22_POS_16 - Postulat Elodie Lopez et consorts - Pour que l’Unil rende honneur au Professeur Jean Wintsch et révoque le doctorat honoris causas à Mussolini.

Séance du Grand Conseil du mardi 29 août 2023, point 34 de l'ordre du jour

Texte déposé

Lors de l’exposition sur l’histoire de l’immigration italienne qui s’est tenue au Musée historique de Lausanne jusqu’en début d’année, les visiteurs et visiteuses ont pu se confronter à une copie du doctorat honoris causas ès sciences sociales et politiques décerné à Benito Mussolini par l’Université de Lausanne en 1937.

 

A cette occasion, nous, citoyens et citoyennes vaudoises, politiciens et politiciennes, membres de la communauté vaudoise ou issu·e·s de communautés ayant historiquement vécu le fascisme, avons pu nous rappeler comment le duce a été honoré “pour avoir conçu et réalisé dans sa patrie une organisation sociale qui a enrichi la science sociologique et qui laissera dans l’histoire une trace profonde”. Un honneur soutenu par le rectorat de l’Université de Lausanne et le Conseil d’État de l’époque, témoignage d’une sympathie à ce régime dépassant largement les bancs de l’institution universitaire incluant, entre autres, les autorités vaudoises. Seul Jean Wintsch, professeur de psychologie appliquée, s’oppose à ce que le Conseil de l’École des sciences sociales et politiques propose à la Commission universitaire de décerner ce titre honorifique à Mussolini.

 

Alors, le régime fasciste existe depuis 17 ans. Il est marqué par la destruction de la démocratie représentative, la répression des oppositions politiques et la violence politique. En novembre 1936, le régime fasciste italien scelle une alliance avec le nazisme, connue sous le nom d’Axe Rome-Berlin. En mars 1937,  l’armée italienne a déjà fait d’horribles ravages en Ethiopie (usage massif de gaz de combat, massacres de la population, entre autres). Et ce n’est là que l’une des nombreuses manifestations d’un fascisme européen qui a fait de nombreuses victimes, laissant cyniquement  – comme le prédisait les mentions accompagnant le titre – une trace profonde dans l’histoire.

 

A l’approche du centenaire de l'arrivée de Mussolini au pouvoir en Italie, il serait ainsi grand temps de discuter de la révocation de ce titre honorifique, comme le demandent de nombreux comités issus de la société civile depuis plusieurs années. En l’accompagnant, par exemple, d’une plaque commémorative pour maintenir ces épisodes dans le débat démocratique et dans la mémoire collective. Il serait également temps de saluer le geste de Jean Wintsch, professeur de psychologie appliquée à l’École des sciences sociales et politiques, qui s’est opposé dans une grande solitude à ce que cet honneur soit remis au dictateur fasciste.


 

Ces propositions n’entendent pas effacer une décision regrettable de l’Université de Lausanne, ni censurer une partie de notre histoire. Au contraire, il s’agit plutôt de la réévoquer pour saisir le contexte politique qui l’a rendue possible. Pour appréhender aussi ce qui nous précède afin de mieux comprendre d’où nous venons. Et surtout, pour saisir dans quelle société nous évoluons aujourd’hui et quelles sont les valeurs que nous partageons. En somme, il s’agit bien-là d’ajouter une ligne et de continuer à l’écrire pour nous permettre de savoir où nous sommes et où nous allons.

 

Pour ces raisons, ce postulat demande au Conseil d’État d'étudier l'opportunité de:

-  demander à l'Université de Lausanne de révoquer le doctorat honoris causas attribué à Benito Mussolini en 1937 en faisant en sorte de maintenir ses différentes positions dans la mémoire collective (avec une plaque mémorative, par exemple),

- et rendre honneur au Professeur Jean Wintsch qui s’est opposé à cette attribution.

 


 

Conclusion

Renvoi à une commission avec au moins 20 signatures

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Valérie InduniSOC
Didier LohriVER
Blaise VionnetV'L
Pierre ZwahlenVER
Delphine ProbstSOC
Sylvie PodioVER
Yves PaccaudSOC
Stéphane MontangeroSOC
Marc VuilleumierEP
Maurice Mischler
Yannick MauryVER
Cédric EchenardSOC
Muriel Cuendet SchmidtSOC
Céline MisiegoEP
Felix StürnerVER
Hadrien BuclinEP
Taraneh AminianEP
Vincent KellerEP
Vincent JaquesSOC
Carine CarvalhoSOC

Documents

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. Alberto Mocchi (VER) — Rapporteur-trice de majorité

