20_MOT_154 - Motion Pierre Dessemontet et consorts - Pour une suspension provisoire du respect du petit équilibre budgétaire en cas de circonstances exceptionnelles.
Séance du Grand Conseil du mardi 16 mars 2021, point 46 de l'ordre du jour
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Visionner le débat de ce point à l'ordre du jourLa Commission des finances a traité cet objet lors de séance du 12 novembre 2020. Elle vous recommande de ne pas prendre en considération cette motion transformée en postulat avec l’accord de son auteur.
L’article 164 de la Constitution vaudoise stipule que : « Dans le budget de fonctionnement, les recettes doivent dans tous les cas couvrir les charges avant amortissements. » En d’autres termes, le cashflow, ou capacité d’autofinancement, doit dans tous les cas rester positif. C’est ce qu’on appelle le respect du petit équilibre ; les charges courantes doivent être couvertes par les revenus courants.
Le motionnaire propose d’autoriser le Conseil d’Etat à adjoindre, dans la Loi d’application budgétaire, un décret du Grand Conseil l’autorisant, en cas de circonstances extraordinaires, à adopter un budget de fonctionnement qui ne respecterait pas le petit équilibre. Il veut adapter les règles aux besoins.
La majorité de la commission est convaincue qu’une telle disposition n’est pas conforme à la Constitution vaudoise. Ni le Grand Conseil, et encore moins le Conseil d’Etat, ne sont habilités à y déroger, quelles que soient les circonstances. L’ouverture d’un débat constitutionnel créerait une situation d’incertitude peu souhaitable dans la situation actuelle. Le Conseil d’Etat dispose aujourd’hui des outils nécessaires à la gestion de la crise. Les cautèles, voulues par les constituants et par le peuple vaudois qui a approuvé notre loi fondamentale, ont précisément été instituées pour encadrer les situations difficiles. Certes, la vision des constituants n’est pas immuable, les temps et les situations peuvent évoluer, et il ne faut pas attendre qu’il soit trop tard pour réagir. Il est cependant beaucoup plus dangereux encore, aux yeux de la majorité de la commission, de permettre une dérogation volontaire, d’autant plus si celle-ci émane de l’auteur même du budget, soit le Conseil d’Etat. La proposition du motionnaire reviendrait, pour le Grand Conseil, à accorder un blanc-seing, certes temporaire, mais sans limites au Conseil d’Etat. La majorité des membres de la commission refuse clairement d’y souscrire. La Commission des finances vous recommande de ne pas prendre en considération cette motion, même transformée en postulat avec l’accord de son auteur, par 9 non, contre 5 oui, et 0 abstention.
La crise financière engendrée par la pandémie montre les limites de vouloir conditionner le budget de fonctionnement en faisant en sorte que les recettes couvrent les charges avant amortissements. Ce respect du petit équilibre budgétaire ne fait qu’accentuer les effets négatifs d’une crise. En cas de mauvais temps conjoncturel, les collectivités publiques doivent pouvoir mener une politique anticyclique. Il faut donc leur en donner les moyens et, par conséquent, surseoir à ce petit équilibre budgétaire. Au nom de la minorité de la Commission des finances, je vous invite à prendre en considération cette motion transformée en postulat.
La discussion est ouverte.
