20_MOT_5 - Motion Hadrien Buclin et consorts - Renforcer les outils aux mains des collectivités publiques pour lutter contre la spéculation foncière et immobilière.

Séance du Grand Conseil du mardi 28 mars 2023, point 17 de l'ordre du jour

Texte déposé

La récente vente d’un immeuble à l’avenue Druey à Lausanne illustre, parmi d’autres cas, la spéculation effrénée à laquelle se livre certains propriétaires : cet immeuble a été acheté en 2012 pour 9,4 millions de francs. Le propriétaire a ensuite expulsé les locataires, sous prétexte de travaux, dans un contexte de grave pénurie de logements. Ces travaux n’ont pourtant pas été effectués. En 2020, l’immeuble a été revendu pour plus de 20 millions de francs aux Retraites populaires, soit avec une plus-value de plus de 100% réalisée en moins de 8 ans ! Cette hausse de prix d’une ampleur spéculative ne manquera pas de se répercuter sur le niveau des loyers.

Face à des développements aussi défavorables aux locataires, il paraît opportun de renforcer les outils aux mains du canton et des communes pour préserver des logements répondant aux besoins prépondérants de la population. La Loi sur la préservation et la promotion du parc locatif (L3PL) prévoit certes un droit de préemption pour les communes, soit le droit d’acheter en priorité un bien mis en vente (dans le cas de la vente de 2012 à Druey, cette disposition aurait permis d’éviter les développements ultérieurs défavorables aux locataires). Mais cet outil, à lui seul, ne permet pas d’éviter des augmentations spéculatives du prix de vente d’un bien foncier ou immobilier ou d’acquérir les terrains nécessaires à la réalisation de logements à loyer modéré. Il serait donc adéquat de compléter le droit de préemption par la possibilité donnée aux collectivités publiques de lancer – en dernier recours et quand les besoins prépondérants de la population en matière de logement ne peuvent être garantis par d’autres moyens – une procédure d’expropriation. La procédure pourrait cibler un immeuble ou un terrain privé, dans le cas où une commune estimerait en avoir besoin pour un projet de construction de logements à loyer abordable (l’initiative de l’ASLOCA « Stop à la pénurie de logements » de 2011, finalement retirée au profit de la L3PL, prévoyait un telle procédure s’agissant des terrains). Ce nouvel outil législatif aurait aussi une valeur préventive, pour dissuader des propriétaires d’agir de manière spéculative, comme dans le cas des immeubles de Druey évoqué plus haut.

La procédure d’expropriation serait basée sur la Loi vaudoise sur l’expropriation de 1974. Cette loi encadre de manière stricte une telle procédure puisqu’elle prévoit que « l'expropriation ne peut avoir lieu que moyennant pleine indemnité, en cas d'intérêt public préalablement et légalement constaté. » Les propriétaires n’auraient donc pas à craindre des procédures intempestives. Le montant de l’indemnité, basée sur la valeur vénale du bien, est en outre fixée par la justice et non par l’autorité exécutive.

Dans l’état actuel de la législation, cette loi ne peut pas être utilisée pour prévenir des ventes spéculatives, pour préserver un parc de logements répondant aux besoins prépondérants de la population ou pour permettre à une commune d’acquérir les terrains nécessaires à la réalisation de nouveaux logements à loyer modéré, car elle s’applique « aux expropriations prévues par la législation cantonale ». Or, si la législation cantonale prévoit la possibilité d’expropriations dans le cas de constructions d’infrastructures publiques, elle n’en prévoit pas pour la préservation du parc locatif existant. Il s’agit donc de modifier la L3PL pour que la législation cantonale prévoie une telle possibilité.

 

La modification de la L3PL proposée par cette motion pourrait avoir la teneur suivante :

 

Titre I Buts

 

Article 1. La présente loi a pour buts :

alinéa a) …maintien tel quel

alinéa b) …maintien tel quel

alinéa c) (nouveau) de permettre aux collectivités publiques d’agir pour la préservation et le développement d’un parc de logements répondant aux besoins prépondérants de la population en mettant en œuvre la procédure fixée dans la Loi vaudoise sur l’expropriation du 25 novembre 1974.

 

Titre IV Mise en œuvre d’une procédure d’expropriation (nouveau)

 

Article 41 nouveau

Les communes et le canton peuvent mettre en œuvre une procédure d’expropriation pour acquérir un bienfonds, sis dans le périmètre compact d’agglomération ou dans un centre cantonal reconnu par le plan directeur cantonal, afin de préserver l’existence de logements correspondant aux besoins prépondérants de la population ou de l’affecter à la construction de tels logements.

 

Article 42 nouveau

La mise en œuvre de cette procédure d’expropriation fait l’objet d’un Règlement spécial édicté par le Conseil d’Etat.

 

Conclusion

Renvoi à une commission avec au moins 20 signatures

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Vincent KellerEP
Yves PaccaudSOC
Marc VuilleumierEP
Salvatore GuarnaSOC
Felix StürnerVER
Séverine EvéquozVER
Yvan LuccariniEP
Didier LohriVER
Sébastien CalaSOC
Jessica JaccoudSOC
Muriel ThalmannSOC
Eliane DesarzensSOC
Anne-Sophie BetschartSOC
Céline MisiegoEP
Alexandre RydloSOC
Jean-Claude GlardonSOC
Cédric EchenardSOC
Taraneh AminianEP
Claire Attinger DoepperSOC
Nicolas MattenbergerSOC
Alexandre DémétriadèsSOC
Maurice Mischler

Documents

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. Julien Eggenberger (SOC) — Rapporteur-trice de majorité

(remplaçant Nicolas Mattenberger, ancien député) La motion vise à doter les collectivités publiques – canton et communes – d’un nouvel outil : l’expropriation, s’ajoutant à ceux de la Loi sur la préservation et la promotion du parc locatif (LPPPL) acceptée en 2017 par le corps électoral. L’expropriation interviendrait en dernier recours, en cas de blocage dans les projets de construction de logements portés prioritairement par des communes. Il existe depuis plus de 40 ans, dans notre canton, une loi d’expropriation. Toutefois, pour activer cette dernière, une autre loi cantonale doit y faire référence. Aujourd’hui, l’expropriation peut être activée uniquement pour la construction d’infrastructures de type autoroutes ou chemins de fer. Activer l’expropriation dans le cadre de la construction de logements impliquerait une modification de la LPPPL.

L’expropriation pourrait être un outil utile pour les collectivités publiques pour maintenir un parc locatif abordable dans certaines communes, voire de favoriser la construction de nouveaux logements à loyer abordable. La LPPPL ne suffit pas à elle seule à résorber le manque de logements à loyer abordable, même si elle offre de nouveaux outils intéressants : possibilité de fixer un quota de logements d’utilité publique dans les nouveaux plans d’affectation, droit de préemption des collectivités publiques, etc. La première mesure prendra toutefois du temps à déployer ses effets et peut se heurter à des blocages, par exemple le fait qu’un propriétaire ne consente pas à vendre une parcelle, empêchant un projet de construction de logements.

De plus, les communes – outre le fait que celles qui font usage du droit de préemption sont peu nombreuses – se trouvent souvent confrontées à des prix de vente très élevés, ce qui rend difficile la mise en location des logements à prix abordable – ce qui est pourtant le but de cette loi. Compte tenu des limites de la LPPPL, la motion reprend une proposition d’initiative lancée en 2011 par l’Association suisse des locataires (Asloca), section vaudoise. Cette initiative a été retirée par la suite au profit de la LPPPL. Cette proposition consiste à donner la possibilité aux communes et au canton de mettre en œuvre, en dernier recours, un droit d’expropriation pour des terrains ou des immeubles, à condition que cela permette de préserver ou de promouvoir des logements qui correspondent aux besoins prépondérants de la population.

En commission, la pertinence d’une modification de la LPPPL s’est posée. Plusieurs commissaires ont mis en avant la relative jeunesse de cette loi et la nécessité de ne pas remettre en cause cet édifice finement ciselé à base de compromis. Au vu du précédent causé par l’adoption, le 8 novembre 2022, de la motion Philippe Jobin « Pour que la LPPPL remplisse sa mission », modifiant l’article 14 de la LPPPL, cette question est maintenant clarifiée : le Grand Conseil a ouvert les travaux sur la LPPPL. Je relève d’ailleurs que cet élément était un des arguments principaux des opposants à cette motion pendant les débats. Aujourd’hui, nous avons donc l’occasion d’élargir les éléments sur lesquels le Conseil d’Etat va travailler.

