21_LEG_240 - EMPD sur la création d’un fonds permettant l’exercice du droit de préemption de l’Etat au sens de la loi du 10 mai 2016 sur la préservation et la promotion du parc locatif (LPPPL) (3e débat) (Vote final) (Majorité absolue requise).
Séance du Grand Conseil du mardi 20 août 2024, point 8 de l'ordre du jour
Documents
- TM3 (21_leg_240) après 2e débat au GC
- Texte adopté par CE - EMPD création d'un fonds droit de préemption - LPPPL - publié
- Rapport de minorité de la commission - RC min 21_LEG_240 - Philippe Miauton
- Rapport de majorité de la commission - RC maj 21_LEG_240 - Pierre Zwahlen
Transcriptions
Visionner le débat de ce point à l'ordre du jourLe débat est repris.
La discussion générale est ouverte.
Le logement est une question de politique publique au cœur des préoccupations des Vaudoises et des Vaudois. Face à la pénurie de logements qui frappe l'essentiel de notre canton et à la charge des loyers élevés qui pèse lourdement sur le budget des ménages, les attentes sont logiquement élevées. Cela ne date pas d'hier. Je le rappelle : la Loi sur la préservation et la promotion du parc locatif (LPPPL) est née de l’initiative « Stop à la pénurie de logements » lancée par l'Association suisse des locataires (ASLOCA) en 2011. Cette initiative prévoyait un droit d'expropriation communal et cantonal ainsi qu'un investissement massif en faveur de logements abordables. La première version du contre-projet incluait un droit d'emption. Finalement, après plusieurs allers-retours, la population s'est prononcée sur la LPPPL avec un droit de préemption, en la soutenant largement.
Aujourd'hui, à la fin du troisième débat, c’est un constat d’échec : nous sommes bien loin des attentes populaires de 2011 et 2017. Le projet initial du Conseil d'Etat, déjà peu ambitieux, a été démantelé par la droite de ce Parlement. A force d'amendements et d'ajout de multiples cautèles, tel le passage par la Commission des finances (COFIN), le PLR et l'UDC ont rendu ce projet de décret inapplicable. Ce fonds de préemption, qui aurait dû être un outil efficace pour intervenir ponctuellement sur le marché immobilier et favoriser un accès abordable aux logements, est devenu une coquille vide. Rendre inutile le fonds de préemption revient à ignorer la volonté populaire, les problématiques de logement dans notre canton et les 2/3 de locataires qui subissent les effets d'un marché immobilier spéculatif. La population attend des actions concrètes. Or, le décret que nous avons sous les yeux n’est assurément pas à la hauteur des enjeux actuels.
Le groupe socialiste refuse de cautionner une chimère qui n'a d’autre objectif que de faire croire à la concrétisation d'un fonds de préemption tout en garantissant son inefficacité. Nous nous opposerons donc au décret lors du vote final.
M. Cala a déjà exprimé l'essentiel, qui est aussi la position du groupe Ensemble à Gauche et POP. Nous déplorons amèrement que la majorité de droite du Grand Conseil ne prenne pas la mesure des difficultés rencontrées par les locataires et de la nécessité d'y répondre par une politique conséquente de soutien à la construction de logements d'utilité publique (LUP).
En effet, le décret issu des débats du Grand Conseil ne permettra pas d'exercer une réelle influence sur le marché cantonal du logement. Non seulement le montant prévu est bien trop faible, mais les complications introduites dans la procédure rendent ce décret presque inapplicable. Le délai de 20 jours, bien trop bref, rend impossible l’accomplissement de la procédure nécessaire pour activer le droit de préemption.
On peut d'ailleurs sérieusement douter de la volonté du Conseil d'Etat d'utiliser ce fonds, même de manière minimale. Au fond, la majorité de droite du Conseil d'Etat et du Grand Conseil se livre à une opération de façade visant à donner une suite purement formelle à la LPPPL, sans réelle intention d'influencer le marché du logement en faveur des locataires ni d'exercer, même une seule fois par législature, le droit de préemption. En fin de compte, la priorité de la majorité semble de maintenir la plus grande part possible des logements du canton entre des mains privées au mépris de la majorité des personnes de ce canton, qui ne sont pas assez fortunées pour acquérir un logement. Désormais, en effet, une proportion toujours plus faible de la population dispose d’une fortune et de fonds propres suffisants pour cela.
Finalement, le déni démocratique est frappant compte tenu du large soutien qu’avait reçu la LPPPL et le principe du droit de préemption en votation. Il est regrettable que l’on ne tienne pas compte de ce soutien populaire dans les débats actuels. Pour toutes ces raisons, notre groupe votera également contre ce décret lors du vote final.