Comme d’autres avant moi dans cette journée consacrée au COVID, j’aimerais revenir sur l’historique de ce texte. Cette motion, transformée en postulat, est une idée née au cœur du premier confinement, qui a été déposée beaucoup plus tard, le 24 juin 2020, parce qu’elle a fait l’objet de discussions et de tractations avec pratiquement l’ensemble des groupes politiques, à un moment où nous ne savions pas précisément quel serait l’impact sur le budget 2021 de la pandémie, qui sortait alors de la première vague. Elle a ensuite été déposée juste avant la pause estivale et développée juste après ladite pause, en septembre, et comme l’a dit le rapporteur de majorité, elle a été traitée par la Commission des finances en novembre ; les rapports sont datés de la date du solstice d’hiver, le 21 décembre, à un moment où l’on savait désormais que le budget 2021 respecterait le petit équilibre, les ressources fiscales s’étant maintenues à un meilleur niveau que craint au moment de la première vague, bien que nous nous trouvions à ce moment-là en pleine deuxième vague. C’est dire que le contexte a fortement évolué entre le moment de la naissance de l’idée et de son dépôt — un moment d’incertitude absolue quant aux conséquences financières de la crise — et son traitement. Elles ont été traitées ensuite à un moment où les réponses concernant le budget 2021, notamment, étaient plutôt rassurantes. Aujourd’hui, les mesures prises contre la pandémie et leurs conséquences fêtent leur premier anniversaire. Par rapport à la problématique de départ, à savoir le financement ou non des mesures palliatives à la crise, où en sommes-nous ? Sur le plan épidémiologique, aujourd’hui même, les experts indiquent une possible reprise de la pandémie, avec la survenue possible d’une troisième vague. Personne ne sait s’ils ont raison. Par contre, je me borne à constater que, lors des deux premières vagues, leurs prédictions se sont révélées malheureusement exactes. Nous sommes de toute façon pris dans une course entre le déploiement de la vaccination, d’une part, et la propagation des nouveaux variants, d’autre part, course dont l’issue est encore incertaine à ce jour. La conséquence est que l’on sort d’un automne et d’un hiver de restrictions sanitaires et de fermetures. Compte tenu des incertitudes que je viens de citer, le printemps s’annonce pour le moins problématique. On espère que cela s’arrêtera au printemps.
Sur le plan fiscal, on retrouve ces incertitudes. La crise continue de coûter à l’Etat et il existe des risques d’une baisse significative des revenus fiscaux en 2021. Par ailleurs, au moment où je vous parle, nous ne connaissons pas encore l’état exact des comptes de l’exercice 2020. Nous nous trouvons donc, aujourd’hui, dans une situation assez similaire à celle qui prévalait au printemps dernier, à savoir une incertitude quant à la situation sanitaire, une incertitude quant à la situation financière, de fortes dépenses conjoncturelles liées à ces incertitudes et à la situation de crise que nous sommes en train de vivre, et une possible diminution des ressources également due à cette situation de crise. En ce sens, la question posée par la motion transformée en postulat reste complètement d’actualité — malheureusement, de nouveau d’actualité — et pertinente. S’il y a une chose que nous avons apprise lors des douze derniers mois, c’est bien que les situations exceptionnelles peuvent effectivement se produire. Il faut bien reconnaître que la Constitution de 2003 ne prend pas en compte la possibilité de la survenue de ces évènements. Ce n’est d’ailleurs pas une critique que je lui fais ; malgré un quart de siècle d’activité en politique, avant l’année 2020, je suis le premier à reconnaître que je n’aurais jamais envisagé la survenue d’évènements tels que ceux que l’on a vécus ces douze derniers mois. Je rappelle, à toutes fins utiles, que l’objet de cette motion transformée en postulat était de permettre une souplesse financière en cas de circonstances exceptionnelles susceptibles de provoquer des dépenses exceptionnelles en même temps qu’une baisse des rentrées fiscales exceptionnelle, dans le but de parer à l’urgence. Je rappelle que le mécanisme proposé est limité dans le temps, à un exercice, maximum deux. Il est donc de nature conjoncturel. Je rappelle par ailleurs que le mécanisme de frein à l’endettement n’est pas spécifiquement touché par le mécanisme proposé par la motion transformée en postulat. Cette dernière ne vise donc aucunement à modifier structurellement la manière dont nous établissons nos budgets, mais bien de faire face conjoncturellement à une explosion des dépenses et un effondrement de ressources dus à un événement exceptionnel — catastrophe naturelle, catastrophe d’origine humaine, état de guerre ou pandémie. Lorsque la maison brûle, on ne se pose pas la question de savoir si on a de quoi payer les pompiers ou l’eau nécessaire, on combat l’incendie. Cette motion transformée en postulat permet à l'Etat d’étudier la prise de décision financière exceptionnelle dans le cadre d’une situation qui ne l’est pas moins. Elle envisage de corriger un oubli de la constituante du début du siècle. Je vous invite donc à prendre ce postulat en considération et à le renvoyer au Conseil d’Etat.