Le rôle des communes a aussi été discuté. Certains et certaines estiment qu’une commune n’a pas à intervenir dans le développement de logements. Pour d’autres, il est légitime que les communes achètent des bâtiments et louent des logements, car il est de leur responsabilité d’offrir des logements abordables à leur population. Certaines grandes communes le font donc, sans que cela ne soit contesté par leurs habitantes et habitants qui reconduisent globalement leurs autorités communales. La proposition portée par la motion enrichit la palette des outils à disposition des collectivités publiques pour remplir la mission importante d’offrir des logements à des prix abordables. Le droit de préemption, progrès remis en cause par personne, a certes l’air compliqué à mettre en œuvre, car la spéculation sur les prix ne le rend pas toujours praticable. Au vote, la commission recommande au Grand Conseil de renvoyer au Conseil d’Etat la motion transformée en postulat, par 5 voix contre 4.

M. Nicolas Suter (PLR) — Rapporteur-trice de minorité

L’expropriation constitue une atteinte très grave au droit de propriété. Certes, cette atteinte peut se fonder sur une base légale et répondre à un intérêt public, d’où l’existence d’une Loi sur l’expropriation. Compte tenu des outils récemment mis en œuvre dans le cadre de la LPPPL et des objectifs poursuivis, l’atteinte portée au droit de propriété par la motion serait disproportionnée. Les quotas de logements d’utilité publique (LUP) dans les plans d’affectation peuvent être mis en place depuis le 1er janvier 2018 et le droit de préemption peut être activé depuis le 1er janvier 2020. La LPPPL vient d’entrer en vigueur et va déployer ses effets sur la durée. Les outils prévus par la LPPPL sont suffisamment efficaces. S’ils avaient été disponibles à l’époque, l’affaire de l’immeuble de l’avenue Druey évoquée par la motion aurait pu être évitée. Le droit de préemption et les quotas de LUP constituent deux moyens qui permettent d’atteindre les objectifs portés par la motion. Il convient aujourd’hui de laisser à cette loi le temps de déployer tous ses effets et d’établir un premier bilan d’ici quelques années. En ce qui concerne le risque de thésaurisation du sol, un compromis a été trouvé dans le cadre de la Loi sur l’aménagement du territoire et les constructions, à son article 53, sans avoir nécessité l’introduction d’un droit d’expropriation. Pour ces raisons fondamentales, les commissaires de minorité vous invitent à classer cette motion transformée en postulat.

Mme Séverine Evéquoz (VER) — Président-e

La discussion est ouverte.

M. Hadrien Buclin (EP) —

Cette motion transformée en postulat vise à étudier l’opportunité d’étoffer les outils en main des collectivités publiques via l’introduction d’un droit d’expropriation en complément du droit de préemption. Je suis parti du constat que les collectivités publiques doivent se montrer plus actives pour enrayer la spéculation immobilière que nous constatons aujourd’hui et que les locataires du canton paient au prix fort. Je rappelle que, selon l’Office fédéral de la statistique, les prix des loyers ont augmenté de 20 % entre 2005 et 2020, alors que le renchérissement n’était que de 5 % durant la même période. Les hausses de loyer dans le canton de Vaud ont été nettement plus élevées que cette moyenne nationale, car contrairement à la Suisse alémanique, nous n’avons pas la chance de bénéficier d’un dense tissu de coopératives d’habitation qui permet de limiter les augmentations de loyer que nous constatons sur le marché libre.

La situation est aggravée par l’état de pénurie. Ces dernières années, on aurait pu croire que cette pénurie allait s’atténuer, mais les dernières statistiques récemment publiées montrent que la pénurie tend à nouveau à s’aggraver. Elle permet aux bailleurs de tenir le couteau par le manche et de procéder à des augmentations de loyer importantes en cas de changement de locataires. Compte tenu de ces hausses de loyer, les ménages ont de plus en plus de difficultés à se loger à des conditions décentes ; un quart de la population consacre plus du tiers de son revenu à son loyer, soit une proportion énorme. La situation est aujourd’hui critique.

Les collectivités publiques doivent agir en soustrayant une plus grande part du marché au marché libre et à la spéculation. Inutile de dire que ma proposition va à l’encontre de motions déposées notamment par l’UDC, qui visent à affaiblir la LPPPL, au mépris des difficultés rencontrées aujourd’hui par la population, à majorité formée de locataires. J’aimerais d’ailleurs rappeler qu’une motion de l’UDC visant à affaiblir la LPPPL a été acceptée récemment par le Grand Conseil. Un des principaux arguments du rapport de la minorité, qui consistait à dire « ne touchez pas au compromis qui avait été ficelé autour de la LPPPL », est aujourd’hui caduc, puisque le Grand Conseil a manifesté sa volonté de toucher à ce compromis.

Ma proposition visait à accorder un outil supplémentaire – le rapporteur de majorité l’a bien expliqué – aux collectivités publiques, soit la possibilité, en dernière instance, d’exproprier un bien immobilier ou un terrain. L’expropriation s’avérerait un outil utile dans le but de maintenir un parc locatif à prix abordable dans certaines communes, voire de favoriser la construction de nouveaux logements à loyer abordable. Elle ne serait pas mise en application à large échelle, mais uniquement dans le cas de blocages de projets ou de ventes manifestement abusives ou spéculatives, dans des régions où il y aurait un enjeu à maintenir du terrain et du logement à loyer abordable. Le texte de ma motion, transformée en postulat, cite d’ailleurs un exemple spectaculaire intervenu il y a quelques mois à Lausanne. Il s’agit donc d’un outil qui vise à compléter le droit de préemption.

L’expropriation pourrait en particulier être utilisée par les communes en cas d’obstruction dans des projets de construction ou pour éviter la thésaurisation de terrains à des fins spéculatives. S’agissant de ce dernier phénomène, une étude de l’observatoire BCV de l’économie vaudoise – un organisme qui est peu suspect d’hostilité à l’égard des propriétaires – avait révélé que la thésaurisation était souvent utilisée dans le canton, et parfois à des fins spéculatives.

Précisons encore que ce droit d’expropriation n’a rien de révolutionnaire, puisqu’il existe une telle loi depuis plus de 40 ans dans le canton. Elle est aujourd’hui activée uniquement pour la construction d’infrastructures d’intérêt public, par exemple dans le cadre de la construction du tram – cela permet d’ailleurs de constater que l’expropriation est rigoureusement encadrée au niveau juridique, avec notamment le droit à une indemnisation, le droit de recours des propriétaires qui évite toute procédure potentiellement abusive de l’Etat. Il s’agirait donc d’étendre cette notion d’intérêt public à la question du logement. Le Tribunal fédéral a d’ailleurs reconnu, dans différents arrêts, que le maintien de logements à loyer abordable relevait de l’intérêt public ; cela donne donc une base juridique forte pour activer le droit d’expropriation dans de tels cas.

Enfin, j’aimerais rappeler que cette proposition était contenue dans une initiative populaire de l’Asloca lancée en 2011 et qui avait finalement été retirée au profit de la LPPPL – ce que j’ai personnellement regretté en son temps, puisque cette initiative contenait des revendications plus avancées et efficaces que l’actuelle LPPPL qui révèle certaines limites ; on le voit bien avec la situation du logement aujourd’hui.

Pour toutes ces raisons, j’espère que vous suivrez l’avis de la majorité de la consommation, à savoir de renvoyer ce texte au Conseil d’Etat. La formulation étant désormais non contraignante, le Conseil d’Etat aurait tout loisir d’étudier les possibilités de l’appliquer la LPPPL de manière à renforcer dans l’intérêt des locataires.

M. Philippe Jobin (UDC) —

J’ai le sentiment qu’on se retrouve avant la chute du mur de Berlin et que l’on est plutôt dans l’est de l’Europe, avec cette manière de faire les choses. C’est une attaque frontale au droit à la propriété. Ce droit d’expropriation tel que vous le souhaitez produirait des effets contraires au but que vous recherchez réellement. En effet, premièrement c’est un frein net pour tous les propriétaires de terrains et d’immeubles se situant dans les agglomérations et les centres cantonaux en particulier. L’insécurité juridique et économique, avec votre motion transformée en postulat, pourrait avoir comme conséquence que les investisseurs ne construiraient plus d’immeubles, avec certains objectifs dont un me semble important : les logements à loyer abordable. In fine, cela influencerait directement le taux de vacance dans notre canton. Je rappelle que ce taux était de 1,35 et qu’il est redescendu à 1,11. J’imagine donc mal, avec cette motion transformée en postulat, une augmentation de ce taux.

