22_LEG_272 - Exposé des motifs et projet de loi modifiant la loi sur la santé publique du 29 mai 1985 et rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion Julien Eggenberger - Pour l'interdiction des "thérapies de conversion" (21_MOT_6) (1er débat) (suite des débats).

Séance du Grand Conseil du mardi 17 septembre 2024, point 26 de l'ordre du jour

Documents

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. Jean-François Thuillard (UDC) — Président-e

Le débat est repris.

Art. 71a. – 

 

Mme Rebecca Joly (VER) —

Monsieur le Président, même si vous n'y pouvez rien, je trouve difficile de reprendre un débat en plein milieu d’un amendement, deux semaines plus tard ! J’avais initialement pris la parole pour réagir à certains propos tenus en plénum auxquels il a déjà été partiellement répondu. J’ai donc l’intention d’être brève, mais il me semble important de répondre à certaines craintes et interventions. Aujourd’hui, effectivement, dans notre canton, les délais de prise en charge et d'attente sont assez longs pour les personnes qui souhaitent faire des chirurgies de réassignation sexuelle. Déjà pour une hormonothérapie, uniquement, le délai d'attente est d'environ deux ans. Ainsi, de fait, un délai de réflexion est déjà mis en pratique. A mes yeux, l’amendement proposé a un effet assez négatif, car il envoie un très mauvais signal auprès des personnes concernées ou potentiellement concernées. De plus, il affaiblit la protection légale contre les thérapies de conversion, qui sont des interventions graves, qui atteignent à la dignité de la personne humaine et sont même considérées par certains experts de l'ONU comme des actes de torture. Par conséquent, affaiblir la protection contre les thérapies de conversion envoie un mauvais signal, selon moi. 

Je voudrais encore réagir à des propos tenus lors du débat précédent. Notre collègue Vogel a parlé d'une situation qui pourrait éventuellement se présenter à lui, qui est enseignant. Je pense que quand on a un travail en lien avec les adolescents et qu'on est face à certaines prises de position ou à de personnes qui viennent avec des questionnements, la bonne attitude consiste à orienter vers des professionnels, et notamment des professionnels de la santé compétents pour aider la personne concernée. A mon avis, c’est là la bonne façon d'agir. J'ai beaucoup de respect pour les enseignants, mais leur métier n'est pas d'accompagner des personnes en questionnement ; c'est le métier de professionnels de la santé. En l’occurrence, cet amendement ne les protégera en rien et même au contraire, alors qu’on ne pourra jamais lui reprocher d'avoir adressé des personnes en questionnement ou en souffrance vers des professionnels compétents, de la santé. Par conséquent, je vous invite à refuser cet amendement et à en rester au texte du Conseil d'Etat.

M. Philippe Jobin (UDC) —

Je ne vous ferai pas part de mes états d'âme, mais concernant précisément l'amendement, selon moi la Loi sur la santé publique soutient le droit des individus à prendre des décisions autonomes concernant leur propre santé. C'est une première chose. La loi garantit aussi que les personnes sont – normalement – bien informées et soutenues, aussi dans le processus en question. Ainsi, tout conseil ou incitation à la prudence doit être formulé de manière à ne pas sembler condescendant ou coercitif. A mon avis, il est important que la personne se sente soutenue et non jugée dans son processus de réflexion. Finalement – cela va plaire à l’un de mes collègues présents – cet amendement me semble tout de même intéressant, justement pour entrer dans cette démarche. Je n'y vois pas d'inconvénient et donc je pourrais le soutenir.

Mme Yolanda Müller Chabloz (VER) —

Lors du précédent débat sur cet objet, certains orateurs semblaient attribuer du poids à la parole de nos collègues médecins. Il me semble donc important de préciser que nous ne sommes pas unanimes sur cet objet et qu'en l'occurrence, je ne soutiens pas du tout les amendements proposés. Je souhaite aussi réagir au fait que le débat se soit focalisé, ou ait dévié sur la question de la prise en charge des personnes trans, alors que le cœur de l'exposé des motifs et projet de loi vise à interdire les thérapies de conversion qui, dans leur très grande majorité, visent à modifier et à réprimer l'orientation affective et sexuelle des personnes. Même si elles visent également à modifier l'identité de genre, la majorité des pratiques visées par le projet de loi concerne celles qui visent à modifier ou à réprimer l'orientation affective et sexuelle. 