Le groupe Ensemble à Gauche-POP est très favorable à la proposition de M. Dessemontet. On pense avec lui qu’en période de crise, il serait assez malvenu de faire primer l’équilibre budgétaire à tout prix sur toute autre considération, avec une interprétation rigide de la Constitution vaudoise. Au contraire, selon nous, la priorité est une intervention de l’Etat qui permette de faire face à la dégradation de la situation économique, sociale et sanitaire. Aujourd’hui, l’Etat de Vaud a une confortable réserve et n’a pratiquement aucune dette. Il serait donc un peu absurde de vouloir résorber d’éventuels déficits à marche forcée. Il y aura tout le temps d’éponger la dette, si déficit il doit y avoir en 2021 ou 2022, lorsque la pandémie sera surmontée et que la situation économique s’améliorera. Au contraire, des mesures d’économie trop brutales risqueraient d’aggraver la crise, comme on a pu le voir dans certains pays après la crise de 2008, lorsque des plans d’austérité n’ont fait qu’aggraver la récession et déclencher une sorte de cercle vicieux dont certains pays ont mis des années à se sortir. D’ailleurs, aujourd’hui, certains Etats, notamment voisins de la Suisse, ont tiré les leçons des erreurs qui ont été commises lors de la crise de 2008 et des années suivantes. Par exemple, le Parlement allemand, qui est pourtant à majorité conservatrice et d’ordinaire très attachée à l’orthodoxie budgétaire, a décidé de lever le frein à l’endettement, non seulement pour 2020 et 2021, mais aussi pour 2022. C’est un exemple qui doit nous faire réfléchir, dans le sens proposé par le postulat de notre collègue Dessemontet. C’est une proposition qui ne demande pas de fouler aux pieds la Constitution, mais bien de réfléchir à l’interpréter avec une certaine souplesse, puisque le droit n’est pas une science exacte. Il y a donc toujours une marge de manœuvre dans la manière dont on applique le droit constitutionnel, par exemple sur les rythmes avec lesquels seraient prises certaines mesures d’assainissement, il y a certainement une marge de manœuvre. Et pourquoi pas, dans le cadre d’un postulat, réfléchir à une éventuelle modification de la Constitution que les autorités vaudoises pourraient soumettre au vote du peuple. C’est toujours le peuple qui a le dernier mot dans ce genre de cas, mais si, manifestement, aucun dispositif n’est prévu dans la Constitution en cas de crise majeure, c’est peut-être qu’une modification de cette dernière est souhaitable. Ce n’est pas un tabou que d’y réfléchir et d’aller éventuellement dans ce sens.
Les Verts n’ont, à ce stade, pas d’idée toute faite sur la nécessité ou non de modifier la disposition constitutionnelle régissant une disposition sur le petit équilibre. Toutefois, les réalités qui ont permis aux constituants, il y a environ 20 ans, de prendre ces dispositions ne sont plus celles que nous connaissons. Les Verts seraient donc particulièrement intéressés à pouvoir débattre sur une analyse, une étude du Conseil d’Etat permettant de trancher et de lister les avantages, voire les inconvénients, d’une modification constitutionnelle qui s’inscrirait dans la crise que nous connaissons, et qui était totalement inconnue ainsi que l’a relevé M. Dessemontet. Dès lors, les Verts vous recommandent de soutenir cette motion transformée en postulat, afin que nous puissions en débattre en disposant de toutes les données nécessaires.
Je ne vous cache pas une antipathie profonde et viscérale pour ce texte. Quand on nous dit qu’on veut appliquer la Constitution avec souplesse, mais qu’en réalité, on veut tout simplement ne pas la respecter, j’ai les cheveux qui se dressent sur la tête et cela m’inquiète en tant que député, ancien constituant et juriste. Si on fait le serment de respecter la Constitution, y compris et surtout en période de crise, et que la première idée qui germe à l’esprit, c’est d’essayer de la modifier, je m’inquiète fortement pour notre démocratie. Les normes constitutionnelles ont comme particularité d’être les bases et les fondements de notre démocratie. Et c’est précisément en période de crise, en période de difficultés que nous devons être attachés à les respecter, car elles nous servent à la fois de gouvernail et de guide. Il y a un élément rassurant dans cette proposition, c’est que le temps qu’elle soit traitée et qu’on ait éventuellement une proposition, dans un sens ou dans un autre, je pense que l’on sera déjà sorti de cette pandémie depuis longtemps, même avec la vaccination à la « hâte-toi lentement » que nous connaissons. L’aspect dangereux de cette proposition, c’est qu’on n’en connait pas vraiment les limites. Aujourd’hui, on nous demande de suspendre le frein à l’endettement ; et demain ce sera quoi ? Il n’y a déjà plus de liberté de réunion, qui est une des libertés fondamentales de notre ordre constitutionnel ; la pandémie y a mis un frein. Il en est de même pour la liberté des commerces et de l’industrie, vu que l’on ferme les commerces et qu’on empêche des gens d’exercer leur activité, ou alors l’activité professionnelle est fortement perturbée par la pandémie, sous forme de télétravail ou autres. On ne joue pas avec des libertés fondamentales, on ne joue pas avec la Constitution. Cela ne se change pas du jour au lendemain, en fonction des circonstances, même s’il s’agit d’une pandémie.