Je vous rappelle aussi, monsieur Buclin, qu’à la suite des travaux de 2017 sur la LPPPL, on avait introduit le droit de préemption. Ce dernier avait été conçu comme contre-proposition au droit d’expropriation demandé par une initiative de l’Asloca que vous aviez soutenue et défendue. Le fait de vouloir introduire un droit d’expropriation dans la présente loi, afin de compléter le droit de préemption existant, est une remise en question du compromis politique trouvé à l’époque. En tant que syndic, je me rends compte des innombrables difficultés d’application que soulève déjà le droit de préemption actuellement. J’ose à peine imaginer si nous avions un droit d’expropriation en plus de cela, tous les blocages que cela pourrait générer dans notre canton. A mon avis, cela ne bénéficierait en tout cas pas aux locataires. Je vous encourage donc à soutenir l’excellent rapport de minorité.

M. Jean-Rémy Chevalley (PLR) —

Au travers de sa motion transformée en postulat, M. Buclin souhaite une modification de l’article 1, alinéa c, du titre 1 de la LPPPL, en y introduisant la possibilité d’une procédure d’expropriation. Deux nouveaux articles complèteraient le texte pour la mise en œuvre, soit les articles 41 et 42 du titre 4 de la LPPPL. Pour ce faire, il se base sur l’affaire dite de l’avenue Druey, qui a eu lieu entre 2012 et 2020. Il faut savoir que, grâce à la LPPPL mise en application en 2018, un tel scénario ne pourrait pas se reproduire. Les leviers qui ont été mis à disposition par ladite loi sont suffisants pour pallier de telles pratiques. De plus, l’introduction dans la loi de la possibilité de mise en œuvre d’une procédure d’expropriation porterait gravement atteinte à la propriété privée et serait perçue comme un coup de massue supplémentaire envers les propriétaires. N’oublions pas que notre Etat démocratique encourage l’accès à la propriété. Se mettre régulièrement des bâtons dans les roues tient davantage de l’autoflagellation que du sens de la responsabilité. C’est pourquoi le groupe PLR, à l’unanimité, vous recommande de ne pas renvoyer cette motion transformée en postulat au Conseil d’Etat.

M. Cédric Weissert (UDC) —

J’étais membre de la commission chargée d’étudier cet objet. Comme l’ont très bien dit le rapporteur de minorité et certains de mes préopinants, cette motion transformée en postulat tente d’intégrer l’expropriation dans notre droit. C’est une atteinte au droit de propriété et cela encouragerait encore plus nos communes à devenir des professionnelles de l’immobilier. Nous pouvons déjà constater les limites du droit de préemption dans certaines communes, comme à Prilly. Je vous laisse donc imaginer les problèmes avec un droit d’expropriation. Sans surprise, et comme l’a dit M. Jobin, le groupe UDC vous encourage à soutenir le rapport de minorité.

M. Pierre Zwahlen (VER) —

Je rappelle que je suis membre du Bureau exécutif de l’Asloca et, pendant quelques jours encore, co-président de l’Asloca Lausanne. Monsieur Jobin, avec votre motion, c’est vous qui avez brisé le premier le compromis de la LPPPL.

Nous avons nous-mêmes suggéré la transformation de cette motion en postulat, lors des débats en commission, mais il importe d’ouvrir le jeu des outils en main des communes, en main de l’Etat, en vue de pouvoir construire davantage de logements abordables. Notre ministre fédéral de l’économie, lui-même, exprime sa préoccupation. Nous l’avons lu dans les médias : il va manquer quelque 50’000 logements dans le pays. M. Guy Parmelin le souligne lui-même : les logements à loyers modérés sont cruciaux aujourd’hui pour assurer un toit à l’ensemble de la population de notre pays. Dans ce cadre, il est essentiel de pouvoir ouvrir la palette des outils et de faire en sorte qu’une commune, voire que l’Etat, puisse aussi utiliser la voie de l’expropriation, et ce, évidemment à titre ultime, lorsqu’il n’y a pas d’autre solution pour favoriser des logements abordables au profit des revenus bas et moyens dans notre canton. Nous vous invitons, au nom du groupe des Vertes et des Verts, à soutenir ce postulat.

M. Marc-Olivier Buffat (PLR) —

Je déclare mes intérêts : je suis président d’une fondation d’utilité publique à but non lucratif qui a notamment pour but de mettre sur le marché des logements à loyer abordable et qui s’appelle la Fondation Parloca Vaud ; je suis également administrateur dans une régie immobilière. D’ailleurs, mon préopinant, M. Zwahlen, était membre durant quelques années de la fondation. J’ai également présidé la commission de la LPPPL.

Dans son développement, notre collègue Buclin part dans tous les sens : on nous parle de pénurie, de construction, de loyer abordable comme s’il y avait forcément des rapports de causalité ou de cause à effet, alors que manifestement tel n’est pas le cas. Revenons sur la pénurie de logements, qui est une réalité qui a été relevée encore récemment par le conseiller fédéral, M. Parmelin, qui nous dit qu’il faut construire environ 50’000 logements en Suisse d’ici 2050, en particulier des logements abordables. Sauf qu’il ne nous dit pas comment on va faire. Il a annoncé qu’il allait légiférer en la matière et on attend de voir ce qu’il propose. En attendant – en attendant Godot, comme l’aurait dit Beckett – on a une raréfaction des terrains. Vous savez toutes et tous, de quelque bord politique que l’on soit, qu’il devient de plus en plus difficile de trouver des terrains constructibles. Les procédures sont extrêmement longues, liées aux modifications de plan de quartier, avec des oppositions diverses et variées.

En préambule, on peut dire que si l’on veut diminuer la pénurie, il faudrait déjà commencer par construire beaucoup plus ; or, on n’en prend pas le chemin. Ensuite, la LPPPL a institué un droit de préemption, mais la question qui se pose est l’acuité de l’outil par rapport au but poursuivi. J’attends que l’on dépose une interpellation dans ce Grand Conseil – je vous annonce qu’elle va suivre dans pas longtemps – sur le nombre de fois où le droit de préemption communal a été utilisé par les communes ; et sur le nombre de fois où l’on a « effectivement » – j’insiste sur ce terme – construit des LUP avec ce droit de préemption. A ma connaissance, il ne doit pas y en avoir beaucoup ; il y a eu beaucoup de cas d’exercice du droit de préemption, mais ensuite on a cédé ou tenté de céder ces immeubles à des coopératives d’habitation – dont il n’est pas démontré qu’elles pratiquent des loyers abordables, soit dit en passant. Combien de LUP a-t-on mis sur le marché avec l’exercice du droit de préemption ? A mon avis, on peut les compter sur les doigts d’une main, mais nous déposerons une interpellation à ce sujet pour avoir les chiffres : combien d’exercices de droit de préemption, combien d’immeubles préemptés et combien de LUP nouveaux créés sur le marché ? Je pense qu’il sera très intéressant de voir le résultat.

Evidemment, le droit d’expropriation aura le même résultat tout aussi insatisfaisant, à savoir qu’on va exproprier et qu’ensuite on ne saura pas quoi faire de ces immeubles. On refilera cela à une coopérative avec un droit de superficie avec lequel on encaissera encore royalement 3, 4 ou 5 %, qui seront en plus, évidemment, à la charge du locataire.

La question des immeubles pas entretenus ou délaissés est une question complètement différente des deux précédentes – le droit de préemption et le droit d’expropriation. Il s’agit de savoir ce que l’on peut faire pour obliger un propriétaire à entretenir son immeuble, respectivement quelles sont les démarches et les mesures que l’on peut prendre pour qu’il remette un certain nombre de logements sur le marché. J’avoue que, sur ce point, il y a encore du travail et sans doute faut-il y réfléchir, mais ce n’est en tout cas pas le droit d’expropriation qui résoudra ce problème.

Enfin, on nous dépeint les coopératives comme la solution miracle. Alors on va créer des coopératives, leur donner ces immeubles… On apprenait hier qu’il y a différents types de coopératives et que les coopératives ne mettent pas forcément sur le marché des logements à des prix abordables. Finalement, la solution est celle qu’on a vécue au début des années 90 ; si on veut vraiment faire une politique publique incitative, il faut investir dans la pierre et faire des prêts – c’est ce qu’avait fait la Confédération en 1990 – pour l’acquisition des immeubles, afin de permettre ainsi un certain contrôle des loyers sur le long terme. Le droit d’expropriation, tout comme le droit de préemption, ne résoudra aucun problème. Je vous invite donc à rejeter ce texte.