La commission s'est réunie le 6 juillet 2022 en présence, notamment, de M. le conseiller d'Etat Frédéric Borloz, ainsi que de M. Frédéric Herman, Recteur de l'Université de Lausanne. Le texte du postulat demande au Conseil d'Etat d'étudier l'opportunité de demander à l'Université de Lausanne (UNIL) de révoquer le doctorat honoris causa décerné en 1937 au dictateur fasciste italien Benito Mussolini ; d’accompagner cette révocation d'une action visant à maintenir dans la mémoire collective cet épisode historique afin de ne pas le confisquer au débat collectif, comme la pose d'une plaque commémorative, par exemple ; et de saluer la mémoire du professeur Jean Wintsch, qui s'était à l'époque opposé à la décision d'octroi du doctorat honoris causa à Benito Mussolini.

La postulante a rappelé le contexte historique de l’octroi de ce doctorat honoris causa, ainsi que les diverses discussions et démarches entreprises au sujet de son retrait, ces dernières décennies. Elle a notamment rappelé la pétition citoyenne lancée à l'attention de l'UNIL, en soutien au présent postulat, portée par des associations liées à la communauté italienne et aux syndicats, ainsi que le rapport du groupe de travail mandaté par l'UNIL pour étudier cette question. Le conseiller d'Etat a quant à lui rappelé que le rôle de l'Etat est limité, puisqu'il appartient à l'université d'accorder un doctorat. Le cas échéant, il s'agit d'observer si la réglementation en vigueur au sein de l'université permet de retirer un doctorat qui, de fait, disparaît avec le personnage concerné. Ainsi, le doctorat honoris causa attribué à Benito Mussolini n'existe d'ores et déjà plus, le récipiendaire étant décédé en 1945. Le postulat part d'une bonne intention et tout le monde s'accorde sur le fond. Il a été rappelé que l'UNIL avait déjà entrepris un travail de mémoire sur ce sujet. Le rectorat a notamment décidé de suivre la démarche proposée par le groupe d'experts internes et externes à l'université, à savoir assumer son passé et informer sur le sujet.

Parmi les mesures proposées, celles relatives à la révocation du doctorat et à la pose d'une plaque commémorative ont été écartées. Le débat a laissé apparaître deux positions générales différentes. D'un côté, une majorité des commissaires jugent essentiel un travail de mémoire, ainsi qu'une reconnaissance des personnes qui se sont courageusement opposées, à l'époque et dans un contexte difficile, à l'attribution du doctorat honoris causa à Benito Mussolini. Ils estiment par ailleurs que la demande formulée dans le postulat, non contraignante, n'attaque en rien l'autonomie de l'université. De l'autre côté, bien que convaincus de l'importance de ne pas oublier le passé, pour apprendre au profit de l'avenir, des commissaires mettent en avant le statut d'autonomie de l'université et considèrent dès lors le postulat comme étant une ingérence, surtout dans un contexte de travail de mémoire déjà effectué par l'UNIL.

En vue de la discussion, la postulante propose une prise en considération partielle du postulat, en modifiant les conclusions de la manière suivante.

« Pour ces raisons, ce postulat demande au Conseil d'Etat d'étudier l'opportunité de :

  1. demander à l'Université de Lausanne de se doter d'une base légale visant à régler les procédures de retrait des doctorats honoris causa ;
  2. demander à l'Université de Lausanne de révoquer le doctorat honoris causa attribué à Benito Mussolini en 1937, en faisant en sorte de maintenir ses différentes positions dans la mémoire collective (avec une plaque mémorative, par exemple) ;
  3. rendre honneur au professeur Jean Wintsch qui s'était opposé à cette attribution, aux figures qui illustrent des valeurs opposées à celles qui ont régi la décision d’octroi du doctorat honoris causa à Benito Mussolini en 1937. »

La commission recommande au Grand Conseil de prendre partiellement en considération ce postulat par 5 voix contre 4 sans abstention et de le renvoyer au Conseil d'Etat.