J’aimerais rebondir sur l’appréciation adressée par M. Dessemontet tout à l’heure sur une éventuelle troisième vague. Il est vrai que, non seulement, c’est la mode des urgences — il n’y a pas un thème politique qui échappe à l’urgence, aujourd’hui — mais aussi celle des vagues : elles sont parfois de toutes les couleurs… et parfois elles sont pandémiques. Mais puisque j’ai la parole et que je jouis d’une certaine liberté de parole, je me permets de vous dire que je m’étonne vivement du fait que, dans ce pays, on veuille tout faire mieux que tout le monde, mais qu’on perde des semaines à valider des vaccins qui ont déjà été administrés à des dizaines de millions d’habitants sur cette planète sans aucun effet secondaire. C’est la question que l’on doit se poser : si la vaccination allait plus vite, nous serions déjà sortis d’affaire, nous verrions déjà la fin du tunnel et nous n’aurions pas besoin de traiter ce genre d’objet qui nous fait croire que la pandémie sera forcément longue, infinie, avec des conséquences inestimables, au point qu’il faille suspendre la Constitution. Dès lors, suspendre cet article de la Constitution, c’est finalement suspendre n’importe quel article de la Constitution ; nous n’en avons tout simplement pas le droit. Je m’oppose donc fermement à cette proposition.
Je vais aller dans le même sens que mon collègue Buffat. On ne peut pas suspendre l’application d’une règle constitutionnelle par voie de décret, même si cette possibilité devait être prévue dans la loi et même si cette mesure ne devait être que provisoire. M. Dessemontet relève que les mécanismes d’incitation à l’équilibre budgétaire et de frein à l’endettement, tels que prévus aux articles 163, 164 et 165 de notre Constitution, ne prennent pas en compte la possibilité de vivre des circonstances extraordinaires, mais c’est oublier l’article 125 de notre Constitution qui traite précisément de situations extraordinaires, disposition qui nous a d’ailleurs occupés en juin de l’année dernière lorsque nous, députés, avons ratifié la plupart des décrets pris dans l’urgence sanitaire par le Conseil d’Etat. Nous avons donc, dans cette Constitution, au-delà des mécanismes budgétaires précités, la possibilité de faire face à des circonstances extraordinaires. Je n’ai pas le souvenir que, lors des débats que nous avons eus, la problématique du respect du petit équilibre budgétaire est venu empêcher ni le Grand Conseil ni le Conseil d’Etat de prendre des mesures urgentes qui faisaient écho à des circonstances extraordinaires. Si M. Dessemontet entend s’en prendre au respect du petit équilibre — ne serait-ce que provisoirement, mais dans un esprit plus global, dans un esprit budgétaire, et en-dehors de toute circonstance extraordinaire — en bonne logique, il doit proposer une modification constitutionnelle. A défaut, c’est la Cour constitutionnelle qui sera saisie et elle a déjà du travail. Pour toutes ces raisons, je vous invite à suivre le rapport de la majorité de la commission et de ne pas prendre en considération cette motion, même transformée en postulat.
A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Ici, j’entends beaucoup parler de juridisme, de conventions, etc., mais je vous rappelle que Byzance était en train de parler du sexe des anges lorsqu’elle a été envahie. On en a déjà parlé, le canton se doit de faire une politique anticyclique devant les enjeux financiers qui nous attendent. Ainsi, réfléchir sur une conséquence d’une application plus souple du petit équilibre est le signe que le législatif est capable de faire preuve de responsabilité et non de dogmatisme, d’autant plus que le motionnaire a proposé de transformer sa motion en postulat. Dès lors, si vous êtes responsable, je vous enjoins à soutenir la prise en considération de ce postulat.
