercié.

Pour mémoire, le postulat de M. le député Freymond avait été déposé à la suite du procès d’un couple vaudois reconnu coupable d’abus et de graves négligences envers leurs huit enfants. L’aptitude de l’ancien Service de la protection de la jeunesse (SPJ) avait alors été questionnée et des dysfonctionnements avaient été identifiés par le biais du rapport établi par l’ancien juge fédéral Claude Rouiller, communément appelé le rapport Rouiller.

Le nombre d’enfants ayant bénéficié d’une intervention socio-éducative par la Direction générale de l'enfance et de la jeunesse (DGEJ) a atteint le chiffre record de 7718 enfants en 2021, contre 7000 en 2018 ; une situation que tous les cantons connaissent. Ainsi, si nous considérons que 1,5 % des enfants vont devoir bénéficier d’interventions à un moment donné de leur vie, il est probable que le nombre de situations se stabilise à environ 8500 et n’aille pas au-delà.

Après une période de fort renouvellement des collaborateurs parfois traumatisés par les évènements dans le Nord vaudois, la rotation du personnel s’est stabilisée et se situe un peu au-dessus de celui de l’administration cantonale. Les assistants sociaux et assistantes sociales ont fait l’objet de renforcements en termes de ressources humaines et de formation continue pour faire en sorte que le socle soit davantage solide et puisse résister aux potentielles crises à venir. La plus grande complexité des cas et la plus grande durée de placement auxquelles le personnel est confronté, ainsi que la pénurie de personnel lié aux conditions de travail plus intéressantes dans les cantons voisins, sont des défis fondamentaux. Ainsi, il n’est plus possible de simplement observer la courbe d’enfants pris en charge par le service augmenter et attendre pour agir. C’est pourquoi une planification à 10 ans a été faite. 9,2 ETP figuraient au budget 2022, mais face à l’augmentation des situations, 10 ETP complémentaires seraient nécessaires pour couvrir les besoins des 10 années à venir.

Les places d’accueil sont actuellement insuffisantes tant en hébergement dans les foyers que dans le cadre des mesures ambulatoires. Début 2022, jusqu’à 12 bébés se trouvaient simultanément à l’hôpital, car ils ne pouvaient pas rentrer chez eux : victimes de fractures ou de symptômes du bébé secoué. D’autres enfants sont aussi hébergés à l’hôpital, bien qu’ils ne nécessitent pas de soins autres que l’absolue nécessité d’être en sécurité.

300 familles accueillent un enfant qui n’est pas le leur, la moitié d’entre elles étant par ailleurs des familles dites « élargies » de façon à ce que l’enfant ne soit pas complètement déraciné. Un extrait du casier judiciaire des membres adultes qui composent la famille est systématiquement demandé. Pour les familles qui accueillent un enfant n’ayant aucun lien biologique, un programme de formation a été mis sur pied. Certaines familles vont prendre en charge un enfant à très long terme – parfois plus d’une quinzaine d’années – ce qui empêchera tout autre placement dans celles-ci. Certaines zones du canton connaissent des taux de prise en charge plus élevés que d’autres, comme la ville de Lausanne ou des régions insoupçonnées comme la Broye. Les dossiers sont transmis au sein des différents offices lorsqu’une famille déménage, même hors canton, ainsi les informations ne sont pas perdues.

Aujourd’hui, les études démontrent que les maltraitances subies par les enfants peuvent être détectées dans le cerveau d’un enfant né deux générations plus tard. Cela implique que les victimes d’aujourd’hui peuvent reproduire les schémas de génération en génération, ce qui démontre l’importance d’agir rapidement. Cette mission doit être portée par l’Etat afin d’éviter la reproduction d’actes de violence envers les enfants. Une réelle progression est observée dans les mesures mises en place au cours de ces cinq dernières années.

La commission souhaite remercier l’administration pour le présent rapport qui permet d’apporter des réponses à des questions qui se posent depuis longtemps. Le travail réalisé par les assistants sociaux et assistantes sociales sur le terrain est salué. Le Grand Conseil est invité à soutenir l’ensemble des efforts et actions engagés par le gouvernement. Lors des discussions sur le budget, il conviendra alors de se rappeler des discussions menées ici.

