20_MOT_11 - Motion Hadrien Buclin et consorts - Pour un salaire minimum de 23 francs par heure dans le canton de Vaud.

Séance du Grand Conseil du mardi 15 mars 2022, point 38 de l'ordre du jour

Texte déposé

Par plus de 58% des suffrages exprimés, la population genevoise a soutenu l’initiative « 23 frs, c’est un minimum ». Il s’agit d’un signal très clair pour en finir avec des salaires qui ne permettent pas de vivre dignement. Le salaire minimum genevois, qui correspond à 4'186 francs bruts pour 42 heures de travail hebdomadaire, conduira à l’augmentation des salaires pour quelque 30'000 travailleuses et travailleurs, dont deux tiers de femmes.

L’instauration d’un salaire minimum dans un canton voisin, partenaire économique essentiel pour Vaud, doit nous inciter à agir dans le même sens, en vue d’une harmonisation minimale des conditions salariales entre les deux cantons. Dans le canton de Vaud aussi, les salaires trop faibles pour vivre constituent un grave problème pour une couche importante de la population. Rappelons en effet que selon le Rapport social vaudois publié en 2017 par le Département de la santé et de l’action sociale, les bas salaires concernent 14 % des salariés du secteur privé. Est considéré comme bas salaire toute rémunération standardisée inférieure aux deux tiers du salaire médian. En 2012, la limite est ainsi fixée à 3930 francs. Parmi ces travailleurs à bas salaire, 65 % sont des femmes. En équivalents plein temps (EPT), le nombre de postes à bas salaire est de 25’900 en 2012. Leur proportion en EPT dans le secteur privé vaudois est passée de 11 % à 13 % au cours des dix dernières années (Rapport social vaudois, p. 33). Les conventions collectives ne s’avèrent pas à elles seules suffisantes pour lutter contre ce phénomène, dans la mesure où elles ne couvrent de loin pas tous les salariés du canton et qu’une partie d’entre elles ne prévoient pas de salaire minimum.

Par ailleurs, le 14 juin 2019, des milliers de femmes ont manifesté dans le canton de Vaud pour mettre fin aux discriminations dont elles sont victimes, notamment sur le plan des salaires. En améliorant le salaire de milliers de travailleuses touchant de faibles rémunérations, l’instauration d’un salaire minimum permettrait un pas concret vers l’égalité salariale.

Les soussignés partagent aussi l’avis du comité d’initiative pour un salaire minimum à Genève qui estiment que « contrairement à une idée reçue largement répandue, le salaire minimum légal ne tirera pas l’ensemble des salaires vers le bas. Car les employeurs peuvent baisser les salaires bien plus facilement sans salaire minimum (…) Le salaire minimum posera enfin une limite à cette sous-enchère, et favorisera même une amélioration globale des salaires. Dans aucun pays ni aucune région, pas même la France, la moindre étude économique sérieuse n’a démontré un effet négatif du salaire minimum légal sur l’ensemble des salaires. C’est toujours le contraire qui s’est vérifié : avec l’amélioration du pouvoir de négociation d’une part importante des travailleurs/euses, c’est l’ensemble des salaires qui a tendance à augmenter.

Dans tous les pays où des études de terrain ont été menées, il a été démontré que l’amélioration du pouvoir d’achat de dizaines de milliers de salarié-e-s génère très rapidement de nouveaux emplois. En effet, les personnes qui ont de bas salaires ne peuvent pas épargner un revenu supplémentaire, mais doivent le dépenser pour subvenir à leurs besoins de base. Cela stimule immédiatement la consommation et donc l’emploi. C’est un cercle vertueux. »

 

Enfin, la crise du Covid-19 a révélé la précarité subie par de larges couches de salarié.e.s. Le salaire minimum est un outil adéquat pour combattre ce phénomène. De plus, dès lors que de nombreuses entreprises ont reçu des aides publiques en réponse à la crise, il est légitime que l’Etat exige comme contrepartie sur le plan législatif des salaires permettant aux employé.e.s de vivre dignement.

 

Compte tenu des arguments ci-dessus, la présente motion demande une modification de la loi cantonale sur l’emploi (LEmp) qui pourrait avoir la teneur suivante, largement inspirée des dispositions genevoises :

 

TitreI   Dispositionsgénérales

ChapitreI   Butetchampdapplication

Article 1 al 2

« let. g (nouveau) : instituerunsalaireminimumafindecombattrelapauvreté, defavoriserlintégrationsocialeetdecontribuerainsiaurespectdeladignitéhumaine. LeConseildEtatdéfinitlerôledesautoritéscompétentes, mentionnéesauchapitreIIduTitreIdelaprésenteloi, danslamiseenœuvreetlecontrôledusalaireminimumcantonal. Ilfixeunbarèmedessanctionslorsquunemployeurnerespectepaslesalaireminimum»

Article 2 ancien… jusqu’à l’article 7

« TitreII   Salaireminimum (nouveau)

ChapitreI   Champdapplication (nouveau)

Article 8 (nouveau) LesrelationsdetravailentretravailleursaccomplissanthabituellementleurtravaildanslecantonsontsoumisesauxdispositionsduprésentTitrerelativesausalaireminimum.

Article 9 (nouveau) LesdispositionsduprésentTitrenesontpasapplicablesauxcontratsdapprentissageausensdesarticles 344 etsuivantducodedesobligations, auxcontratsdestagesinscrivantdansuneformationscolaireouprofessionnelleprévueparlalégislationcantonaleoufédérale, auxcontratsdetravailconclusavecdesjeunesgensdemoinsde 18 ansrévolus.

ChapitreIIMontantdusalaireminimum (nouveau)

Article 10 (nouveau) Lesalaireminimumestde 23 francsparheure. Parsalaire, ilfautentendrelesalairedéterminantausensdelalégislationenmatièredassurance-vieillesseetsurvivants, àlexclusiondéventuellesindemnitéspayéespourjoursdevacancesetpourjoursfériés.

Article 11 (nouveau) Chaqueannée, lesalaireminimumestindexésurlabasedelindicedesprixàlaconsommationaumoisdaoût, parrapportàlindiceenvigueurle 1 janvierdelannéeprécédente. Lesalaireminimumprévuàlarticle 10 nestindexéquencasdaugmentationdelindicedesprixàlaconsommation.