Je souhaite revenir sur certaines interventions de mes préopinants. Il me semble qu’il y a une confusion entre une situation d’exception et une situation de crise. Le mécanisme proposé ne l’est pas dans le cadre d’une crise, par exemple économique comme en 2008-2009, ni d’une période de difficultés, comme celle qu’on a connue au niveau budgétaire dans les années 90. J’ai clairement parlé d’une situation exceptionnelle, de la survenue d’un événement inopiné, imprévisible et de grande ampleur qui ne peut pas être comparé aux cycles conjoncturels que l’on connait dans nos économies depuis plusieurs siècles. Il est important de faire cette distinction. Je ne propose pas, par le biais de ce texte, un mécanisme qui permette par exemple au Conseil d’Etat de déroger au petit équilibre en cas de crise économique conjoncturelle, mais bien dans le cas de la survenue d’un événement d’une autre ampleur. C’est mon interprétation de ce qu’il s’est passé cette dernière année : nous sommes dans un événement d’une telle ampleur.
On a de nouveau dit que ce texte voulait suspendre le frein à l’endettement ; c’est à nouveau faux. Lisez le texte : il dit spécifiquement que le frein à l’endettement, le mécanisme prévu par la Constitution, n’est pas affecté par ce texte. Cela signifie que si les comptes révèlent que le petit équilibre n’est pas maintenu, toute la machine se met en branle, comme c’est prévu dans la Constitution. C’est uniquement au niveau du budget, du respect du petit équilibre, que ce texte… J’entends que l’on puisse être opposé à ce texte, mais j’aimerais qu’on le soit sur la base de ce qui est écrit et non sur la base de ce qui est imaginé ou fantasmé par les uns ou les autres.
Par ailleurs, je rappelle que j’ai transformé cette motion en postulat, ce qui enlève tout mandat impératif au Conseil d’Etat. Je lui demande simplement d’étudier la possibilité, cas échéant, de mettre en place un mécanisme, qui pourrait notamment se faire par une modification constitutionnelle. Dans ce pays, chaque année, on modifie nos textes constitutionnels. Ils ne sont pas gravés dans le marbre. Il y a une procédure qui doit être respectée et, après 12 mois de pandémie, nous sommes dans un contexte assez différent de celui qui a présidé le dépôt de ce texte, en juin dernier, où nous étions vraiment au tout début de la pandémie et où nous pouvions penser qu’il y avait une clause d’urgence. L’urgence n’est peut-être plus aussi importante. En revanche, l’idée que ce Parlement puisse décider du changement de la Constitution et le soumettre devant le corps électoral n’a rien de révolutionnaire. On le fait tout le temps dans ce pays.
Enfin, pour reprendre les propos du député Masson sur l’article 125 de la Constitution, je me réjouis d’entendre l’interprétation du Conseil d’Etat sur cet article : s’il permet au Conseil d’Etat de déroger au petit équilibre budgétaire, je reconnaitrais volontiers que mon postulat est sans objet, s’il ne le permet pas, la situation reste exactement la même.
