LEG_678004 - Exposé des motifs et projet de décret instituant des mesures de soutien à la diversité des médias et Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur le postulat Valérie Induni et consorts – Pour un vrai soutien à la presse et aux médias (17_POS_238) (190) (2e débat).

Séance du Grand Conseil du mardi 12 janvier 2021, point 8 de l'ordre du jour

Documents

Transcriptions

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

Il est passé à la discussion du projet de décret, article par article, en deuxième débat.

Mme Anne Baehler Bech — Rapporteur-trice

Je demande au Grand Conseil de confirmer ses votes du premier débat.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

Les articles 1 et 2 sont acceptés tels qu’admis en premier débat à l’unanimité.

Art. 3.

M. Alexandre Berthoud (PLR) —

Je souhaite déposer un amendement qui consiste en un nouvel alinéa 1bis qui indique que les mesures de soutien prévues à l’article 3, alinéa 1, sont réservées aux bénéficiaires ne distribuant aucun dividende, y compris dans le cadre d’un groupe. La proposition vient aussi de la discussion que nous avons eue au mois de décembre, notamment dans le cadre des aides accordées par le Conseil d’Etat — et plus précisément d’un amendement de notre collègue Buclin. Il s’agissait d’un élément de création de valeur dans le cadre du fonds destiné à l’industrie. Nous savons que, dans le cadre des prêts COVID, il s’agit de prêts et non pas de subventions, aucun dividende ne doit donc être versé. A titre personnel, je pense que lorsqu’on accorde une subvention avec des montants aussi conséquents, on pourrait également demander que les journaux qui pourront bénéficier d’argent public ne distribuent aucun dividende. C’est pour cette raison que je dépose l’amendement suivant :

« Art. 3.Al. 1bis (nouveau) : Les mesures de soutien prévues à l’article 3, alinéa 1, sont réservées aux bénéficiaires ne distribuant aucun dividende y compris dans le cadre d’un groupe. »

M. Vassilis Venizelos —

Je remercie notre collègue Berthoud pour son amendement, mais à ce stade, il est un peu difficile d’évaluer les conséquences d’un tel amendement. A chaud, j’aurais envie de dire que l’on cible précisément des grands groupes du type Tamedia, par conséquent certains journaux que nous connaissons bien et qui couvrent notre actualité de façon régulière et avec professionnalisme. Cela voudrait dire que l’on exclurait un soutien pour ce type de groupe. Il y a probablement d’autres titres qui seraient impactés. J’aimerais que notre collègue Berthoud nous explique précisément quels titres il cible avec son amendement. Je comprends bien le principe de ce dernier — l’esprit est tout à fait défendable — mais j’ai de la peine à évaluer, d’une part, les intentions de notre collègue Berthoud et, d’autre part, les conséquences d’un tel amendement. M. Berthoud va probablement développer ses intentions et Mme la conseillère d’Etat sera certainement en mesure de nous apporter des précisions quant aux conséquences de cet amendement. Néanmoins, à ce stade et compte tenu des effets difficiles à évaluer, je suis un peu sceptique sur l’opportunité de soutenir cette proposition.

M. Alexandre Berthoud (PLR) —

Mes intentions ont été développées dans le cadre de mon intervention et du développement de cet amendement. Par ailleurs, je n’ai pas ciblé de titre en particulier. Lorsque notre collègue Buclin a proposé un amendement dans le cadre du Fonds à l’industrie, personne n’était ciblé. Il s’agit d’une proposition d’amendement qui précise que nous allons soutenir les titres qui ne distribuent pas de dividendes à leurs actionnaires. Cela permettra peut-être de faire une redistribution sur des titres qui ont réellement besoin de cet argent. En effet, lorsque l’on distribue des dividendes, cela veut dire que l’on a de la substance et, quand on a de la substance, cela veut dire que l’on fait du bénéfice. Nous sommes dans le cadre d’un exposé des motifs et projet de décret d’aide à la presse et je pense qu’il est important d’aider la presse qui en a besoin. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé cet amendement.

Je trouve cocasse que notre collègue Venizelos me demande quels titres sont visés. Lorsque notre collègue Buclin a déposé un amendement semblable, en décembre dernier, ce genre de questions n’a pas eu lieu.

Mme Valérie Induni (SOC) —

Je crois qu’il faut remettre cet exposé des motifs et projet de décret à la place qui est la sienne : il contient des mesures qui sortent — à part l’amendement de M. Mahaim — de la situation liée au COVID. Il s’agit d’une aide à la presse avec des actions qui ne sont pas forcément directement financières. Je pense notamment à la proposition de mettre en place un kiosque numérique. En effet, on imagine mal un kiosque numérique qui ne contiendrait aucun journal émanant d’un groupe qui dégage des bénéfices. J’ai l’impression que l’on mélange un peu les différents fonds d’aides que nous avons accordés ces derniers temps dans le cadre du COVID et cette aide à la presse. Il s’agit d’une aide à la presse très généraliste pour laquelle les mesures préconisées par cet amendement ne font pas sens. Encore une fois, il n’y a pas que des aides financières : il y a par exemple la prise en charge d’un stagiaire ou la mise en place du kiosque numérique. Je ne vois pas comment on pourrait exclure le quotidien 24heures du kiosque numérique, parce qu’il fait partie d’un groupe qui redistribue peut-être des dividendes à ses actionnaires. Nous sommes ici dans quelque chose de beaucoup plus large que les aides liées au COVID. Dans ce cadre, je pense que l’amendement qui nous est proposé n’est pas acceptable en l’état.

M. Alexandre Berthoud (PLR) —

Je ne pense pas que nous ne pourrions pas subventionner un kiosque numérique, parce que dans le cadre d’un kiosque numérique, il n’y aura pas de versements de dividendes. Il s’agira de quelque chose de collectif. Je rappelle que, dans les mesures de soutien, il y a aussi des insertions d’annonces payantes, des achats d’espaces publicitaires et d’appui à la communication. Il y a aussi des soutiens complémentaires et des mesures qui ont été édictées par la Confédération. J’aimerais que ces mesures de soutien — qui, dans le fond, sont des subventions — puissent être accordées à des sociétés qui ne distribuent pas de dividendes, donc qui ne font pas de bénéfices. Encore une fois, lorsqu’on fait des bénéfices, on distribue des dividendes. Je rappelle qu’il s’agit d’un projet de décret qui institue des mesures de soutien à la diversité des médias ; c’est une aide à la presse et je souhaite que cette aide aille aux titres qui en ont réellement besoin. A ce titre, je pense que cet amendement mérite d’être accepté.