Pour rappel, il nous avait déjà fallu trois séances de commission pour examiner ce texte, pourtant assez simple. Ensuite, au cours de très longs débats en plénum, de nombreux amendements ont continué le détricotage systématique du décret. J'avoue ma difficulté à comprendre la logique de la droite durant les débats. En effet, d’un côté, elle n'a cessé de marteler que le décret ne changerait rien à la création de logements d’utilité publique (LUP) et ne servirait à rien, mais de l’autre, elle a déployé des efforts considérables pour en limiter l’effet au maximum. Cela de la part de personnes qui ne cessent de prôner l'agilité de l'Etat s’agissant des comptes... Je peine à percevoir la cohérence de leur action qui a conduit à multiplier les séances de commission et à rendre les débats interminables.
En réalité, la mécanique proposée est d'une grande complexité, avec de multiples cautèles. Le décret est presque inapplicable, comme cela a été souligné. On a donc créé une structure d'une complexité effarante, dont l'activation nécessitera des mises sous pression pour des pseudo-urgences des services de l'Etat, du Conseil d'Etat et de la COFIN, pour un sujet qui aurait pu et dû être traité simplement et sereinement.
En commission, les Vertes et les Verts avaient soutenu ce décret dans l’idée que, malgré tout, il fallait que les communes puissent céder leur droit de préemption à l’État. Toutefois, finalement, les Vertes et les Verts ne soutiendront pas un décret qui sert seulement à prétendre que l’État fait sa part en créant un fonds pour soutenir la préemption, alors que dans les faits, celui-ci ne sera jamais utilisé. La population vaudoise a besoin de logements à loyer abordable, y compris des logements pour les seniors et les étudiants, mais la politique proposée ici ne répond pas à ce besoin. Nous encourageons les communes qui envisagent d’utiliser leur droit de préemption à se doter d’un fonds à cet effet en attendant que le Conseil d’État propose un décret plus applicable.
La majorité de la commission ne reconnaît plus la version du texte qu'elle a proposée. Les votes en plénière ont tellement altéré le décret que la création de LUP, via le droit de préemption du canton, sera désormais rare et, surtout, incertaine. Je rappelle mes intérêts à trois titres : responsable cantonal de l’ASLOCA Vaud, administrateur de la deuxième coopérative d'utilité publique du canton et propriétaire d'une parcelle construite et préemptable.
Certes, la loi prévoit un droit de préemption subsidiaire à celui des communes, mais les municipalités se garderont de transférer leur droit à l'Etat, avec un décret qui impose des conditions aussi restrictives. En effet, seuls 2 millions sont accordés dans le cadre de ce décret, au lieu des 40 initialement proposés. Cette enveloppe permettra au mieux l’acquisition de trois ou quatre petits terrains ou immeubles par législature en fonction des valeurs préemptées, d’après l'expérience des communes de 2020 jusqu'à présent.
La majorité du Grand Conseil a voulu ouvrir la porte aux investisseurs privés et à des rendements profitables, ce qui suscite des doutes quant à la possibilité de garantir des loyers réellement abordables pour des futurs LUP. De plus, la COFIN devra être saisie dans un délai de 20 jours, un point sur lequel je reviendrai. Enfin, la Commission d'évaluation, composée de huit membres, est déséquilibrée. En effet, seul-e un-e membre proviendra de l'un des trois départements de la minorité du Conseil d'Etat. Très peu de terrains et d'immeubles seront préemptés dans ces conditions.
Face à la pénurie croissante de logements, la majorité du Grand Conseil a brisé un outil important en faveur des LUP qu'accordait pourtant la loi. Le délai de 20 jours est bien trop court pour mener à bien la procédure de préemption dans de bonnes conditions. Si une commune transfère son droit de préemption à l'Etat, une convocation sera envoyée le deuxième jour, dans le meilleur des cas, au propriétaire et à l'acquéreur pour une audition par la Commission d'évaluation. Il faudra ensuite une semaine pour que ces deux personnes puissent répondre à la convocation. Ainsi, il faudra neuf jours avant qu'une audition ait lieu et qu’un préavis soit émis par la Commission d'évaluation. Ensuite, le dossier sera transmis au Conseil d'Etat. Cela nous amènera au moins au 15e jour pour une décision du Conseil d'Etat. Le dossier devra encore être transmis à la COFIN qui n’aura que deux à trois jours pour se prononcer dans le cadre d'un débat qui sera sans doute houleux et sous pression, surtout si l'acquéreur et le propriétaire ont eu le temps d’exprimer leurs contre-arguments.
