23_INT_30 - Interpellation Thanh-My Tran-Nhu et consorts au nom Groupe socialiste - La Conseillère d'Etat Valérie Dittli cherche-t-elle encore son domicile fiscal ? (Développement).

Séance du Grand Conseil du mardi 14 mars 2023, point 7 de l'ordre du jour

Texte déposé

Le 3 mars 2023, sur l’émission radio Forum de la RTS, on apprenait que la Cheffe du Département des finances et de l’agriculture (DFA) ne disposait d’aucun domicile fiscal dans le canton de Vaud avant l’année 2022 alors qu’elle y réside depuis 2016, hormis en 2021 lors des élections communales à Lausanne, où elle était candidate tant à la Municipalité qu’au Conseil communal. N’ayant pas été élue, elle a relocalisé sa résidence principale dans la commune d’Oberägeri, à Zoug. En outre, elle a travaillé en tant qu’assistante-doctorante en droit à l’Université de Lausanne pendant quatre ans et a repris la présidence du PDC en 2020.

 

Conformément à l’art. 1 al. 1 du Règlement fixant la rémunération des assistants à l’Université de Lausanne (RRA‑UL), le salaire annuel en première année débute à CHF 65’000.-. En outre, le taux d’engagement est au minimum à 60% (art. 16 al. 1 du Règlement sur les assistants à l’Université de Lausanne).

 

Interrogée par la journaliste, la Conseillère d’Etat a expliqué avoir travaillé en tant qu’assistante-doctorante en droit à 50% entre 2016 et 2020 et qu’elle avait réalisé sa thèse chez elle. Pour le 50% restant, elle aurait travaillé sur un projet FNS (Fonds national suisse) ce qui l’a poussée à se rendre « beaucoup » à la bibliothèque de Zürich et passer du temps avec sa mère, éducatrice sociale. Elle a ajouté qu’elle avait également un engagement à Zoug au sein d’une guggenmusik. Pour toutes ces raisons, elle a considéré que son centre de vie était à Zoug durant cette période.

 

A la question de savoir pourquoi elle avait redéplacé son domicile à Zoug après les élections communales de 2021, la Cheffe du DFA a répondu qu’elle avait été élue à la présidence du PDC Vaud, à la suite du conseil de sa sœur qui lui avait demandé « d’aller voir ce qui se passait au PDC vaudois ». Au printemps 2021, elle a commencé son stage d’avocate dans le canton de Berne. Elle a considéré que son avenir était « complètement ouvert » et comme l’été arrivait, elle allait aider dans la ferme de son père.

 

Or, questionnée par le journal Blick en janvier 2022, la Conseillère d’Etat a indiqué qu’elle habitait à Lausanne depuis 8 ans[1]. Même constat dans les colonnes du 24heures du 8 mai 2021[2]. En outre, interviewée par l’Illustré le 4 mars 2022[3], la Cheffe du DFA a déclaré habiter sous-gare et être une « bobo lausannoise ». On y apprend également qu’elle a rencontré à l’Université de Lausanne son compagnon, avec lequel elle est en couple depuis 2019.

 

Par ailleurs, dans son portrait effectué par La Télé[4], elle a déclaré : « Je suis venue à Lausanne il y a bientôt 10 ans pour mes études et je ne suis jamais repartie car j’adore cette ville. ».

 

Enfin, sur le site de l’Etat de Vaud[5], on peut y lire que la Conseillère d’Etat est tombée amoureuse du canton de Vaud et qu’elle a posé ses nouvelles racines tantôt au centre-ville de Lausanne, tantôt dans les zones foraines. Par ailleurs, on y apprend qu’elle a présidé la section vaudoise des Jeunes démocrates-chrétiens avant de reprendre la présidence du parti vaudois en 2020.

 

A teneur de l’art. 3 LI, les personnes physiques sont assujetties à l’impôt à raison de leur rattachement personnel lorsque, au regard du droit fiscal, elles sont domiciliées ou séjournent dans le canton (al. 1). Une personne a son domicile dans le canton, au regard du droit fiscal, lorsqu’elle y réside avec l’intention de s’y établir durablement ou lorsqu’elle y a un domicile légal spécial en vertu du droit fédéral (al. 2).

 

Les personnes physiques domiciliées dans le canton, au regard du droit fiscal, doivent l’impôt au lieu de leur domicile (art. 18 LI).