ChapitreIIIPrimautédusalaireminimum (nouveau)

Article 12 (nouveau) Silesalaireprévuparlecontratindividueldetravail, uneconventioncollectiveouuncontrat-typeestinférieuràceluifixéàlarticle 10, cestcedernierquisapplique.

Article 13 (nouveau) Lesusagesnepeuventenaucuncasprévoirunsalaireminimuminférieuràceluifixéparlarticle 10.

LeTitreIIdevientleTitreIIIetlart. 8 devientlart. 14. Pourlereste, sanschangement.

Conclusion

Renvoi à une commission avec au moins 20 signatures

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Didier LohriVER
Nathalie JaccardVER
Felix StürnerVER
Céline MisiegoEP
Marc VuilleumierEP
Yvan LuccariniEP
Claire Attinger DoepperSOC
Vincent KellerEP
Rebecca JolyVER
Taraneh AminianEP
Séverine EvéquozVER
Alice GenoudVER
Yves FerrariVER
David RaedlerVER
Jean-Marc Nicolet
Sylvie Pittet BlanchetteSOC
Jean-Louis RadiceV'L
Sabine Glauser KrugVER
Olivier Epars
Sylvie PodioVER
Pierre ZwahlenVER
Léonard Studer

Documents

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. Rémy Jaquier (PLR) — Rapporteur-trice de majorité

Notre collègue Hadrien Buclin fonde sa motion sur le résultat positif de la votation en faveur d’un salaire minimum, en automne 2020, à Genève. La relance de ce dossier permettrait, selon lui, d’harmoniser les conditions de travail entre les deux cantons romands et constituerait un outil efficace pour réduire les écarts de salaire entre les hommes et les femmes. Un salaire minimum, avec une augmentation du revenu pour les bas salaires, permettrait de doper la consommation, ce qui serait bénéfique pour le chiffre d’affaires des petites entreprises. Le motionnaire demande donc une modification de la Loi cantonale sur l’emploi (LEmp) largement inspirée des dispositions genevoises introduisant un salaire minimum de 23 francs de l’heure indexé sur la base de l’indice des prix à la consommation.

Pour la majorité de la commission, il s’agit d’une fausse bonne idée, notamment pour les raisons suivantes : la commission adhère tout d’abord à la position exprimée par M. le conseiller d’Etat Leuba présent en commission qui estime qu’en Suisse, nous avons l’un des taux de chômage les plus bas, car le marché du travail est relativement libéral. L’instauration d’un salaire minimum enfreindrait cette caractéristique du marché. L’introduction d’un salaire minimum dépouillerait les négociations entre partenaires sociaux d’une partie substantielle de leur objet. Il faut laisser aux partenaires sociaux, branche par branche, la capacité de négocier en fonction de la situation économique et de la diversité des entreprises. Les conventions collectives de travail (CCT) traitent de multiples autres aspects des rapports de travail. Une mise à mal du partenariat social représente un réel danger pour la paix du travail, voire pour la paix sociale.

Dans le cas particulier de l’agriculture, par exemple, un salaire minimum de 15,60 francs de l’heure pour 51 heures 30 hebdomadaires a été conclu par les partenaires sociaux. Pour les exploitations avec bétail, un salaire minimum de 23 francs de l’heure ne pourrait être versé par les agriculteurs qui sont dans l’impossibilité d’augmenter les prix des produits agricoles.

La mise en place d’un salaire minimum présente des risques non négligeables comme l’engagement au noir. La proposition du motionnaire est également un mauvais message adressé aux jeunes en formation. La perspective de gagner plus de 4000 francs par mois en trouvant un emploi de manœuvre, dès l’âge de 17 ans, après un semestre de motivation dans un SEMO, pourrait dissuader une ou un jeune de faire un apprentissage payé 500 à 600 francs par mois. L’époque choisie pour présenter une telle motion n’est effectivement pas favorable non plus. Au contraire, une loi trop rigide serait un coup de grâce supplémentaire pour les secteurs économiques en souffrance, notamment en raison des conséquences de la pandémie encore active.

En ce qui concerne les votes de la commission, la transformation de la motion en postulat, sans l’accord du motionnaire, a été refusée par 8 voix contre 3. Finalement, la majorité de la commission vous recommande de ne pas prendre cette motion en considération par 7 voix contre 4.

M. David Raedler (VER) — Rapporteur-trice de minorité

En complément aux éléments très complets apportés par mon préopinant, quelques mots sur le rapport de minorité et les avis et arguments qui ont été amenés en commission. Premièrement, les commissaires de la minorité ont relevé que le système actuel des CCT est complexe et lacunaire, ce qui fait qu’il y a passablement de régimes très différents quant aux principes prévus dans ces CTT, les montants et le principe même d’un salaire minimum, certaines CCT ne prévoyant pas de salaires minimaux et le montant même des salaires variant passablement d’un régime à l’autre. En outre, il y a des domaines qui ne font pas l’objet de CCT, malgré une sous enchère très marquée en termes de salaire. On peut par exemple mentionner l’économie domestique qui fait l’objet d’un contrat type de travail (CTT) et pas d’une CCT. Or, le régime des CTT est beaucoup moins fort, dans la mesure où les parties peuvent y déroger par simple accord écrit, ce qui permet justement de ne pas respecter des minima en termes de salaires minimaux dans des domaines qui sont pourtant victimes de ce type de pratiques.

Autre argument relevé par les commissaires de minorité : le fait que le canton de Vaud ne serait ici pas seul a adopté un salaire minimum. Au contraire, cinq cantons l’ont déjà adopté : le Tessin, Genève, le Jura, Neuchâtel et Bâle-Ville, qui ont tous en commun le fait d’être des cantons frontaliers, à l’image du canton de Vaud. Malgré les craintes qui avaient été émises dans ces cantons par rapport à une atteinte à l’économie possible ou une atteinte aux possibilités d’engagement liées à un salaire minimum, ces cantons – malgré une économie moins forte que celle du canton de Vaud – n’ont pas connu ces effets. Au contraire, le salaire minimum a permis de renflouer certaines professions qui faisaient jusque-là l’objet d’une sous-enchère.