M. Marc-Olivier Buffat (PLR) —

Il me paraît utile de préciser que l’on peut faire du bénéfice, mais ne pas distribuer de dividendes. Notre collègue Alexandre Berthoud a raison de le dire, si l’on distribue des dividendes, c’est que l’on a fait un bénéfice. C’est évident ! Néanmoins, l’inverse n’est pas forcément vrai : une société peut être profitable, mais ses actionnaires peuvent décider d’affecter le bénéfice à du réinvestissement, à de la formation, plutôt que de distribuer des dividendes. Notre collègue Berthoud ne propose pas une chasse aux bénéfices, son amendement ne se limite donc pas aux sociétés qui auraient des difficultés. Il s’agit simplement de ne pas accorder des aides publiques à des sociétés qui préfèrent distribuer des dividendes, plutôt que d’investir dans l’avenir, dans la formation ou dans le maintien du tissu économique ou professionnel. Dans cette optique, il me semble que la proposition de M. Berthoud doit être soutenue et approuvée.

M. Nicolas Mattenberger (SOC) —

Je voulais aussi dire qu’une société peut très bien faire des bénéfices sans distribuer de dividendes. Néanmoins, j’ai un peu de peine à suivre cette proposition d’amendement. Dans d’autres débats, je me rappelle que la droite — notamment M. Volet — disait que, dans le cadre de petites sociétés, les dividendes pouvaient constituer une sorte de salaire pour l’administrateur. Dans le cadre qui nous occupe, je pense à des petits journaux qui prendraient la forme d’une Sàrl ou d’une SA, des petits journaux dont l’administrateur — qui pourrait être le rédacteur en chef — percevrait justement une partie de son salaire à travers des dividendes. M. Volet avait aussi expliqué que cela permettait de payer des impôts. Sur un plan dogmatique, j’ai donc un peu de peine à comprendre pourquoi on veut introduire une telle restriction s’agissant de la presse.

Comme je le disais tout à l’heure, on peut très bien faire des bénéfices sans distribuer de dividendes. Dans quel sens allons-nous pousser ? Il faudrait aussi contrôler la hauteur des salaires qui pourraient être distribués. Au lieu de distribuer des dividendes, le directeur pourrait s’attribuer un plus gros salaire. Encore une fois, j’ai de la peine à comprendre la finalité de cet amendement. Je pense qu’il faudrait examiner la situation au cas par cas et ne pas partir sur des éléments purement dogmatiques qui postuleraient que, s’il y a distribution d’un petit bénéfice pour l’un des actionnaires — peut-être pour lui permettre de vivre, parce qu’il n’a pas un gros revenu — ces aides ne seraient pas accordées. Je vous propose donc de rejeter cet amendement.

M. Jérôme Christen —

Il est vrai que l’on s’attendait plutôt à ce qu’un tel amendement vienne de la gauche, mais il est venu de la droite. Pour nous, la couleur politique importe peu : c’est le fond qui compte. Nous soutiendrons donc évidemment cet amendement qui semble couler de source.

M. Alexandre Berthoud (PLR) —

Dans le débat que nous avons tenu il y a moins d’un mois, notre collègue Volet défendait le Fonds à l’industrie, mais il s’agissait de création de valeur, avec des montants de soutien relativement faibles. Il s’agissait d’un soutien au Fonds à l’industrie pour la nouvelle économie. Aujourd’hui, nous ne sommes pas du tout dans le même cas.

Effectivement, les salaires peuvent être augmentés, mais j’ai du mal à suivre le raisonnement de notre collègue Mattenberger. A vrai dire, je me rappelle que, lors du vote, il avait soutenu — comme son groupe — l’amendement de notre collègue Buclin qui proposait de ne pas mettre de dividendes dans ce fonds à l’industrie. Aujourd’hui, il s’agit exactement du même contexte. L’idée est d’allouer l’argent là où il y en a besoin. Selon moi, un administrateur peut tout à fait augmenter son salaire, ce n’est pas ce que nous demandons — le bénéfice restant dans la société. Nous parlons de distribution de dividendes aux actionnaires. Cela n’empêchera pas de continuer à former des journalistes. Au contraire, je pense que c’est une bonne nouvelle. Par ailleurs, cela permettra d’utiliser cet argent public pour des titres qui ont réellement besoin d’être aidés. Je vous propose donc d’accepter cet amendement.

M. Pierre Volet (PLR) —

Ce que j’avais dit, lors d’un débat précédent, c’est que certaines personnes peuvent racheter leur propre entreprise avec les dividendes. Pour moi, un petit journal qui compte trois ou quatre personnes qui y travaillent et qui sont en même temps actionnaires, ce n’est pas la même chose qu’un grand groupe avec des directeurs qui touchent des salaires décidés par le conseil d’administration et qui distribue des dividendes à des actionnaires qui peuvent être en Espagne, au Portugal ou je ne sais où. Je ne vois pas pourquoi il faudrait accorder des subsides à des journaux qui distribueraient des dividendes à des gens qui ne travaillent pas dans l’entreprise, des gens qui n’amènent pas de plus-value et qui jouent simplement avec l’argent. Il ne s’agit pas du tout de la même chose. Aider les petits journaux locaux, oui ; mais aider les grands groupes, non.

Mme Jessica Jaccoud (SOC) —

J’interviens dans le cadre de l’amendement déposé par M. Berthoud pour vous faire part de ma position. Vous savez quelle est la position du groupe socialiste et qu’elle a été la mienne lors des nombreux débats que nous avons eus s’agissant du groupe dont nous parlons. Je crois qu’il faut avoir l’honnêteté de nommer un chat un chat, lorsque nous avons eu des discussions concernant Tamedia, concernant les différentes restructurations que ce groupe a effectuées dans ses titres, lorsque nous avons eu des discussions sur le sort réservé aux « 41 du Matin », vous vous rappelez que nos positions étaient très fortes à l’encontre de Tamedia et que nous avons pleinement soutenu les actions du Conseil d’Etat allant dans ce sens. Néanmoins, aujourd’hui, il ne s’agit pas de refaire la guerre des titres et la guerre des groupes. En effet, le décret qui vous est proposé présente de nombreuses mesures de soutien. Dans cet article 3, alinéa 1, il y a plusieurs lettres allant de a. à h. qui décrivent ces aides. Ces mesures de soutien ne se limitent pas à des annonces dans la presse ou à de l’argent du contribuable qui serait versé à des titres qui distribuent ensuite des dividendes. Ce décret est un projet global, y compris de renforcement de la citoyenneté par l’accès à de l’information contrôlée et de qualité pour les jeunes de notre canton. Ce décret vise également à soutenir les dépêches d’agences. C’est bien dans cette direction que nous allons. C’est pour cela que, lorsque j’entends M. Berthoud défendre son amendement, j’ai de la peine à comprendre pourquoi la mesure citée à la lettre c. — le soutien à la formation des journalistes — ne pourrait pas être destinée à un titre qui fait partie d’un groupe qui distribue des dividendes. De la même manière, je ne comprends pas pourquoi la mesure prévue à la lettre d. — le soutien à la production de contenus journalistiques d’actualité (dépêches d’agences) — ne pourrait pas être destinée à des titres qui appartiennent à des groupes qui distribuent des dividendes. Comme l’a dit Mme Induni précédemment, je ne comprends pas non plus pourquoi — lorsque notre canton sera amené à créer ce kiosque virtuel, avec des facilités d’abonnements pour les jeunes pour renforcer la citoyenneté et l’accès aux médias, dans le cadre de ces mesures qui visent un intérêt public prépondérant — il n’y aurait pas de titres appartenant à des groupes qui distribuent des dividendes.