M. Nicolas Suter (PLR) — Rapporteur-trice de minorité

S'il y a un point sur lequel la commission est unanime, c'est sur le fait que l'attribution d'un doctorat honoris causa à Mussolini en 1937 est une erreur ; il n'y a aucune voix discordante sur ce point. L'UNIL l’a dit clairement, par la voix de son recteur, et elle n'a pas attendu le dépôt du présent postulat pour prendre ses responsabilités. Un groupe d'experts a été mandaté en 2020 pour faire la lumière sur l'attribution du doctorat en question, sur les réparations éventuelles, ainsi que sur les moyens d'éviter qu'une telle erreur ne se reproduise. Le rectorat a choisi de suivre les recommandations du groupe d'experts, en ne retirant pas le doctorat attribué en 1937, convaincu qu'il est plus courageux d'assumer ses erreurs et de les garder en mémoire, plutôt que de les effacer. Ce travail de mémoire sera accompagné d'un travail d'information permettant de ne pas oublier et de ne pas reproduire une telle erreur. Pour ce qui est de la reconnaissance au professeur Wintsch demandée par la postulante, l'UNIL souhaite garder la ligne qu'elle s'est fixée lorsqu'il s'agit d'honorer un homme ou une femme méritante. Cela d'autant plus que la commission d'experts met en lumière qu'il existe plusieurs personnes ayant mérité, dans cette affaire.

La minorité des commissaires observe que l'UNIL a pris ses responsabilités de manière autonome face à une problématique importante. L'UNIL a fait preuve de transparence ainsi que de courage, et donne un signal fort sur la manière dont elle entend faire face à son histoire. Le postulat demande non seulement de révoquer le doctorat honoris causa de Mussolini et de rendre honneur aux figures qui illustrent l'opposition à l'octroi de ce doctorat, mais également de demander à l'UNIL de modifier son règlement. Même si cela se fait dans le cadre non contraignant d'un postulat, de l'avis des commissaires minoritaires, il s'agit d'une ingérence directe du Grand Conseil dans le fonctionnement de l'UNIL, ingérence inutile étant donné que l'UNIL a fait courageusement son travail d'autocritique, entièrement et en toute transparence. La minorité de la commission, formée de 4 commissaires sur les 9 de la commission, vous propose de classer ce postulat.

M. Laurent Miéville (V'L) — Président-e

La discussion est ouverte.

Mme Elodie Lopez (EP) —

En 1937, l'Université de Lausanne remet le titre honorifique de doctorat honoris causa au dictateur fasciste Benito Mussolini. Sur le diplôme figure la raison de cet honneur : « pour avoir conçu et réalisé dans sa patrie une organisation sociale qui a enrichi la science sociologique et qui laissera dans l'histoire une trace profonde". Une trace profonde dans l'histoire, certes : douloureuse et grave. À ce moment-là – j'insiste sur ce point – le Département de l'instruction publique et le Conseil d'Etat doivent valider le titre et ils soutiennent cet octroi. Le débat et le champ de la remise de cet honneur dépassent donc le cercle académique ; c'est l'institution politique qui valide et soutient. Dit autrement, si à l'époque le Conseil d'Etat n'avait pas validé la décision, jamais le dictateur fasciste n'aurait reçu cet honneur.

En 2004, quand sort le rapport Bergier, le président de la commission d'experts chargée de l'enquête exprime le souhait de voir enfin un véritable débat émerger et déborder dans la classe politique, qui l’a jusqu’ici écarté. C'est ce que je souhaite faire aujourd'hui avec ce postulat. J'aimerais qu'en tant qu'institution politique, le Grand Conseil prenne aujourd'hui position par rapport à ce qui a été validé à l'époque. Je souhaite que nous puissions débattre en tant qu'institution de ce que la validation de cet honneur a signifié dans notre démocratie, que nous assumions notre responsabilité et surtout que nous fassions un pas en direction d'une réparation de cette erreur. La révocation est demandée depuis de nombreuses années par des comités citoyens. Au lendemain des cent ans de l'arrivée de Mussolini au pouvoir, il est donc temps d'en rediscuter et de réaffirmer les valeurs qui sont les nôtres en discutant la mise à l'honneur de figures comme celle du professeur Jean Wintsch.

Que ces demandes soient suivies ou non par le Conseil d'Etat, le postulat est une occasion d’accomplir ce travail, de documenter, et d'informer sur ce qui s'est passé et sur les valeurs que nous défendons afin de nous en souvenir et de nous assurer que cela ne se reproduise plus. S'agirait-il d'effacer l'histoire ? Au contraire, j'estime qu'il s'agirait de continuer à l'écrire et d'y ajouter une ligne. En effet, quand l'histoire est menée sur la place publique, comme aujourd'hui et comme ce fut le cas à l'époque, quand elle s'inscrit dans des procès-verbaux, dans des documents, des musées, dans des livres, et quand elle s'accompagne aussi d'un travail scientifique pour éclairer un contexte historique précis, alors non, l'histoire ne s'efface pas. Comme l'a rappelé le rapporteur de majorité, l'université a pris des engagements en ce sens, c'est-à-dire d'ouvrir des recherches sur cette période. C'est vraiment pour cela que discuter d'une révocation n'efface pas l'histoire. Au contraire, cela permet de faire un pas en avant.

