21_MOT_31 - Motion Raphaël Mahaim et consorts - Réhabilitons une fois pour toutes le Major Davel.

Séance du Grand Conseil du mardi 24 janvier 2023, point 7 de l'ordre du jour

Texte déposé

L'année 2023 marquera le tricentenaire de la mort du Major Davel. Diverses festivités, notamment culturelles, sont déjà annoncées. Sur le plan de l'histoire politique vaudoise, il ne fait aucun doute que Jean-Daniel Abraham Davel est depuis longtemps considéré comme un martyr du peuple vaudois. Il aura fallu environ un siècle pour que la mémoire et l'honneur du Major Davel soient en quelque sorte lavés sur un plan moral, notamment sous la plume de Frédéric-César de La Harpe et Olivier Juste. Depuis lors, il est à la fois une figure patriotique et une incarnation de la liberté face aux oppressions. Son nom orne de nombreuses rues et plusieurs monuments lui sont dédiés.

 

Comme l'écrit l'historien Antonin Scherrer, on a toutefois le sentiment que le Major Davel doit être "sans cesse réhabilité". Sa condamnation à mort n’a du reste jamais été révoquée de quelque façon que ce soit par les autorités. C'est probablement la raison pour laquelle un groupe de députés interpartis avait déjà tenté, avant le tournant du 21ème siècle, d'obtenir sa réhabilitation en plaidant pour une révision de son procès l'ayant condamné à mort. L'association d'étudiants Zofingue en avait d'ailleurs fait de même à la même période.

 

Le tricentenaire de sa mort apparaît comme une occasion unique de faire un travail historiographique complet sur cette figure historique vaudoise. Cela serait l’occasion de documenter, à l’aide d’archives et de travaux historiques désormais très bien fournis, l’importance de ce personnage et de son héritage pour le pays de Vaud. Ce travail pourrait être confié à une commission historique spécialement nommée pour l’occasion. La "mémoire collective" vaudoise en sortira enrichie. Dans la foulée de ce travail, les autorités pourraient très officiellement proposer une réhabilitation solennelle du Major Davel. Un acte parlementaire, jamais envisagé à ce jour pour le Major Davel, serait l'instrument idéal pour ce faire.

 

Par la présente motion, les députés soussignée demandent au Conseil d'Etat de désigner une commission historique chargée de réunir toutes les sources concernant la vie et l’oeuvre du Major Davel et de présenter ensuite au Grand Conseil, à l'occasion du tricentenaire de sa mort, un projet de loi ou de décret le réhabilitant.

Conclusion

Renvoi à une commission avec au moins 20 signatures

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Julien CuérelUDC
Nicolas BolayUDC
Yvan PahudUDC
Olivier GfellerSOC
Anne Baehler Bech
Claude Nicole GrinVER
Alice GenoudVER
Nathalie JaccardVER
Blaise VionnetV'L
Pierre FonjallazVER
Felix StürnerVER
Jérôme Christen
Andreas WüthrichV'L
Circé FuchsV'L
Jean-Marc Nicolet
Anne-Laure Métraux-BotteronVER
Rebecca JolyVER
José DurusselUDC
Didier LohriVER
Sacha SoldiniUDC
Léonard Studer
Séverine EvéquozVER
Sabine Glauser KrugVER
Claire RichardV'L
Pierre ZwahlenVER
Jean-François ChapuisatV'L
Vassilis Venizelos
Olivier Epars

Documents

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. Nicolas Suter (PLR) — Rapporteur-trice

Ce n’est pas la première tentative de réhabiliter le major Davel, que ce soit sur un plan politique ou juridique. Aucune de ces tentatives n’a abouti, vraisemblablement car si la question en filigrane semble évidente, les réponses sont plus complexes. Le motionnaire demande de désigner une commission historique chargée de réunir toutes les sources concernant la vie et l’œuvre du major Davel. Dans le cadre des commémorations du 300e anniversaire de sa mort, en avril prochain, un programme copieux est annoncé. La plate-forme informelle d’échanges déjà instaurée pourrait déboucher sur la création d’une telle commission. Par ailleurs, le motionnaire demande au Conseil d’Etat de présenter au Grand Conseil, à l’occasion de cet anniversaire, un projet de loi ou de décret réhabilitant le personnage.

