25_INT_15 - Interpellation Julien Eggenberger et consorts - Assurer le respect des droits humains des personnes migrantes et interroger les renvois vers la Croatie. (Développement).

Séance du Grand Conseil du mardi 4 février 2025, point 10 de l'ordre du jour

Texte déposé

Plusieurs associations, dont l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR), Solidarité sans frontières, Stop Dublin Croatie et Médecins Action Santé Migrants, ont récemment documenté des cas de renvois, notamment vers la Croatie, dans le cadre des accords de Dublin. Ces témoignages mettent en lumière des problèmes liés au suivi des soins, aux conditions de renvoi et à la situation sur place. Malgré plusieurs interventions parlementaires – parmi les plus récentes : l’interpellation de Carine Carvalho[1], ou la question orale de Joëlle Minacci[2] – la situation ne semble pas s’améliorer.

Le rapport intitulé « Spirale de la violence – Dublin et la situation en Croatie » publié en 2023 par Solidarité sans frontières[3] révèle des abus graves, dont des traitements inhumains et dégradants infligés aux personnes migrantes renvoyées en Croatie. Ces violences, combinées à des refoulements illégaux et des conditions d’insécurité, causent des traumatismes psychologiques et aggravent l’état de santé physique des personnes concernées. Différentes analyses de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR)[4]démontrent les pratiques illégales des autorités croates (renvois illégaux, usage de la force contre les personnes en quête de protection,…). Dès lors, la pratique actuelle des autorités suisses en matière d’asile est aussi critiquable et elles devraient renoncer aux transferts vers la Croatie, en particulier lorsqu’un suivi médical est requis.

Un récent reportage de Camille Craft pour Blick.ch[5] confirme l’actualité de ces critiques. L’article illustre notamment les lacunes en matière de continuité des soins : une fillette gravement malade a été renvoyée en Croatie alors qu’elle avait un rendez-vous médical essentiel prévu le lendemain de son arrestation. Son reportage relate concrètement en quoi les conditions de suivi sanitaire en Croatie ne permettent pas la continuité des soins. De plus, le reportage met en lumière la pratique controversée des interventions nocturnes de la police cantonale, une approche qui soulève des questions sur le respect des principes de proportionnalité et sur l’impact traumatique pour les enfants concernés.

Les personnes migrantes accueillies dans notre canton ont souvent vécu des parcours migratoires éprouvants sur les plans physique et psychologique. Lorsqu’elles sont renvoyées, leur suivi médical et psychologique est souvent interrompu de manière brutale, les exposant à des risques accrus pour leur santé. Or, il semble que l’évaluation de leur état de santé avant le renvoi se limite aux seules conditions de transport, sans garantir la continuité des soins dans le pays de destination. Des lacunes importantes dans la transmission des informations médicales entre les professionnel·le·s de santé et les autorités semblent également être constatées, incluant des omissions concernant des rendez-vous médicaux déjà planifiés.

Le Conseil d’État a expliqué, dans le cadre de l’examen d’une motion Hadrien Buclin[6], que les autorités doivent disposer de toutes les informations pertinentes pour évaluer l’exécutabilité d’un renvoi. Or, dans le cas cité en exemple, plusieurs informations essentielles n’ont pas été transmises, compromettant ainsi l’évaluation, respectivement la continuité des soins après renvoi. L’article 46 de la Loi fédérale sur l’asile (LAsi) désigne le canton territorialement compétent comme responsable des renvois, même pour les personnes hébergées dans les centres fédéraux. L’article 64d de la Loi fédérale sur les étrangers (LEI) exige la prise en compte des problèmes de santé dans l’examen de l’exécutabilité d’un renvoi. Le Service de la population (SPOP) indique, dans l’article du Blick.ch, qu’il « veille systématiquement à clarifier l’état de santé des personnes avant d’organiser leur départ. » Cependant, seul le médecin évaluateur mandaté par le Secrétariat d’état aux migrations (SEM) « peut juger et décider de l’aptitude au voyage des personnes et des conditions dans lesquelles il peut être organisé sur le plan sanitaire. (...) Le SPOP n’a en effet aucune compétence médicale ou légale pour évaluer si les personnes sont aptes à voyager et n’est pas habilité au secret médical. (…) il appartient au SEM d’informer le pays de destination des éventuels besoins médicaux des personnes. » Les cas relevés démontrent une coordination déficiente.

Parallèlement, le mandat confié à OSEARA SA, qui consiste à évaluer l’aptitude au transport et à fournir un accompagnement médical, soulève des interrogations. Il n'est pas évident de comprendre comment la continuité des soins dans le pays de renvoi est évaluée. En outre, le Tages Anzeiger[7] a relevé le potentiel conflit d’intérêts lié au fait que cette entreprise pourrait être incitée à déclarer les personnes aptes au renvoi, étant ensuite rémunérée pour l’accompagnement médical pendant le vol. 