Enfin, la commission émet le vœu suivant : la commission souhaite que les espaces d’échanges entre les différentes entités concernées – Direction générale de la santé, Ordre judiciaire vaudois, DGEJ, Offices régionaux de protection des mineurs, Direction générale de l’enseignement obligatoire – soient valorisés et développés, tout comme les mesures mises sur pied dans le cadre du « Renforcement de la protection de l’enfant ».

La commission recommande au Grand Conseil d’accepter le rapport du Conseil d’Etat à l’unanimité des membres présents.

M. Laurent Miéville (V'L) — Président-e

La discussion est ouverte.

M. Cédric Roten (SOC) —

Le groupe socialiste tient à saluer les efforts du Conseil d’Etat et à remercier la DGEJ pour l’amélioration de la protection de l’enfance dans le canton de Vaud. En effet, le rapport présenté aujourd’hui a permis de mettre en évidence plusieurs mesures positives, notamment :

  • Le renforcement de l’interdisciplinarité dans la prise en charge des enfants ;
  • l’amélioration de la collaboration avec tous les autres acteurs cantonaux, régionaux ou communaux impliqués dans la protection des enfants ;
  • la mise en place d’une véritable capacité de gestion des ressources humaines ;
  • l’amélioration de la formation des différents personnels, tant les assistantes et assistants sociaux de protection des mineurs que les spécialistes administratifs.

Ces recommandations et mesures ont été prises en compte dans l’élaboration d’un plan d’action en 10 points qui a fait l’objet de trois états des lieux en mars 2019, septembre 2019 et juin 2021.

Malgré les efforts réalisés, le groupe socialiste reste toutefois préoccupé par deux points structurels soulevés dans ce rapport :

  • Premièrement, le nombre d’enfants ayant bénéficié d’une intervention socio-éducative a connu une augmentation constante, et le dispositif actuellement en place ne suffira pas à faire face à cette augmentation des situations. Selon le rapport, 10 ETP supplémentaires seraient a minima nécessaires pour couvrir les besoins des 10 prochaines années.
  • Deuxièmement, les places en institutions socio-éducatives sont saturées. Bien que certaines situations exigent un placement en foyer, un renforcement des mesures ambulatoires permettrait d’éviter un placement ou de le limiter dans la durée.

Enfin, le groupe socialiste invite le Grand Conseil à soutenir l’ensemble des efforts et actions engagées par le gouvernement et salue l’ensemble du travail réalisé par les assistantes et assistants sociaux sur le terrain. Il vous encourage à accepter ce rapport et à soutenir également la recommandation du rapport, à savoir d’allouer les moyens nécessaires pour renforcer les effectifs de la DGEJ et augmenter le nombre de places disponibles en institutions socio-éducatives. Lors des discussions à venir sur le projet de budget de 2024, le groupe socialiste restera attentif à cette recommandation et aux conclusions de ce rapport.

Mme Joëlle Minacci (EP) —

En préambule, je voudrais déclarer des intérêts aujourd’hui passés, comme travailleuse sociale de métier. Entre 2011 et 2022, j’ai travaillé comme éducatrice et responsable d’unité en foyer avec des enfants placés par la DGEJ, notamment pendant la période où l’affaire Rouiller est sortie. J’aimerais réagir ici au nom de mon groupe sur ce rapport très qualitatif qui montre de manière transparente les moyens mis en œuvre par les services de protection de l’enfance à la suite du rapport Rouiller, mais aussi les difficultés rencontrées par les actrices et acteurs professionnels dans la mise en œuvre de leur mandat de protection, y compris des mesures demandées par le rapport Rouiller. J’aimerais rappeler ici le séisme qu’a provoqué cette affaire – à juste titre – ainsi que le consensus autour du fait qu’une telle situation ne devait plus se reproduire. Sur la base de ce rapport, j’aimerais insister sur des éléments qui concernent directement le Conseil d’Etat et le Grand Conseil.