Aujourd’hui, j’ai le sentiment que nous perdons un peu de vue l’objectif principal de ce décret. Bien que nous ayons l’occasion de le traiter alors que nous sommes en pleine pandémie et que nous discutons de plans de relance et de plans de mesures directes destinées à un certain nombre de secteurs, le décret qui vous est proposé aujourd’hui ne s’inscrit pas dans ce cadre, puisqu’il date déjà de plus d’une année. Il s’inscrit dans un temps beaucoup plus long et dans une réflexion beaucoup plus profonde. C’est la raison pour laquelle, à mon sens, l’amendement de M. Berthoud éloignerait ce décret de son but premier. Cet amendement ferait perdre du sens à l’action qui nous est proposée aujourd’hui par le Conseil d’Etat. Je pense, au contraire, que c’est une manière tout à fait habile de détourner le projet initial du Conseil d’Etat du but poursuivi, avec des arguments à la mode qui sont utilisés dans d’autres débats en lien avec la crise. Aujourd’hui, si le groupe PLR ne veut pas soutenir le paquet d’aides à la presse, qu’il le dise de manière plus claire et ne tente pas de venir avec des amendements de ce type afin que nous puissions avoir un débat honnête. Pour toutes ces raisons, je vous encourage à refuser l’amendement de M. Berthoud.

M. Marc Vuilleumier (EP) —

Cela a été dit, lors des récents débats sur les aides COVID, notamment les aides à l’industrie, notre collègue Buclin avait fait des propositions pour que ces aides ne soient pas versées à des entreprises qui verseraient des dividendes. Cette proposition a bien sûr été balayée, nous avons donc de la peine à comprendre pourquoi le PLR vient aujourd’hui avec une proposition similaire concernant la presse. J’y vois plutôt quelques chicaneries entre un parti politique et tel ou tel média. C’est la raison pour laquelle nous ne soutiendrons pas cette proposition d’amendement.

M. Alexandre Berthoud (PLR) —

Monsieur Vuilleumier, à aucun moment je n’ai parlé de chicaneries… Pour moi, l’amendement de notre collègue Buclin était en lien avec le Fonds à l’industrie. Avec les prêts COVID, à chaque fois qu’une entreprise a touché au maximum 10 % de son chiffre d’affaires, qu’elle a obtenu un prêt, elle ne peut pas distribuer de dividendes ou alors elle doit rembourser son prêt. Il ne s’agit pas de chicaneries, je dis simplement que, lorsqu’on parlait de création de valeur — que mon collègue Volet et moi-même avons défendue — vous étiez d’accord et vous avez déposé un amendement pour ne pas accepter les dividendes. Dans le cas présent, alors qu’il s’agit d’argent public, d’une subvention à fonds perdu, vous n’y êtes pas favorables. Je trouve cela un peu contradictoire. Monsieur Vuilleumier, je ne comprends pas très bien la logique de votre parti.

Madame Jaccoud, à aucun moment nous n’avons parlé de ne pas soutenir la presse. J’étais membre de la commission et il est vrai que, entre le moment où nous avons eu ce débat et aujourd’hui, j’ai mené une réflexion. Je pense maintenant qu’il est important de dire que cet argent public doit aller aux bons endroits et au bon moment. Certes, il y aura peut-être une distribution différente. Je pense que si nous mettons en place un kiosque numérique, il n’y aura pas de versement direct à un titre ou à un groupe qui verse des dividendes. Ce kiosque serait sans doute créé avec une entité qui permet de le faire. A aucun moment le groupe PLR a souhaité ne pas soutenir la presse. Au contraire, nous voulons soutenir la presse qui en a besoin. Chers collègues de gauche, je vous demande de vous rappeler de votre vote du mois de décembre.

Mme Valérie Induni (SOC) —

Je répète ce que j’ai dit précédemment : je crois qu’il y a une confusion entre une aide directe pour les cas de rigueur dans le cadre du COVID et une aide indirecte de soutien à la presse en tant que nouvelle politique publique et qui a comme titre « soutien à la diversité des médias ». En citant ces deux phrases, je crois que l’on comprend bien qu’il s’agit de deux logiques totalement différentes d’utilisation de l’argent public. Dans le fonds de soutien à la diversité des médias, il y a énormément d’aides indirectes. Peut-être que certains titres font partie de groupes qui versent des dividendes à leurs actionnaires, mais beaucoup de petits journaux sont regroupés sous des titres de presse — avec un financement qui ne vient pas forcément de ces titres — qui versent peut-être des dividendes. L’ATS et Keystone versent peut-être des dividendes. Nous sommes en train de vider complètement toute l’aide indirecte à la presse avec cet amendement. C’est la raison pour laquelle je m’y oppose.

Par ailleurs, je rappelle que nous ne sommes pas dans une situation d’aides directes en lien avec le COVID, comme pour les cas de rigueur. Nous sommes dans une nouvelle politique publique. J’espère que vous en tiendrez compte, parce que, dans le cas contraire, nous risquons finalement d’avoir un magnifique article 3 qui sera une coquille vide.

M. Gérard Mojon (PLR) —

La plupart des institutions qui bénéficient de subventions de ce canton ne doivent pas faire de bénéfice. Si elles font du bénéfice, elles doivent rembourser une partie de la subvention qu’elles ont reçue. Dans ce sens, je comprends la proposition de mon collègue Berthoud. Par analogie à des institutions sans but lucratif qui doivent rembourser l’Etat dans certains cas, je pense qu’il est logique que l’on demande que les titres aidés ne distribuent pas de dividendes, surtout si ces derniers partent à des gens qui ne sont pas directement des travailleurs du titre en question.

M. Pierre Volet (PLR) —

On voit que Mme Induni n’a jamais travaillé dans une société ou qu’elle ne connaît absolument rien au commerce. (Rires.) Je m’excuse, mais dans une petite entreprise — qu’il s’agisse d’une entreprise de presse, de construction, de maçonnerie ou d’électricité — à la fin de l’année, si l’année a été bonne, il y a deux solutions : si vous êtes patron et en même temps actionnaire de votre entreprise, vous choisissez un complément de salaire ou un dividende. Cela ne change rien : si vous prenez un complément de salaire, vous n’avez pas besoin de prendre de dividende. Si vous voulez prendre un dividende, vous prenez un dividende. Dans les grandes sociétés, cela n’a rien à voir : il y a des employés, il y a des directeurs, des gens qui travaillent et le financement est fait par des actionnaires qui, parfois, ne travaillent même pas dans l’entreprise. A la fin de l’année, si ces petits journaux veulent pouvoir toucher un subside, ils choisiront un complément de salaire plutôt qu’un dividende. Selon moi, les grands groupes n’ont pas le droit aux subsides. Lorsque vous avez un petit commerce, vous méritez qu’on vous aide. Si vous êtes la Migros ou la Coop, si vous gagnez des milliards, il n’y a aucune raison que l’on vous donne de l’argent. Si je ne me trompe pas, M. Blocher est propriétaire de journaux, si ces derniers versent des dividendes à leurs actionnaires, vous n’allez tout de même pas les aider… Si je fais des bénéfices, si mon entreprise marche bien, je n’ai pas besoin d’aide. Je fais de la formation, parce que j’en ai besoin, parce que c’est mon travail, mais je n’ai pas besoin d’aide étatique pour cela. Aider les petits oui, mais pas les grands trusts qui versent des dividendes à des actionnaires à l’extérieur du pays.