Les commissaires de la minorité relèvent également que, parmi les alternatives le plus souvent mentionnées au salaire minimum, il y a la question de la transparence des salaires payés – ou des différences salariales au sein d’une entreprise – qui est mise en avant. Une telle transparence permettrait d’inviter les entreprises, pour des raisons réputationnelles, à monter les salaires. Cependant, les commissaires de la minorité relèvent qu’il s’agit là d’une compétence fédérale et non cantonale. Or, au niveau fédéral, une telle règle n’existe pas. Au contraire, il n’y a aucune obligation de publier les salaires d’une entreprise ou les écarts salariaux, de sorte que le canton de Vaud ne pourrait ici rien faire.

Enfin, les commissaires de la minorité relèvent que la solution du salaire minimum répond au problème des working poors, les personnes qui travaillent pour un salaire qui n’est pas suffisant. C’est un problème social. On ne parle pas ici d’un salaire mirobolant ou très élevé, mais d’un minimum absolu pour pouvoir vivre décemment. Ce sont des conditions qui devraient être offertes quel que soit le domaine. Et alors même qu’il y a certains domaines – et les commissaires de la minorité en sont conscients – qui ne bénéficient pas de grande liberté en termes financiers, notamment le domaine de l’agriculture, il s’agirait plutôt de mettre en place un système parallèle au salaire minimum qui permettrait d’avoir des aides au domaine agricole et qui permettrait de payer des salaires minimaux et non pas d’accepter le fait que certaines personnes sont payées au-dessous du seuil de pauvreté, avec les conséquences que cela entraîne, tant sociales qu’économiques, pour le canton et les communes en termes d’aide sociale.

Dans cette mesure, les commissaires de la minorité recommandent l’acceptation de la motion déposée par notre collègue Hadrien Buclin.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est ouverte.

M. Hadrien Buclin (EP) —

Il y a un peu plus de dix ans, la population vaudoise rejetait à une très courte majorité de 51 % l’initiative populaire cantonale pour un salaire minimum, initiative qui, à l’époque déjà, avait été lancée par la gauche radicale et les partis qui composent le groupe Ensemble à Gauche et POP. A l’époque, le canton de Vaud aurait fait œuvre de pionnier, mais en dix ans, le salaire minimum a fait son chemin en Suisse, comme l’a rappelé le rapporteur de la minorité, puisqu’il est désormais en vigueur à Neuchâtel, dans le Jura, au Tessin, à Bâle-Ville et à Genève. Le vote récent et très clair de la population genevoise, avec 58 % des suffrages exprimés en faveur de l’introduction d’un salaire minimum, m’a convaincu de relancer ce combat crucial pour les salariés du canton de Vaud. J’espère aussi, à terme, que si la voie parlementaire échoue, la population pourra à nouveau se prononcer sur cette problématique lors d’une nouvelle votation populaire. J’ai très bon espoir que les expériences positives menées désormais dans cinq cantons suisses pourront convaincre la population d’améliorer, ici aussi, les conditions de travail des salariés les plus modestes. Expériences positives, disais-je, parce que je pense que cela est désormais difficilement contestable, parce que ce sont des milliers de travailleuses et travailleurs modestes qui ont vu leur rémunération améliorée grâce au salaire minimum, ce qui leur a permis de sortir des fins de mois difficiles, voire d’une dépendance à l’aide sociale. En effet, c’est tout de même un comble que la collectivité publique, à travers l’aide sociale, doive payer à la place d’employeurs qui n’assurent pas des rémunérations permettant de vivre dignement. Dans la petite enfance, le nettoyage, le commerce de détail, l’hôtellerie-restauration, de nombreux salariés précaires ont reçu un bol d’air grâce au salaire minimum dans les cantons mentionnés. Par exemple, à Genève, 16’000 EPT ont vu leur rémunération augmenter suite au vote favorable de la population.

Parmi les personnes touchées par ces rémunérations trop faibles, il s’agit de femmes pour une large majorité. L’instauration d’un salaire minimum est donc aussi un élément de réponse à l’indignation suscitée par les inégalités de salaire existantes entre femmes et hommes et aux grandes mobilisations féministes qui se sont développées dans le canton de Vaud et en Suisse durant ces dernières années.

L’expérience des cinq cantons qui se sont dotés d’un salaire minimum est aussi positive, en ce sens qu’elle permet de battre en brèche les arguments – souvent catastrophistes – qui ont été développés par une certaine droite patronale, arguments suivants lesquels le salaire minimum aurait un effet négatif sur l’emploi. L’introduction du salaire minimum dans les cantons concernés n’a eu aucun impact négatif sur l’emploi. Bien au contraire, dès lors que les personnes à faible revenu n’épargnent qu’une très faible partie de leur salaire, les hausses de rémunération permises par le salaire minimum ont stimulé la consommation populaire et ont donc eu un effet bénéfique sur l’économie cantonale et sur l’emploi.

Enfin, aujourd’hui, le salaire minimum paraît d’autant plus opportun que nous vivons un retour inquiétant de l’inflation, avec des hausses des prix de l’essence, du chauffage et des denrées alimentaires. Des hausses de prix qui pèsent tout particulièrement sur les personnes à faible revenu. Le modèle que je propose, repris en large partie des dispositions genevoises, permet une indexation annuelle calquée sur l’indice des prix à la consommation. Cela permettrait justement d’atténuer l’impact de l’inflation sur le pouvoir d’achat des personnes aux revenus modestes.

Pour toutes ces raisons, j’espère que vous accepterez cette motion. La motion a une forme suffisamment souple et permettrait au Conseil d’Etat de prévoir des mesures d’accompagnement pour répondre aux inquiétudes légitimes de certains secteurs, notamment le secteur agricole. Dans ce dernier, il est vrai que les adaptations salariales seraient importantes. On pourrait donc envisager des aides publiques qui permettraient d’accompagner les adaptations salariales prévues, au moins à titre transitoire.

M. Jean-François Thuillard (UDC) —

Même si M. Jaquier a très bien décrit la position de la majorité de la commission, je tiens à rappeler quelques éléments. J’estime qu’il n’est pas judicieux que l’Etat intervienne dans les salaires ; c’est contraire à la liberté économique, voire néfaste pour le partenariat social. Un salaire minimum de cette envergure ne peut que créer un déséquilibre entre les différents partenaires. De plus, j’y vois un mauvais message pour nos jeunes en formation, spécialement ceux qui sont en filière d’apprentissage. Pour l’agriculteur que je suis, cela signifie vraisemblablement l’abandon de certaines branches de production. Le secteur est déjà suffisamment en difficulté sans avoir en plus un salaire minimum de cette ampleur. Le rapport prix de vente des produits/charges de production en serait fortement déséquilibré. J’y vois aussi un appel d’air au niveau frontalier et je crains que les étudiants aient encore plus de peine à trouver des petits boulots. Pour toutes ces raisons, le groupe UDC ne soutiendra pas cette proposition de motion.

