20_MOT_17 - Motion Serge Melly et consorts au nom du groupe des LIBRES - Le huis clos, cette exception devenant une règle.
Séance du Grand Conseil du mardi 30 mai 2023, point 17 de l'ordre du jour
Texte déposé
Lors de la séance du 8 septembre 2020, le Grand Conseil a traité une pétition intitulée :
Pétition contre le renvoi d’une personne en raison de son engagement citoyen.
Après lecture du rapport de majorité puis du rapport de minorité, le rapporteur de majorité a demandé le huis clos puisque cette pétition concernait une personne. Pour faire cette demande, le rapporteur de majorité s’est appuyé sur l’article 143 alinéa 1 de la Loi sur le Grand Conseil dont la teneur est la suivante :
« L'assemblée peut, sur proposition du président, d'un député ou du Conseil d’État, décider le huis clos pour la délibération d'une affaire, si la protection d'intérêts majeurs de l’État ou des motifs inhérents à la protection de la personnalité l'exigent. Pour les élections des membres de la Commission de présentation, des juges et juges suppléants du Tribunal cantonal, du procureur général et des membres de la Cour des comptes, il y a, d'office, huis clos »
Au début de la discussion sur le huis clos et au vu de son importance dans ce débat, le président de la commission des pétitions a fait part d’une lettre qu’il avait reçue de N. B. demandant que le débat soit public. Cependant, le huis clos a été accepté en vote nominal par 69 oui, 65 non et 1 abstention.
A la suite de ce débat, une question se pose : est-il légal d’invoquer l’article 143 alinéa 1 de la LGC en présence de cette lettre signée par l’intéressé ?
Cela est très discutable. En effet, en utilisant l’argument de la protection de la personnalité, nous sortons de l’interprétation discrétionnaire et nous entrons dans le champ d’application des articles 28 et suivants du Code civil suisse sur la protection de la personne. Dans ce cas, N.B. avait volontairement et officiellement communiqué des informations sur sa personne en vue de défendre sa cause, par le moyen d’une lettre adressée à la présidence du Grand Conseil ainsi qu’au président de la Commission des Pétitions. Et, en dehors des engagements excessifs (article 27 du Code civil suisse), une personne est libre de gérer ses droits de la personnalité comme elle l’entend.
Au vu de ce qui précède, nous demandons, par le biais de cette motion, une modification de l’article 143 alinéa 1 de la Loi sur le Grand Conseil permettant que ce genre de situation ne se reproduise plus à l’avenir. Notre volonté est d’intercaler, à la suite de la phrase sur les motifs du huis clos, une phrase permettant d’être en accord avec le Code civil suisse : Est réservé le cas où une personne renonce officiellement à la protection de sa personnalité quant à certaines informations.
Ainsi le nouvel article 143 alinéa 1 de la LGC aurait cette teneur : « L'assemblée peut, sur proposition du président, d'un député ou du Conseil d’État, décider le huis clos pour la délibération d'une affaire, si la protection d'intérêts majeurs de l’État ou des motifs inhérents à la protection de la personnalité l'exigent. Est réservé le cas où une personne renonce officiellement à la protection de sa personnalité quant à certaines informations.
Pour les élections des membres de la Commission de présentation, des juges et juges suppléants du Tribunal cantonal, du procureur général et des membres de la Cour des comptes, il y a, d'office, huis clos »
En outre, nous voudrions demander aux autorités concernées de régler par voie réglementaire les différentes modalités d’une telle renonciation officielle à la protection de sa personnalité notamment le délai lié à cette demande, les destinataires de cette demande ainsi que sa forme.
Conclusion
Renvoi à une commission avec au moins 20 signatures
Liste exhaustive des cosignataires
Signataire | Parti |
---|---|
Anne-Laure Métraux-Botteron | VER |
Cendrine Cachemaille | SOC |
Marc Vuilleumier | EP |
Julien Eggenberger | SOC |
Monique Ryf | SOC |
Muriel Thalmann | SOC |
Jean-Marc Nicolet | |
Olivier Epars | |
Valérie Induni | SOC |
Circé Fuchs | V'L |
Léonard Studer | |
Pierre Zwahlen | VER |
Graziella Schaller | V'L |
Muriel Cuendet Schmidt | SOC |
Sylvie Podio | VER |
Raphaël Mahaim | VER |
Jean-Louis Radice | V'L |
Hadrien Buclin | EP |
Vincent Keller | EP |
Claire Richard | V'L |
Jérôme Christen | |
Nathalie Jaccard | VER |
Vassilis Venizelos | |
Rebecca Joly | VER |
Alexandre Démétriadès | SOC |
Blaise Vionnet | V'L |
Jean-Christophe Birchler | V'L |
Documents
- Rapport de majorité de la commission - 20_MOT_17 - Olivier Petermann
- 20_MOT_17-Texte déposé
- Rapport de minorité de la commission - 20_MOT_17 - Vincent Keller
Transcriptions
Visionner le débat de ce point à l'ordre du jourLa Commission thématique des pétitions a siégé le 18 février 2021 pour traiter cet objet. Le motionnaire a lu dans un quotidien daté du 15 février 2021 que le renvoi d’un jeune dans son pays natal, modèle d’intégration, sidérait la population. Sa photo, son nom complet et même son curriculum vitae figurent dans l’article. Cette personne ayant déposé une pétition, elle s’étonne que le débat en plénum sur sa pétition se soit tenu à huis clos. Le motionnaire conteste l’idée selon laquelle le débat à huis clos protège les députés. Au contraire, au vu du débat qui s’est tenu, il pense qu’autant les défenseurs de la pétition que ses opposants auraient gagné à ce que le débat soit public. Dès lors, le but de sa motion est que le débat sur une pétition dont l’auteur souhaite que sa cause soit défendue publiquement ne soit pas soumis au huis clos.