 

Selon la jurisprudence constante, l’imposition du revenu et de la fortune mobilière d’une personne revient au canton où cette personne a son domicile fiscal. On entend par là en principe le domicile civil, c’est-à-dire le lieu où la personne réside avec l’intention de s’y établir durablement (art. 23 al. 1 CC) et où se situe le centre de ses intérêts. Le lieu où la personne assujettie a le centre de ses intérêts personnels se détermine en fonction de l’ensemble des circonstances objectives, et non des déclarations de la personne ; dans cette mesure, il n’est pas possible de choisir librement un domicile fiscal (ATF 139 I 29 consid. 4.1, 131 I 145 consid. 4.1).

 

S’agissant des contribuables de moins de 30 ans, la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal a considéré à deux reprises que les personnes concernées avaient leur lieu de résidence habituelle dans le canton de Vaud, et ce malgré leur retour hebdomadaire dans un autre canton (CDAP FI.2007.0160 du 29 octobre 2008 et FI.2018.0162 du 26 mars 2019).

 

Le Tribunal cantonal a rappelé l’interprétation restrictive du renversement de la présomption selon laquelle l’activité lucrative déployée au lieu du travail où réside le célibataire pendant la semaine constitue son domicile. Celle-ci peut être renversée si le contribuable rentre au moins une fois par semaine au lieu de résidence de sa famille en raison de rapports particulièrement étroits avec celle-ci ainsi que d'autres relations personnelles et sociales (CDAP FI.2007.0160 du 29 octobre 2008 consid. 3). Cette appréciation restrictive prend justement en compte la situation réelle : les impôts directs ont pour justification et pour objectif de couvrir les dépenses générales engagées par la collectivité pour ceux qui en font partie. Or, des personnes célibataires sollicitent en général les infrastructures publiques et les prestations de la collectivité de manière plus intense au lieu où elles exercent leur activité lucrative et séjournent la majeure partie de la semaine qu'à l'endroit où elles passent leur temps libre (ATF 125 I 54 consid. 2b/cc).

 

En règle générale, malgré un retour hebdomadaire régulier au lieu où réside la famille, l'activité lucrative exercée au lieu du travail, le cas échéant compte tenu des relations personnelles et sociales à cet endroit, l'emporte par rapport aux relations à l'autre lieu, notamment en raison de l'investissement demandé par la profession, si le contribuable dispose de son propre logement au lieu de son travail, qu'il y vit en concubinage ou sous une autre forme de partenariat, ou qu'il y entretient un cercle d'amis et de connaissances appréciable, lorsqu'il est personnellement et économiquement autonome (TF 2P.212/2002 du 19 mai 2003 consid. 3).

 

En outre, dans un arrêt du 24 juin 2011 (FI.2011.007) la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal a estimé qu’un assistant à l’Université de Lausanne avait créé son domicile, déterminant au plan fiscal, dans le canton de Vaud.

 

Par ailleurs, dans le cas où une contribuable avait déclaré être active dans plusieurs sociétés locales, telles qu’un ski‑club et une guggenmusik en Valais, le Tribunal administratif a considéré que cet aspect n’était pas suffisant pour retenir que ses centres d’intérêts se situaient dans ledit canton (TA GE2005.0047 du 26 août 2005 consid. 5).

 

On peut tirer de la jurisprudence plusieurs enseignements. Premièrement, le contribuable n’est pas libre de choisir son domicile fiscal, qui se détermine objectivement, au centre de ses intérêts personnels. Deuxièmement, un contribuable célibataire doit être taxé au lieu où il réside durant la semaine, où il loue un appartement et à partir duquel il se rend chaque jour à son travail. C’est d’autant plus le cas lorsque ce contribuable vit une relation de concubinage stable.

 

Enfin, il faut relever la différence notable du taux d’imposition entre le canton de Vaud et celui de Zoug. La RTS a estimé que la Conseillère d’Etat Valérie Dittli aurait économisé environ CHF 20'000.-.