M. Vassilis Venizelos —

Sur le principe, l’amendement de M. Berthoud a un caractère séduisant, mais je crois qu’il y a effectivement une énorme confusion et Mme Induni a raison de le rappeler. Initialement, ce décret proposait un programme sur cinq ans visant à soutenir différentes actions pour favoriser la diversité de la presse. Il ne s’agit pas d’un crédit COVID ou d’une aide aux journalistes qui ont particulièrement souffert de la crise sanitaire, il s’agit d’une stratégie, sur le moyen terme, qui permettra de renforcer la diversité de la presse.

Si M. Berthoud était venu avec cet amendement à l’article 4bis, tel qu’il a été amendé par notre Parlement la semaine dernière, j’aurais pu entrer en matière à titre personnel. A l’article 4bis, on parle vraiment d’aides directes, de crédits COVID qui font référence au 1,2 million qui a déjà été versé par le Conseil d’Etat en avril de l’année dernière. A cet article, cela aurait fait du sens, parce que l’on parle d’aides directes. Avec cet amendement, en tout cas à l’endroit où M. Berthoud propose de le placer, c’est l’ensemble du programme qui est ciblé : pas seulement les aides directes, mais aussi les aides indirectes. A titre personnel, j’aurai beaucoup de peine à soutenir cet amendement, parce que je pense qu’en l’acceptant, nous risquons de condamner l’ensemble du programme. J’invite M. Berthoud à réévaluer le positionnement de son amendement, éventuellement à le proposer à l’article 4bis tel qu’il a été voté en premier débat. A cet endroit, cela ferait plus de sens, parce qu’il y aurait une condition à une aide directe COVID. D’après le développement de M. Berthoud, j’ai l’impression que c’est précisément ce qu’il souhaite faire. Il ne souhaite pas remettre en cause la stratégie des aides indirectes proposées par le Conseil d’Etat. Dans ce cas, nous pourrions éventuellement discuter du soutien à son amendement.

Par ailleurs, j’émets quelques doutes sur l’applicabilité d’un tel dispositif. Les journaux sont souvent liés à des grands groupes, des holdings composées de plusieurs entreprises. Comment va-t-on vérifier que des dividendes n’ont pas été versés ? Faudra-t-il se tourner vers l’éditeur, vers le propriétaire ? Va-t-on analyser les parts dans les capitaux ? Tous ces éléments vont probablement nécessiter énormément d’efforts et vont compliquer la mise en œuvre d’un tel dispositif.

En résumé, je pense que même si l’intention est louable, l’amendement ne figure pas au bon endroit ; il serait mieux placé à un endroit qui cible les aides directes. Dans ce cas, nous pourrions mener un autre débat. Par ailleurs, en termes d’applicabilité, je pense qu’il y a quelques clarifications à apporter.

M. Alexandre Berthoud (PLR) —

L’amendement de M. Venizelos qui sera probablement développé d’ici quelques minutes dit : « les mesures de soutien sont réservées en priorité aux médias appliquant les conditions équivalentes d’une CCT. » Si je comprends bien, dans le cadre des conditions équivalentes d’une convention collective de travail (CCT), on peut accepter que ces mesures de soutien — définies à l’article 3 — soient appliquées. Cela ne pose pas de problème, mais quand on parle de distribution de dividendes, on ne peut pas réserver ces mesures de soutien aux groupes ou aux titres qui ne distribuent pas de dividendes. Excusez-moi, mais j’ai de la peine à comprendre pourquoi on pourrait le faire d’un côté, mais pas de l’autre.

J’aimerais également rappeler à notre collègue Venizelos que si on peut faire, dans le cadre des crédits COVID, des règles précises qui disent non aux distributions de dividendes ou si on distribue des dividendes, les crédits COVID doivent être remboursés, cela me semble très facile de le faire ici aussi.

Un dernier argument : je rappelle à mes collègues que le dividende est imposé à 70 %, alors que les revenus et les salaires sont imposés à 100 %. Je me rappelle aussi du débat que nous avons mené il y a quelques mois : vous étiez favorables à arrêter de distribuer des dividendes à 70 % d’imposition.

M. Vassilis Venizelos —

J’ai l’impression que l’on entre dans un débat dogmatique et je trouve cela un peu regrettable. Selon moi, ce genre d’amendement devrait d’ailleurs être discuté en commission. Tout d’abord, vous faites référence à un amendement que je n’ai jamais déposé. On peut parler des différents échanges de courriels qu’il y a entre les chefs de groupe avant les séances plénières, mais si vous évoquez un amendement qui n’a jamais été discuté dans ce plénum — et qui ne sera d’ailleurs pas déposé — vous allez complexifier le débat. Vous faites référence à un amendement qui avait été déposé par notre collègue Christen l’année dernière et qui liait ces aides au respect des CCT. La majorité de ce Parlement n’en a pas voulu. Nous avons analysé l’opportunité de revenir avec une proposition semblable, mais nous n’allons pas le faire. Nous reviendrons sur ce sujet, car nous pensons que la question de la précarisation du métier de journaliste mérite un autre débat qui ne doit pas s’inviter dans le cadre de ce projet. Toutefois, si vous voulez parler de la pertinence de cet amendement, je tiens à préciser que celui-ci était précisément lié à cette aide directe. C’est justement ce que je vous invite à faire, parce que, pour l’instant, votre amendement est non seulement lié à l’aide directe, mais aussi à l’aide indirecte et à l’ensemble du programme de la stratégie du Conseil d’Etat. Au niveau du fonctionnement, je pense que cela reviendrait à condamner définitivement l’ensemble de la stratégie imaginée par le Conseil d’Etat. Je vous invite à reconsidérer votre amendement ; à le lier aux aides directes et non pas à l’ensemble de la stratégie du Conseil d’Etat.