La position du Bureau du Grand Conseil est la suivante : la présidente du Grand Conseil précise que cette motion a été attribuée par le Bureau à la Commission des pétitions, car cette dernière est la mieux placée pour saisir les implications d’une levée de secret vis-à-vis des personnes auditionnées. Le Bureau n’a pas d’avis tranché sur cette question, mais attire l’attention sur le fait que les pétitionnaires consentent à rendre publiques certaines informations, mais que parallèlement il reste un jardin secret que la personne ne souhaite pas voir divulguer. Ce n’est pas un problème que le pétitionnaire prenne la décision pour lui-même ; c’est plus problématique dans le cas d’une famille ou pour les autres personnes impliquées.
La position de l’administration est exprimée par le suppléant de la préposée à la protection des données. Celui-ci se réfère à un avis de droit à destination de la Commission thématique des pétitions, du 11 juin 2019, qu’il résume de la manière suivante : la protection des données penche vers le débat à huis clos d’une manière générale, de telle sorte que des questions relatives à la publication des données se posent avec moins d’acuité. La conclusion de l’avis indique que « lorsque le traitement de la pétition est susceptible de porter atteinte à la personnalité des personnes concernées et en l’absence de consentement exprès de celles-ci, le huis clos devrait être requis de manière systématique. »
Lors de la discussion générale. Le président de la commission rappelle les faits concernant la pétition (20_PET_42). Votre serviteur était rapporteur de majorité et le député Pierre Zwahlen le rapporteur de minorité. La commission avait décidé de demander le débat à huis clos, mais la veille de la séance du 8 septembre 2020, le secrétaire de la commission a envoyé aux deux rapporteurs, ainsi qu’à la Présidente du Grand Conseil et au Secrétaire général, la déclaration du pétitionnaire demandant un débat public. Le président de la commission ayant demandé comment traiter cette demande, il lui a été répondu que la Présidente du Grand Conseil ferait état de cette lettre et statuerait sur le fait que le rapporteur de majorité déposerait la demande de huis clos, telle que décidée par la commission. Le motionnaire relève que c’était un cas unique et que le Grand Conseil n’étant pas au fait de l’ensemble des éléments, cela a pu générer de la mauvaise humeur. Il rappelle que sa motion concerne toutes les pétitions. Un député a précisé que, dans de nombreux cas, l’examen des pétitions concernant les personnes peut mettre en lumière des éléments qui ne figurent pas dans la pétition, et notamment des délits. Par ailleurs, nombre de pétitions concernent une famille entière, mais que parfois, un seul membre de la famille a recours à ce moyen. De plus, dans la plupart des cas, les signataires ne sont pas au courant des aspects cachés des pétitionnaires, car il n’est pas forcément agréable d’entendre une pétition qui concerne une personne au passé pas anodin.
Pour la majorité des commissaires, la pratique en cours semble cohérente. De multiples cas relèvent de situations pour lesquelles le passé n’est pas connu des signataires. Or, en tant que Commission des pétitions, on en droit de s’assurer de la véracité des propos des pétitionnaires. Si le cadre n’est pas anonymisé, les rapports deviennent extrêmement succincts afin de respecter la protection des données. Il est relevé qu’actuellement le Grand Conseil est libre, sur demande d’un député, de prononcer le débat à huis clos ; avec la motion, une personne externe au Grand Conseil pourrait l’en empêcher. Cette motion reviendrait donc à limiter la souveraineté du Grand Conseil.