J'estime aussi que cette demande ne constitue aucunement une ingérence auprès de l'université, qui reste indépendante dans les décisions qui sont les siennes. Il s'agit de demander un rapport au Conseil d'Etat – première étape avec le postulat – qui y répondra à sa manière. Et dans le cas où il donnerait suite aux demandes formulées dans le postulat, on pourrait considérer qu'il s'agit d'un avis de même statut que les avis formulés par le rapport émis par le groupe d'experts : c'est consultatif et l'université en fait ce qu'elle veut. Pour toutes ces raisons, je me réjouis de débattre de ce sujet avec vous et je vous invite à réserver un bon accueil à ce postulat.

Avant de rendre la parole, j'aimerais ajouter encore deux mots. Je suis arrivée déjà en amont, puis en commission, avec la proposition d'inviter des tiers, par exemple les associations préoccupées par les questions soulevées dans le postulat qui ont lancé une pétition pour le soutenir, ou des experts de l'université qui ont participé à la rédaction du rapport demandé à l'UNIL, ou encore M. le Recteur de l'université. Si je ne peux que prendre acte du refus de la commission à cette proposition, je relève que sans en avoir été avertie et sans que la commission en ait fait la demande, celle-ci a reçu M. le recteur de l'université pour écouter son point de vue, et il était évidemment très intéressant et enrichissant pour nos débats que d'avoir sa présence. Mais on ne me reprendra plus à ne pas connaître les règlements sur le bout des doigts ! En effet, je regrette que… Enfin j'aurais bien aimé qu'on puisse ne pas entendre uniquement cette voix-là pour enrichir nos débats. Je trouve dommage que ce soient toujours les voix des plus grands qui puissent être entendues le mieux quand ces sujets les concernent.

M. Olivier Petermann (PLR) —

L'UNIL n'a pas attendu le dépôt du présent postulat pour prendre ses responsabilités. En effet, le Rectorat a mandaté un groupe d'experts afin de faire la lumière dans ces affaires. Nous ne pouvons que saluer les démarches entreprises par l'UNIL afin d'assurer son passé et de continuer à vivre avec ses erreurs. Comme beaucoup d'autres institutions, qu'elles soient politiques ou publiques, il est plus courageux de garder en mémoire que d’effacer, pour ne pas oublier, mais plutôt apprendre de nos erreurs et ne pas les reproduire à l'avenir. Pour conclure, je reprends un texte paru dans un journal régional et écrit par un ancien collègue député du Nord vaudois. « L'Université de Lausanne doit continuer de vivre avec cette tache encombrante. Tenter de l'éliminer laisserait une auréole encore plus douloureuse. » Pour ces raisons, le groupe PLR vous recommande de ne pas prendre ce postulat en considération, même partiellement.

M. David Vogel (V'L) —

Ce postulat, en gros, est la fade adaptation vaudoise de ce qu'on appelle la cancel culture, ou la culture de l'effacement. Il s’agit d’une sorte de puritanisme d'extrême gauche, avec ses inquisiteurs zélés, ses lubies « effaceresses » et son amour immodéré de la gomme, avec de plus la certitude d'être dans le camp du Bien, du Juste et du Progrès. Ironiquement, je note que l'extrême gauche, qui se complaît d'habitude dans un anti-américanisme aussi primaire qu'épidermique, juge bon d'exporter en terre vaudoise ce qui, à mon sens, est le pire des Etats-Unis ; je le regrette. A mon avis, ce produit d'exportation n'est ni acceptable ni imitable. Vous l'avez compris, je m'oppose à ce postulat pour deux raisons, mais principalement pour sa forme. Il est piquant de constater que celles et ceux qui vantent l'indépendance de l'université à journée faite considèrent soudainement que le Grand Conseil vaudois est l'incarnation suprême du bon sens, et qu’il doit expliquer à l'entier de l'université comment elle doit faire, et si possible, mieux faire !