Une enquête vaudoise récente a estimé la part de la population potentiellement concernée à 16,5 % des jeunes, qui ont indiqué avoir une orientation sexuelle non exclusivement hétérosexuelle ; il s’agit donc d’une part non négligeable de la population. Ces personnes sont nos amis, nos collègues, des membres de notre famille. Elles ont accompli un chemin personnel avant d'assumer une certaine attirance ou une identité qui ne sont pas celles de la majorité. C'est un choix difficile, qui implique de facto prudence et réflexion. Pour ma part, je ne connais absolument aucune personne qui décide de changer d'orientation ou d'identité de genre sur un coup de tête ! Il faut le rappeler : faire ce choix, c'est faire face à des jugements, et parfois – encore trop souvent – à des stigmatisations et des discriminations. Cela cause des souffrances importantes, avec un stress quotidien ; c'est être potentiellement exposé à des violences et à du harcèlement. Ainsi, globalement, cela entraine aussi un moins bon état de santé. 

Pour moi, le premier amendement en discussion insinuait déjà que les professionnels de santé agiraient sans respecter le consentement libre et éclairé de la personne, ce qui est clairement contraire à l'éthique médicale. Le deuxième amendement suggère qu'il faudrait encore plus inciter à la prudence et à la réflexion, comme si ce n'était pas déjà le cas aujourd'hui ! Les personnes qui se sont penchées sur la pratique vaudoise ont pu constater que les professionnels du domaine ont déjà une approche prudente qui vise à soutenir l'autodétermination des personnes. Je ne trouve pas juste d'extrapoler sur la base de chiffres issus de pratiques d'autres pays et de sortir ces éléments de leur contexte. Or, je rappelle que les prises en charge faites par les professionnels, en Suisse, se font toujours avec le consentement libre et éclairé des personnes, dans une approche mesurée et prudente. Restons-en au projet de modification de loi qui vise à interdire les thérapies de conversion, telles qu'elles sont clairement définies dans l'exposé des motifs. Finalement, il s'agit de respecter le choix de chacune et de chacun – encore une fois il s’agit de nos amis, de nos collègues et de membres de nos familles – de vivre leur vie comme elles et ils l'entendent, sans subir de pressions déplacées et stigmatisantes, que l’on sait également inefficaces.

Mme Circé Fuchs (V'L) —

Au regard des débats que nous avons tenus, il y a deux semaines, j’ai de plus en plus l'impression que cet amendement ne va pas améliorer le projet de loi. A priori, je n’en vois pas l'utilité, mais je voudrais avoir l'avis de Mme la conseillère d'Etat. Existe-t-il un problème, dans le canton de Vaud, à propos de cette pratique chirurgicale ? Avons-nous des chiffres qui seraient jugés alarmants et pousseraient à tirer la sonnette d'alarme ? 

Dans un autre registre, cet amendement va-t-il rendre le projet de loi plus clair, ou au contraire plus flou ? Ne devrions-nous pas discuter de cela ailleurs, et ici nous en tenir aux thérapies de conversion ? Je ne suis ni juriste ni avocate, mais lorsque les avocats des deux bords de l'hémicycle expriment une vision diamétralement opposée, j'éprouve un doute sur l'interprétation qui sera faite de l’article de loi.