Le petit équilibre, ce sont les recettes qui doivent couvrir les dépenses, une fois les amortissements déduits. Il doit être respecté quoi qu’il arrive, et même si les politiques publiques doivent être mises au rebut. C’est le fameux frein à l’endettement inscrit dans la Constitution. Cet article constitutionnel considère qu’une collectivité publique se gère comme un ménage privé, hors investissements et remboursements que notre groupe politique a combattus il y a 20 ans et qui continuera à le faire, monsieur Buffat. Nous estimons qu’une collectivité publique ne se gère pas comme un ménage privé, particulièrement en période de crise sanitaire, écologique ou économique. Certes, M. Dessemontet ne propose malheureusement pas une initiative constitutionnelle qui viserait à réviser les articles 164 et 165. Il l’a dit et répété : il considère que la situation actuelle est exceptionnelle, qu’elle n’est pas structurelle, mais conjoncturelle. Dès lors, il considère que son texte n’est pas anticonstitutionnel. J’imagine bien que M. le constituant Buffat, en 2003, lorsqu’il était jeune et beau — il l’est toujours aujourd’hui — lorsqu’il a écrit et voté cette Constitution avait à l’esprit toutes les possibilités que notre canton pourrait rencontrer dans les 100 prochaines années et qu’une situation telle que nous la vivons aujourd’hui ne pourrait jamais arriver. Aujourd’hui, M. Dessemontet propose, par voie de motion transformée en postulat, d’étudier la possibilité pour l’Etat d’être un peu plus souple avec ce petit équilibre, eu égard à la pandémie de COVID et à la difficulté, pour les personnes physiques et morales, de respecter leurs obligations fiscales — en résumé d’être heureuses de payer leurs impôts — en même temps que les collectivités publiques doivent et devront continuer à augmenter leurs services à la population. La motion transformée en postulat de notre collègue Dessemontet n’est rien d’autre qu’un retour rapide et temporaire du bon sens dans un carcan constitutionnel qui n’a aucun sens en période de pandémie. Comme l’a dit notre collègue Buclin, nous soutiendrons le renvoi de cette motion transformée en postulat au Conseil d’Etat. Nous vous invitons à en faire de même.
On peut parler, comme l’a dit M. Mischler, de théorie, mais parlons peut-être de pragmatisme et de pratique. Je rappelle que le budget d’exploitation du canton de Vaud 2021 est déficitaire, pour la première fois depuis 15 ans, d’un montant de 163 millions de francs — c’est beaucoup d’argent — et ce, dans le respect de la Constitution et du petit équilibre. Tout cela, afin de permettre à notre canton de pouvoir subvenir aux besoins de notre population. On a pu le faire en 2021, en vivant ce qu’on vit depuis une année. On va laisser arriver les comptes 2020. Je rappelle que le budget, ce sont l’exploitation et les charges, les charges qui deviennent pérennes sur une année. Monsieur Dessemontet, je vous ai posé la question en commission et vous la pose à nouveau : comment allez-vous faire pour enlever des charges pérennes dans deux ou trois ans ? J’ai la réponse : en augmentant les impôts. Dites franchement au peuple vaudois ce qu’est votre proposition. Si on doit investir pour la situation que nous vivons aujourd’hui, on a toujours la possibilité de le faire par des investissements, qui ne touchent pas l’exploitation et les produits. C’est ce qui avait été proposé, notamment par mon collègue Buffat, en disant « investissons 200 millions dans l’économie ». On a pu le faire, pour une grande partie, avec les résultats 2019. On verra ce qu’il se passe dans le cadre des résultats 2020. Mais pour ma part, monsieur Dessemontet, je ne veux pas de votre proposition et je refuserai votre motion transformée en postulat.
Monsieur Dessemontet, vous avez dit que, quand la maison brûle, on appelle les pompiers, même si on n’a pas l’argent pour les payer. Je vais vous apprendre quelque chose, mais dans le canton de Vaud, lorsque la maison brûle, les pompiers qui vont intervenir pour circonscrire le sinistre seront payés par l’Etablissement cantonal d’assurance (ECA) et non par le propriétaire. Dans notre canton, assurer son bien immobilier auprès de l’ECA est obligatoire.
Pour le petit équilibre qui a été mis en place par les constituants et accepté par le peuple vaudois, c’est la même chose. Lorsqu’un événement inattendu frappe les finances cantonales, grâce à cette mesure prise et mise en place, cela a permis de garder des finances saines durant les années fastes et cela permettra à nos finances d’assumer une situation plus compliquée. Comprenez qu’on ne peut pas changer les règles du jeu en cours de route, sinon les joueurs vont à coup sûr déserter la partie. Je vous invite donc à refuser clairement cette motion, même si elle est transformée en postulat.