Maintenant, sur le fond, effectivement, accorder un titre honorifique au Duce n'est de loin pas la meilleure idée que l'UNIL ait eue, au siècle passé. Je crois que tout le monde en convient, mais la question n'est pas là. La vraie question, c'est « doit-on faire comme si on ne l'avait pas fait ? ». Autrement dit, parce que j'efface les taches ou les bêtises que j'ai commises, est-ce que j'enlève la bêtise commise ? Eh bien non ! Je vous livre un scoop : on ne réécrit pas l'histoire avec une gomme. Et même si vous écrivez « révoquer » au lieu d'« effacer », c'est exactement la même chose. De plus, au niveau intellectuel, cela me parait détonnant, quand on dit vouloir « saisir le contexte politique qui l'a rendu possible ». Expliquez-moi comment vous voulez « saisir un contexte politique » si vous effacez le contexte politique ? Ce qui est exactement ce que vous proposez ! En réalité, vous voulez une sorte de « disneylandisation » de l'histoire, avec d'un côté les gentils – c'est-à-dire nous, aujourd'hui, parce que nous savons – et de l'autre côté les méchants – les gens du monde d'avant. Et ensuite, on conclut avec les experts, comme on aime généralement bien le faire, en politique. Pour ma part, j'ai appelé à la barre Hans Ulrich Jost, mon ancien professeur d'histoire à l'Université de Lausanne. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas son positionnement politique, s’il était assis dans cet hémicycle, je suppose qu'il serait assis devant, à ma droite, avec Ensemble à Gauche. Donc Hans Ulrich Jost dit qu’il faut refuser d'enlever ce titre pour une raison très simple : c’est que l'on risque de « plonger dans l'oubli des phases négatives de l'histoire en biffant les faits historiques. » Voilà l’avis de Hans Ulrich Jost, professeur d'université, à Lausanne, homme de gauche.

En conclusion, laissons de côté notre propension à dire le bien, abandonnons l'amour immodéré de la gomme, et rejetons la tentation simpliste de nous autoproclamer juges des actes de nos prédécesseurs. Rejetons fermement ce postulat simpliste et totalement inutile. 

M. Sébastien Pedroli (SOC) —

Je ne sais pas s’il s’agit fondamentalement d’intérêts à déclarer, mais j'annonce être binational, suisse et italien. Si l'UNIL a pris des mesures, c'est qu'il est vraiment choquant que Benito Mussolini – le Duce, le dictateur – bien que décédé depuis bien longtemps, heureusement, soit toujours titulaire aujourd'hui d'un doctorat honoris causa et que l'on estime possible de lui laisser ce titre. Pour rappel – parce que c'est quand même important : en 1936, Mussolini et l'Italie gazent, en Ethiopie, un nombre impressionnant de civils et peu de temps après, en 1937, l'université lui octroie ce titre. Pour rappel également – mais vous le savez tous – dans les années 30, l'Italie de Mussolini fait partie de l' « axe du mal » avec le troisième Reich et le Japon. Il apparaît ainsi, pour moi, que la révocation de ce doctorat honoris causa est la seule façon de corriger, et finalement d'améliorer l'image de l'université. En effet, il y a peu encore, le titre de l'Université de Lausanne apparaissait sur la page Wikipédia de Mussolini ! Alors, on vient nous parler de cancel culture et de beaucoup de choses, mais il s'agit simplement de corriger une erreur choquante que l'Université de Lausanne a commise dans les années 30. Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste et moi-même vous demandons d'accepter ce postulat.

M. Jean-Rémy Chevalley (PLR) —

Il est aujourd'hui devenu courant de remettre en cause des événements du passé pour diverses raisons et convictions, et pour se donner bonne conscience, on souhaite les effacer et modifier la réalité de ce qui est arrivé. C'est un manque de courage notoire ! Nous devons vivre avec notre passé et surtout en tirer les conséquences qui s'imposent pour ne pas réitérer les mêmes erreurs dans l'avenir. Mais fort heureusement, le passé ne s'efface pas d'un coup de gomme ou par le dépôt d'un postulat ; ce serait trop facile. Je vous invite donc à suivre le rapport de minorité et à refuser ce postulat qui, finalement, n'est que de la poudre aux yeux.

