23_MOT_19 - Motion Yannick Maury et consorts - Le mécanisme de destitution : outil nécessaire pour se prémunir d’un dysfonctionnement institutionnel.

Séance du Grand Conseil du mardi 19 novembre 2024, point 21 de l'ordre du jour

Texte déposé

Politologue à l’Université de Lausanne, Andrea Pilotti a estimé dans le journal Le Temps du 9 juin 2023 qu’il était « pertinent d’avoir des outils pour éviter un dysfonctionnement ou des blocages » institutionnels.

 

La population jurassienne a d’ailleurs accepté, le 18 juin dernier et à plus de 87%, une initiative donnant la possibilité de destituer les membres du Gouvernement cantonal en cas de faute grave ou d’incapacité durable à exercer leur fonction (incapacité physique ou psychique, coma prolongé, disparition…). Ce mécanisme, soutenu et souhaité par l’exécutif du Jura lui-même, sera donc inscrit dans la constitution. Récemment et hormis le Jura, la population genevoise avait très largement approuvé l’idée (92% des voix) en novembre 2021, tandis que le canton d’Argovie acceptait le même principe en mai 2022.

 

Beaucoup d’autres cantons prévoyaient déjà une telle disposition : Berne, Schaffhouse, Soleure, Thurgovie, Tessin, Uri, Neuchâtel, Grisons ou encore Nidwald. Toutefois, les modèles d’activation de la destitution peuvent différer : dans certains cantons, la population peut récolter des signatures afin d’activer une requête de révocation alors que dans d’autres la compétence est laissée au Grand Conseil.

De même, la destitution peut tantôt concerner les niveaux communal et/ou cantonal, les membres du législatif et/ou de l’exécutif mais également les autorités judiciaires (comme dans le canton du Jura).

 

Si le dispositif démocratique de destitution est heureusement très rarement utilisé, il doit avant tout servir à éviter à un État cantonal une situation de blocage. Il a une visée préventive et ne doit en aucun cas être un moyen, pour un bord politique quel qu’il soit, de faire pression. C’est la raison pour laquelle des cautèles doivent être prévues afin d’empêcher que ce dispositif ne puisse être trop facilement utilisé (comme par exemple l’approbation d’une majorité des trois-quarts des membres du Grand Conseil).

 

Au vu du nombre important de cantons qui prévoient une telle disposition, son absence dans la législation vaudoise peut s’apparenter à une lacune, à un vide juridique. Cette lacune institutionnelle interpelle d’autant plus que, dans notre canton, la base légale pour révoquer les autorités communales existe, même si elle est peu exploitée. En effet, l’article 139 al. 3 de la loi sur les communes (LC) stipule que « Le Conseil d’État soumet la question de la révocation d’un ou de plusieurs membres de la municipalité ou du conseil communal au corps électoral de la commune concernée ». Des critères stricts pouvant justifier une révocation sont ensuite listés au même article, permettant ainsi de fixer des garde-fous nécessaires afin d’éviter que cette disposition ne soit utilisée de façon arbitraire.

 

Dès lors et au regard du relatif vide de la situation législative vaudoise, les signataires de la présente motion demandent qu'un article permettant la destitution des membres de l’Exécutif cantonal soit inscrit dans la Constitution vaudoise.

Le mode d’application exact serait défini dans la LEDP dans un second temps, si le texte venait à être accepté, de façon à ce qu’il convienne à la majorité de notre législatif ainsi qu’à la population.

Conclusion

Renvoi à une commission avec au moins 20 signatures

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Pierre WahlenVER
Laurent BalsigerSOC
Cendrine CachemailleSOC
Alexandre RydloSOC
Nathalie JaccardVER
Martine GerberVER
Théophile SchenkerVER
Géraldine DubuisVER
Vincent BonvinVER
Pierre FonjallazVER
Pierre ZwahlenVER
Nathalie VezVER
Muriel ThalmannSOC
Valérie ZoncaVER
Cédric RotenSOC
Alberto MocchiVER
Rebecca JolyVER
David RaedlerVER
Yolanda Müller ChablozVER
Anna PerretVER
Kilian DugganVER

Documents

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. Alexandre Démétriadès (SOC) — Rapporteur-trice

La motion de notre collègue Maury visait à introduire un nouvel article constitutionnel permettant la destitution d’un ou d’une membre de l’exécutif cantonal. Lors de la présentation de son texte, il a précisé qu’il ne s’agissait pas d’une initiative à visée personnelle. Il a également rappelé que plusieurs cantons, dont trois récemment, ont adopté un tel dispositif, destiné à prévenir d’éventuels dysfonctionnements graves liés à l’incapacité d’un conseiller d’Etat à exercer sa charge. L’objectif du texte était également de définir des cautèles pour éviter tout usage de cette mesure à des fins de pression politique.