Mme Nuria Gorrite (C-DCIRH) — Conseiller-ère d'État

Tout d’abord, il est vrai que M. Berthoud étant membre de la commission, nous aurions apprécié de pouvoir débattre de cet amendement durant les très nombreuses séances de la commission que nous avons eues depuis le mois de janvier de cette année. Cela étant, il me semble qu’il y a plusieurs niveaux de confusion dans le débat. Tout d’abord, il ne s’agit pas de soutenir des groupes financièrement et nous ne sommes pas dans un débat concernant des subventions. Il ne s’agit pas d’une subvention à des sociétés : typiquement, les aides financières qui sont proposées ici ne sont pas soumises à la Loi sur les subventions à laquelle se réfère M. Berthoud. Je vérifierai, mais il me semble que cette loi n’exclut en aucun cas le versement de subventions en faveur de sociétés qui, cas échéant, verseraient des dividendes. A ce titre, la Loi sur les subventions n’exclurait pas ce type de cas de figure, quand bien même ces versements financiers ne sont pas considérés comme des subventions au sens strict. Il s’agit bien d’une politique publique que nous souhaitons instaurer en direction d’un intérêt de l’Etat de pouvoir passer des annonces dans la presse le plus largement possible, lorsque l’Etat doit communiquer un certain nombre d’informations à ses citoyennes et à ses citoyens. Aussi, l’approche du gouvernement est celle de l’égalité de traitement pour une couverture intégrale du territoire. Cela est fondamental, si nous abordons la question sous l’angle de l’intérêt de l’Etat, que ce dernier puisse poursuivre sa politique de couverture.

Avec l’amendement déposé par M. Berthoud, nous exclurions l’ensemble des titres de Tamedia. Soyons clairs : nous n’aurions plus la possibilité de passer des annonces dans le journal 24heures. Nous n’aurions plus non plus la possibilité, comme nous avons pu le faire pour des communications importantes, de passer des annonces dans le Matin Dimanche, ni dans le quotidien La Côte qui est aussi en main du groupe ESH Medias. Le Conseil d’Etat ou le Grand Conseil n’auraient pas non plus la possibilité d’insérer des annonces dans le Journal de Cossonay, parce qu’il est aussi en main du groupe ESH Medias. Nous n’aurions pas non plus la possibilité d’insérer des annonces dans la presse locale comme le nouveau journal de la Riviera-Chablais. A juste titre, vous vous êtes émus de la disparition du Régional : aujourd’hui, grâce à Tamedia, un nouvel organe se met sur pied pour couvrir l’actualité de ces deux districts. Cet amendement exclurait vraisemblablement la possibilité pour l’Etat de passer des annonces dans ce type de journaux. Nous ne pourrions pas non plus soutenir l’ATS qui est en main de Keystone qui verse des dividendes. Soyons clairs : cet amendement vide très clairement de sa substance l’ensemble des possibilités d’intervention pour informer la population. Or, nous avons vu, durant cette année pandémique, à quel point la population a besoin d’information, par moment. Elle a besoin d’être informée et c’est précisément le premier volet des interventions que nous avons prévues dans ces mesures.

Il y a un deuxième problème qui concerne la dimension scolaire. J’ai eu l’occasion d’évoquer ce problème avec ma collègue Cesla Amarelle ici présente, puisque nous avons construit ensemble ce volet scolaire. Vous avez souhaité, y compris des députés de tous bords politiques, que le Conseil d’Etat soit proactif avec la jeunesse, que la formation à la culture des médias et l’intégration dans le cursus scolaire du pack médias soient faites le plus précocement possible. De fait, cet amendement exclurait la possibilité, pour les écoles qui ont prévu de le faire, de souscrire des abonnements à l’ensemble des titres que je viens d’évoquer et qui seraient pourtant très demandeurs, à la fois dans des projets pédagogiques, mais aussi dans un souci de couverture locale de la presse régionale auprès de nos élèves.

A ce stade de la discussion, je tiens à mettre en évidence un dernier élément : en réalité, les aides que nous avons prévues ne sont pas proportionnelles à la taille du média en question. Elles entrent dans des logiques de poids de l’annonce et de pénétration de l’ensemble du territoire pour une égalité de traitement, non seulement des titres, mais aussi des citoyennes et des citoyens de ce canton. Proportionnellement, avec la politique que nous avons conçue à ce stade, cela veut donc dire que les petits titres toucheraient plus que les gros titres. Pour moi, l’amendement de M. Berthoud a deux inconvénients majeurs : d’abord, il prive l’Etat de la possibilité d’informer les citoyens lorsque nous avons besoin de le faire. Par ailleurs, il exclut de fait un certain nombre de titres a priori, ce qui ne nous permet pas non plus de garantir l’égalité dans le traitement de la presse en général dans notre canton. Or, vous le savez, la presse ne va pas très bien. Même les grands groupes procèdent à des licenciements. Vous vous êtes toutes et tous émus ; vous nous avez adressé des résolutions demandant que le Conseil d’Etat agisse. D’ailleurs, cela concernait principalement des groupes qui seraient frappés par l’amendement de M. Berthoud, à savoir Keystone-ATS lorsque celui-ci a été restructuré et la disparition du Matin qui a été largement commentée et pour laquelle vous nous avez demandé d’intervenir. Il y aurait donc une absurdité, de fait et de fond, à soutenir un amendement qui vise précisément l’inverse de la politique publique que vous avez souhaité que le Conseil d’Etat construise au travers de l’exposé des motifs et projet de décret qui vous est soumis aujourd’hui. Aussi, je vous remercie de ne pas soutenir cet amendement.

M. Pierre Volet (PLR) —

Madame la conseillère d’Etat, ce que vous êtes en train de nous dire, c’est qu’aujourd’hui, sans ce décret, on ne peut pas faire d’annonces auprès de la population. Ce n’est pas vrai : vous pouvez toujours faire ce que vous voulez ; vous pouvez mettre des annonces où vous voulez. C’est un droit propre au Conseil d’Etat de mettre n’importe quel article pour informer la population dans n’importe quel journal. Ou je me trompe ? Je vous remercie de répondre à cette question.

M. Philippe Jobin (UDC) —

Si je vous comprends bien, madame la conseillère d’Etat, si nous acceptions l’amendement de M. Berthoud, vous auriez des difficultés à choisir les titres que vous pourriez soutenir. Sommes-nous bien d’accord ?

Mme Gabella, déléguée du directeur général de Tamedia en Suisse romande, précise que le projet qui nous est présenté ne sera pas suffisant pour combler le manque abyssal des recettes publicitaires. Avec les quotidiens gratuits, j’avais déjà eu l’occasion de lire au mois de décembre de l’année dernière, les recettes publicitaires sont en diminution. Le groupe Tamedia avait offert des journaux gratuits à Monsieur et Madame Tout-le-monde et maintenant « il en perd ses petits ». Ma question est la suivante : est-ce que Mme Gabella a raison ; est-ce qu’en votant l’amendement de M. Berthoud, il y aura un gros souci pour Tamedia ?

M. Alexandre Berthoud (PLR) —

Madame la présidente du Conseil d’Etat, à aucun moment je n’ai prononcé les termes « Loi sur les subventions ».

Mme Nuria Gorrite (C-DCIRH) — Conseiller-ère d'État

Monsieur Berthoud, je n’ai pas indiqué que c’était vous personnellement qui aviez prononcé ces termes, mais la question de la Loi sur les subventions a été évoquée à plusieurs reprises dans ce débat, notamment par M. Volet ou M. Mojon. Pour moi, il est important de clarifier que nous ne sommes pas dans le cadre d’un débat sur la Loi sur les subventions.