Mme Circé Fuchs (V'L) —

Retirer son doctorat à Mussolini, c'est faire du révisionnisme à l'envers. C'est faire intervenir une réaction politique actuelle dans un moment d'histoire correspondant aux difficultés des années 30, aux brassages de pensée qui voyaient, en Suisse, même des antisémites convaincus et des tenants du nazisme. Cela signifie surtout qu'il faudrait remettre en cause les réflexions et les choix de celles et ceux qui ont octroyé un doctorat au dictateur Benito Mussolini, jusqu'au Rectorat de l'université, voire jusqu'au Conseil d'Etat d'alors. Pourquoi, alors, ne pas plastiquer la Maison Blanche, la Villa Turque ou encore la Villa Le Lac, érigées par Le Corbusier, aux idées non seulement antisémites, à l’époque, mais très influencées par le fascisme ? Sous ses atours modernes, ce postulat demande de réaliser une damnatio memoriae, en censurant un événement s'inscrivant dans l'histoire de l'Université de Lausanne. Cette pratique était courante dans l'Antiquité, lors des périodes de dictature ; Staline l'a aussi pratiquée. Attribuer ce doctorat était une erreur, mais la meilleure solution n'est pas de l'effacer de la mémoire collective, mais de l'assumer. Il incombe à l'université de régler la question, et non aux politiques, qui utilisent cet événement à d'autres fins que l'histoire dans laquelle il se place. Les solutions proposées par l'université sont tout à fait adéquates et prennent en compte l'avis de la majorité des professeurs et des autres membres du corps professoral : assumer son passé, informer et faire en sorte que de telles situations n'arrivent plus. En complet accord avec les minoritaires de la commission qui qualifient ces demandes d'ingérence claire dans le fonctionnement de l'UNIL, je vous invite à classer ce postulat.

M. Alberto Mocchi (VER) — Rapporteur-trice de majorité

Je défends le rapport de majorité et je voulais apporter une précision. On a beaucoup parlé de cancel culture, mais je crois que ce qui a été déterminant, lors de la commission, c'est que justement il ne s'agit pas ici d'effacer quelque chose et de faire comme si rien ne s'était passé ou que l'université avait combattu ardemment le fascisme dans les années 30. Si vous reprenez le texte qui a été déposé et sur lequel nous avons pu débattre, il est bien écrit qu'il est « demandé à l'Université de Lausanne de révoquer le doctorat honoris causa, attribué à Benito Mussolini en 1937, en faisant en sorte de maintenir ses différentes positions de la mémoire collective (avec une plaque commémorative par exemple). » Il y a donc vraiment une volonté de garder cette mémoire et de rappeler ce qui s'est passé, mais de ne plus commettre – si on le peut et on espère qu'on le pourra – les erreurs qui étaient celles du passé. Cette volonté de mémoire a été débattue et discutée à de maintes reprises lors des travaux de la commission et elle est fondamentale, dans ce postulat. Donc, il ne s'agit pas de cancel culture. Il ne s'agit pas de dire que quelque chose était mauvais et donc qu’il faut l'effacer, mais de dire que ce doctorat n’aurait pas dû être octroyé, mais qu’il l'a été, alors revenons en arrière au vu de ce qui s'est passé historiquement ensuite, mais n'oublions pas ce qui s'est passé et accomplissons un travail de mémoire. A mon sens, c’est ce qui a été fondamental pour convaincre une majorité de la commission de soutenir ce texte.

M. Jacques-André Haury (V'L) —

Mon intervention tombe très bien après celle de M. Mocchi. J'aimerais vous signaler deux éléments de l'histoire. Il fut un doge qui s'appelait Falier, ou Marino Falliero en italien. Il a été décapité, mais son portrait figurait dans la Galerie des Doges. Il y figure toujours, mais il a été recouvert de peinture noire, en 1366 –cela ne fait que quelques siècles – avec le commentaire « Hic est locus Marini Falieri, decapitati pro criminibus. » Est-ce que je dois traduire ? « Ici se trouve la place de Marino Falier, décapité pour ses crimes. » Eh bien, si vous visitez maintenant la galerie des Doges, le seul nom prononcé par la guide est celui de Faliero, tout en montrant le portrait peint en noir ! Autre exemple de l'histoire : le pharaon Akhenaton était dit hérétique et quelque temps après sa mort, son buste ainsi que toute trace de lui ont été détruites, éliminées. Néanmoins, c'est à peu près le seul pharaon dont on connaisse le nom ! Agatha Christie, Thomas Mann, André Chédid et de nombreux autres en ont fait le héros de leurs œuvres. C'est dire que si vous voulez cesser "d'honorer" Benito Mussolini, vous devriez cesser d'en parler ! (Quelques exclamations.)

Mme Elodie Lopez (EP) —

Je souhaitais reprendre la parole suite aux différentes positions exprimées. J'ai l'impression qu'on nous accuse d'être victimes d'une mode américaine et de vouloir venir, comme un cheveu sur la soupe, avec la volonté d'effacer l'histoire. Sur la question d'effacer ou non, mon collègue Mocchi a répondu tout à l'heure, et je l'ai fait également. Par contre, je tiens à réinscrire ce qui est fait aujourd'hui dans les différentes étapes qui se sont passées avant. La révocation a été évoquée pour la première fois en 1987, alors que je n'étais pas encore née. C'est lors de cette évocation que les premières publications sur la question paraissent, au sein de l'université, mais sans prise de position institutionnelle. Il y a alors eu une pétition, toujours en 87, traitée par le Grand Conseil vaudois. Des discussions ont lieu, mais à mon sens, elles n’ont pas été assez loin. En effet, on n'a pas arrêté de dire, dans ces débats, que finalement l'université avait fait son travail. Mais aujourd'hui, la question que j'aimerais poser c'est : « Et nous ? »