Vous venez de discuter d’une taxe corona, qui est davantage un impôt qu’une taxe. Mais monsieur Dessemontet, l’article 165 n’est rien d’autre que de poser la question au peuple : « Voulez-vous plus d’impôts ou moins de prestations ? » C’est cela votre crainte ? Ceux qui ont soutenu la taxe corona, il y a quelques instants, sont en totale contradiction. Vous aimez les impôts à la hausse pour assommer les riches, mais en même temps vous ne vous posez pas de questions sur le financement des prestations. Pourquoi avoir peur de l’article 165 ? Qu’est-ce qui vous pose problème, monsieur Dessemontet ? Je ne comprends pas… L’article 165 demande : « Voulez-vous augmenter les impôts ou maitriser vos dépenses ? » ; ce n’est rien d’autre que cela. Je pense donc que ce texte est très malvenu. Il faut laisser les choses se faire ; la crise va prendre beaucoup de temps. Dans 10 ans encore, on parlera de traces comptables dans les finances publiques et privées, puisque le national souhaite étendre les pertes sur 10 ans — c’est une idée, même si je préfère régler cela tout de suite plutôt que d’étaler les choses sur une longue période. Les prêts ont été étalés, les pertes sont discutées. Dès lors, en 2030, on aura encore des traces corona dans le cadre des bouclements des comptes. Pourquoi, aujourd’hui, avoir peur de poser la question au peuple : « Voulez-vous augmenter les impôts ou non ? » Le peuple choisira. Ce débat est plus que prématuré.
Je rappelle que le Conseil d’Etat a présenté un projet de budget, avec une certaine maitrise des dépenses et une croissance des dépenses. Ensuite, le Conseil d’Etat, dans le cadre d’une politique anticyclique, a maintenu un budget d’investissements très élevé. J’encourage toutes celles et ceux, dans cette salle, qui peuvent agir pour accélérer les investissements à le faire, parce que je constate qu’à chaque fois que le Conseil d’Etat veut dépenser une somme pour soutenir l’économie — je parle de la construction en particulier — une kyrielle d’oppositions viennent les unes après les autres pour dire qu’un gymnase fait du bruit et dérange, que les enfants sont ennuyeux. On verra… Si on peut investir, c’est aussi un soutien qui s’inscrit dans la notion de politique anticyclique des articles 161 et suivants de la Constitution.
Pour toutes ces raisons, je crois que cette idée était prématurée, qu’on ne joue pas avec la Constitution comme on peut jouer avec des lois ; la Constitution est à manier avec prudence. Quand on demande au peuple de pouvoir lever quelques articles, il faut être conscient que, forcément, des gens demanderont l’avis de la Cour constitutionnelle ; cela créera des blocages. Entre le Conseil d’Etat et le Parlement, on a trouvé un modus vivendi depuis de nombreuses années sur une planification financière, sur nos budgets, sur nos comptes, sur des projets d’envergure. Je relève en particulier la question qui touche aux baisses fiscales, qui ont été calibrées avec intelligence, autant pour la classe moyenne que pour le tissu économique de ce canton qui s’est développé, qui a créé d’autres rentrées fiscales intéressantes. Dans ce texte, on dit « sous l’ère de la pandémie », mais je ne sais pas ce qu’il va se passer durablement. Si on ferme les frontières, il est clair qu’il y aura d’autres difficultés, mais pour l’heure, on n’en est pas là. On essaie de maitriser la crise et, au niveau du canton, je crois que cela se passe plutôt bien, puisqu’on trouve des solutions en matière sanitaire, en matière économique, en matière d’ouverture, on utilise les marges de manœuvre. Travaillons ensemble : le Parlement et le gouvernement. Et évitons de tout s’envoyer à la figure. D’ailleurs les premières propositions dans ce texte étaient plutôt là pour crisper et cadrer. Mieux vaut laisser ce dossier au repos et continuer à travailler main dans la main, nos institutions, le Parlement, le gouvernement et l’ensemble de la population vaudoise, pour trouver des mesures qui sont dans l’intérêt général de ce canton. Je vous encourage à suivre la majorité de la commission.
Interpellé par M. le conseiller d’Etat, je m’excuse d’intervenir après lui pour lui répondre. Il me demande ce que je reproche et de quoi j’ai peur avec l’article 165 de la Constitution. C’est extraordinaire ! Je le répète pour la troisième fois aujourd’hui : je ne touche pas à l’article 165 de la Constitution, qui est l’article sur l’assainissement financier. Mon texte concernait les deux chiffres précédents de la Constitution, soit le petit équilibre, mais pas le frein à l’endettement.