Mme Patricia Spack Isenrich (SOC) —

Effectivement, grâce à l’entrée en vigueur de la LPPPL, de nouveaux outils sont proposés aux communes et investisseurs privés. Cette loi a pour but de soutenir la construction de nouveaux logements qui correspondent aux besoins de la population et de conserver des logements loués à des loyers appropriés sur le marché. Toutefois, nous constatons les limites du droit de préemption prévu dans la LPPPL. En effet, les communes se montrent prudentes face à ce nouvel outil potentiellement explosif. En outre, les délais relativement brefs rendent difficile l’exercice de ce droit. Mais nous sommes devant une réalité, le député et motionnaire Hadrien Buclin l’a écrit : cet outil du droit de préemption ne permet pas à lui seul de lutter contre les augmentations de prix spéculatives des logements. Dans le canton de Vaud, sept districts sur dix présentent, encore en 2023, un taux de vacance inférieur à 1,5 %. Il s’ensuit que la pénurie de logements est au cœur des litiges entre bailleurs et locataires. Il faut ainsi agir pour que le canton puisse faire face à l’augmentation de la population ainsi qu’à l’augmentation des loyers. Dans ce sens, l’expropriation constitue également un moyen pour soutenir de nouveaux logements qui correspondent aux besoins de la population. Elle peut permettre de conserver sur le marché des logements loués à des loyers appropriés. C’est en outre un moyen de pression supplémentaire pour les communes faces aux propriétaires qui thésaurisent des terrains constructibles.

En transformant sa motion en postulat, Hadrien Buclin a donc donné la possibilité d’obtenir un premier bilan de l’application de la LPPPL et d’examiner l’éventuelle introduction du droit d’expropriation dans le dispositif légal vaudois relatif au logement, en tant qu’outil complémentaire au droit de préemption. J’estime donc qu’il est nécessaire de saisir cette opportunité. A la droite de l’hémicycle, on nous a parlé d’un compromis ; cela a déjà été relevé, mais le compromis qui avait été trouvé et qui avait incité l’Asloca Vaud à retirer son initiative au profit du projet de la LPPPL a déjà été attaqué en premier par la droite de l’hémicycle. Cet argument est donc caduc, M. le rapporteur l’a rappelé, le compromis ayant déjà été remis en cause.

On nous dit que les investisseurs ne construiraient plus immeuble ; à mon sens, c’est faux, puisque l’expropriation donnerait une possibilité – et pas une obligation – aux communes d’exproprier. De plus, ce serait uniquement afin de préserver l’existence de logements correspondant aux besoins prépondérants de la population ou d’affecter des terrains à la construction de tels logements.

Enfin, l’atteinte à la propriété privée ne tient pas quand on parle des besoins de la population, qui voit les montants des loyers augmenter de manière indécente, qui voit qu’il y a de moins en moins de logements sur le marché et qu’il y a un intérêt à conserver des logements à des prix appropriés. Vous l’aurez compris, le parti socialiste adhère au rapport de la majorité de la commission et votera en faveur d’un renvoi de la motion transformée en postulat au Conseil d’Etat. Je vous invite à en faire de même.

M. Hadrien Buclin (EP) —

J’aimerais quand même répondre à M. Buffat, tout d’abord en lui rappelant qu’aujourd’hui le marché libre domine très largement le secteur du logement dans le canton de Vaud, y compris dans les communes qui sont dirigées depuis plusieurs années par des municipalités de la gauche rose-verte ; on reste dans des proportions de marché libre qui avoisinent les 80 %. Je peux donc quand même postuler un certain lien entre cette domination écrasante du marché libre dans le secteur du logement et les augmentations vertigineuses des loyers constatées ces dernières années dans le canton. Si on était dans une situation où il y avait 60 ou 70 % de logements publics, ou en mains de coopératives, sur le marché du logement, je pourrais comprendre vos propos, mais c’est loin d’être le cas ; aujourd’hui, c’est même tout l’inverse. Les collectivités publiques n’ont qu’une action en réalité marginale sur le marché du logement, malgré tous les hauts cris que vous poussez à droite lorsqu’une commune ose actionner le droit de préemption. En réalité, c’est loin d’être la règle. La plupart des transactions se déroulent sur le marché libre.

De plus, vous avez l’air de penser, monsieur Buffat, qu’acheter ou exproprier pour redonner à une coopérative serait quelque chose d’inutile. En réalité, toutes les statistiques montrent que le prix des logements, le prix des loyers proposé par les coopératives est très inférieur à celui des logements en marché libre – les loyers sont au moins 25 % plus faibles que ceux du marché libre. Une étude commandée par le Conseil d’Etat genevois – que vous pouvez aller consulter sur Internet – a même révélé pour ce canton des écarts de plus de 40 % pour les loyers des coopératives par rapport au marché libre. Telle est la réalité des chiffres. C’est dommage que vous les niiez, mais ce n’est pas très étonnant, connaissant vos intérêts dans le débat. Dans tous les cas, il y aurait un grand intérêt à soustraire des logements au marché libre pour les confier, en droit de superficie, à des coopératives, comme le font heureusement quelques communes, mais pas suffisamment, aujourd’hui. Je voulais vraiment revenir sur cette question du soutien aux coopératives que permettrait un droit de préemption complété par un droit d’expropriation, parce que selon moi, c’est une question essentielle.

M. Gérard Mojon (PLR) —

Malgré tous les bons sentiments et les bonnes intentions qui sont exprimées ici, je ne peux pas suivre M. Buclin dans ses intentions. Au niveau du droit de préemption, on oblige un propriétaire à vendre un bien à quelqu’un à qui il ne voulait pas vendre, mais au moins le propriétaire avait l’intention de vendre son bien. Là, il doit vendre à quelqu’un d’autre ; au moins, il peut le faire au prix qu’il voulait. J’étais déjà fortement opposé à ce droit de préemption et je déclare mes intérêts : j’étais membre du comité référendaire contre ce droit de préemption, il y a quelques années ; nous avons perdu, dont acte.

Avec le droit d’expropriation, non seulement vous devez vendre à quelqu’un que vous ne voulez pas, mais vous devez vendre un terrain que vous ne voulez pas vendre, et ce, pour quelque raison que ce soit. Il peut y avoir de bonnes raisons : on a envie de construire plus tard, par exemple. Surtout, vous devez vendre à un prix qui vous est imposé. Vous ne choisissez même plus le prix. On prend votre terrain, un point c’est tout ! Vous comprenez que, attaché à une économie libérale et à la propriété privée, je ne peux pas concevoir un tel droit.

De plus, avec un droit d’expropriation, on ouvre la porte à divers dérapages. J’ai des exemples qui me sont venus à l’esprit : un propriétaire a envie de construire un immeuble et il demande un permis ; le projet ne plaît pas à la collectivité publique dans laquelle il se trouve et ladite collectivité refuse le permis, exerce son droit d’expropriation et construit elle-même. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je ne considère plus que l’on est dans un pays libre. Et l’expropriation amène à une inégalité totale des droits entre les parties. Je vous rappelle qu’un propriétaire privé qui a envie de se lancer dans un projet de construction, dans un projet immobilier, doit justifier un financement nécessaire pour le faire, sinon il ne peut pas le faire. Là, une collectivité locale, même surendettée, peut se permettre d’exproprier un terrain et de construire. L’inégalité des droits est totale. Vous comprendrez que je ne peux pas accepter cela ! Dès lors, malgré toutes les bonnes intentions qu’on peut me donner, je ne veux ouvrir aucune porte en la matière et je ne peux pas soutenir ce postulat. Je vous encourage à en faire de même.

M. Laurent Balsiger (SOC) —

La Déclaration universelle des droits de l’homme et de la femme, à son article 11, alinéa 1, stipule que chaque être humain a droit à un logement décent. Nous sommes donc bien face à un besoin d’intérêt public : légitimité de l’Etat d’intervenir lorsque les milieux privés n’y parviennent pas. C’est bien cela le problème, monsieur Jobin, on a une baisse des logements vacants ; le système actuel ne fonctionne donc pas. Dès lors, il faut l’adapter, le changer, lui offrir une palette de solutions complémentaires.

Notre collègue postulant l’a dit : des études – l’étude de Genève est sans doute une des plus complètes – montrent que les écarts de loyers entre les logements de coopératives et les logements standards du marché sont de 43 à 53 % selon le nombre de pièces ; cela a été effectué sur un échantillon de 850 logements. Alors oui, les coopératives font bel et bien partie de la solution, tout comme les communes, lorsque les choses ne fonctionnent pas, pour qu’un droit élémentaire de l’être humain soit respecté. Je soutiendrai donc le postulat Buclin.