En résumé, le décret issu de nos trois débats ne permettra pas au canton d'agir efficacement contre la pénurie de logements et en faveur de la classe moyenne et des petits revenus. A ce titre, ce décret ne mérite pas nos voix. Nous rejetterons donc ce texte et amènerons d'autres propositions afin que chacune et chacun puisse dans notre canton disposer d'un toit sans se ruiner.
Les propos du rapporteur de majorité me font réagir. La question de la LPPPL, comme je l'avais souligné au début des débats, suscite des échanges toujours vifs. Certains regrettent que la commission ne reconnaisse pas le travail accompli en son sein : pourtant, il est usuel, dans les travaux du Grand Conseil, que des amendements déposés en commission soient acceptés en plénum. Certains prétendent que tout a été détricoté : toutefois, en examinant les différents aspects votés tels les objectifs de la loi, le retour aux 20 millions initialement prévus par le Conseil d'État et l'ajout de membres à la Commission d’évaluation, il est clair que rien ne contredit les objectifs de la loi. Par ailleurs, il est discutable de juger la composition de la Commission d'évaluation sur la base de la représentativité des départements minoritaires ou majoritaires, car cela impliquerait de réévaluer les commissions à chaque début de législature pour refléter les équilibres politiques.
Concernant la COFIN, nous avons longuement discuté des aspects liés au calendrier. Cependant, il est essentiel de considérer l'élément de gouvernance. Le Grand Conseil par l’entremise des membres de la COFIN, tout comme les membres du Conseil d'État, seront amenés à se prononcer dans des délais, certes courts, mais comparables à ceux du Conseil d'État. Je ne vois pas pourquoi les débats au sein de la COFIN seraient plus houleux qu'au Conseil d'État, étant donné ces délais. Il me semble que c'est un principe de bonne gouvernance et de contrôle que les élus, dans un esprit de subsidiarité, participent également à la décision.
Ensuite, concernant les règles sur l'assainissement, je ne pense pas que ces éléments doivent être remis en question. Enfin, le fait que les biens soient accessibles à des investisseurs privés et publics ne modifie pas le prix des LUP ni leur création. Cela permet simplement une ouverture plus large. Nous avons constaté que dans de nombreuses communes, les interprétations peuvent poser problème, tant en ce qui concerne le respect du droit et des lois que des marchés qui sont faits par les autorités locales.
Ainsi, bien que certains aspects liés à la COFIN puissent susciter des critiques, cela ne remet pas en cause le principe de la loi, qui vise à créer des LUP de qualité et d’importance. C’est exactement ce que la loi prévoit. Par conséquent, étant donné la large majorité obtenue sur la plupart des amendements, je vous invite à soutenir ce décret. En effet, en cas de vide juridique, la situation va perdurer et le canton ne pourra pas répondre adéquatement aux demandes des communes.
J’aimerais rappeler mes intérêts en tant que membre du conseil d'administration d'une société immobilière et président d'une fondation d'utilité publique.
Un philosophe disait que ce n’est pas parce que l’on peut tout dire que l’on peut forcément tout entendre. Je me contenterai donc de revenir sur deux éléments évoqués par le rapporteur de majorité, qui me semblent contraires au bon sens dans le contexte de nos débats.
Premièrement, concernant l'ampleur du projet : chers collègues, durant les débats, je n'ai cessé d'attirer votre attention sur les travaux qui avaient guidé la LPPPL et sur le fait que le droit de préemption subsidiaire du canton de Vaud devait se mettre en pratique pour des projets d'une certaine ampleur. Vous avez refusé d'entendre cette opinion, pourtant fondée sur la volonté du législateur. Je peux le concevoir, parce qu’une loi est faite pour évoluer. Toutefois, ne vous plaignez pas aujourd'hui en affirmant que le projet a été quelque peu « ratatiné ». En réalité, c'est tout le contraire : avec une enveloppe de 20 millions, pour des possibilités de projets de quatre LUP, cela fait environ 5 millions par LUP. Il y a donc amplement de quoi faire, en tenant compte de la subsidiarité du droit de préemption cantonal.
Il y a pire. En effet, je ne peux pas vous laisser dire que permettre la cession à des acteurs privés – qui peuvent être des coopératives ou des fondations − mettrait en péril les loyers abordables. D’où tirez-vous cette idée ? Au cours du débat, nous avons sans cesse rappelé que l’une des conditions élémentaires – vous ne pouvez pas la nier, car elle est inscrite dans la loi, mais il faut la lire ! – est que le droit de préemption ne peut être exercé que pour des LUP, soumis à la LPPPL. Cela n'a donc strictement rien à voir avec le sujet du débat.