M. Jacques-André Haury (V'L) —

En suivant ces débats, je suis d'avis que le Conseil d'Etat était mal inspiré de mélanger les thérapies de conversion traitant de l'orientation sexuelle avec celles de la transition de genre. Ce sont deux démarches tout à fait différentes, dont les conséquences sur les patients sont d’un tout autre ordre. Mais maintenant que l’on a mélangé les deux sujets, je comprends qu'il soit difficile d’y voir clair. Cela étant, je dois contredire mon excellente consœur de tout à l'heure : prudence et réflexion ne sont malheureusement pas toujours appliquées. En effet, à la suite d'un article – qui n’a certainement pas plu à tout le monde – j'ai reçu quelques témoignages de familles et de jeunes qui ont été écoutés un quart d'heure, chez un psychiatre qui a ensuite décidé que la transition devait être effectuée avant de l’envoyer directement chez un endocrinologue, etc., avec des résultats catastrophiques. 

Ce n'est pas le cas de la consultation spécialisée du CHUV. Si vous consultez le rapport de gestion 2022, vous verrez que ma collègue, Laurence Cretegny, et moi-même nous étions penchés précisément sur la consultation de transition de genre, multidisciplinaire, qui se trouve au CHUV. Nous avons constaté qu'en gros, un adolescent sur deux – je ne parle pas des adultes – qui était adressé à cette consultation multidisciplinaire, c’est-à-dire qui avait donc déjà franchi pratiquement toutes les étapes tant il était ou elle était convaincu ou convaincue que la transition de genre devait être faite, présentait un problème psychiatrique – soit de l'autisme ou d'autres problèmes, dont la dépression. Par conséquent, faire croire que tous les jeunes qui ont décidé de changer de genre ne le font pas sur un coup de tête, mais qu'ils ont tout à fait mûri leurs réflexions est faux. 

Cela ne veut pas dire, pour autant, qu'il faille admettre l'amendement qui nous est proposé, même si personnellement, je pense qu'il est justifié. J'ai déjà demandé à Mme la conseillère d'Etat et peut-être pourra-t-elle me répondre ? Sans cet amendement, à la consultation spécialisée du CHUV, lorsque l’on dit à un jeune patient ou une jeune patiente qu'il faut encore réfléchir, revenir, attendre un peu et mûrir sa décision, est-on en contradiction avec la loi que nous sommes en train d'élaborer ? Ou au contraire, cet appel à la prudence, qui est exactement la formulation de l'amendement, est précisément ce qui est déjà pratiqué par les professionnels ? Je parle bien du CHUV, car quand il s'agit d'Agnodice, j'ai beaucoup plus de doutes.

M. Gérard Mojon (PLR) — Rapporteur-trice de majorité

Je rappelle simplement le vote de la commission : l'amendement a été adopté par 8 voix contre 6 et 1 abstention.

Mme Sylvie Podio (VER) — Rapporteur-trice de minorité

Je rappelle qu’ici, nous ne votons pas sur les modalités permettant une assignation de genre médicale, voire chirurgicale, mais bien sur une loi qui interdit les thérapies de conversion. Informer de manière claire fait partie des obligations légales d'un soignant ou d'une soignante afin de permettre le consentement libre et éclairé. Informer et éclairer une personne sur les risques et avantages d'un traitement et accompagner cette personne dans son cheminement pour choisir ou pour renoncer à un traitement, quel qu'il soit, est déjà une obligation légale. Comme déjà dit, accepter cet amendement va surtout générer de la confusion dans l'application du consentement libre et éclairé de la personne. Il convient donc de le refuser.

Mme Rebecca Ruiz (C-DSAS) — Conseiller-ère d’Etat

Je vais tenter de répondre à certains points abordés lors de la dernière séance – j'avais pris quelques notes – et commencerai par la question abordée par le député Vogel s'agissant de l'accompagnement, au niveau de l'enseignement, lorsque des enseignants pourraient être confrontés, ou être en lien avec des élèves qui auraient certaines questions. Je tenais à vous rassurer sur ce point, monsieur le député : il existe une directive – sauf erreur la directive 187 – émise par le Département de l'enseignement et de la formation. Cette directive-cadre la manière dont les enseignants doivent accompagner des élèves transgenres et non binaires – pour reprendre son titre. Ainsi, tout cela existe déjà. Evidemment, il s’agit ici d’un accompagnement qui – comme l'a dit Mme Joly – ne sera pas similaire à celui d'un professionnel de la santé, mais la directive traite de la manière d’accompagner un élève qui a certains questionnements et de l'orienter vers les professionnels indiqués. 