M. Berthoud m’a demandé ce que nous ferions si cela durait plus longtemps qu’une année ou deux. J’ai bien parlé ici d’un texte qui est censé répondre à une crise exceptionnelle, un état d’exception qui est conjoncturel et donc limité dans le temps. On peut tous espérer que la période pandémique que nous vivons s’éteigne dans les prochains mois. Si c’est bel et bien le cas, on peut espérer un redémarrage économique qui aura la forme qu’il devra avoir, mais il ne faut pas que l’on se retrouve dans une situation de déséquilibre budgétaire aggravé pendant une période de plusieurs années, qui tomberait d’ailleurs sous le coup de l’article 165 de la Constitution qui, je le répète, n’est pas attaqué par ce texte.
Enfin, pour répondre très brièvement à M. Chevalley, j’ai utilisé l’image de la maison qui brûle, j’aurais pu en utiliser une autre. Il fallait prendre mes propos davantage comme une allusion que comme un cas précis.
Monsieur Dessemontet, il ne faut pas jouer sur les mots. Vous touchez implicitement au dispositif des articles 161 et suivants. La proposition qui est faite s’inscrit dans cette logique. Je vais vous lire les articles, puisque vous voulez jouer sur les mots. On ne m’accusera pas d’en lire qu’une partie. « Un budget déficitaire doit avoir une majorité qualifiée », c’est clair. « Le Conseil d’Etat, à ses articles 163 et suivants, peut mener une politique anticyclique », c’est ce que nous faisons. Je vais faire un résumé du tout. A l’article 164, « Dans le budget de fonctionnement, les recettes doivent dans tous les cas couvrir les charges avant amortissements. » Cela veut dire, monsieur Dessemontet, que vous touchez au frein à l’endettement, puisque vous dérogez… On parle de fiscalité. Je ne sais pas ce que vous avez voté sur la taxe corona, cela m’est égal, mais vous ne pouvez pas simplement regarder ce qui vous intéresse dans le financement des mécanismes d’un Etat démocratique. La fiscalité s’inscrit comme moyen de financement, prélevé sur la création de richesses, dans la dynamique d’une communauté. On ne peut pas dire « on va s’occuper des impôts », puisque si le petit équilibre n’était pas atteint, le gouvernement devrait venir soit avec des hausses d’impôts de fait, soit avec des baisses de prestations. A un moment donné, le Conseil d’Etat dit « on tombe dans les articles constitutionnels ». Dès lors, la question devient implicite : dans les 6 mois, elle est posée au peuple. On n’en est pas là aujourd’hui. Le Conseil d’Etat essaie de trouver des solutions. Il travaille avec les enveloppes qu’il a, avec une marge de manœuvre créée grâce à l’assainissement de la dette, qui est un poison quand elle dépasse certains niveaux. Que cela plaise ou pas, c’est une problématique dangereuse : la dette est dangereuse quand elle dépasse un certain niveau, qui est une finance des prestations courantes de l’Etat. Il faut lire l’ensemble des articles : quand on touche un article, c’est l’ensemble du dispositif qui se met en branle. Dans tous les cas de figure, le Conseil d’Etat doit présenter un budget qui garantit le petit équilibre et trouver une majorité qualifiée au niveau du Grand Conseil. C’est ce que nous avons fait en 2020 pour le projet de budget 2021. Ce que nous espérons, si cela se passe correctement et que l’on décrispe les blocages que nous avons aujourd’hui — en principe, en été, nous devrions retrouver une vie plus normale et naturelle — nous pourrons résorber le chômage, puisqu’il a principalement augmenté avec les blocages menés sur les secteurs économiques. On devrait donc retrouver un semblant d’équilibre. Et dans le cadre de la planification financière, dont vous avez pris acte en décembre dernier pour les périodes 2022-2025, on est toujours en train de naviguer, mais toute chose restant égale, avec le déficit certes, mais toujours proche du petit équilibre. Il n’y a donc pas besoin de venir aujourd’hui avec des modifications qui génèrent des tensions entre vous sur la question constitutionnelle. Je vous encourage à suivre le rapport de la majorité de la Commission des finances.
Retour à l'ordre du jourLa discussion est close.
Le Grand Conseil refuse la prise en considération de la motion par 75 voix 55 et 3 abstentions.