22_RAP_29 - Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil Rapport du Procureur général sur l'activité du Ministère public pour l'année 2021 et déterminations du Conseil d'Etat.
Séance du Grand Conseil du mardi 20 décembre 2022, point 20 de l'ordre du jour
Documents
- Texte adopté par CE - Rapport du Ministère public pour l'année 2021
- RC - (22_RAP_29) rapport COGES sur rapport du Ministère public année 2021
Transcriptions
Visionner le débat de ce point à l'ordre du jourL’examen du rapport du Procureur général sur l’activité du Ministère public (MP) pour l’année 2021 s’est déroulé lors de la séance de la Commission de gestion du 13 octobre 2022. Cet exercice était particulier à plus d’un titre : en effet, la Commission de gestion s’est largement renouvelée avec la nouvelle législature et c’était donc une première pour 8 membres sur les 13 présents lors de cette séance. C’était aussi le dernier exercice en la matière pour le Procureur général qui va prendre sa retraite d’ici quelques jours, ainsi que le dernier exercice pour la Commission de gestion, ce travail étant repris à l’avenir par le Conseil de la magistrature accepté par le peuple vaudois et qui est en train de se mettre en place. La Commission de gestion a profité de cette occasion pour demander au Procureur général de relever quelques points qui ont marqué son activité.
Pour revenir aux points forts du MP en 2021, la question du COVID est restée d’actualité. Le virus a impacté le travail du MP dans son fonctionnement, avec le constat d’une fatigue très présente de même qu’une tension interne dans les équipes. Il a également eu un effet sur la délinquance qui s’est poursuivie dans le cadre des crédits COVID, : 110 cas de fraude avaient été dénoncés en 2020 et il y en a eu presque autant en 2021, mais les dénonciations sont venues cette fois de l’administration fiscale, à l’examen des comptes. Toujours en lien avec le COVID, la question des faux certificats a surgi à la fin de l’été. Impact du COVID encore sur l’activité juridictionnelle : les nouvelles affaires sont restées au niveau de 2020 et donc nettement en dessous du nombre de 2019 – 18'337 nouvelles affaires en 2021 contre 21'000 en 2019. Les infractions les plus fréquentes – cela ne vous étonnera pas – sont celles liées à la circulation routière ; elles viennent très largement en tête, mais sont nettement en dessous des chiffres de 2019, devant les infractions à la Loi sur les étrangers et l’intégration, ou encore les vols et brigandages. La division de la criminalité économique a enregistré un fléchissement de ses activités, tout comme en 2020. Plusieurs cas spécifiques ont défrayé la chronique et vous pouvez les retrouver dans le rapport général du MP. Le travail de cette division est à signaler dans la collecte des informations concernant la menace terroriste. La division des affaires spéciales (DIVAS) qui contrôle notamment les décisions rendues par les procureurs d’arrondissements, les préfets, les autorités communales et le Tribunal des mineurs a connu encore une fois une augmentation du nombre des dossiers soumis à contrôle, en particulier ceux provenant des tribunaux des mineurs. Enfin, la cellule de criminalité informatique a connu un changement à sa tête : une procureure spécialiste en la matière a été engagée pour s’occuper de ce domaine qui prend de l’importance avec la cybercriminalité.
L’année 2021 a connu à nouveau des améliorations positives concernant les ressources humaines du MP. Pour la troisième fois depuis 2020, des renforts lui ont été accordés. L’effectif du MP début 2022 était de 186,7 ETP, soit 11,6 de plus depuis 2014. Il faut aussi souligner l’engagement, en mai de cette année, d’un responsable de communication réclamé de longue date. Par contre, il faut constater que le job sharing pratiqué par deux procureurs n’a pas donné entière satisfaction et que cette expérience ne sera pas étendue. La question des locaux reste d’actualité, notamment pour le site de Lausanne où il faudrait envisager un déménagement de la cellule STRADA.
La mise sur pied du Conseil de la magistrature a été évoquée avec le Procureur général. Jusqu’à la fin de l’année, le MP est rattaché au Conseil d’Etat, mais ce statut changera avec le Conseil de la magistrature. Le MP aura plus d’autonomie, mais il ne disposera plus du soutien du Secrétariat général du département, pour certaines tâches. Pour ne pas lire tout le rapport de la commission que vous avez certainement déjà lu, je vous invite à consulter, en fin du 3e point de ce rapport, les quelques temps forts mentionnés par le Procureur général et qui ont marqué sa carrière. En conclusion, la Commission de gestion vous recommande d’accepter le rapport du Procureur général sur le MP pour l’année 2021.
La discussion est ouverte.
La question de la formation des procureurs sur la lutte contre la violence domestique est récurrente. La Commission de gestion a déjà eu l’occasion de questionner le Procureur général sur ce point spécifique dans le cadre de ses précédents rapports. Je vous rappelle que, dans le cadre du rapport 2020, soit le précédent rapport que nous avons traité, le Procureur général avait indiqué à la Commission de gestion qu’aucun procureur n’était allé suivre de formation spécifique sur la lutte contre la violence domestique. Le Procureur général se contentait alors de rappeler l’existence, depuis 2015, de référents en matière de violence domestique dans chaque office, mais sans leur offrir pour autant de formation dédiée. Dans le cadre du présent rapport qui porte sur l’exercice 2021, et malgré les demandes antérieures de la Commission de gestion sur ce sujet, le Procureur général a redit qu’il n’y avait pas eu de formation spécifique à l’intention des acteurs de la chaîne pénale. Seule et très maigre satisfaction : nous avons constaté l’existence, le 8 décembre 2022 – il n’y a que quelques jours – d’une demi-journée de formation faite par le Bureau de l’égalité à l’intention des procureurs et des greffières et greffiers.