M. Marc-Olivier Buffat (PLR) —

J’entends tout le bien que l’on dit des coopératives, bien que je ne sois pas certain que, au niveau du benchmarking, on arrive aux résultats que vous prétendez. Le problème est que le texte qui nous est proposé n’est pas une aide aux coopératives ; si c’était le cas, je le voterais très volontiers. C’est un outil d’expropriation pour transmettre cela potentiellement à une coopérative. La Fondation Parloca Vaud que je préside pratique des loyers d’environ 20 % en dessous du marché, mais qui nous aide ? Absolument personne ! Il n’y a aucune aide publique d’encouragement à ce type de fondation. Il y a des problématiques d’ordre fiscal en lien avec l’utilité publique. Une fois que vous n’avez plus d’immeubles de l’aide fédérale, vous n’avez plus d’aide publique. Il faut une vraie politique volontariste de soutien aux coopératives, de soutien à ces fondations. Le droit d’expropriation des collectivités publiques ne mène absolument à rien. Ou alors il faut dire clairement ici que, pour les communes qui l’exercent, le droit de superficie (DDP) est ensuite gratuit. Dans ce cas, vous auriez une vraie politique publique volontariste, mais ce n’est de loin pas ce qui se fait à Lausanne. A ma connaissance, Lausanne, après avoir investi quelque 200 millions dans l’exercice du droit de préemption, n’a construit, en termes nets, aucun logement d’utilité publique ! Je veux bien que l’on multiplie les outils, les effets d’annonce sur le droit au logement, mais il faut utiliser les bons moyens aux bons endroits et non pas des procédures de préemption ou d’expropriation qui, finalement, reviennent. Si l’on suit l’appel d’offres qui était lancé par la ville de Lausanne, qui va assumer les logements d’utilité publique ? Ce sont des coopératives, c’est le partenariat public-privé que vous dénoncez et dont vous ne voulez pas… Finalement, vous reportez la charge sur des coopératives ou des institutions qui sont mixtes, ou à tout le moins en partie privées, pour assumer l’entretien des immeubles, pour assumer les loyers, pour assumer l’entier de la viabilité et de la rentabilité de l’opération. Ou alors vous nationalisez le terrain, vous supprimez tout le marché libre, vous fixez les loyers que vous voulez et vous avez la charge de l’entretenir, mais jusqu’à preuve du contraire, on ne vit pas encore dans un pays entièrement collectiviste.

Je ne suis pas du tout convaincu par le droit de préemption, quand bien même j’avais soutenu la LPPPL à l’époque, contrairement à la majorité de mon parti. Il faut bien reconnaître que, aujourd’hui, les moyens utilisés dans le droit de préemption sont détournés et ne correspondent pas à ce que le législateur voulait. Ce que nous voulions, c’est que la commune s’immisce, que la commune ait des projets et qu’elle développe elle-même des logements d’utilité publique. Or, on voit que tel n’est pas le cas. Elle préempte, elle remet cela, puis ensuite elle obtient une rente par le DDP, mais ce n’était évidemment pas le but de la LPPPL que de fournir des rentes immobilières sous forme de DDP aux communes, fussent-elles Lausanne ou Prilly.

Mme Rebecca Joly (VER) —

Tout d’abord, je déclare mes intérêts : je suis municipale de la ville de Prilly qui a été quelquefois abordée dans ce débat. Pour prendre un peu de hauteur – puisque ce débat a touché non seulement à la motion transformée en postulat de notre collègue Buclin, mais également de manière générale aux outils de la LPPPL, et notamment à la question du droit de préemption – je note avec regret que l’on a assez peu de recul sur les outils qui ont été mis à disposition dans une loi relativement récente. Sauf erreur, la loi a été adoptée en 2017 et son principal outil – le droit de préemption – est entré en vigueur 2019, juste avant la pandémie qui nous est tombée sur le coin du nez. Et ceci sans compter que l’on a peu de cas d’application et que le compromis inventé par la droite a déjà été remis en question. De plus, dans ces débats, j’entends beaucoup de remises en question d’outils qui avaient été proposés et qui soi-disant n’auraient pas encore fait leurs preuves, alors qu’on ne leur a pas laissé le temps de faire leurs preuves. Finalement, je note que le compromis validé par la population est encore une fois remis en question. Le droit de préemption a été validé par la population vaudoise ; laissons le temps aux collectivités publiques de l’utiliser à bon escient.

Monsieur Buffat, je suis navrée de vous contredire sur le dernier point que vous venez de soulever, mais il se trouve que, du fait de ma fonction, j’ai relu récemment une partie des débats au Grand Conseil sur la LPPL et cette question du partenariat public-privé avait été largement abordée. C’est exactement ce que ce Grand Conseil avait dit vouloir promouvoir, c’est-à-dire que les communes ne soient pas des acteurs du marché immobilier qui construisent elles-mêmes des LUP, mais qu’au contraire, elles cherchent des partenariats avec des coopératives qui sont déjà des maîtres d’ouvrage d’utilité publique en général, qui sont déjà actives sur le logement abordable, qui ont déjà des LUP et qui savent déjà faire. Dès lors, c’est exactement ce que ce Parlement voulait. Savoir si c’est sous forme de mise à disposition du terrain avec une rente ou avec une revente au prix coûtant – c’est ce qu’a l’intention de faire de la commune de Prilly pour le moment – appartient en partie aux tribunaux, puisque des recours ont été déposés. Finalement, ce partenariat public-privé est exactement ce que le Grand Conseil voulait.

Aujourd’hui, je remarque que l’on remet en question ce que la population nous a demandé de faire, et qu’on remet en question tous les outils possibles pour avoir une politique en matière de logements dans ce canton. Je note que, sur le marché libre, on dit toujours qu’il y a une pénurie de logements et qu’il n’y a qu’à construire. Je suis municipale dans une ville où l’on construit beaucoup en marché libre, mais malheureusement cela ne suffit pas pour contrer la pénurie, pour que les logements soient accessibles, et surtout pour qu’il y ait une typologie qui soit accessible aux personnes qui veulent arriver dans les espaces périurbains. Aujourd’hui, les logements sont tellement chers, le marché libre est tellement hors de prix que les appartements sont de plus en plus petits et que, dès lors, on a de moins en moins d’appartements pour les familles, qui sont obligées de sortir des agglomérations, car elles ne trouvent pas d’appartements suffisamment grands et suffisamment abordables pour pouvoir rester dans les agglomérations dans lesquelles elles vivent actuellement ou dans lesquelles elles se sont établies il y a quelques années. C’est vraiment cela le problème ! C’est une des volontés qu’avait la municipalité de Prilly, mais d’autres communes également : au fond, ce qu’on veut quand on utilise le droit de préemption ou quand on utilise des outils de la LPPPL et qu’on crée des LUP, c’est notamment de pouvoir avoir des logements à loyer abordable de taille telle qu’ils puissent être à disposition de familles. Il ne faut pas que l’on multiplie les logements libres, petits, pour des personnes seules ou des jeunes couples ; c’est le développement immobilier que l’on constate, à notre échelle de commune de l’agglomération : les nouveaux appartements sont petits, parce que sinon ils ne se louent pas ! Concrètement, aujourd’hui, le marché libre n’est pas apte à répondre à la crise du logement. Ainsi, la LPPPL nous donne des outils pour essayer de résoudre cette crise du logement.

Je peux entendre que vous soyez contre le principe de l’expropriation. Personnellement, je trouve que c’est un outil supplémentaire intéressant. Mais de là à dire que le droit de préemption ne fonctionne pas et ne sert à rien, je pense que c’est sortir du débat actuel, et surtout que c’est un discours dangereux. Il me semble que la population a tranché. C’est un outil qu’elle veut mettre à disposition des communes. Dans ce sens, je soutiendrai évidemment le postulat Buclin.

M. Fabrice Moscheni (UDC) —

J’aimerais intervenir à plusieurs niveaux, dont le premier est moral et relatif à la référence aux Droits de l'homme qu’il s’agit de considérer dans son ensemble et dont j’aimerais citer un autre extrait : « Les droits prescriptibles sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression. » et « La propriété est un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé (…). »

Ensuite, vous me voyez quelque peu emprunté. Ainsi, je souhaite poser une question à la gauche et simultanément exposer ce qui s’est passé dans le cas de la ville de Lausanne, puisqu'il en est beaucoup question et semble constituer un fantasme pour certains d'entre vous – en tout cas à gauche. Le Conseil communal s’est réuni le 14 mars. Lors de ce dernier, il a beaucoup été question de la LPPPL. Votre serviteur a entre autres demandé quelques explications sur l'utilisation du droit de préemption. Dans le cadre de cette interpellation urgente, la municipalité nous a expliqué que ses actions relevaient de la parfaite légalité. Nous avons également appris qu’aucun des appartements préemptés ne sont, à ce jour, des Logements d’utilité publique (LUP). En effet, suite à la préemption, il s’agit d’adresser une demande au Service du logement. Or, après plus de deux ans d'exercice de ce droit de préemption, aucun appartement n’est encore transformé en LUP par la ville de Lausanne – aucune demande n'a été formulée. Ainsi, dans une logique de cohérence, votre serviteur et la droite entière ont demandé au Conseil communal de la ville de Lausanne de franchir le pas, de transformer, de créer des LUP. Or, la gauche a refusé. Par conséquent, j'aimerais demander à mes collègues de gauche : y a-t-il une dissension entre la gauche communale et cantonale ? Une vision différente des LUP est-elle en cours d’adoption ? A droite, nous sommes un peu perdus, nous ne parvenons plus à comprendre votre cohérence – ou incohérence. S’agit-il d’un oubli ? Avez-vous oublié de parler avec vos collègues au niveau de la ville de Lausanne ? Il s’agira de faire preuve d’un peu de cohérence pour s’occuper de politique dans ce canton.