Pour rappel, encore une fois, à l'époque, si le Conseil d'Etat n'avait pas validé la décision et donc donné son aval, cet honneur n'aurait pas été décerné. J'estime par conséquent que l'institution politique, aujourd'hui, a elle aussi un bout de travail à faire. Et à mon avis, c'est de cela qu'il s'agit dans le débat d'aujourd'hui, car j'ai l'impression que l'on confond passablement histoire et mémoire. Mon intention, aujourd'hui, est que nous puissions vraiment faire ce travail et documenter cette question, avec la volonté de continuer à écrire cette histoire. Quand j'entends que ce postulat et nos discussions sont inutiles, j'ai une pensée toute particulière pour les comités de descendants ou de victimes du fascisme italien qui n'ont cessé de dénoncer ces éléments, qui se sont battus et qui ont soutenu ce postulat avec une pétition. Pour ces personnes, ce sont des choses importantes et les discussions que nous avons aujourd'hui ne peuvent être qualifiées d'inutiles.

M. François Cardinaux (PLR) —

Refaire l'histoire, vous l'avez dit, n'est toujours pas simple ! Dire que c'est un parti, une erreur, un moment… Oui, vous avez raison. A l'époque, il s'agissait d'un moment et, aujourd'hui, nous devons simplement respecter l'histoire. Essayer d'imaginer que nous pouvons gommer l'histoire est la pire des erreurs que nous puissions commettre ! Prenons l'exemple de la France, où vous avez beaucoup de ports depuis lesquels, à l'époque, les Noirs étaient expédiés – je ne peux mieux dire autrement – en bateau pour être des esclaves de l'autre côté de l'Atlantique. Eh bien, ces gens ont eu l'intelligence de ne pas détruire la mémoire, mais d’ajouter simplement une épitaphe explicative, d’ouvrir des musées qui expliquent ce qui se passait. Donc, redire que M. Mussolini n'était pas juste, à l'époque… Je ne peux que dire qu'effectivement, ce n'est pas le cas, mais aujourd'hui nous ne pouvons rien dire d’autre que nous ne pouvons rien y changer. Et il ne faut surtout pas donner un « professorat » pour un autre « professorat ». Pour moi c'est une ineptie.

Mme Joëlle Minacci (EP) —

Je tiens ici à rappeler que du côté des personnes qui s'opposent à accepter ce postulat, nous avons entendu que c'était un postulat de cancel culture, etc. Pourtant, ma collègue n’a fait que répéter la volonté du postulat de garder toute la mémoire de ce qui a été fait, soit en réalité de continuer l'histoire, tout en prenant les responsabilités qui sont celles du politique, puisque sans le politique – ma collègue l'a rappelé – ce doctorat n'aurait pas été octroyé. Que ce postulat soit accepté ou non et que le Conseil d'Etat invite ou non l'université à faire quoi que ce soit, personne ne supprimera le fait qu'un jour, cette université a accordé un doctorat honoris causa à Mussolini.

Je trouve qu'il y a une immense légèreté dans la manière de répondre à ce postulat en invoquant le mot-valise de la cancel culture, qui ne veut rien dire, mais qui est simplement une manière de se décharger de notre responsabilité de nous questionner sur la participation du monde politique dans l'octroi de ce doctorat. Je trouve crasse de considérer qu'en faisant cela, ma collègue veuille effacer la mémoire, alors que ce n'est pas le cas. Il faut l'écouter quand elle explique la démarche de ce postulat, ainsi que de tous les groupes citoyens, descendants d'Italiennes et d’Italiens victimes du fascisme. Tout un travail a été fait, pendant des années, et je vous invite à le respecter, ainsi que la volonté de la postulante et de tout ce qu'elle vous a expliqué.