Finalement, contrairement à ce que vous semblez suggérer, chers collègues, le droit de préemption subsidiaire cantonal ne pourra pas, à lui seul, soutenir les communes ni résoudre la crise du logement cantonal. Cela n’a jamais été exprimé ni par le Conseil d'Etat, ni par le législateur de la LPPPL. D'autres mesures doivent être instaurées dans le cadre de l'aménagement du territoire pour répondre plus efficacement à la pénurie de logements. Comme l’a rappelé Mme la conseillère d'Etat, il manquait 1000 logements dans le canton en 2023 et il en manquera vraisemblablement 1500 en 2024. C’est sur cette politique qu’il faut se concentrer. A l’instar du rapporteur de la minorité, je vous invite donc à accepter ce projet, qui a fait l'objet de débats durant lesquels certains ont gagné et d'autres perdu. Il s’agit d'un compromis à la vaudoise, conforme à nos mœurs politiques.
Le groupe UDC est satisfait des modifications apportées. Elles ne nous semblent ne pas aller trop loin, laissant au Conseil d'Etat une marge de manœuvre adaptée. En ce sens, le groupe UDC soutiendra ce projet.
A mon tour, je vous invite à soutenir ce projet. Bien que cette version ne soit pas celle qui a été adoptée par le Conseil d'Etat, il est prioritaire d’avancer. En effet, une première mouture avait été soumise au Parlement dans le cadre du budget 2021. Aujourd’hui, il s'agit de mettre en place une base légale permettant d'utiliser le droit de préemption étatique, quitte à ce qu’à la suite des expériences qui seront réalisées, nous puissions évaluer l’efficacité de ce droit en fonction des décisions prises aujourd'hui. Cette situation serait préférable à un vide juridique qui, comme cela a été souligné tout à l'heure, empêcherait l'exercice de ce droit. Je le répète : c’est la deuxième fois que ce projet est mis en discussion. Il s’agit de doter le Conseil d'Etat d'un outil pour avancer.
Le droit de préemption de l'Etat par rapport au droit de préemption des communes, respectivement aux autres outils liés à la politique du logement, est un outil sectoriel et subsidiaire. Permettez-moi de répéter à quel point il est essentiel pour le Conseil d'Etat de progresser concernant les questions de politique du logement, avec l'ensemble des acteurs concernés. Lorsque nous parlons de logement, les débats sont extrêmement polarisés. Cette polarisation est problématique lorsqu'il s'agit de questions ancrées dans la réalité comme celle que j'ai déjà évoquée au cours du débat ; à savoir, il faudrait environ 5000 logements nouveaux par année, alors qu’ils se montent à 4000. Chaque année, nous avons un déficit de construction de logements, notamment de LUP. A ce titre, une collaboration est nécessaire entre les milieux des promoteurs, des locataires, institutionnels et privés. Il est faux d’opposer les différentes parties prenantes, parce que nous avons toutes et tous le même objectif : offrir des logements accessibles à l'ensemble de la population et conformes à ses attentes.
Une première table ronde organisée par le Conseil d'Etat ce printemps a réuni l'ensemble des organisations et partenaires liés à la construction de logements du canton pour discuter à la fois de la quantité et de la qualité de logements, ainsi que de leur typologie. Une deuxième table ronde est prévue cet automne. Il faudra des participants de bonne volonté, car le droit de préemption reste une mesure clivante. D'autres sujets devront être abordés, notamment les procédures de la loi sur l'aménagement du territoire, et l'équilibre à trouver entre la construction de logements et la préservation du patrimoine bâti, des terrains agricoles, de la biodiversité, de l'énergie, etc. Si tout le monde s'accorde sur la nécessité de construire davantage, il faudra faire preuve de cohérence lorsque viendra le moment d'évaluer ces différents intérêts. Il en sera de même pour la sensibilisation de la population à la densification, un sujet crucial, d'autant qu'aujourd'hui, de nombreux projets n'obtiennent pas l'adhésion de la population.
Je me réjouis de constater que l'augmentation du parc de logements et du parc locatif dans le canton est un objectif prioritaire pour l'ensemble du Parlement. Cela nous sera d'une grande aide lorsque nous devrons aborder la question de la densification avec la population vaudoise.
La discussion est close.
Le projet de décret est adopté définitivement par 82 voix contre 59.
Je demande un vote nominal.
Retour à l'ordre du jourCette demande est appuyée par au moins 20 membres.
Celles et ceux qui acceptent le projet de décret votent oui ; celles et ceux qui le refusent votent non. Les abstentions sont possibles.
*Introduire le vote nominal
Au vote nominal, le projet de décret est adopté définitivement par 82 voix contre 61.