Cependant, j’aimerais attirer votre attention sur le fait qu’il est très surprenant de lire que « Selon le Procureur général, il ne faut pas surinvestir l’action du volet pénal dans la problématique des violences domestiques. » Je peux vous assurer – et je déclare ainsi mes intérêts – qu’en tant qu’avocate inscrite au barreau – et je sais que mon avis est partagé par de nombreuses et nombreux confrères – nous sommes très régulièrement confrontés à l’inadéquation de certains procureurs dans le traitement de ces dossiers spécifiques. J’aimerais vous citer, à titre d’exemple, deux petites phrases prononcées par des procureurs dans des dossiers de violences sexuelles dans un cadre conjugal. La première : « Votre mandante, maître, aurait quand même pu faire attention ; si vous buvez et que vous allez en chambre, après il ne faut pas s’étonner. » Ou encore cette deuxième petite phrase : « Mais madame, si vous sortez avec lui, c’est normal qu’il vous montre son pénis. » J’espère donc que le nouveau procureur général qui entrera en fonction d’ici quelques jours se saisira de cette problématique avec plus d’entrain que le Procureur général actuel et portera un regard différent sur le rôle de la chaîne pénale dans la problématique de la violence domestique.
La marge de manœuvre du Grand Conseil dans le cadre de ce rapport est maigre, étant précisé que nous ne pouvons pas formellement le refuser. Cela étant et au vu des éléments ici évoqués, vous comprendrez que je ne puisse lui apporter mon soutien.
Rien de nouveau sous le soleil : le groupe Ensemble à gauche et POP ne suivra pas la recommandation de la commission et refusera ce rapport du MP. Nous avons déjà eu l’occasion de l’exprimer à de nombreuses reprises, notamment lors des précédents rapports annuels : nous contestons les priorités de la politique pénale vaudoise. Nous estimons que le MP met un accent disproportionné sur la traque des petits délits, en particulier en matière de stupéfiants, et cela aux dépens de délits plus graves et ayant plus d’impact pour la société ; je pense aux problématiques de la criminalité économique ou encore aux violences domestiques, comme l’a bien analysé la députée Jessica Jaccoud. La priorité accordée à la traque des petits délits a pour inconvénient majeur de surcharger les prisons vaudoises et de ce fait, le canton de Vaud se retrouve être un des cantons ayant le plus haut taux de détention en Suisse, ce qui nous semble problématique. En effet, on sait bien que le recours à l’incarcération ne résout pas les problèmes liés au petit deal de rue ou à la petite consommation de drogues, et ne fait même que les aggraver, au final. En effet, l’incarcération favorise la désinsertion sociale et, ainsi, ne résout pas ces problèmes sur le fond. C’est la première raison pour laquelle nous contestons le rapport : du fait que les priorités ne sont pas les bonnes.
Notre deuxième raison est l’acharnement qui a été mis par le procureur à poursuivre des actions de désobéissance civile, écologistes ou en défense du climat. Selon nous, là encore, cet acharnement se fait aux dépens de la liberté d’opinion et de la liberté de manifester. D’ailleurs, à plusieurs reprises, le procureur a été désavoué par les tribunaux ; il a requis des peines extrêmement sévères, de prison ferme, qui ont chaque fois été refusées par les tribunaux, ce qui montre bien qu’il y a un décalage sur le plan de la politique pénale entre les priorités choisies et ce qui est finalement jugé acceptable par la justice. C’est pour nous une raison supplémentaire de refuser le rapport et de montrer notre désaccord avec la politique du MP.
Je ferai une dernière remarque sur la question de l’indépendance. Il ne faut pas qu’il y ait de malentendu, le MP est un représentant de l’Etat et il applique des priorités qui doivent être discutées et débattues démocratiquement. Nous ne contestons pas ni ne critiquons ici la justice telle que rendue par les tribunaux, mais bien le déclenchement des poursuites par le MP. Selon nous, il ne s’agit pas d’une atteinte à l’indépendance de la justice, car il y a une nuance entre le MP et les tribunaux et nous ne nous permettons pas de critiquer les tribunaux. C’est bien l’action du MP et ses priorités que nous contestons.
Je suis membre de la Commission de présentation. Lorsque nous avons auditionné M. Kaltenrieder (n.d.l.r. le prochain procureur général), il a effectivement indiqué que, pour lui, le sujet de la violence domestique était un problème majeur et qu’il allait investir dans ce domaine, ce qui nous rassure.
J’aimerais dire à M. Buclin que dans la liberté de décision du procureur, il y a effectivement quelque chose qui échappe aux autorités politiques. C’est une situation relativement récente, car autrefois le procureur était une forme d’agent du gouvernement, mais la législation a maintenant changé. Depuis ce changement de législation, la liberté du procureur est très grande et cela peut choquer certains, à gauche, lorsque le procureur poursuit des zadistes, c’est vrai. Mais il faut aussi voir, monsieur Buclin, que quand le procureur recourt contre l’acquittement d’un policier, cela choque des gens dans l’autre camp, dans notre population. La réponse à cette observation que nous a faite le procureur, est qu’il a pour mission de faire respecter la loi de façon égale, sur l’ensemble du canton, et que c’est dans cette nécessité d’égalité de traitement de l’ensemble des causes dans le canton que sa liberté est quelque peu restreinte, et qu’il se doit d’agir ou d’intervenir contre une cause ou une autre. Je pense que cet élément devait être rappelé, monsieur Buclin, car je pense que dans certains cas, le procureur vous a rendu service et vous devez aussi le reconnaître.
Retour à l'ordre du jourLa discussion est close.
Le Grand Conseil accepte le rapport du Ministère public avec plusieurs avis contraires et abstentions.