En conclusion, pour la majorité de la commission, le fonctionnement actuel de la Commission des pétitions est correct. Le débat à huis clos permet de s’exprimer librement. Sans le débat à huis clos, un rapport se doit de respecter la protection des données personnelles et de ce fait est trop résumé. En cas de débat public, il faut qu’une grande partie de ce qui est porté à la connaissance de la commission soit énoncée et que ce ne soit pas au pétitionnaire de sélectionner les informations qu’il autorise à rendre public. Dès lors, la majorité de la commission est favorable au statu quo, le Grand Conseil décidant lui-même de prononcer le débat à huis clos ou non.
Finalement, par 6 voix – souhaitant préciser dans la loi la procédure de traitement des pétitions.
La motion de notre ancien collègue Serge Melly nous ramène à une affaire d’actualité. Aux moins anciens de notre noble assemblée, j’aimerais rappeler les faits qui ont conduit à son dépôt, car cela a beaucoup de sens après le traitement du postulat de notre collègue Cédric Weissert, la semaine dernière.
En septembre 2020, le Grand Conseil traitait du sort à réserver à une pétition soutenant M. N. B. La Commission thématique des pétitions, que j’avais l’honneur de présider, avait produit un rapport succinct et anonymisé, comme la loi l’y oblige lorsque la protection de la personnalité doit être préservée. La presse romande s’était fait l’écho du combat de M. N. B en le nommant précisément, le jour même où nous traitions la pétition. M. N. B. avait alors envoyé via son avocat une missive au président de la Commission des pétitions qui donnait expressément « décharge pleine et explicite » au Grand Conseil quant à la divulgation des données sensibles, quand bien même les archives écrites et audiovisuelles laisseraient des traces indélébiles :« Je l’accepte » et « je n’ai rien à cacher. » Cette affaire a été le point de départ du texte de notre ancien collègue Serge Melly, comme rappelé par le rapporteur de majorité.
La minorité de la commission reste sensible à la protection des données et la procédure actuelle de dépôt d’une pétition est clairement définie sur la base de la Loi sur la protection des données (LPRD). Les exigences minimales préalables au dépôt d’une pétition devant le Grand Conseil ne peuvent donc y déroger. La zone floue réside dans le fait que les exigences minimales au dépôt d’une pétition devant le Grand Conseil sont soumises à certaines recommandations − anonymiser la pétition, éviter les données sensibles, décharger d’une personne mentionnée dans la pétition, en particulier – et à la signature d’un formulaire – « La formule de réponse pour le dépôt des pétitions concernant une ou des personnes physiques ou morales identifiées ». Ce formulaire laisse peu de place à l’incertitude des pétitionnaires puisqu’ils ont le choix entre trois possibilités : 1) maintien du texte de la pétition dans son intégralité et décharge vis-à-vis du Grand Conseil quant à la publication des données sensibles ; 2) rédaction d’un nouveau texte et/ou anonymisation du texte à fournir impérativement en annexe ; 3) le retrait du texte. Il est précisé également que le premier choix oblige la commission à demander le débat à huis clos et un rapport succinct ; dans la version B, le rapport est complet, mais le Grand Conseil peut décréter le débat à huis clos de manière facultative.
Notre ancien collègue Serge Melly a souhaité corriger la procédure en y incluant la possibilité, pour les pétitionnaires, de décharger le Grand Conseil s’agissant de données éventuellement sensibles, à leurs risques et périls, c’est-à-dire, en inversant le poids de la responsabilité. En effet, actuellement, le Grand Conseil force le silence contre le gré des pétitionnaires qui souhaiteraient rendre leur combat public. La minorité de la commission vous demande donc de prendre la motion en considération.
La discussion est ouverte.
Je remercie le rapporteur de minorité d’avoir expliqué les raisons du soutien à la motion de M. Melly, ancien membre du Grand Conseil. On se réfère souvent à la Loi sur le Grand Conseil (LGC) pour parler du débat à huis clos, mais elle est muette sur ce sujet. Les directives proposées sur le site de l’Etat de Vaud donnent des explications sur ce qui permet à une personne de déterminer quel sort elle entend réserver à sa pétition et à sa publicité. Nous nous rappelons la situation, qui nous avait frappés, lorsqu’un requérant débouté avait voulu que sa pétition soit lue ici, et que cela avait été refusé, prétendument pour le protéger, par la Commission thématique des pétitions. Or, il semble qu’une personne doit pouvoir être libre de ses paroles et de ses intentions et que cette liberté doit pouvoir dépasser les considérations d’une commission. Pour cette raison, je vous propose de soutenir la motion, afin que l’une de nos commissions, peut-être la Commission des institutions et des droits politiques puisse intégrer, dans la directive ou dans la LGC, la possibilité pour un pétitionnaire, dans le cas d’une pétition traitant de personnes physiques, de la publicité et d’une discussion qui ne soit pas en huis clos.