Mme Jessica Jaccoud (SOC) —

Comme vous le savez sûrement, j'ai la chance de ne pas vivre à Lausanne et donc de ne pas être membre du Conseil communal – cet éminent plénum. Par conséquent, je ne suis pas en mesure de pouvoir commenter, infirmer ou confirmer les propos de M. Moscheni que je confie à la sagacité d'autres lieux.

Les propos tenus par M. Mojon m'ayant interpellée, j’aimerais y revenir. En effet, ce dernier a été relativement choqué – ce sont ses termes – par l'inégalité des droits entre les parties. Je ne pensais pas le dire un jour : monsieur Mojon, je suis d'accord avec vous ! Je suis moi aussi quotidiennement choquée par l'inégalité qui existe entre les droits des différentes parties en présence. Et, je suis ravie de savoir que ces inégalités vous choquent également. En revanche, les parties en présence peuvent peut-être nous opposer… En effet, ce qui vous choque me choque peut-être un petit peu moins. En effet, la véritable inégalité se situe entre des locataires complètement captifs d'un marché qu'ils ne maîtrisent pas, aux loyers impossibles à négocier, de logements qu'ils sont obligés de saisir dans des conditions qu’ils ne peuvent pas toujours choisir, y compris leur lieu d'habitation. Comme cela a été répété, on ne choisit plus véritablement aujourd'hui où on veut vivre ; on dépend du bailleur qui accepte notre dossier, du loyer qu'on doit être en mesure de pouvoir payer. Voilà précisément l’inégalité qui me choque et devant laquelle nous avons, ici, en tant que députés, une responsabilité collective d'apporter des réponses afin de remédier à ces inégalités, des inégalités non seulement en droits mais également en faits, puisque de nombreuses personnes se retrouvent dans des situations extrêmement délicates, comme indiqué par certains de mes collègues tout à l'heure.

Finalement, je suis également surprise que celles et ceux qui ont l'habitude dans ce plénum de défendre le droit des communes s'opposent à ce que celles-ci soient dotées d'outils – car c’est de cela dont il retourne –, c'est-à-dire de donner la possibilité aux communes de disposer d'un outil supplémentaire. Toutes celles qui sont à majorité de droite et attachées à la propriété privée ne l'utiliseront pas. Il faut laisser les quelques autres communes qui nourriraient peut-être l’envie de l’utiliser s’y employer. Ainsi, plus que jamais respecterez-vous l'autonomie des communes, quand chacune utiliserait les outils en fonction de ses arbitrages politiques.

J'ai également entendu M. Buffat nous rappeler que la coopérative dont il est président pratique des loyers 20 % moins chers que le marché et qu'elle s'en sort sans subventions. Cela démontre que les loyers sur le marché sont en tout cas 20 % plus chers. Et, comme il est également administrateur d'une société immobilière active sur le marché libre, j'imagine qu’un jour c'est 20 % trop cher et l’autre 20 % moins cher… et qu’à la fin, c'est zéro ; tant mieux pour M. Buffat. Malheureusement, actuellement, sur le marché du logement, l'équilibre ne se retrouve pas.

En outre, j'ai pu établir plusieurs contacts avec des coopératives qui souhaitent pouvoir acquérir des terrains ou des immeubles dont la responsabilité de la gestion leur reviendrait, mais qui n'y parviennent pas faute de trouver des propriétaires qui acceptent de leur vendre le terrain ou les immeubles, ce face à une concurrence importante sur le marché qui compte des propriétaires qui se positionnent dans un rôle de spéculateurs et contraignent des coopératives à renoncer à des projets d'achat.

Ainsi, l'outil proposé aujourd'hui par le postulat Buclin permet de remédier à cela, puisqu’il autorise la commune à véritablement jouer un rôle d'intermédiaire, à procéder à une acquisition qui peut ensuite être mise à disposition d'une coopérative, via une vente ou par un droit de superficie, peu importe ; il incombe à la coopérative de décider. Elle est bien placée pour le faire, puisqu'autonome dans sa propre gestion de son patrimoine. On permettrait ainsi à ces coopératives de pouvoir étendre leur activité et ainsi de mettre à disposition des logements meilleur marché pour les locataires.

Je suis également très heureuse que Mme Joly soit intervenue avant moi pour rappeler un élément important des débats – alors tenus au Palais de Rumine – relatifs à la LPPPL. Je me les rappelle distinctement, car j'étais membre de cette commission. Lorsque nous avons discuté du droit de préemption, un élément important est systématiquement revenu de la part de la droite de l'hémicycle : elle ne voulait pas que les communes deviennent des acteurs immobiliers, commencent à acheter ou à louer, à construire des logements, que ce n’était pas le rôle d'une commune ni celui d'une entité publique, que cela devait revenir systématiquement à des acteurs qui en avaient la maîtrise, la légitimité d’action en tant qu'acteurs de l'immobilier sur le terrain. C’est précisément dans ce but que le droit de préemption a été pensé, pour signifier clairement que la commune acquiert un terrain ou un bâtiment pour ensuite être remis à disposition d'acteurs qui, eux, poursuivent des buts d'utilité publique. Or, ce n'est pas le cas de grands acteurs de l'immobilier du marché privé que nous connaissons toutes et tous et dont je ne veux pas citer le nom, puisqu’ils n'ont pas besoin de publicité. En conclusion, je vous remercie de soutenir la motion Buclin transformée en postulat afin de doter nos communes d'un outil supplémentaire.

M. Pierre-André Romanens (PLR) —

Je déclare mes intérêts, puisque j’appartiens aussi au monde de la construction. J’ai aussi présidé le Comité de direction de la commune de Coppet pendant quelques années, la région de Nyon, des endroits où ce sujet revient souvent sur la table. Il faudrait correctement replacer le cadre. En effet, face à ses citoyens, à ce qu’elle représente au niveau de la loi, quel est le rôle d’une commune, respectivement de l’Etat ? Ce sont des aspects fondamentaux. On peut citer des régions un peu éloignées de nous qui ont testé ce système de marché. Cuba, par exemple, qui a étatisé le territoire dans son ensemble. Je vous laisse aller voir le résultat après quelques années, il n’est guère brillant.

Il faut laisser la mise en place du cadre à la commune. Quant au gendarme, il existe déjà. Il ne faut pas oublier que le PACom fournit des règles et des droits mais aussi des échéances. Si ma mémoire est bonne, il est revu tous les 15 ans. Ainsi, si un propriétaire désire thésauriser, ne pas construire, mais que son terrain est très bien situé, on peut lui imposer de construire ou de retirer ce terrain de la zone à bâtir pour l’octroyer ailleurs. Ce sont des outils assez extraordinaires qui accordent la maîtrise du foncier à la commune, puis à l’Etat. Par ce droit de préemption, la commune peut très bien acquérir des immeubles, les transmettre et puis retoucher un pourcentage sur un gain, sur les loyers et laisser dans des règles absolument folles des acteurs privés ou une coopérative se débrouiller. Cela a déjà été testé à quelques endroits dont on connaît l'aboutissement : souvent une faillite. En effet, il s’avère impossible d'avoir des loyers très bas, des travaux très chers et, encore, une rentabilité pour la personne qui vient de transmettre le bien. Je voudrais encore citer plusieurs exemples. Quand une commune entreprend une démarche avec des acteurs privés, on voit très souvent les appartements qui jouissent d’une vue, de conditions agréables être beaucoup plus chers que ceux qui sont moins bien situés ; c'est ça aussi le rôle du partenariat entre communes et privés – ce qui est aujourd'hui autorisé par la LPPPL. Ainsi, l’expropriation – ou d’autres outils absolument incroyables – freine le développement. Elle n’est pas judicieuse, car nous avons besoin de logements, d’échanges avec les acteurs de l’immobilier et les communes. L’expropriation est une aberration qu’il s’agit de refuser.  