Pour répondre précisément à la question de M. Volet, la grande différence est que vous avez ici un projet qui fonde dorénavant l’action de l’Etat. Or, ce n’était pas le cas jusqu’à maintenant : le Conseil d’Etat était libre ; il n’était pas cadré par un amendement comme celui déposé par M. Berthoud. Dès lors que le Parlement cadre les entreprises auxquelles on peut apporter un soutien financier et celles qui en sont exclues, le Conseil d’Etat ne peut pas s’affranchir du vote du Grand Conseil. C’est vous qui cadrez notre action. Tant que celle-ci n’est pas cadrée par le Parlement, nous avons la liberté d’apprécier et d’agir. Ici, le projet de décret fonde celles et ceux qui auraient droit ou non à une aide, à une participation financière.

Pour répondre à la question de M. Jobin, Mme Gabella — mais elle n’est pas la seule — peut continuer à se faire du souci si l’amendement de M. Bethoud était adopté. Cela concerne aussi tous les journaux que j’ai évoqués précédemment, notamment ceux en main de ESH Medias — et en tant que député de la Côte, je crois que vous y êtes attaché — ou de Keystone-ATS. L’amendement Berthoud n’est pas anecdotique ; il exclurait de fait la possibilité d’intervenir financièrement auprès de tous ces médias. Je le répète : cela nous pose un gros problème d’égalité de traitement de l’information sur le territoire vaudois.

Mme Valérie Induni (SOC) —

Nous avons accepté tout à l’heure, semble-t-il à l’unanimité, l’article 2 qui donne les principes de la loi et qui dit : « s’agissant des médias privés, ces mesures ne peuvent en aucune manière fausser la concurrence. » J’aimerais bien savoir si ce que nous sommes en train d’introduire à l’article 3 n’est pas en complète opposition avec l’article 2 que nous avons validé ?

M. Marc-Olivier Buffat (PLR) —

J’ai l’impression que plus nous avançons, moins nous y voyons clair dans ce débat. Dans le texte de l’exposé des motifs, on parle d’interventions subsidiaires de l’action de l’Etat en la matière. C’est le chiffre 1.1 de l’exposé des motifs. On insiste sur la volonté de soutenir la diversité des médias. Nous ne sommes pas en train de dire au Conseil d’Etat, malgré tout le respect que je porte à sa présidente, où il doit mettre des annonces pour informer la population. Il me semble que l’on s’écarte totalement du débat. A l’article 2, nous avons donné un certain nombre de moyens au Conseil d’Etat pour soutenir la diversité des médias. Je suis bien placé pour en parler, puisqu’avec Mme Induni, nous avions déposé un texte à l’époque sur le maintien de la diversité des médias. C’est précisément l’objectif de la loi ; c’est ce qui est indiqué dans le texte même. On insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas de mesures pérennes. On dit : « Si le Conseil d’Etat présentait des mesures pérennes — ce qui n’est pas le cas — le siège de la matière qui paraîtrait tout désigné serait la Loi sur l’information (…) » On est en train de mélanger totalement les sujets. On parle de soutien à la diversité de la presse par différents moyens. Ce que dit l’amendement de M. Berthoud, c’est que ces moyens pour soutenir la diversité des médias doivent être dirigés à l’endroit des médias qui pratiquent une autre politique que la politique des dividendes. La question n’est pas de savoir s’il s’agit des groupes ou pas, s’ils font du bénéfice ou s’ils n’en font pas.

Madame la présidente du Conseil d’Etat, j’aimerais vous entendre sur la question suivante : si l’amendement de M. Berthoud devait être adopté par ce Grand Conseil, n’y aurait-il pas moyen de créer une sorte de partenariat public-privé ? Je m’explique : une entreprise de presse qui, au lieu de verser des dividendes, réinvestit dans la formation, dans des outils de production, dans des moyens technologiques à disposition, aurait droit à toutes les mesures de soutien prévues par le Conseil d’Etat. C’est du gagnant-gagnant. A partir du moment où le propriétaire réinvestit dans la société, au lieu de verser des dividendes à des actionnaires, il obtient une aide de l’Etat. Le caractère subsidiaire que vous évoquez dans votre texte de loi prend tout son sens, parce qu’il y a, d’un côté, le partenaire privé qui va réinvestir dans la société et, de l’autre côté, le partenaire public — c’est-à-dire vous et nous — qui va soutenir ces entreprises dans leurs démarches. Je ne vois pas de contradiction par rapport à la volonté du Conseil d’Etat, j’y vois même un avantage, un soutien, une complémentarité.

Mme Nuria Gorrite (C-DCIRH) — Conseiller-ère d'État

Pour le coup, c’est moi qui n’y voie plus très clair : excusez-moi, monsieur Buffat, mais si j’ai bien compris, l’amendement déposé par M. Berthoud vient préalablement à l’énoncé des mesures ; c’est un article qui vient cadrer l’action de l’Etat. Cet article stipule que l’Etat peut encourager la diversité des médias par des mesures de soutien, mais que ce soutien financier ne peut pas être versé à des médias dont la structure économique verse des dividendes. Il me semble que c’est ce que tout le monde a compris avec cet amendement. Vous nous dites maintenant qu’il y aurait la possibilité d’encourager la construction d’un partenariat public-privé. Je ne vois pas très bien comment… Dans le cas précis de Tamedia, les mesures sont réservées aux bénéficiaires ne distribuant pas de dividendes. Cela veut dire que ces mesures excluent de fait les entreprises qui versent des dividendes. Je le répète, tous les titres que j’ai évoqués précédemment ne pourraient pas se voir attribuer les mesures listées en dessous, dont la première est l’insertion des annonces. Clairement, et je crois que nous sommes tous d’accord, cela signifie que l’on exclut des insertions d’annonces dans des titres qui distribuent des dividendes. Vous évoquez maintenant un partenariat public-privé, avec des entreprises qui feraient les deux. Il se trouve que Tamedia fait les deux : le groupe a une structure qui investit dans sa société — elle ne se serait pas développée dans le cas contraire. Le groupe investit aussi dans l’innovation : on ne peut pas nier que sa méthode de travail, notamment l’ouverture vers le digital, a évolué. Tamedia soutient aussi la formation de ses journalistes. Mais, en parallèle, le groupe distribue aussi des dividendes. De fait, il serait empêché de recevoir une participation financière de l’Etat.