S'agissant de l'amendement, j’ai été directement interpellée sur ce point – il me semble que cela a été dit par le rapporteur de majorité de la commission – lors des travaux au sein de la CTSAP, lorsque la question de cet amendement est intervenue. Comme j'ai pu le dire alors, je le répète ici : l'amendement ne fait que confirmer la pratique médicale actuelle. En aucun cas, on ne se trouve face à des professionnels de la santé, des médecins ou des thérapeutes qui ne seraient pas particulièrement enthousiastes ni particulièrement interventionnistes pour pousser de jeunes gens à se diriger vers un type de traitement – qu'il s'agisse ou non de réassignation. Ainsi, cet amendement ne fait que dire ce que font aujourd'hui les professionnels de la santé. 

Ensuite, s'agissant de votre demande ou remarque, monsieur Haury, sur les raisons de la présence de l’alinéa b qui introduit des cas d'exception et la question des traitements hormonaux, alors même que le projet de loi traite en réalité d'un autre sujet qui est celui de la lutte contre les thérapies de conversion, nous l'avons fait sciemment et de manière tout à fait consciente. En effet, dans d'autres pays et dans d'autres régions où ce type de débat a eu lieu, la question des traitements hormonaux a été introduite par le débat public ou par les débats parlementaires. Nous avons justement souhaité éviter d'être « pris de court » par des questionnements que certains pourraient considérer analogues, ou faisant partie de thématiques plus ou moins proches. C’est pourquoi nous avons choisi de préciser les choses, ici, dans le cadre d'exceptions, pour que ce soit clair d'emblée. Cela étant, vous avez raison sur le fond : nous ne sommes plus ici dans le sujet des thérapies de conversion. 

Enfin, également pour vous répondre, monsieur Haury, étant donné que l'amendement se limite à dire ce qu'un professionnel de la santé est censé faire, si ce dernier fait ce qu'il a à faire, il ne sera évidemment pas punissable ni sujet à des récriminations ou à des contestations au sujet de ce qu'il aura fait en respectant les règles de l'art. La pratique conforme d'un professionnel de la santé face à un jeune qui se poserait des questions de ce type et qui entamerait une démarche – cela a aussi été dit – prend un certain temps et il est juste que ce temps soit pris. Certaines et certains d'entre vous ont rappelé les délais, qui sont évidemment liés à cette thématique particulière et au fait qu’il peut s’agir de traitements qui n’ont rien d’anodin et dont les conséquences peuvent la plupart du temps être irréversibles pour les personnes concernées. C’est pourquoi, pour les professionnels de la santé, il est absolument nécessaire d'être certains de bien accompagner ces personnes, déjà pour que l'art médical soit bien exercé, mais surtout pour que les intérêts et le bien-être des jeunes en question soient tout à fait assurés. J’aimerais encore préciser un point : Agnodice, que vous avez cité, monsieur le député, est une association qui accompagne et oriente, mais n’est en aucun cas un établissement qui prodigue des soins. 

M. Jean-François Thuillard (UDC) — Président-e

L’amendement de la majorité de la commission est accepté par 69 voix contre 66 et 5 abstentions.

M. Alexandre Démétriadès (SOC) —

Je demande un vote nominal.

M. Jean-François Thuillard (UDC) — Président-e

Cette demande est appuyée par au moins 20 membres.

Celles et ceux qui acceptent l’amendement de la majorité de la commission votent oui ; celles et ceux qui le refusent votent non. Les abstentions sont possibles.

Au vote nominal, l’amendement de la majorité est accepté par 68 voix contre 67 et 5 abstentions.

*introduire vote nominal

L’article 71a, amendé, est accepté par 79 voix contre 10 et 49 abstentions.

L’article 2, formule d'exécution, est accepté à l’unanimité.

Le projet de loi est adopté en premier débat.

Le deuxième débat interviendra ultérieurement.

Retour à l'ordre du jour

Partager la page

Partager sur :