M. Hadrien Buclin (EP) —

Rassurez-vous, je ne vais pas inutilement prolonger, mais simplement corriger une affirmation soutenue par MM. Buffat et Moscheni, à savoir que la ville de Lausanne ne construirait aucun logement d'utilité publique. Messieurs, je vous invite à consulter, par exemple, le rapport d'activité de la Société immobilière lausannoise pour le logement (SILL), une société détenue à 100 % par la ville de Lausanne, qui fait donc partie de la politique du logement de la ville. Vous accéderez certainement à une vision moins biaisée de l'action de cette commune. Et puis, pour terminer, peut-être par boutade, puisque le droit d’expropriation a l’air de tellement inquiéter à droite, je suis peut-être en mesure de vous rassurer en vous rappelant que votre conseillère fédérale, Mme Keller-Sutter, le pratique aussi. Et, d'une certaine manière, même le dimanche, en dehors de toute base légale, puisque les actionnaires de Crédit Suisse se sont vu exproprier par un rachat bien inférieur à la valeur du marché. J'espère que cet exemple récent, au plus haut niveau de l'Etat saura un peu vous rassurer.

M. Didier Lohri (VER) —

En deux minutes, je vais seulement apporter un élément. Je considère qu’il faut féliciter M. Buclin d'avoir transformé sa motion en postulat. En effet, ces augmentations de loi n’amènent pas grand-chose. Je déclare mes intérêts comme ancien syndic d’une commune qui, en 2011, avait demandé un Droit de superficie (DDP) pour pouvoir mettre en place des appartements d'utilité publique. Depuis 2011, les tracasseries administratives ont duré : des référendums, des oppositions systématiques à chaque projet. Par conséquent, je vous laisse imaginer le temps qu'il va falloir pour obtenir gain de cause dans le cas d’une expropriation. Nous serions plus avisés d'aider les communes, que le canton facilite les choses en acceptant d'abord les Plans d'affectation communaux le plus rapidement possible et ensuite de mettre au point des mesures qui complètent la loi actuelle, tout en gardant le postulat de M. Buclin pour l'étape suivante qui consiste à – vraiment – obtenir des loyers abordables, des logements d'utilité publique et de la mixité pour les EMS. J’estime que cela ne sert à rien de se chamailler, de s'invectiver gauche-droite, etc. Il faut absolument persévérer avec la LPPPL et passer à une application rapide, garder le postulat de M. Buclin pour étudier les différentes pistes de la LPPPL à modifier. En conclusion, je vous enjoins à soutenir le postulat de M. Buclin avec pour but d'aller de l'avant, de mettre en place par le canton des outils pour accélérer les procédures PACom, de modifier le droit à bâtir, de telle façon à ce que nous n’entrions pas dans des contingences qui limiteront les loyers abordables.

M. Julien Eggenberger (SOC) — Rapporteur-trice de majorité

Il est rare que le débat en plénum dépasse la durée en commission. Parmi les nombreux éléments mentionnés, certains sont intéressants, quand d’autres relèvent davantage de la caricature, voire de la posture, mais ce n’est guère ce constat qui me pousse à m’exprimer. D’abord, en introduction au débat, j’ai omis de déclarer deux intérêts. En effet, je suis président d'une société coopérative lausannoise qui gère un immeuble. Ce dernier ne bénéficie d'aucune aide publique et n’a nulle vocation à racheter ou gérer d'autres immeubles. J’étais également membre du comité de campagne de la LPPPL lors de la votation. Monsieur Jobin, souvenez-vous de l’une des premières interventions, vous aviez dit que nous ne devions pas remettre en cause un compromis politique, l’un des éléments intéressants de la discussion en commission. Malheureusement, le 8 novembre, vous avez vous-même provoqué une rupture dans ce compromis politique autour de la LPPPL. Ainsi, il paraît intellectuellement pertinent d’observer plusieurs aspects de cette LPPPL pour pouvoir véritablement en tirer un bilan – pas seulement l'aspect qui vous intéresse, c'est-à-dire le déplafonnement du rendement des logements qu'on transforme.

Ensuite, un deuxième élément m'a quand même un peu surpris dans ce débat. Monsieur Buffat, vous étiez président de la commission, quand j'étais, à l'époque, député ; j’ai manifesté un grand intérêt pour ce débat. La question de la raréfaction du sol disponible pour des constructions nouvelles constitue une motivation importante et fournit des outils aux collectivités publiques pour rectifier le marché. En effet, du moment que le sol est limité, qu'on ne peut construire sur chaque centimètre carré de notre pays, il devient normal que les collectivités publiques puissent intervenir sur le marché pour corriger certains effets d'une économie privée du logement par trop libérale. Il n’en retourne pas seulement d’une position de la gauche, car en effet, depuis des années, de nombreuses personnes aussi à droite défendent l'idée que nous devons pouvoir intervenir sur le marché du logement. Ainsi, j'ai l'impression que vous remettez en cause la légitimité du droit de préemption. En outre, existe aussi la possibilité d'expropriation octroyée à une collectivité publique. Cette dernière doit rendre des comptes à sa population, ce qui signifie que la possibilité d’exproprier ne sera pas dégainée à tout moment.

Enfin, on ne vise pas seulement à construire des logements, mais à aussi à en préserver l'existence à loyers abordables. Dans ce domaine, le droit de préemption s’avère particulièrement efficace. Ainsi, lorsqu’on suspecte qu'un immeuble va être acheté à des fins spéculatives, l'autorité politique peut se substituer et préserver le niveau des loyers bas. Quant à l’expropriation, elle couvre un autre but, notamment le cas où du terrain est thésaurisé et qu’il faut agir. Pour toutes ces raisons, et aussi pour garantir que les Vaudoises et les Vaudois bénéficient de logements à loyers abordables, je vous invite à renvoyer ce postulat au Conseil d'Etat.

M. Fabrice Moscheni (UDC) —

Je me montrerai très bref pour rétablir la vérité. Monsieur Buclin, vous nous avez habitués à mieux en termes d’écoute. En effet, j’ai dit que sur tous les immeubles préemptés par la ville de Lausanne, aucun LUP n’a été créé. La SILL a créé des LUP ? Cette dernière n’est pas jusqu’à nouvel avis la ville de Lausanne ! Sur tous les bâtiments préemptés, achetés grâce à la LPPPL, aucun LUP n'a été créé par la ville de Lausanne et, même pire, la majorité de gauche, à la demande de la droite lausannoise de créer ces LUP, a refusé. A Lausanne, noua aimerions savoir – nous pouvons en discuter après, monsieur Buclin, puisqu’il s’agit d’une affaire lausanno-lausannoise – si la ville de Lausanne n’est pas en train d'utiliser la LPPPL à des fins financières, afin de soutirer des immeubles au marché privé, pour elle-même faire de l'argent.

Mme Céline Misiego (EP) —

J'aimerais appuyer l'argumentaire de Mme Jaccoud sur les inégalités des parties entre locataires et propriétaires par quelques chiffres, car il me semble important de remettre les choses à la bonne échelle. Selon l’Association suisse des locataires (ASLOCA), pour l'année 2021, 10 milliards de francs de loyer ont été payés en trop. Un ménage locataire a ainsi payé en moyenne 370 francs par mois en trop – ou 26 % de loyer. Les loyers moyens ont augmenté de 22,1 % entre 2005 et 2021, c'est-à-dire 18 % de plus que l'Indice suisse des prix à la consommation (IPC). Selon les facteurs de coûts, l'évolution des taux hypothécaires, l'inflation et les coûts d'entretien, une baisse de niveau des loyers de 10,3 % aurait dû être constatée. Au contraire, les loyers ont augmenté de 36,1 %, et les locataires n'ont rien pu y faire. L’inégalité est donc flagrante. Voter la motion de mon collègue Buclin signifie tenter de réduire un peu ces inégalités.

M. Romain Pilloud (SOC) —

J’aimerais prendre quelques brefs instants pour vous présenter le plus grand propriétaire ou l’un des plus grands propriétaires immobiliers d'Europe qui s'appelle la ville de Vienne. Cette dernière détient à elle seule plus de 25 % des logements sur le marché, une ville qui dispose d'une approche – y compris vis-à-vis du privé – nantie d’accords qui permettent d'avoir 60 % du parc locatif de la ville à prix abordables. On peut le dire, la ville de Vienne est un havre locatif qui défie la crise du logement. Or, défier la crise du logement n'a jamais été un objectif des milieux immobiliers privés, et ne le sera jamais. Au contraire, maintenir la pression sur le marché permet de maintenir des prix artificiellement élevés, comme cela a aussi été démontré plus d'une fois pendant ces débats. Ainsi, l'autorité politique doit faire face à des situations de spéculation immobilière, de logements vides, de résidences secondaires ; un défi auquel seule la collectivité publique peut faire face et répondre aux objectifs de l'intérêt public.