Je reviens au fond du problème : la préoccupation que nous avons est véritablement d’informer. Nous ne voulons pas insérer des annonces pour soutenir financièrement ces titres ; le but n’est pas de donner de l’argent pour en donner. Il se trouve que, si nous avons le besoin d’avoir une politique d’annonces, c’est parce que nous estimons qu’il y a des informations importantes que l’Etat doit transmettre à sa population. Je vous donne un exemple qui va bientôt intervenir : la campagne de vaccination. Vous avez vu qu’aujourd’hui, Swissmedic a validé le vaccin Moderna et que l’Etat va vraisemblablement devoir faire quelques annonces pour informer sa population sur les centres de vaccination, pour encourager une partie de la population, notamment les personnes vulnérables, à se faire vacciner. Il y a donc un intérêt public à ce que l’Etat puisse prochainement informer l’ensemble de la population vaudoise, notamment des modalités de vaccination dans le canton. En excluant toute une série de titres, comme le quotidien La Côte, le Matin Dimanche, 24heures, le nouvel organe Riviera-Chablais, le Journal de Cossonay, nous passerions à côté de cette préoccupation première, mais l’Etat se priverait surtout d’un moyen d’action dont il dispose aujourd’hui. Et cela, avec quel objectif ? Je vous pose la question de la finalité de cet amendement. Pour quel objectif, dans une pesée d’intérêts, l’Etat devrait-il, au détour d’un débat sur l’aide à la presse, s’amputer de sa possibilité de s’adresser directement à l’ensemble de la population de son territoire ? Je vous invite vraiment à y réfléchir et à rejeter cet amendement.

M. Jérôme Christen —

On ne peut pas vouloir moraliser la vie publique à tout bout de champ, parler de questions d’éthique et, tout d’un coup, écarter cela d’un revers de la main. J’ai bien compris le problème soulevé par Mme la conseillère d’Etat qui l’a extrêmement bien expliqué : la différence que l’on doit faire entre l’aide directe et indirecte. Nous assistons un peu à un dialogue de sourds, parce que l’amendement de M. Berthoud, si je l’ai bien compris, ne vise pas l’aide indirecte, mais plutôt l’aide directe. Je pense qu’il faut faire cette distinction. Par conséquent, plutôt que de poursuivre ce dialogue de sourds, je pense qu’il y a moyen de trouver un consensus entre la vision exprimée par M. Berthoud et celle exprimée par M. Venizelos qui n’était pas complètement fermé à cette idée, mais à certaines conditions, notamment que l’on puisse la cadrer. En ayant discuté avec M. Venizelos, j’ai bien compris que nous ne pouvons pas accepter cet amendement et trouver un consensus lors d’un troisième débat, puisqu’on oppose les versions du premier et du deuxième débat lors du troisième débat. Ne pourrait-on pas suspendre cette séance quelques minutes pour que nous puissions trouver un consensus qui pourrait contenir la volonté d’avoir une approche éthique de la question — ce qui, je pense, n’est contesté par personne ni à gauche ni à droite. Visiblement, cette approche éthique est découverte aujourd’hui par la droite… tant mieux ! Essayons de trouver un consensus et cessons le combat de la droite qui essaie de prendre la gauche à son propre jeu et la gauche qui dit que cela ressemble étrangement à ses propositions, mais qu’elle ne peut pas l’admettre dans ce contexte, parce que c’est une attaque contre un projet qui serait vidé de sa substance. Je pense que la discussion est bonne sur le fond, mais pas sur la forme. Je suggère que MM. Venizelos et Berthoud trouvent une solution pour arriver à un consensus, à un projet intelligent.

M. Vassilis Venizelos —

J’espère pouvoir éviter la suspension de séance en déposant une autre proposition. Je propose de sous-amender l’amendement de M. Berthoud. Comme je l’ai dit précédemment, je trouve que son idée est parfaitement louable et j’y souscris pleinement. Néanmoins, pour toutes les bonnes raisons évoquées par Mme la conseillère d’Etat, j’estime que cet article, à cet endroit du texte de loi, viderait de sa substance l’ensemble du dispositif et l’ensemble du programme de soutien envisagé par le Conseil d’Etat. Je considère qu’il y a confusion entre les aides directes et indirectes. Nous avons voté, en décembre, un amendement qui concerne l’aide directe, c’est le nouvel article 4bis dont nous allons débattre tout à l’heure. Je propose que l’amendement de M. Berthoud soit basculé dans un nouvel article 4ter, qui viendrait après l’article 4bis, et qui conditionnerait les aides directes aux conditions exprimées par l’amendement de M. Berthoud :

« Art. 4ter. — (nouveau) : Les mesures de soutien prévues à l’article 4bis sont réservées aux bénéficiaires ne distribuant aucun dividende y compris dans le cadre d’un groupe. »

Il me semble que, ainsi, nous respecterions la volonté exprimée par notre collègue Berthoud, tout en évitant de toucher à l’ensemble du dispositif d’aides indirectes souhaitées par le Conseil d’Etat. C’est en tout cas mon interprétation, mais je suis naturellement prêt à discuter de la formulation et de l’emplacement de ce sous-amendement. En inscrivant cet élément dans l’article 4ter et en le liant à l’article 4bis, nous conditionnons les aides directes aux conditions exprimées par M. Berthoud, sans remettre en cause l’ensemble du dispositif souhaité par le Conseil d’Etat.

M. Alexandre Berthoud (PLR) —

Il serait peut-être utile de projeter l’ensemble de l’article 4 sur le beamer. Par ailleurs, je précise que je ne suis pas un destructeur du groupe Tamedia : je n’ai prononcé son nom à aucun moment. En revanche, il me semble que Mme la conseillère d’Etat en est une bonne ambassadrice. (Rires.)

M. François Cardinaux (PLR) —

A mon avis, nous ne sommes pas prêts d’aboutir à une solution. Je propose donc de renvoyer ce débat à la commission pour qu’elle revienne avec une proposition claire et nette. Je propose donc une motion d’ordre allant dans ce sens.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La motion d’ordre est appuyée par au moins 20 députés.

La discussion sur la motion d’ordre est ouverte.

M. Alexandre Berthoud (PLR) —

Je ne suis pas favorable à cette motion d’ordre. Je pense que nous pouvons trouver un terrain d’entente. Mme la conseillère d’Etat s’est déjà exprimée trois fois, nous avons été discourtois en nous exprimant après elle. J’imagine qu’une fois que nous aurons trouvé une solution sur cet article, nous pourrons voter ce projet de loi en vote final.

M. Philippe Vuillemin (PLR) —

On tourne en rond… Je propose qu’un élément extérieur serve d’arbitre : lorsqu’il aura arrêté de neiger, nous aurons terminé. (Rires.)

Mme Valérie Induni (SOC) —

Je vous rappelle que nous avons demandé que cet objet d’aide à la presse soit rapidement traité, parce que ça fait très longtemps que la branche attend. Nous avons tenu de nombreuses séances de commission pour la prise en considération du postulat, puis pour examiner le texte du projet qui vous est soumis aujourd’hui. Je pense que nous devons trouver une solution aujourd’hui, parce que renvoyer le tout en commission me paraît complètement disproportionné. Je vous rappelle que, lors du premier débat, cet objet a passé la rampe très facilement. Aujourd’hui, je pensais que nous pourrions rapidement valider cet objet en deuxième débat, mais voilà que tout est remis en question et que l’on veut le renvoyer en commission… Je pense que cette proposition ne fait absolument pas sens.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

A titre informatif, nous avons mis à l’écran l’article 4 et la proposition d’amendement de M. Venizelos, mais nous discutons toujours de la motion d’ordre.