Les professionnels ont des responsabilités liées à leur mandat de protection ; le service a des responsabilités en termes de pilotage et d’efficience ; le Conseil d’Etat a une responsabilité dans le budget qu’il construit, et le Grand Conseil une responsabilité dans le budget qu’il vote pour donner aux professionnels les moyens de remplir leur mandat. Or, le rapport du Conseil d’Etat et le rapport de commission nous permettent de constater que ce secteur est sous-doté de manière chronique depuis des années et que l’écart entre moyens et besoins s’est creusé depuis l’affaire Rouiller, du fait de l’augmentation des situations, des cas complexes et des exigences. Ceci malgré le fait que, pratiquement, des montants ont été débloqués pour ce secteur. Tout ceci produit une série d’effets qui péjorent la qualité des prestations. Le turnover au sein de la DGEJ et une surcharge du travail mettent à mal la mise en œuvre de mesures telles que la formation des équipes ou encore le travail en binôme pour les situations les plus complexes – l’une des recommandations du rapport Rouiller. L’augmentation du nombre de dossiers depuis l’affaire Rouiller ne s’est pas accompagnée d’une augmentation suffisante des moyens, alors même que le service devait réformer ses pratiques. La DGEJ a par ailleurs formulé le besoin de 10 EPT supplémentaires.

La forte pression sur les éducateurs et éducatrices ainsi que les salaires plus bas que dans les cantons voisins entraînent une pénurie professionnelle accentuée par la complexité des cas et le manque chronique de moyens. Le nombre d’équipes éducatives incomplètes est devenu la norme ; la complexité des situations augmente tout comme le temps de placement, les places en foyer sont par conséquent durablement occupées ; le nombre de places est insuffisant dans les foyers, et les mesures ambulatoires en lien avec l’augmentation du nombre de situations et des placements durables plus importants – ce sans doute parce que l’affaire Rouiller a modifié les pratiques. En effet, on place un peu plus pour prendre moins de risques. Mentionnons encore que le nombre insuffisant de places a conduit à des hospitalisations sociales chroniques. Ces mesures ne sont absolument pas appropriées pour les enfants en besoin de protection, en particulier pour les bébés et les enfants en bas âge.

Pour répondre aux situations urgentes et aux mandats de protection qui reviennent au service, les professionnels sont amenés à bricoler, à utiliser le système D, à repousser les murs, à travailler dans l’urgence, en surfant de manière durable sur les limites de leurs capacités. En somme, face à cette liste, on peut poser l’hypothèse que la sous-dotation chronique augmente la lourdeur des prises en charge et que le manque de places et la pénurie de professionnels participent à saturer encore le système. Un cercle vicieux qu’il convient de stopper dans ce secteur qui est en crise et en souffrance. En effet, comment peut-on à la fois exiger qu’une situation dramatique telle que celle mise en lumière par l’affaire Rouiller ne se reproduise pas et à la fois continuer à sous-doter ce secteur ?

Le Conseil d’Etat a prévu des augmentations budgétaires : 15 millions pour une revalorisation salariale des éducatrices et éducateurs. C’est un très bon début, mais cela correspond à peu près à une augmentation de 150 francs par mois pour 7000 EPT, sachant que les écarts salariaux entre cantons vont jusqu’à 1000 francs. Il est assez évident que des efforts supplémentaires devront être consentis pour stopper la fuite des professionnels vers des cantons plus généreux. Une autre enveloppe a été provisionnée pour le budget 2024. Il s’agit là d’une première étape réjouissante, car ces deux enveloppes montrent que le Conseil d’Etat prend acte de la situation. Il serait toutefois intéressant d’obtenir une feuille de route qui permettra au Grand Conseil de se faire une idée de ce que cette enveloppe permet de couvrir comme besoins réels.

Par ailleurs, si la révision de la politique socio-éducative vise à développer plus particulièrement les mesures ambulatoires en alternative au placement, il faut se rappeler qu’il ne s’agit pas d’une baguette magique qui réglerait à elle seule la pénurie des professionnels, la surcharge de travail ainsi que la pénurie de places en foyer et les bas salaires. Il s’agit d’une mesure importante parmi d’autres. En résumé, il me semble nécessaire que le Conseil d’Etat et le Grand Conseil continuent à accompagner la DGEJ et les institutions dans la mise en œuvre du mandat de protection qui leur est confié, en étant à l’écoute des réalités de terrain, en se montrant attentifs à la révision de la politique socio-éducative pour qu’elle soit adaptée et efficiente et en ajustant les budgets au plus près des besoins. J’invite le Conseil d’Etat à en tenir compte dans la construction du budget 2024 et le Grand Conseil lorsque nous le voterons. Enfin, je vous invite à accepter le rapport ainsi que le vœu de la commission.