M. Andreas Wüthrich (V'L) —

En préambule, je précise que je m’exprime en mon nom propre et non pas au nom de mon groupe. Le problème des emplois mal rémunérés existe et nous devons chercher des solutions qui feront diminuer, voire disparaître, cet état de fait. Néanmoins, je parle bien de solutions au pluriel. La motion proposée est une copie de la décision genevoise d’imposer un salaire minimum généralisé de 23 francs de l’heure. Cette solution a trop d’effets négatifs sur le tissu artisanal de notre canton. La preuve qu’un salaire minimum généralisé et de cette ampleur n’est pas la solution idéale afin de régler le problème des salaires trop bas, c’est que l’on devrait excepter de ce régime l’agriculture. Pourquoi ne pas étendre le régime d’exception aux emplois du tourisme, de la restauration, etc. ? Je crains qu’une telle mesure porte un coup fatal à l’artisanat et aux métiers manuels. Il y a de nombreuses pistes à étudier pour trouver la plus juste, celle qui permettra d’enrayer l’exploitation malveillante de travailleurs sans pénaliser ceux qui ont un sens développé de la solidarité. Je propose comme piste de jouer la transparence des comptes pour un employeur, afin de démontrer qu’un salaire plus élevé n’est pas possible. Il existe également des entrepreneurs-employeurs qui n’ont pas autant de revenus que leurs employés. Il faut aussi rechercher les différences du coût de la vie entre les cantons de Vaud et de Genève, entre villes et campagnes ou entre les différentes régions.

Pour toutes ces raisons, je propose à ce plénum, conformément à l’article 123 de la Loi sur le Grand Conseil, de transformer cette motion en postulat, chose que j’avais déjà proposée en commission.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

Je prends note de votre demande, monsieur le député. Nous voterons en deux fois : une première fois sur votre proposition de transformer la motion en postulat et une seconde fois sur la prise en considération ou non de cet objet.

La discussion est ouverte sur la transformation de la motion en postulat.

M. Gérard Mojon (PLR) —

La fixation de la masse salariale d’une entreprise et des divers salaires individuels en son sein est un exercice extrêmement complexe. La masse salariale doit garantir plusieurs éléments : tout d’abord, elle doit garantir la motivation de tous les employés, pas seulement des moins rémunérés. Tous les employés sont importants dans une entreprise, du plus petit au plus grand. La masse salariale doit aussi garantir le maintien de prix de vente compatibles avec le marché. Si une entreprise veut survivre, elle doit s’inscrire dans le marché. Si elle est hors marché, elle n’existe plus. Cette masse salariale doit aussi maintenir des marges économiquement viables. Et la marge, chers collègues, ce n’est pas que la rétribution de l’entrepreneur, comme on aimerait souvent nous le faire croire. La marge sert d’abord à couvrir tous les frais fixes. Certaines fois, cela a été dit il y a un instant, une fois que tous les frais fixes ont été payés, il ne reste plus grand-chose pour l’entrepreneur.

Les salaires individuels et leur répartition constituent à mes yeux un véritable mobile hypersensible : tout mouvement individuel entraîne immédiatement et immanquablement un mouvement de l’ensemble. Donc, toute modification que l’on voit positive dans la masse salariale ou dans la répartition salariale d’une entreprise va immédiatement et inévitablement provoquer des effets négatifs induits. C’est malheureusement une réalité économique. En conséquence, imposer un salaire minimal pourrait donc provoquer, de cas en cas, des suppressions de postes, des augmentations de prix de vente ou créer d’autres inégalités.

En ce qui me concerne, je fais confiance aux entrepreneurs : dans leur très grande majorité, ces derniers défendent leurs employés, parce qu’ils en connaissent l’importance. Dès lors, je vous propose de classer cette motion.

M. Arnaud Bouverat (SOC) —

Pour ce point de l’ordre du jour, M. Buclin a déposé une motion et pas une initiative parlementaire rédigée en plein texte et nous tenons à le remercier pour cela. Cette rédaction permet de donner le signal clair d’un salaire minimum cantonal, tout en donnant une cible – 23 francs de l’heure. Il convient d’être clair – comme l’ont dit le motionnaire, les différents cantons qui ont adopté ce système, la jurisprudence et les jugements du Tribunal fédéral en la matière – il s’agit d’une mesure de politique sociale qui doit être calculée sur des standards de politique sociale. Ce n’est pas une décision arbitraire que de fixer 22,80, 23, ou 23,10 francs ; c’est une mesure de politique sociale qu’il conviendra de prendre et le choix de la motion permet de prendre une telle décision en connaissance de cause et en fonction des standards sociaux en vigueur au moment de l’entrée en vigueur du texte légal.

J’ai entendu plusieurs critiques concernant l’introduction d’un salaire minimum. Je dois dire que je ne les partage pas du tout. Il a été mentionné qu’un salaire minimum serait une incitation au travail au noir. En réalité, sur le marché du travail, c’est plutôt le contraire : on constate un dumping salarial tel dans certaines branches qu’il convient absolument de réguler les salaires dans lesdites branches. Nous avons différents organes pour le faire et, grâce à cela, nous essayons de juguler l’effet du travail au noir dans ces branches particulièrement soumises à des pressions sur les salaires. Je crois qu’il ne faut pas prendre le problème à l’envers. Je ne connais pas de domaine où on aurait créé une convention collective et qu’à la suite de celle-ci, le travail au noir se serait développé. La mécanique est inverse. Chers collègues, je vous invite à faire preuve d’un peu de confiance dans les outils dont nous nous dotons, que ce soit d’un point de vue conventionnel, du point de vue des contrats types ou d’un salaire minimum cantonal.