Les débats en Commission thématique des institutions et des droits politiques ont été riches et ont révélé toute la complexité et la sensibilité de ce sujet. Deux grandes problématiques ont particulièrement retenu l’attention, soulevées tant par le Conseil d’Etat que par des membres de la commission.

Premièrement : la question des motifs de révocation. Il s’agit ici de destituer un ou une élue du peuple, ce qui soulève des enjeux majeurs de légitimité démocratique et de stabilité politique. Même lorsqu’il est question de maladie, il peut s’avérer délicat de définir des critères précis pour justifier une destitution. Les motifs de révocation posent donc toute une série de questions assez complexes. Deuxièmement, quelle procédure suivre pour mettre en œuvre une telle disposition ? Le Conseil d’Etat a notamment souligné que cette procédure relèverait probablement d’une décision administrative, qui peut faire l’objet de recours. A titre de comparaison, pour les communes, ces décisions sont « plus faciles » à mettre en œuvre, parce qu’elles sont prises par le Conseil d’Etat et que ce dernier joue des fonctions de haute surveillance auprès d’elles. En revanche, un dispositif visant le Conseil d’Etat lui-même serait beaucoup plus complexe, et nécessiterait probablement une décision émanant du Grand Conseil ou d’un organe spécifique tel que le Bureau du Grand Conseil. Par ailleurs, encadrer cette procédure pour éviter tout risque d’instrumentalisation politique s’avère extrêmement difficile.

La discussion a également permis d’évoquer les défis posés par les dispositifs de destitution déjà en place pour les élus communaux. Ces difficultés, mises en lumière par des affaires récentes relayées dans la presse, ont enrichi les réflexions de la commission.

Face à ces complexités, le débat a progressivement glissé vers des alternatives telles que l’instauration éventuelle d’un dispositif d’inéligibilité ou de suspension, qui pourraient s’avérer plus adaptés pour répondre aux rares situations critiques, tout en préservant la stabilité politique du canton. Ces éléments ont conduit le motionnaire à retirer son texte, avec la garantie que la commission continuerait à explorer cette problématique dans le cadre d’une réflexion plus large. Fort de cette assurance, le motionnaire a accepté de retirer son texte.

M. Jean-François Thuillard (UDC) — Président-e

La discussion est ouverte.

M. Yannick Maury (VER) —

J’aimerais tout de même dire quelques mots. Malgré un soutien marqué de la population dans les cantons où cette question a été soumise, il semble que le canton de Vaud ne soit pas prêt à introduire un mécanisme de destitution pour les membres de l'exécutif. C’est bien regrettable, car notre canton n'étant ni meilleur ni pire qu'un autre, un jour ou l'autre, il sera probablement confronté à un dysfonctionnement institutionnel, même si nous ne le souhaitons pas, et n’aura pas les outils nécessaires pour y remédier.

J’entends bien les craintes du Conseil d’Etat concernant une possible instrumentalisation de cet outil. Cependant, en fixant des cautèles et garde-fous suffisants, il serait tout à fait possible de prévenir tout usage abusif. Il fait intéressant s’est produit : entre le moment des débats en commission et aujourd’hui, un politologue – M. Andrea Pilotti de l’Université de Lausanne – a pris position dans Le Temps. Il y affirme que, dans toute l’histoire suisse, ce mécanisme n’a jamais été utilisé abusivement, même dans les cantons où il existe depuis plus de 100 ans. Selon lui, ceux qui en feraient un usage abusif se décrédibiliseraient eux-mêmes. Certes, il est essentiel de respecter le vote populaire, mais un mandat confié par le peuple devrait pouvoir être retiré par ce même peuple en cas de manquement grave.

Cela dit, je prends note de ce que ni la commission ni le Conseil d’Etat ne souhaitent instaurer un tel outil. Pour la boutade, je remarque avec un certain étonnement que ce mécanisme de destitution existe déjà pour les communes de notre canton et qu’il a été activé récemment. Il est toujours rigolo de constater qu’un outil jugé pertinent pour un échelon est refusé pour un autre ; cela ne manque pas de piquant.

Quoi qu’il en soit, j’ai entendu et compris les craintes exprimées, notamment par Mme Luisier Brodard, que je respecte beaucoup. Je ne souhaite pas forcer les choses et confirme donc le retrait de cette motion, d’autant plus que, comme l’a précisé son président rapporteur, la commission reviendra sur ce sujet.

M. Jean-François Thuillard (UDC) — Président-e

La discussion est close.

La motion est retirée.

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