La majorité de la commission voit dans cette volonté de réhabilitation une charge contre la séparation des pouvoirs, puisque la révision des procès relève de la justice et pas de la politique. Sur la question de la réhabilitation juridique, une demande a été adressée, en 1998, au Tribunal cantonal par des descendants du major Davel. Le Tribunal cantonal n’a pas jugé l’affaire, car il a considéré qu’elle n’était pas recevable, au motif qu’en 1998, il ne restait plus de dommages résultant de la condamnation. La voie juridique étant épuisée, reste une révision politique qui poserait d’autres questions et créerait un précédent susceptible de vouloir voir le Grand Conseil étendre à d’autres causes la question de la révision législative rétrospective. On pourrait ainsi réviser des jugements d’une série de victimes de l’histoire sous le regard de notre société contemporaine, comme la réhabilitation des sorcières ou des producteurs d’absinthe, par exemple. Le Grand Conseil doit se demander si la révision des jugements de l’histoire est d’ordre du politique. Davel n’ayant pas été le seul à subir les affres de l’Ancien Régime, faudra-t-il aussi réhabiliter les pauvres bougres qui ont subi la justice de ce régime ?

Outre le révisionnisme, cette motion aborde – d’une manière pas tout à fait naïve, étant donné son auteur – la thématique de la désobéissance civile. Au fond, si on réhabilite aujourd’hui le major Davel qui s’est opposé, il y a 300 ans, aux autorités au nom du principe de la liberté qu’il estimait juste, on ouvre la porte aux personnes qui aujourd’hui s’opposent à l’autorité, aux institutions et aux lois, au nom de leurs principes. De toute évidence, la question de la désobéissance civile est en filigrane de cette motion.

Une nette majorité de la commission est d’avis qu’il faut laisser aux historiens la responsabilité d’éventuelles réhabilitations. C’est manifestement prévu et des débats sont annoncés. Les festivités donneront toute la solennité et l’officialité au major Davel, sans pour autant que le Parlement doive s’improviser juge et historien, alors que ce n’est pas son rôle. Par 5 voix contre 1, la commission recommande au Grand Conseil de ne pas prendre cette motion en considération.

Mme Séverine Evéquoz (VER) — Président-e

La discussion est ouverte.

M. Felix Stürner (VER) —

En ce jour de commémoration de la révolution vaudoise face à l’assujettissement des bernois, 220 ans après la création du canton et 300 ans après la mort du héros vaudois, notre Parlement est effectivement appelé à se prononcer sur un objet déposé par notre ancien collègue Raphaël Mahaim dont je me fais ici le porte-parole et visant la réhabilitation du major Davel.

Tout comme le mentionne clairement l’auteur du livre récent sur le major Davel, M. Gilbert Coutaz, ancien archiviste cantonal et excellent connaisseur de l’histoire du canton dans la rubrique « réflexions » du quotidien 24heures : « En faisant de 2023 l’année Davel, le Conseil d’Etat n’abandonne pas son héros. Il reste toutefois discret sur son message politique. » Et c’est bien cet élément de discrétion politique qu’en tant que porte-parole de notre ancien collègue, je tiens à souligner. En effet, si la discussion en commission a été dominée par l’aspect juridique d’une éventuelle révision du procès de l’accusé Davel, il me paraît primordial d’insister également sur l’aspect politique, voire moral, que revêt cette demande – tout comme nous le ferons probablement lors d’un autre objet qui aurait dû être à l’ordre du jour de ce mardi.