Par ailleurs, j’ai entendu parler de désincitation au travail. Je crois qu’il y a une confusion dans le débat : nous n’introduisons pas un revenu universel garanti, comme cela a fait l’objet d’une votation à l’échelle fédérale. Nous sommes en train de parler d’un salaire minimum cantonal. Pour le toucher, il faut que les gens travaillent, qu’ils aient un contrat de travail attesté auprès d’un employeur et, dans ces cas-là, ils ont le droit de vivre de leur travail. Nous sommes dans une mesure d’encouragement au travail et pas de désincitation au travail. Il se trouve que les premiers salariés qui seront touchés par un salaire minimum sont des personnes peu qualifiées, mais aussi les formations professionnelles dans les domaines où les salaires sont particulièrement bas. A mon avis, la formation professionnelle se trouvera plutôt renforcée, revalorisée, parce qu’il y aura aussi un intérêt pour les employeurs de ces branches à revaloriser les salaires. Oui, cela aura des conséquences économiques, mais il est aujourd’hui nécessaire de faire ce pas supplémentaire.

En ce qui concerne la préoccupation de l’atteinte à la liberté économique, j’ai envie de dire que cette dernière s’arrête lorsqu’elle commence à coûter à l’ensemble de la société. Aujourd’hui, c’est le cas : de nombreuses personnes qui reçoivent de bas salaires doivent recourir à des aides sociales que vous payez et que les employeurs « corrects » doivent aussi payer, parce qu’il y a des acteurs économiques qui se permettent de ne pas payer ces minimaux.

Comment pouvons-nous juguler ces phénomènes ? Je déclare mes intérêts, je suis syndicaliste à Unia. Notre premier outil est en effet la négociation de conventions collectives. Le seul problème, c’est que, dans beaucoup de domaines, pour avoir une convention collective, pour l’étendre à l’ensemble des acteurs de la branche – pour affaiblir le dumping de manière notable – il faut que les acteurs de la branche disposent des quorums nécessaires, c’est-à-dire qu’ils soient suffisamment représentatifs. Il y a trois types de quorums que je ne vais pas détailler. Il s’agit de critères qui sont extrêmement stricts pour des branches en plein développement et en très faible organisation, que ce soit du point de vue syndical ou patronal. Chers collègues, il nous manque des outils pour couvrir ces branches. Nous nous battons – et je souligne que les faîtières patronales vaudoises sont progressistes en la matière, contrairement aux faîtières patronales alémaniques – pour essayer d’avoir des quorums plus flexibles qui nous permettraient de couvrir plus facilement tous ces secteurs. Cependant, le législateur fédéral nous refuse ces évolutions et nous ne pouvons pas couvrir ces secteurs par des conventions collectives. Le dumping aura donc encore de beaux jours devant lui si nous ne prenons pas des dispositions.

Notre canton a aussi essayé de développer un autre système pour éviter la paupérisation des travailleurs. C’est le système des prestations complémentaires pour familles (PC Familles). Ce système est important ; il est essentiel – nous l’avons soutenu – mais il ne concerne que les personnes ayant des enfants à charge. J’aimerais prendre un petit exemple mis en avant dans les médias à la fin de l’année dernière : certains travailleurs se sont avérés totalement essentiels durant la pandémie pour vous livrer vos courses ou vos repas à domicile. Nous avons calculé le tarif horaire de ces personnes qui se monte à environ 15,40 francs de l’heure. Majoritairement, ces personnes n’ont pas de famille, mais il n’est pas possible dans notre canton, dans les villes où ces personnes sont établies, de vivre avec des salaires de ce niveau. Bien sûr, il faut aussi se préoccuper des marges, notamment celle de l’actionnaire important qu’est la Migros et qui connaît de grosses difficultés économiques, comme tout le monde le sait… (Rires.) Cette situation envoie des gens à l’aide sociale. Vis-à-vis d’une entreprise qui est dans les mains d’un millionnaire, dont l’un des actionnaires est l’un des plus gros acteurs économiques de ce pays, c’est la limite de la liberté économique. Avoir un instrument de politique sociale comme un salaire minimum cantonal, à notre avis, est aujourd’hui une nécessité ; c’est un instrument minimum qui ne résoudra pas tout, mais qui est une pièce à l’édifice contre le phénomène des travailleurs pauvres.

Ce phénomène bénéficierait aussi – et je le regrette – à des branches conventionnées. Aujourd’hui, certaines branches conventionnées sont en dessous des minimaux que M. Buclin a évoqués. C’est malheureux, il s’agit souvent de branches peu organisées, avec beaucoup de personnes migrantes qui ne sont pas au courant de leur droit de s’organiser et qui ont aussi beaucoup de défis en parallèle pour survivre, y compris dans nos contrées. Ces personnes, notamment dans les blanchisseries, dans un domaine subventionné et conventionné, connaissent encore des niveaux indécents de rémunération qui ne leur permettent pas de vivre.

Dans un contexte comme celui-ci, nous avons besoin de cet instrument. Je sais que, du point de vue patronal, il est perçu comme une menace sur le partenariat social. Nous ne partageons pas ce point de vue : dans les cantons où ces standards ont été définis, il n’y a pas eu d’approfondissement des conventions. C’est un encouragement à leur aggiornamento et il est nécessaire d’avoir cette dynamique aujourd’hui, parce que le souci que nous avons entre partenaires sociaux – et je pense aussi que c’est le cas du côté patronal – n’est pas de conclure un salaire minimum qui ne permet pas aux gens de vivre, mais de leur permettre de valoriser au juste niveau le produit de leur travail.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste vous encourage à donner suite à cette proposition. Nous découvrons la proposition d’une transformation en postulat. Pour nous, l’essentiel c’est que ce projet suive son cours – sous forme de motion ou de postulat. En Suisse romande, cet instrument s’avère nécessaire ; il se développe. Nous espérons que les autorités cantonales le développeront de leur propre chef, mais mon organisation est aussi prête à le développer avec des instruments populaires, si nécessaire. Aujourd’hui, nous pensons utile de franchir cette étape supplémentaire, après les PC Familles, d’introduire ce nouvel instrument de politique sociale.

M. Gilles Meystre (PLR) —

Je déclare tout d’abord mes intérêts : je suis président de GastroVaud, une association active dans la restauration, branche qui est conventionnée à l’échelle nationale par une convention élargie par le Conseil fédéral.