M. Vassilis Venizelos —

A titre personnel, je suis aussi contre l’idée de reporter encore une fois ce débat. Il y a urgence à mettre en œuvre le dispositif imaginé depuis de nombreux mois par le Conseil d’Etat. Compte tenu du contexte et de la difficulté à trouver un consensus, je ne vois pas l’intérêt de proposer un sous-amendement. Je souhaite que l’on vote sur l’amendement Berthoud et que l’on sache qui souhaite soutenir le dispositif proposé par le Conseil d’Etat et qui s’y oppose. Les choses seront ainsi beaucoup plus claires. Je retire donc ma proposition de sous-amendement.

M. François Cardinaux (PLR) —

Madame la présidente, je ne comprends pas pourquoi vous affichez à l’écran l’article 4. J’ai demandé que ce débat soit arrêté et repris dans un autre contexte.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

Excusez-moi l’expression, mais je suis en train de ménager la chèvre et le chou : vous choisirez si vous voulez être la chèvre ou si vous préférez que ce soit M. Berthoud. Ce dernier a demandé à avoir cette information qui était en préparation. On m’a proposé de mettre l’article 4 à l’écran, j’accepte de le faire, parce que ça ne mange pas de pain. Néanmoins, je rappelle que nous discutons de la motion d’ordre et uniquement de la motion d’ordre.

M. Jérôme Christen —

Madame la présidente, a-t-on la garantie que nous pourrons siéger dans les semaines qui viennent ? Dans ce cas, nous pourrions accepter cette motion d’ordre. Dans le cas contraire, c’est un peu plus délicat…

Mme Sonya Butera (SOC) —

Je ne suis pas dans les petits secrets du Conseil fédéral, je ne peux donc pas répondre à votre question. A priori, il n’y a toutefois aucune raison que le Conseil fédéral retire aux législatifs cantonaux et au législatif fédéral le droit de siéger, mais cette évaluation de la situation n’engage que moi.

Mme Anne Baehler Bech — Rapporteur-trice

Je ne sais pas s’il appartient à la présidente de la commission de s’exprimer à ce stade de la discussion, mais, en l’état, il me semble que plusieurs députés qui ont participé aux travaux de la commission n’ont pas présenté les amendements proposés. Il semblerait que les députés sont plus intelligents hors séance de commission. Compte tenu de l’urgence du projet présenté, je ne vois pas quel serait l’apport de renvoyer cet objet en commission, surtout si, comme c’est le cas actuellement, rien ne se passe en commission, mais tout se passe en plénum.

Mme Nuria Gorrite (C-DCIRH) — Conseiller-ère d'État

A priori, je trouve que cette commission a déjà beaucoup siégé. Je le répète, je regrette que M. Berthoud intervienne avec un amendement dans le cadre d’un deuxième débat, alors qu’il était membre de la commission. Je pense aussi que la discussion en plénum n’est pas le meilleur moment pour trouver un consensus ou des solutions. Je vois bien que les fronts politiques sont figés, qu’il y a quelques énervements et quelques incompréhensions. Ce n’est en tout cas pas un climat propice à trouver un chemin susceptible d’aboutir à un accord général. Parfois, j’ai la conviction qu’il vaut mieux reculer un peu pour mieux sauter et qu’un bref retour en commission, avec l’engagement de porter cet objet à l’ordre du jour le plus rapidement possible, ne serait pas complètement dénué de sens. Nous pourrions ainsi documenter les incidences de cette proposition d’amendement, nous pourrions ainsi voir quels sous-amendements pourraient éventuellement être proposés.

L’idée est aussi de recréer un débat un peu plus serein que celui auquel nous sommes en train d’assister en ce moment. Ce débat ne me semble pas du tout à la hauteur de l’enjeu ; il me semble surtout assez éloigné des préoccupations que vous avez exprimées à de nombreuses reprises quant au soutien que nous pourrions apporter à notre presse régionale, dans laquelle nous avons déjà assisté à de nombreuses charrettes de licenciements. Des titres sont en danger ; des gens attendent que le Conseil d’Etat puisse libérer l’argent que nous avons prévu. Faute de décision de votre Parlement, nous sommes empêchés de le faire. Si nous nous entêtons à forcer un vote aujourd’hui, il y a fort à parier que nous serons contraints de nous retrouver dans une situation qui passerait à côté de l’essentiel de ce qui est visé par cet exposé des motifs et projet de décret.

Je tends donc une main en direction du député Berthoud pour que celui-ci prenne l’engagement que si la commission siège rapidement, aucune nouvelle mesure dilatoires ne sera mise en œuvre. En effet, il ne s’agit pas d’un projet émanant d’une ambassadrice, mais d’un projet de politique publique à l’égard d’un secteur impacté par la crise, comme vous avez l’habitude d’en traiter d’autres, et dans l’urgence. Je ne vois donc pas d’objection à suspendre la décision aujourd’hui pour que cet amendement soit sereinement débattu en commission.

M. Alexandre Berthoud (PLR) —

En principe, je tiens mes engagements, mais en l’occurrence, je n’en ai pris aucun. Ce texte a été traité il y a quelques mois en commission. Entre-temps, de nouveaux éléments sont apparus. Madame la présidente du Conseil d’Etat, en commission, je vous avais aussi proposé de prendre des mesures de soutien à l’économie dans les journaux régionaux. Or, rien n’a été fait ! Ce sont des discussions que nous avons eues par deux fois — je m’en rappelle très bien, parce que j’ai une assez bonne mémoire — dans le cadre de cet exposé des motifs et projet de décret. Depuis les travaux en commission, de nouveaux événements sont survenus dans notre canton, dans notre pays et dans le monde entier. Des amendements ont été déposés par d’autres groupes politiques. J’ai aussi le droit de mener une réflexion. La vie ne s’est pas figée entre le mois de juin 2020 et aujourd’hui. Aujourd’hui, je trouve important de mettre l’argent de cette politique publique là il y en a réellement besoin. S’il y a une distribution de dividendes, c’est qu’il y a un bénéfice qui n’est pas affecté ; c’est un bénéfice qui ne reste pas dans l’entreprise et qui peut potentiellement partir à l’étranger. Je le répète, je souhaite que nous puissions terminer de traiter de cet exposé des motifs et projet de décret aujourd’hui.

Par ailleurs, dans le fond, je ne pense pas que 6 millions de francs investis sur les cinq prochaines années dans quatre politiques publiques vont permettre d’éviter des licenciements.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La discussion est close.

La motion d’ordre François Cardinaux est refusée par 60 voix contre 53 et 16 abstentions.

M. Jean Tschopp (SOC) —

Je demande un vote nominal.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

Cette demande est appuyée par au moins 20 députés.

Si vous acceptez la motion d’ordre, vous votez oui, si vous la refusez, vous votez non. Les abstentions sont possibles.

Au vote nominal, la motion d’ordre François Cardinaux est acceptée par 66 voix contre 62 et 8 abstentions. L’objet est renvoyé en commission avant les votes sur l’amendement Berthoud et sur l’article 3.

* Insérer vote nominal

Le projet de décret est renvoyé à la commission.

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