M. Frédéric Borloz (C-DEF) — Conseiller-ère d’Etat

S'il y a bien un point sur lequel tout le monde est d'accord, c'est qu'il n'aurait pas fallu accorder ce doctorat honoris causa à M. Mussolini, à l'époque ; c'est évident. L'université l'a fait, elle le sait et elle corrige. Je suis quand même un peu surpris par la contradiction entre le fait que l'on souhaite retirer symboliquement. En effet, cela reste symbolique ; si la personne était vivante, évidemment, au moins le message serait clair. Cela reste donc un geste symbolique de portée assez limitée, mais l’on cherche à retirer un titre à quelqu'un. Et, en même temps, on aimerait que ce symbole représente un travail de mémoire ou contribue à un travail de mémoire, pour qu'on ne recommence pas. J'avoue très sincèrement avoir du mal à faire le lien entre ces deux actions. En effet, s’il s’agit de retirer le doctorat, il est difficile de contredire ceux qui pensent qu'on veut effacer quelque chose dans l'histoire. Je suis donc un peu mal à l'aise avec cette théorie.

D'autre part, le Conseil d'Etat d’aujourd’hui se sent, quand même, assez distant de cette décision, parce qu'il n'est pas mentionné dans les conclusions du postulat, qui n'est pas adressé au Conseil d'Etat auquel on n'a rien demandé. Alors, savoir ce que le Conseil d'Etat pense de cela… Referait-il la même chose aujourd'hui ? La question est un peu fermée, mais la réponse est évidente. Par conséquent, dire que le Conseil d'Etat était impliqué et qu'aujourd'hui, on aimerait qu'il prenne finalement position ne figure pas dans le texte. Le postulat demande de retirer ce doctorat, de modifier la base légale pour permettre à l'université de le faire, et de valoriser toutes celles et ceux qui n'étaient pas d'accord à l'époque. Mais encore faudrait-il savoir quels étaient les motifs et les raisons, et j'imagine que c'est un assez gros travail.

Bref, j'ai envie de vous dire qu'il y a deux éléments. D'abord, sur le fond, si l'université n'avait pas entrepris un travail sérieux et durable sur la question, avant que le postulat ne soit déposé, le débat aurait sans doute été différent. Mais l'université nous l'a démontré durant la commission et elle le démontre jour après jour : elle a traité cette question extrêmement sérieusement. Et finalement, ainsi que cela a été dit et répété, le but de ce postulat est le travail de mémoire : il faut qu'on se souvienne, on ne doit pas oublier. Et cette volonté, je la soutiens totalement à titre personnel et le Conseil d'Etat avec moi, j'en suis sûr. C’est un vrai soutien sans aucune restriction et c'est en effet très important. Même à l'école, je soutiens chaque proposition faite pour essayer qu'on se souvienne de ce qui s'est passé durant cette période trouble de notre monde, cela pour autant que la proposition soit raisonnable, bien sûr. Je ne veux pas prendre d'engagement ici, mais je soutiens. Il faut reconnaître ici – je dois le répéter encore une fois – que l'université assure justement ce travail de mémoire. Dès lors, on peut demander si retirer ce doctorat à quelqu'un qui n'est plus là vraiment du sens. Voilà pour le fond.

Sur la forme, comme je l'ai dit en commission – mais apparemment sans succès : se doter d'une base légale est quelque chose de compliqué, qui nécessiterait tout d'abord de nous demander de modifier la base légale actuelle. En effet, dans notre base légale, il n'est pas question d'illégalité dans la légalité ni de légalité dans l'illégalité ! La base légale actuelle est la Loi sur l'Université et elle prévoit clairement son autonomie. Nous ne pouvons pas, comme ça, créer une base légale nouvelle ; ce doit être un choix de l'université. Or, j'aimerais dire ici clairement le soutien que nous apportons à l’autonomie de l'Université de Lausanne ; c'est extrêmement important. Les choses sont extrêmement claires. Elles n'étaient peut-être pas aussi claires il y a quelques années, mais aujourd'hui, la relation entre l'université, le Conseil d'Etat et le Parlement est cadrée, selon une loi qui n'a jamais été remise en question. De mon avis personnel comme de celui du Conseil d’Etat, il s’agit ici de confirmer cette autonomie de l'université. La loi qui est aujourd'hui en vigueur permet justement le travail de mémoire, en toute indépendance et sans influence du Conseil d'Etat ni même du Parlement, cela en toute indépendance, mais avec des experts et un regard critique sur cette affaire. C’est d’une valeur inestimable et, précisément, il ne s'agirait pas de prendre des mesures qui affaibliraient l'université dans ce travail. Considérant que l'université a pris pleinement ses responsabilités en apportant d'ores et déjà des réponses claires et substantielles, je vous invite à ne pas donner suite à la demande des postulants.

M. Laurent Miéville (V'L) — Président-e

La discussion est close.

Le Grand Conseil refuse la prise en considération partielle du postulat par 83 voix contre 43 et 11 abstentions.

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