Vous ne m’entendrez jamais déplorer les conventions collectives. Je crois qu’il n’y a pas de patronat fort sans syndicat fort ; il n’y a pas de dialogue possible sans tentative de faire en sorte que patrons et employés s’accordent sur des conditions qui permettent à chacun de vivre et pas seulement de survivre. Néanmoins, je crois que nous sommes aujourd’hui face à un texte qui pose un véritable problème. Je l’ai dit, nous avons une convention collective nationale et cette recherche de consensus entre patronat et syndicat fait clairement partie de l’ADN de notre pays, avec un partenariat social fort qui a permis des taux de chômage faibles et à la paix sociale de perdurer. Or, aujourd’hui, on constate que, d’un côté, les syndicats – Unia en premier – signent cette convention collective nationale, donc qu’ils donnent leur accord aux conditions mentionnées noir sur blanc dans cette convention, mais ils font de la surenchère à l’échelle cantonale en demandant davantage ou d’autres conditions. En l’occurrence, je ne suis pas certain que 23 francs à l’échelle cantonale soit davantage ; la démonstration mériterait d’être faite. Il y a donc une surenchère à l’échelle cantonale. Pour des branches conventionnées comme la mienne, cela n’est pas acceptable : soit on est partenaires et on décide autour d’une table, sans aller « faire des petits dans le dos » à l’échelle cantonale, soit on n’est pas partenaires et on déclare la guerre. Personnellement, je lis ce texte comme une déclaration de guerre contre ceux qui, depuis des années, discutent, négocient et font tout pour essayer de trouver un consensus.

Entente fédérale oui, mais pas de double discours, pas de doubles tentatives : si l’on s’entend à l’échelle fédérale, on s’y tient et on contrôle – c’est ce que nous faisons à l’échelle cantonale, le canton contrôle le respect des conventions collectives et sanctionne en cas de non-respect. Je pense qu’une convention nationale, des contrôles nationaux et cantonaux – une particularité vaudoise – sont largement suffisants.

Les négociations ont d’ailleurs apporté un certain nombre d’avantages dans la branche de la restauration : la définition de la valeur des heures supplémentaires, la définition d’un prix du travail de nuit, la proposition de cinq semaines de vacances ou encore des formations offertes. Ces avantages, que l’on préfère cacher derrière l’image d’un certain nombre de Thénardiers, il faut les mettre en avant. C’est la force des négociations passées entre patronat et syndicat qui a permis d’aboutir à ces avantages dans le domaine de la restauration.

Je ne vous le cache pas, si un salaire minimum cantonal venait à être instauré, il est clair que nous devrons choisir : nous ne pourrons pas continuer d’offrir ces avantages et offrir en plus un salaire minimum cantonal. Je ne fais aucune menace, mais c’est le b.a.-ba du raisonnement que nous devons tenir lorsque nous sommes face à des propositions comme celle qui nous est faite aujourd’hui.

Par ailleurs, je crois que nous avons actuellement un modèle assez souple : inscrire un montant dans une loi, c’est le meilleur moyen de faire en sorte que la progression des salaires soit gelée et ne corresponde jamais à la réalité. Je vous donne un exemple : pendant le Covid, patronat et syndicat ont eu la possibilité de discuter pour que la hausse des salaires généralement prévue pour l’année suivante soit rediscutée. Comme vous le savez, la pandémie a mis la branche à mal. Les syndicats ont accepté de revoir leurs ambitions ; ils ont accepté de faire en sorte que le salaire minimum conventionnel ne soit pas celui initialement prévu. C’est cela l’intelligence d’une convention collective et c’est la grosse différence avec un montant fixé dans la loi qui nous est proposé aujourd’hui. Avec la proposition qui nous est faite, nous n’aurions plus cette souplesse, cette intelligence collective entre patrons et syndicats.

Un dernier point : à ceux qui souhaitent encore un élargissement des conventions collectives cantonales, j’ai presque envie de dire : « Occupez-vous de ceux qui n’en ont pas et laissez négocier ceux qui en ont ! » Nous en avons eu un exemple avec les points précédents de l’ordre du jour, il y a encore du boulot. Mesdames et messieurs les syndicalistes, faites votre boulot avec des branches qui n’ont pas de convention collective et laissez tranquilles celles qui en ont. Nous sommes dans une situation pénible et ce n’est pas une épée de Damoclès supplémentaire sur nos épaules qui va nous aider à sortir de la crise.

Avec insistance, je vous invite à refuser ce texte. De mon côté, je m’engagerai toujours à tenter d’améliorer idéalement les conditions salariales et pratiquement les conditions de travail. Je pense que, là aussi, nous avons de quoi discuter en ce qui concerne le domaine de la restauration, par exemple en travaillant sur les week-ends, les soirées non travaillées de nos collaborateurs. De grâce, laissez un peu de marge et de souplesse au système plutôt que d’inventer de nouveaux systèmes quasi soviétiques.

M. Pierre-Alain Favrod (UDC) —

Aujourd’hui déjà, dans notre canton, un ouvrier agricole gagne davantage que son patron à la fin du mois. En tant que patron, je serais heureux de pouvoir obtenir 23 francs de l’heure pour toutes mes heures de travail effectuées dans ma ferme, mais c’est loin d’être le cas. Vous voulez tout lisser, tout uniformiser, mais cela va engendrer des différences encore plus élevées qu’actuellement dans différents milieux professionnels. Je vous recommande de refuser cette motion, même transformée en postulat.

Mme Céline Misiego (EP) —

Un salaire minimum va augmenter le pouvoir d’achat et cet argent ne sera pas capitalisé, parce que, contrairement aux personnes riches, les bas salaires dépensent l’entier de leurs revenus. En effet, même avec un salaire minimum, ces personnes auront juste de quoi subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. C’est donc bien les commerces et entreprises locales qui vont en bénéficier, les restaurants également. Avec un salaire minimum, peut-être que les bas revenus s’offriront un restaurant en famille par mois. Cela signifiera donc une augmentation de leurs ventes et de leur carnet de commandes, ce qui permettra aux entreprises de créer des emplois. Lorsque des personnes touchent un salaire tellement bas qu’elles ne peuvent pas subvenir à leurs besoins, elles doivent faire appel aux aides sociales. C’est donc la collectivité qui doit payer les coûts de ces emplois mal payés à la place des patrons qui, eux, encaissent les marges. Mesdames et messieurs de droite, qui voulez toujours baisser les coûts du social, vous vous trompez de méthode !