Loin d’une récupération ou instrumentalisation de la figure du major à des fins détournées, Raphaël Mahaim a récemment précisé une nouvelle fois son intention sur les ondes d’une radio lausannoise. Il visait à mettre en exergue « l’universalité de l’acte ». Il s’agit donc bien, dans ce sens, non pas de sortir une figure historique de son temps, mais de lui reconnaître une exemplarité dans un engagement citoyen - et aussi patriotique par ailleurs - au nom d’une cause qu’elle estime être légitime au point de risquer sa vie pour la défendre. Autrement dit, la postérité reconnaît le courage d’un individu dont la justesse de la cause a triomphé 75 ans après sa décapitation, alors même qu’aux yeux des autorités lausannoises de l’époque, a fortiori bernoises, au mieux c’était une cause perdue, et au pire intolérable.

En proposant d’ouvrir une nouvelle fois le chapitre de la question de la réhabilitation du major Davel, 25 ans après une précédente tentative alors largement soutenue par divers cercles incluant les Zofingiens qui sont assez peu connus pour vouloir déstabiliser notre système politique, le motionnaire soupçonné de velléités révisionnistes ne cherche pas à réécrire l’histoire en l’enjolivant au détriment de la vérité factuelle, mais simplement à réévaluer un acte hautement politique, que l’autorité politique du moment avait sanctionné par un autre acte tout aussi politique, consistant à mettre à mort un individu considéré comme séditieux. A l’instar d’une commission Bergier qui, plus de 50 ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, n’a pas modifié les faits advenus, mais a permis au travers d’un travail de recherches scientifiques approfondi d’éclairer des pans de l’histoire qui étaient jusqu’alors peu connus, voire ignorés, une démarche de ce type pourrait être envisagée sous l’impulsion du politique. Pourtant, dans le programme détaillé présenté dans le rapport de la commission, elle n’est pas prévue. En effet : « Une plate-forme informelle d’échange est déjà instaurée et pourrait déboucher sur la création d’une telle commission », puisque le motionnaire demandait en effet une commission.

Face à certaines critiques faciles qui reprochent au politique de ne pas assumer ses responsabilités, l’acceptation de la motion serait une manière élégante de prouver le contraire, en démontrant que le pouvoir politique est non seulement capable de porter un regard critique sur les agissements de ses prédécesseurs, mais aussi de s’affirmer comme une autorité à même de défendre des valeurs constitutives d’une démocratie vivante, se nourrissant aussi de son passé. Imaginez que le Conseil d’Etat eut par exemple proposé, en 2022, de rappeler à la mémoire des Vaudoises et des Vaudois l’importance du major par une déclaration solennelle sur sa réhabilitation, voilà qui aurait donné la possibilité de voir un nouveau jour historique se lever. Il n’en a rien été… laissons le débat se faire.

M. Jacques-André Haury (V'L) —

Les historiens que j’ai consultés pensent que le rôle joué par Davel sur la Révolution vaudoise elle-même est hautement hypothétique, voire qu’il n’en a joué aucun – mais un séminaire devrait pouvoir trancher de la chose cet automne. J’aimerais rappeler à ceux qui prétendent que Davel est un modèle de désobéissance civique comment ce dernier a accueilli l’annonce par le pasteur de Saussure de sa condamnation à mort, en citant Juste Olivier : « Je vous suis obligé, Monsieur, de l’agréable nouvelle que vous m’apportez. Je la reçois avec une joie indicible, c’est un sacrifice que je fais à Dieu et à ma chère patrie d’une vie que j’ai exposée souvent pour un minime salaire. Que cela ne vous fasse point de peine, car la mort, ce roi des épouvantements, ne m’en fait pas. » En matière de désobéissance civique, on a un très bel exemple de la soumission de Davel à l’autorité qu’il avait contestée, alors que nos désobéissants civiques font recours et alertent la presse.

M. Felix Stürner (VER) —

Si la discussion ne se développe pas, en accord avec le motionnaire, je retire cet objet.

Mme Séverine Evéquoz (VER) — Président-e

La discussion est close.

La motion est retirée.

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