 

Ainsi, nous avons l’honneur de poser les questions suivantes au Conseil d’Etat :

 

  1. L’Administration cantonale des impôts (ACI) estime-t-elle conforme au droit la domiciliation fiscale de la Conseillère d’Etat Valérie Dittli entre 2016 et 2022 au vu de la jurisprudence exposée ci-dessus ?
  2. L’ACI a-t-elle ouvert une procédure pour déterminer le domicile fiscal de la Cheffe du DFA avec ou sans envoi du questionnaire relatif à la détermination du domicile fiscal ?
  3. Comment l’ACI justifie-t-elle que, pour l’année 2021, il n’y ait pas de taxation dans le canton de Vaud, malgré le déplacement de domicile de la Conseillère d’Etat Valérie Dittli ?
  4. L’ACI estime-t-elle que la Cheffe du DFA a enfreint les dispositions pénales des art. 241 et ss LI ?
  5. Si un manquement devait être constaté par l’ACI, une procédure de rappel d’impôt (art. 207 et ss LI) va‑t‑elle être entreprise ?
  6. Quelle somme aurait perçu l’ACI en cas d’assujettissement fiscal dans le canton de Vaud de la Conseillère d’Etat Valérie Dittli ?
  7. Le Conseil d’Etat prévoit-il de demander une expertise indépendante afin de vérifier la légalité de la situation fiscale de la Ministre Valérie Dittli ?

 

[1] https://www.blick.ch/fr/news/suisse/interview-de-valerie-dittli-je-nai-pas-a-juger-la-candidature-de-michael-buffat-id17133761.html

[2] https://www.24heures.ch/valerie-dittli-la-zougoise-qui-secoue-le-centre-vaud-857271873070

[3] https://www.illustre.ch/magazine/valerie-dittli-une-zougoise-elue-au-conseil-detat-vaudois

[4] https://elections-communales.latele.ch/candidat/lausanne/valerie-dittli

[5] https://www.vd.ch/toutes-les-autorites/departements/departement-des-finances-et-de-lagriculture-dfa/cheffe-de-departement

Conclusion

Souhaite développer

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Cendrine CachemailleSOC
Cédric RotenSOC
Romain PilloudSOC
Julien EggenbergerSOC
Pierre DessemontetSOC
Jean TschoppSOC
Monique RyfSOC
Oriane SarrasinSOC
Sébastien CalaSOC
Alexandre DémétriadèsSOC
Muriel ThalmannSOC

Documents

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
Mme Thanh-My Tran-Nhu (SOC) —

Le 3 mars dernier, j’apprenais avec un certain effarement par l’émission Forum de la RTS que la conseillère d’Etat, Mme Valérie Dittli, n’avait jamais été imposée à Lausanne, ayant conservé ses papiers à Zoug. Le lendemain – hasard du calendrier – le Lausanne Hockey Club (LHC) se faisait sèchement « sortir » du championnat par Zoug, sur un 5 à 0. Vous imaginez bien que la Lausannoise que je suis a passé un week-end un peu groggy. Entre le moment du dépôt de l’interpellation et son développement aujourd’hui, le dossier a considérablement évolué, tant la presse nous a appris certains détails certes croustillants, mais très éloignés des questions fiscales que je pose.

Pour en revenir à l’interpellation, il est important de rappeler que l’on ne choisit pas son domicile fiscal, même si l’on « se cherche » encore à l’aube de la trentaine. La population est en droit de savoir comment se positionne l’Administration cantonale des impôts (ACI) sur le cas d’une contribuable qui a déplacé son domicile au gré de ses convenances électoralistes, et de savoir si un rappel d’impôt doit être effectué. Dans les faits, nous avions une contribuable qui, outre le fait qu’elle se targuait d’être amoureuse de Lausanne, y travaillait, y reprenait la présidence d’un parti cantonal et y entretenait une relation stable avec son compagnon. Tous ces critères nous permettent de douter du fait que le centre de ses intérêts était dans le canton de Zoug. Je suis très contente d’apprendre que le Conseil d’Etat a rapidement annoncé la mise en œuvre d’une expertise fiscale indépendante qui permettra de faire la lumière sur toutes ces interrogations. C’est la preuve que le Conseil d’Etat a pris très au sérieux la problématique de la domiciliation fiscale de la cheffe du département des finances. Cela d’autant plus qu’il est très curieux que nous ayons, en parallèle, appris l’existence d’une expertise privée dont on ne sait sur quels éléments elle s’est fondée.

Mme Séverine Evéquoz (VER) — Président-e

L’interpellation est renvoyée au Conseil d’Etat qui y répondra dans un délai de trois mois.

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