Je ne comprends pas que l’on puisse parler de mauvais message aux jeunes en formation. Le mauvais message, c’est le message actuel que si vous êtes dans telle ou telle branche, vous ne gagnerez sûrement jamais de quoi vivre décemment. Je ne comprends pas que l’on essaye de nous faire croire qu’une avancée sociale décidée par le Grand Conseil mettrait à mal les syndicats. Ne vous inquiétez pas pour eux, si nous acceptons le salaire minimum, les partenaires sociaux pourront se concentrer sur d’autres problèmes liés aux conditions de travail, comme celles que nous venons de menacer de supprimer par exemple. Je ne comprends pas non plus que l’on veuille chercher d’autres pistes, alors que la meilleure solution nous est proposée aujourd’hui, la meilleure solution pour injecter de l’argent dans l’économie locale – et donc la dynamiser – et pour faire baisser les demandes à l’aide sociale.

Enfin, je vais citer l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui nous annonçait que moins d’inégalités était synonyme de plus de croissance économique ; elle invitait d’ailleurs les politiciens à mettre en place des politiques qui avantagent les plus pauvres de la société. Politiciennes et politiciens de cet hémicycle, je vous prie d’écouter et d’accepter la motion de mon collègue.

M. Philippe Jobin (UDC) —

Monsieur Bouverat, je suis surpris : dans les métiers de l’agriculture et de la viticulture, nous négocions en tripartite. Ce que vous êtes en train de me dire, c’est que vous voulez fixer un tarif horaire à 23 francs pour tout le monde, mais cela fait fi des négociations que nous menons chaque année avec les syndicats, le patronat et l’Etat. J’ai un peu de peine à le comprendre.

Je rejoins à 100 % ce que mon collègue Meystre disait auparavant : si c’est une guerre ouverte que vous voulez, ou en tout cas une surenchère, je n’en veux pas ! Et ce, pour plusieurs raisons : la première, c’est que le fait de décréter un salaire minimum, sans tenir compte ni des régions, ni des branches, ni de la situation financière des entreprises, ni l’âge des collaborateurs engagés, ni de leur formation, se retournerait automatiquement contre les sociétés, mais aussi contre les employés en particulier. Bien entendu, ce sont les collaborateurs les moins qualifiés qui se retrouveraient sur la touche. Au-delà de l’aspect marketing, je peine à comprendre la logique syndicale qui se cache derrière cette mesure. Encore une fois, le salaire minimum n’est pas un tabou en économie. En effet, les branches comme celle des machines s’en sont déjà dotées. Il ne faut donc pas nous dire que rien ne se fait et que nous allons ainsi apporter une certaine plus-value.

Je ne vais pas m’étendre sur le sujet trop longtemps : cette motion apporte beaucoup plus de problèmes que de solutions. Monsieur le conseiller d’Etat, si cette mesure doit passer dans vos mains avant la fin du mois de juin, je vous souhaite bonne chance pour pouvoir la réaliser !

M. Hadrien Buclin (EP) —

J’aimerais répondre M. Meystre pour lui dire qu’à Genève, les patrons de la restauration – je vous invite à relire la presse genevoise des mois qui ont précédé la votation – ont proféré les mêmes menaces que vous ; ils ont hurlé à la mort du petit commerce, à la fin du partenariat social. Ils ont menacé de rétorsions. Et quel a été le résultat de tout cela ? Le salaire minimum a finalement été mis en œuvre sans accroc. Certes, il y a eu quelques recours, mais toutes ces sombres prévisions sur la fin du partenariat social ou sur des rétorsions ne se sont pas réalisées. Je pense même, comme l’a rappelé ma collègue Céline Misiego, que certains restaurateurs ont eu le sourire en voyant arriver de nouveaux clients, des personnes qui pouvaient aller, une ou deux fois par mois, au restaurant, parce qu’elles ont désormais un peu plus que le minimum vital.

Monsieur Meystre, il y a tout de même un chiffre que vous pourrez difficilement contester : c’est l’évolution du taux de chômage dans les cantons qui ont introduit un salaire minimum. Prenez le cas de Genève, le taux de chômage en février 2021 était de 5,7% ; une année de salaire minimum plus tard, il était de 4,4 %. Non seulement le taux de chômage n’a pas augmenté, mais il a baissé de manière significative suite à l’introduction du salaire minimum.

L’argument qui consiste à dire que, parce que l’on fixerait un cadre minimum aux conditions de travail pour garantir des conditions dignes pour les salariés, cela ruinerait le partenariat social est absurde. A ce tarif, on pourrait aussi supprimer la durée maximale de travail à 45 heures, avec quelques dérogations prévues dans la Loi sur le travail. On pourrait aussi supprimer l’interdiction du travail des enfants qui est aussi inscrite dans la Loi sur le travail. Que pourrait-on supprimer finalement comme cadre minimal sous prétexte de privilégier le partenariat social ? Non, ce n’est pas parce qu’on fixe un cadre minimal – et le salaire minimum, j’en suis convaincu, en fait partie, parce que vivre dignement de son travail sans dépendre de l’aide sociale est en principe de base – qu’on ruine le partenariat social. Au contraire, cela crée une base forte pour des négociations sur l’ensemble des autres questions relatives aux conditions de travail et qui sont très nombreuses, comme j’ai eu l’occasion de le rappeler dans le précédent débat sur les horaires d’ouverture des magasins. On parle de droit aux vacances, de formation et de nombreuses autres questions de sécurité au travail ou de protection de la maternité, des questions qui peuvent être réglées dans les conventions collectives.

M. Arnaud Bouverat (SOC) —

Je serai bref, je voudrais simplement répondre à M. Jobin sur deux points. Tout d’abord, il y a effectivement des négociations tripartites dans les branches que vous mentionnez. Ces négociations aboutissent quelquefois à un accord, mais parfois – et j’en sais quelque chose – elles ne débouchent sur rien. Dans ces cas, le Conseil d’Etat est obligé de trancher entre nos positions. J’imagine qu’il adopte un standard qu’il estime correct – mais je ne sais pas comment il mène ses discussions. Dans le partenariat social, tout n’aboutit pas. Parfois, il y a aussi une décision des autorités à un moment donné. En ce qui concerne l’agriculture, il faut aussi noter que, dans tous les cantons ayant adopté un salaire minimum, une dérogation a été introduite pour les domaines de l’agriculture. Considérant le domaine extrêmement spécifique, avec des rémunérations en nature qui sont très difficilement calculables, ces domaines ont été reconnus et, jusqu’ici, ils n’ont pas fait l’objet de contestation. Cela peut poser un problème philosophique, mais cela devrait aussi résoudre votre inquiétude très concrète : a priori, le tripartisme n’est pas supprimé par cette proposition.