M. Vassilis Venizelos (C-DJES) — Conseiller-ère d’Etat

Je vous remercie pour vos différentes prises de parole. Il est vrai que la séance de commission a eu lieu en septembre de l’année passée. Dans l’intervalle, différentes décisions ont été prises. La députée Minacci a raison de rappeler que la protection de l’enfance a été sous-dotée pendant de nombreuses années et que, parallèlement, on observe une augmentation du nombre d’enfants suivi par la DGEJ, puisqu’on s’approche aujourd’hui des 8000 enfants mineurs. Il s’agit de cas de plus en plus complexes qui nécessitent un renforcement de l’ensemble du dispositif. Puisque cela a été évoqué tout à l’heure, le projet de budget 2024 comprendra effectivement dix postes supplémentaires d’assistants sociaux. Ces postes ont déjà été annoncés par le Conseil Etat dans le cadre des discussions avec les syndicats. Cela permettra de soulager quelque peu l’activité du service. Il faut rappeler que les recommandations intercantonales en la matière préconisent 50 dossiers par assistant social au maximum. Or, dans la réalité, nous nous approchons des 85 dossiers dans certaines situations, avec des cas de plus en plus complexes, lourds, ce qui provoque évidemment des arrêts maladie, un turnover important, un report de charge sur les collègues.

A l’évidence, il faut renforcer les ressources au sein de la DGEJ. Le Conseil d’Etat proposera ce renforcement dans le cadre du projet de budget, ainsi que quelques postes administratifs qui viendront en appui aux assistantes et assistants sociaux. En outre, le Conseil d’Etat a aussi annoncé sa volonté de mettre sur la table 15 millions pour revaloriser les salaires des travailleurs sociaux en fondations et en institutions dans le parapublic. Les différences salariales très importantes qui existent entre les éducateurs et éducatrices de ce canton et ceux et celles des autres cantons sont indéniables, ce sans même parler du canton de Genève que l’on prend souvent en exemple. Les différences avec le canton de Fribourg ou du Valais peuvent s’élever jusqu’à 1000 francs par mois, ce qui représente un écart extrêmement important. Une situation qui nécessite une réponse proportionnée.

Ainsi, ces 15 millions constituent une étape importante qui permettra de revaloriser différents salaires au sein d’institutions qui comptent aujourd’hui parfois jusqu’à 40 ou 50 % de postes vacants, tant nul ne veut postuler à certains postes extrêmement complexes, sensibles et contraignants, difficiles à concilier avec une vie privée et une vie familiale. Ces postes sont extrêmement difficiles à repourvoir. Cela passe évidemment par une revalorisation salariale, mais aussi par des réformes des conditions de travail. Ces discussions auront lieu cet automne avec les différents partenaires sociaux pour savoir comment ces 15 millions seront utilisés et répartis.

Le Conseil d’Etat a aussi annoncé sa volonté de réviser la politique socio-éducative ; il est à bout touchant. Cette révision de la politique socio-éducative sera prochainement adoptée par le Conseil d’Etat, comme évoqué plus haut, il retournera d’un basculement vers l’ambulatoire. Bien entendu, nous aurons toujours besoin d’hébergement, mais l’objectif consiste à freiner la croissance de la demande, à renforcer l’ambulatoire. Il y a quelques mois, nous avons déjà pris quelques mesures urgentes que nous souhaitons pérenniser, raisons pour lesquelles le Conseil d’Etat a attribué 20 millions au fonds pour l’enfance, ce afin de pouvoir engager une phase transitoire et mettre en œuvre la politique socio-éducative.

Enfin, le Conseil d’Etat a aussi annoncé que le Plan d’action santé mentale mis en œuvre durant la crise sanitaire et porté par mon collègue Borloz serait pérennisé avec 10 millions supplémentaires pour renforcer certains postes d’éducateurs, notamment en milieu scolaire, et différentes mesures pour venir en appui aux enfants en difficulté. Vous nous trouvez ainsi parfaitement conscients de la sous- dotation de certains secteurs et par conséquent de la nécessité de renforcer le système. Le Conseil d’Etat met tout en œuvre pour prendre les bonnes décisions, les mesures appropriées, pour éviter – à l’évidence – que nous revivions un drame comme celui décrit par le postulat de M. Freymond.

M. Laurent Miéville (V'L) — Président-e

La discussion est close.

Le rapport du Conseil d’Etat est approuvé à l’unanimité.

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