M. Philippe Jobin (UDC) —

Je ne vais pas annoncer la brièveté de mes propos, puisqu’un politique raconte toujours des histoires ! Pour répondre à M. Eggenberger, je ne le comprends pas très bien lorsqu’il m’impute d’avoir déséquilibré la LPPPL par ma motion, dont je vous relis un extrait : « La présente motion a pour but d'inviter le Conseil d'Etat à modifier l'article 14 LPPPL de manière à ce que le prix du mètre carré par an du loyer contrôlé après travaux ne puisse pas être inférieur aux limites de loyer des logements à loyer abordable fixé par l'Etat et par règlement d'application. » L'Etat, y compris, a indiqué qu’il y avait un biais à corriger ! Ainsi, l'égalité ne se trouve pas toujours où vous aimeriez qu'elle soit ! En l'occurrence, on a apporté une égalité entre la motion, la LPPPL et le prix au mètre carré. L'outil proposé est à mon avis mauvais et ne fera qu'empirer une situation que nous vivons à l’heure actuelle. Certains de mes collègues ont évoqué le PACom. Effectivement, les PACom constituent un frein à la construction tout comme la LATC. Tout va de pair. Par conséquent, votons le rapport de minorité !

M. Jean Tschopp (SOC) —

Pour répondre à notre collègue Moscheni qui tente d'engager une polémique ou plutôt une pseudo polémique relative à la ville de Lausanne, étant lausannois, j'aimerais simplement rappeler ce qui est entrepris de ce côté-là, et lui fournir quelques chiffres. Depuis 2020, Lausanne a fait l'acquisition de 11 immeubles d'habitation, soit 200 logements. Monsieur Moscheni, elle n’est pas dans ce domaine un acteur spéculatif sur le marché de l'immobilier, mais les propose à la vente en droit de superficie, à des conditions strictes : loyers modérés garantis, maintien des locataires en place, garantie des rénovations énergétiques. Voilà ce qu'est une politique active dans ce domaine-là qui garantit aussi un contrôle sur les loyers. En restant propriétaire du sol, la ville assure aussi à la caisse communale un rendement raisonnable, et il n’y a pas lieu de polémiquer dans ce domaine. Il s’agit d’un acteur public qui assume ses responsabilités, assure des logements à loyers abordables, et non pas d’un acteur spéculatif comme vous le laissez entendre. Je crois que cela nécessitait d'être clarifié et précisé. Je vous invite évidemment à soutenir le rapport de majorité.

Mme Christelle Luisier Brodard (C-DITS) — Président-e du Conseil d’Etat

Le Conseil d'Etat est très réticent par rapport au texte proposé. Revenons sur quelques éléments. D’abord, en termes de droit constitutionnel, mentionnons le droit à un logement décent et celui de propriété : tous deux importants. Notre responsabilité, comme gouvernement ou comme Parlement, consiste à trouver des équilibres entre les droits humains et les droits constitutionnels qui s'imposent à nous. Dans ce cadre, lorsqu’il s’agit d’une atteinte au droit de propriété, cela doit respecter le principe de la légalité, reposer sur l'intérêt public et demeurer proportionné. Il faut le dire, le droit d'expropriation représente une atteinte très forte au droit de propriété, qui nous paraît en l'occurrence disproportionnée par rapport aux outils qui sont les nôtres et qui permettent de lutter contre la spéculation et la thésaurisation.

S'agissant de la spéculation, il a beaucoup été question du droit d’emption, respectivement du droit de préemption que le texte que nous traitons ne remet pas en question. J'étais parmi vous, lorsque nous avons discuté de ce texte, je faisais aussi partie de la minorité de mon parti qui avait soutenu la LPPPL, y compris le droit de préemption. Par conséquent, il ne s'agit pas de remettre en question le droit de préemption, même si quelques éléments de sa mise en œuvre sont aujourd'hui sujets à interprétation, notamment ses modalités d'application. Il n’en demeure pas moins que le droit de préemption est validé. En outre, son existence aurait permis d'éviter la situation Druey évoquée par M. Buclin.

On évoque un droit de préemption qui serait timidement utilisé par les communes, parce qu’un peu explosif. On peut ainsi se demander ce qu’il en serait du droit d'expropriation, puisqu’il s’agit d’une atteinte bien plus importante au droit de propriété. Le droit de préemption existe ; il constitue un outil puissant en mains des communes. En outre, le droit de préemption, tel qu'il est prévu dans la LPPPL permet à la fois à la commune d’agir, et d’avoir un partenariat privé public. Cela est prévu par l'article 35 LPPPL avec une cession par vente ou par DDP.

Quant à la spéculation, nous possédons les quotas pour les logements d'utilité publique que l'on peut instaurer dans le cadre de mesures de planification : un autre outil très puissant. La commune n'a pas besoin d'être elle-même propriétaire pour imposer ses quotas à n'importe quel promoteur, qu'il s'agisse d'une coopérative ou d'un autre promoteur institutionnel ou privé. Si j’apprécie d’entendre citer Vienne, nous possédons fondamentalement un outil à disposition des communes qui permet sans que ces dernières ne soient propriétaires d'imposer des quotas dans le cadre de mesures de planification s’élevant jusqu'à 100 %. Cette loi et ces quotas n’existent que depuis 2018. Un laps de temps est nécessaire pour se mette en œuvre, notamment à l'aune des planifications. Toutefois, il s’agit d’un instrument extrêmement important en mains des communes, par rapport aux planifications pour garantir des quotas de LUP et donc des loyers abordables pour la population.

S'agissant de la préservation du parc, nous avons eu l'occasion de parler de règles qui sont très importantes. Pour votre information, ces deux dernières années, nous avons pu, grâce à ces outils, créer 700 nouveaux LUP dans le canton, ce par année. Si la période Covid a rendu les choses compliquées, on voit que la LPPPL, notamment, commence aussi à déployer ses effets. Quant à la thésaurisation, des débats très importants ont eu lieu au Parlement dans le cadre de la LATC, porteurs de règles visant à lutter contre la thésaurisation, en particulier via des taxes qui peuvent être imposées aux propriétaires qui ne construisent pas dans le délai fixé par les communes. Cette question a aussi fait l'objet de vives discussions au Grand Conseil qui ont abouti à un compromis.

Par ailleurs, je souhaite que nous nous distancions, que nous sortions du clivage promoteurs privés versus institutionnels, coopératives et autres. En effet, fondamentalement, il nous importe de posséder des politiques du logement axées sur la typologie d'objets créés, c’est-à-dire sur les LUP, les logements à loyers abordables et non pas en ligne avec la personne ou le promoteur, la personne morale, la société qui les construit. Nous pouvons avoir des règles spécifiques pour les coopératives. Nous nous sommes dotés d'outils en la matière pour promouvoir les coopératives ; c’est tout à fait louable. Mais, en définitive, il nous importe de créer des LUP, fussent-ils construits par des promoteurs privés ou par des coopératives.

Enfin, un élément sur les discussions fédérales. Le conseiller fédéral, Guy Parmelin, tire la sonnette d'alarme par rapport à la construction de logements. C'est vrai ; nous avons eu l'occasion de l'entendre dans le cadre de la Conférence intercantonale des directeurs de l’aménagement du territoire, il s’agit d’un souci reconnu dans la plupart des cantons suisses. Toutefois, avant d’envisager les potentielles mesures à prendre notamment sur le plan fédéral, il s'agit d’en étudier les causes. Beaucoup de cantons ne possèdent pas notre dispositif de maîtrise sur les logements à loyers abordables. Respectivement, lorsqu'on discute avec les cantons des motifs liés à la baisse de constructions ou à la baisse de mise à disposition de logements, les gros problèmes sont en particulier ceux évoqués par M. Lohri, à savoir des questions de délais, notamment dans les procédures elles-mêmes de planification, les délais de mise à l'enquête ou liés aux oppositions, au fait que les densifications de terrain sont beaucoup plus complexes que celles sur des terrains libres, comme on s’y employait encore les vingt dernières années. Par conséquent, pour avancer rapidement, cela induit un changement de paradigme et de nouvelles discussions.

Enfin, je rejoins M. Lohri, l’expropriation ne sera en aucun cas un accélérateur. En revanche, il existe une nécessité de dialogue entre tous les partenaires sur les questions liées à la construction de logements, parce qu’il s'agit effectivement d'un défi majeur pour ces prochaines années.

Mme Séverine Evéquoz (VER) — Président-e

La discussion est close.

Le Grand Conseil refuse la prise en considération du postulat par 81 voix contre 47 et 7 abstentions.

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