Par ailleurs, le niveau du salaire dépend d’un calcul de politique sociale. Il ne faut pas le prendre comme une donnée sacrée. Je considère que M. Buclin a choisi un slogan à 23 francs, mais le niveau de ce salaire devra être calculé et nous devons nous entendre sur ce calcul pour que les gens ne tombent pas dans une situation de dépendance à l’assistance sociale avec un salaire de ce niveau. Il ne s’agit donc pas d’écraser le partenariat social, mais de calculer ce dont une personne a impérativement besoin – et qu’elle mérite pour tout travail – pour ne pas dépendre de tiers dans ce domaine.

M. Philippe Leuba — Conseiller-ère d’Etat

Etant donné l’heure tardive, je vais essayer d’être bref, mais le sujet étant important, vous me permettrez tout de même de revenir sur certaines allégations prononcées dans ce débat. Premièrement, j’ai écouté attentivement le rapporteur de la minorité qui a avancé trois ou quatre arguments. Je voudrais revenir sur deux d’entre eux. M. Raedler constate qu’il y a cinq cantons qui ont instauré un salaire minimum, mais il oublie de dire qu’en dehors du canton de Genève, tous les autres ont prévu un salaire largement inférieur à celui prévu dans le cadre de la motion Buclin. A part Genève – qui a évidemment une situation économique particulière, qui n’est pas celle de nombreuses parties du canton de Vaud, je pense notamment au monde rural – aucun autre canton n’a prévu un montant de salaire minimum aussi élevé que celui-là.

Deuxièmement, l’idée qui consiste à dire que c’est insupportable pour l’agriculture est vraie : un salaire horaire à 23 francs est insupportable pour les secteurs agricoles et viticoles et menacerait l’existence même de certains domaines agricoles. L’idée qui consiste à dire que l’on compense cela avec des subventions pour permettre de payer les salaires – excusez-moi de vous le dire – est une usine à gaz qui pose d’énormes problèmes d’égalité et de base légale. Cela veut dire que, en réalité, moins l’agriculteur payerait son ouvrier, plus il recevrait de la part de l’Etat pour compenser le différentiel... Cela tombe de la lune !

Troisièmement, il n’y a pas que le secteur primaire qui serait confronté au caractère insupportable du montant horaire de 23 francs. Il y a toute une série de conventions collectives – les coiffeurs, les paysagistes, le commerce de détail, etc. – pour lesquelles les salaires minimaux négociés avec les syndicats et admis par ces derniers sont largement inférieurs à 23 francs. Et ce, y compris à Lausanne, pour le commerce de détail, même si M. Bouverat citait le partenariat social comme l’exemple même de ce qu’il faut faire entre l’employeur et l’employé.

Alors, de deux choses l’une : soit c’est merveilleux et c’est ce qu’il faut faire – comme l’a dit M. Bouverat en début de séance – et il faut alors rejeter la motion Buclin, soit la motion Buclin est excellente, mais la convention de Lausanne ne vaut alors plus un clou. Il faut être un peu sérieux et cohérent !

De plus, l’intervention de M. Meystre est justifiée, en tout cas pour certains éléments avancés : si vous avez un partenariat social et une convention collective, par exemple en ne demandant pas de salaire minimum trop haut et en le compensant avec des heures supplémentaires mieux payées ou des vacances supplémentaires, vous la signez et une fois que vous avez engrangé les avantages, vous revenez par la voie légale en demandant le salaire minimum tel qu’imaginé au départ de la négociation. Cela n’est pas fair-play, il faut l’admettre, et cela va péjorer le partenariat social, notamment dans son esprit. Le partenariat social nécessite la confiance réciproque entre les partenaires : ce qui est dit est dit et l’on ne remet pas en cause ce qui a été signé. C’est la base même du partenariat.

Monsieur Bouverat, vous avez corrigé un certain nombre d’allégations qui indiquaient qu’il était faux de dire que le salaire minimum favorisait le travail au noir. Je n’ai pas la preuve du contraire, vous avez donc peut-être raison, mais il y a d’autres affirmations de ce plénum qui sont pour le moins audacieuses. Notamment le fait de dire que cela va revaloriser le pouvoir d’achat, que cela va créer des emplois, comme cela a été dit par M. Buclin. Si c’était le cas, quelle serait la situation économique française ? Il n’y aurait pas eu les gilets jaunes ; il n’y aurait pas la désespérance que l’on connaît dans certaines banlieues, quand bien même ce pays connaît le salaire minimum depuis des décennies. Ne faites pas miroiter ce qui n’est pas vrai : le salaire minimum ne règle pas les problèmes de pouvoir d’achat ou des places de travail. C’est rigoureusement inexact !

Monsieur Buclin, vous avez cité le taux de chômage à Genève qui n’a pas connu de croissance après l’introduction du salaire minimum. Ce dernier vient d’être introduit, nous verrons comment Genève s’en sortira. Je constate simplement que le canton de Vaud, qui ne connaît pas de salaire minimum généralisé, connait un taux de chômage largement inférieur à celui de Genève : 4,4 % à l’heure où je vous parle, alors que le taux vaudois est à 3,6 %. C’est bien la démonstration qu’il n’y a pas de corrélation entre ce que vous proposez et la baisse du taux de chômage.

Si cette motion était transmise au Conseil d’Etat, dans certains secteurs économiques, les conséquences seraient extrêmement sensibles – il faut en être conscient. Je ne parle pas seulement de l’agriculture, cela concerne plusieurs secteurs, y compris la restauration – qui a beaucoup souffert pendant la pandémie, et qui serait à nouveau impactée lourdement – ou le petit artisanat qui mérite d’être défendu.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est close.

Le Grand Conseil refuse la transformation en postulat par 86 voix contre 41 et 4 abstentions.

Le Grand Conseil refuse la prise en considération de la motion par 73 voix contre 54 et 4 abstentions.

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