Il est toujours discutable de modifier une loi sur la base d’un événement isolé. Dans le cas précis, un pétitionnaire voulait rendre sa cause publique. M. Serge Melly, notre ancien collègue, était favorable à la cause du pétitionnaire et aurait souhaité que le débat du Grand Conseil contribuât à la publicité de sa cause. Cependant, pour ce faire, la proposition de la minorité revient à réduire la liberté du Grand Conseil, puisqu’il s’agirait d’obliger le Grand Conseil à renoncer aux débats à huis clos si le pétitionnaire le demande. Or, s’il est bien facile de respecter la personnalité dans le rapport de la commission et de prendre toutes les mesures d’anonymisation voulue, ce n’est pas le cas lors du débat public. C’est ce qu’a expliqué M. le rapporteur de majorité : les intérêts du pétitionnaire ne sont pas seuls à être en cause. Il peut aussi y avoir les intérêts de sa famille, de ses proches ou d’autres personnes. Nous devons nous souvenir du fait que si le débat à huis clos vise officiellement à protéger les intérêts de tiers, en réalité, il nous protège, nous députés, du fait que selon les propos tenus et quelle que soit la cause défendue, il peut y avoir un arrière-plan et des éléments qui apparaissent dans le débat en plénum. Ces éléments peuvent justifier le dépôt d’une plainte pénale ou d’une accusation contre l’un ou l’autre d'entre nous qui aurait tenu ces propos. Pour cette raison, il ne faut pas trop banaliser l’intérêt que nous avons à ne pas restreindre la liberté du Grand Conseil en la matière, et ensuite à ne pas prendre le risque de voir nos propos en justice. Si cette dernière nous condamne, car elle a raison de le faire, elle le fera, mais il faut rappeler que le débat à huis clos sert aussi à nous protéger. Ces deux raisons me paraissent justifier le soutien au rapport de majorité.
La motion de notre ancien collègue Melly n’était pas dénuée de sens, mais les propos qui viennent d’être tenus par mon collègue Haury sont dans la ligne de ce que je voulais vous apporter. Les deux rapports de majorité et de minorité sont excellents. Le cas était isolé et on aurait pu en discuter. Toutefois, la souveraineté du Grand Conseil est primordiale. Je vous encourage, en mon nom, et en celui du groupe PLR, à soutenir le rapport de majorité et à classer cette motion.
Je déclare mes intérêts pour autant qu’ils le soient : lors de la précédente législature, je faisais partie de la Commission thématique des pétitions. Comme cela a été dit, prendre un exemple pour en tirer une modification de loi n’est pas juste. En effet, il s’est avéré à plusieurs reprises que des personnes auraient souhaité diffuser leurs informations ou celles qu’ils détenaient, mais que la commission détenait aussi des rapports différents. A un moment, même si la personne est présente et souhaite parler, pensant que cela peut servir sa cause, nous sommes seuls responsables : en premier lieu, la commission, puis le plénum. Nous devons garantir notre indépendance d’action. Ainsi, je vous demande d’en rester à la variante de la majorité de la commission.
Il importe que le débat à huis clos continue d’être possible, mais sans en abuser, pour que les députés et le Conseil d’Etat puissent s’exprimer librement. Je vous recommande de suivre le rapport de majorité, au nom du groupe UDC.
A la suite des propos de M. Haury, j’aimerais apporter une précision : nous disposons d’une immunité pénale dans le cadre de nos déclarations au Grand Conseil, selon l’article 14 de la LGC qui renvoie à l’article 17 de la Loi d’introduction du code de procédure pénale. Nous disposons de l’immunité pénale lors des débats au Grand Conseil, comme les représentants du Conseil d’Etat; celle-ci peut être levée uniquement par le vote du Grand Conseil. La question du débat à huis clos est pertinente, comme on le voit. En revanche, la question de notre protection est moins marquée, au vu de l’immunité qui nous protège lors de nos envolées lyriques.
Dans le prolongement des propos de mon collègue David Raedler, j’aimerais souligner que la minorité de la commission propose la prise en considération partielle de la motion. Dans la mesure du possible, il s’agit de préciser dans la LGC la procédure de traitement des pétitions qui concernent les personnes. Lorsqu’une pétition circule en faveur de tel ou tel individu, ce dernier accepte que son nom soit connu. C’est d’ailleurs souvent sur la base d’une certaine notoriété que les signatures s’alignent sous la pétition. Lorsque le Grand Conseil traite une pétition en faveur d’une personne qui consent à faire l’objet du débat, il serait normal que le Grand ne décide pas de débattre à huis clos. Ce seront des cas d’exceptions, mais la LGC peut en préciser les conditions et faire en sorte que les exceptions soient réglées et codifiées. Je vous invite donc à soutenir le rapport de minorité.
Retour à l'ordre du jourLa discussion est close.
Le Grand Conseil refuse la prise en considération de la motion par 78 voix contre 41 et 6 abstentions.