Au vu de ces éléments, et afin de garantir la responsabilité des autorités cantonales et fédérales dans la protection de la santé des personnes migrantes, nous interpellons le Conseil d’État sur les points suivants :

  1. Quelle procédure exacte l’administration suit-elle pour s’assurer qu’aucun problème de santé ne s’oppose à un renvoi?
  2. Au vu des critiques concernant l’entreprise OSEARA SA et des éléments inquiétants rendus publics par les associations, le Conseil d’Etat est-il en mesure d’assurer que l’avis du médecin traitant sera entendu et que toutes les informations pertinentes (état de santé, rendez-vous médicaux planifiés, etc.) sont transmises aux autorités compétentes avant décision, avant exécution du renvoi puis aux autorités étrangères en lien avec le suivi après exécution du renvoi ?
  3. Les services cantonaux interviennent-ils en demandant un réexamen lorsque les informations en leur possession (ou en possession de la société qu’ils ont mandatée) confirment qu’un renvoi serait problématique du point de vue de la santé, soit dans l’exécution, soit dans la continuité des soins une fois dans le pays de destination ?
  4. Le Conseil d’État peut-il indiquer le nombre de renvois nocturnes effectués ces cinq dernières années et le nombre de situations ayant concerné des enfants de moins de 16 ans ?
  5. Existe-t-il une coordination avec les autorités du pays de destination, notamment la Croatie, pour garantir la continuité des soins nécessaires ?
  6. Le Conseil d’État a-t-il interpellé la Confédération au sujet des risques sanitaires liés aux renvois Dublin, en particulier vers des pays où l’accès aux soins est limité ?
  7. Envisage-t-il de demander la suspension des renvois vers des pays où il est impossible de garantir un accès adéquat aux soins médicaux et psychologiques ?


 

[1] https://www.vd.ch/gc/seances-du-grand-conseil/point-seance/point/1a1f18c2-0d2c-4763-8be9-596ce4aac8bf/meeting/1013645

[2] https://www.vd.ch/gc/seances-du-grand-conseil/point-seance/point/c01ce440-9baf-4fcd-96f8-f740c7ec32e8/meeting/1026875

[3] https://asile.ch/wp-content/uploads/2023/06/230628_Sosf_DublinKroatien_Spirale-de-la-violence_FRZ_WEB.pdf

[4] https://www.osar.ch/publications/news-et-recits/analyse-juridique-sur-la-croatie-losar-porte-un-regard-critique-sur-la-pratique-actuelle-de-la-suisse

[5] https://www.blick.ch/fr/suisse/le-recit-dune-famille-deboutee-gravement-malade-cette-fillette-a-ete-renvoyee-par-la-suisse-dans-un-centre-sordide-en-croatie-id20512172.html

[6] https://www.vd.ch/fileadmin/user_upload/organisation/gc/fichiers_pdf/2022-2027/23_MOT_14_RCmaj.pdf

[7] https://www.tagesanzeiger.ch/aerzte-ohne-noetige-qualifikation-begleiten-ausschaffungsfluege-982822675621

Conclusion

Souhaite développer

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Patricia Spack IsenrichSOC
Yannick MauryVER
Amélie CherbuinSOC
Claire Attinger DoepperSOC
Stéphane BaletSOC
Cendrine CachemailleSOC
Sandra PasquierSOC
Sébastien CalaSOC
Géraldine DubuisVER
Valérie ZoncaVER
Vincent BonvinVER
Vincent KellerEP
Sylvie Pittet BlanchetteSOC
Eliane DesarzensSOC
Théophile SchenkerVER
Alice GenoudVER
Claude Nicole GrinVER
Martine GerberVER
Yves PaccaudSOC
Muriel ThalmannSOC
Pierre FonjallazVER
Denis CorbozSOC
Marc VuilleumierEP
Alexandre DémétriadèsSOC
Laure JatonSOC
Alexandre RydloSOC
Thanh-My Tran-NhuSOC
Vincent JaquesSOC
Romain PilloudSOC
Joëlle MinacciEP

Documents

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. Julien Eggenberger (SOC) —

Le 11 décembre dernier, un mercredi, en pleine nuit, à Vallorbe, une vingtaine d’agents et d’agentes de l’Etat interviennent. Leur mission ? Arrêter Bezma et sa maman. La mère supplie, elle explique : sa fille est gravement malade et une consultation au CHUV est prévue pour le lendemain. Mais rien n’y fait, l’ordre est donné. Transfert à Zurich, puis vol pour Zagreb. Là-bas les attendent un camp insalubre, des portacabines infestées, les mauvais traitements de la police croate, documentés, connus et pourtant ignorés. Ce récit est vrai, relaté par l’association Médecins Action Santé Migrants, confirmé par le reportage de Camille Craft pour le Blick.ch ; les noms ont été changés, mais l’histoire est authentique, mais hélas manque d’originalité, puisqu’il y a d’autres Bezma et d’autres mamans. Reprenons : une mère et sa fille, la nuit, 20 agents et agentes, un vol spécial, une interruption brutale du suivi médical, des mauvais traitements, des logements insalubres, l’inhumanité. En écoutant cette histoire, nous sommes frappés, choqués, les lignes rouges ont été dépassées, la dignité humaine est piétinée, nos valeurs bafouées. 

Or, derrière cette mécanique froide figurent des décideurs et des décideuses, à Lausanne, à Berne, qui ont choisi d’infliger cela à cette famille et à tant d’autres. Je me pose la question : comment dorment-ils ? C’est une question légitime. Quant à moi, et assurément à tant d’autres, j’ai du mal à trouver le sommeil quand je réalise que notre appareil administratif, notre police, peut mobiliser 20 agents en pleine nuit pour arrêter une mère et sa fille, malade, pour les expulser. Et que ce système, si efficace pour organiser en secret une telle opération, coordonner l’arrestation, le transfert, le vol, l’arrivée sur place, se révèle incapable d’assurer un suivi médical digne, ne serait-ce que celui d’honorer un rendez-vous médical. Finalement, l’interpellation et les questions qu’elle comporte sont simples : nul besoin de mois pour répondre ni de pages de rapports pour justifier et se dédouaner. Sommes-nous à la hauteur des engagements humanistes que nous clamons ? A la hauteur de ce que nous sommes censés représenter ? A la hauteur de nos valeurs ? Je remercie d’avance le Conseil d’Etat pour sa réponse… mais je l’en remercierais encore plus si elle tenait en une phrase : au nom des valeurs humanistes de notre canton et pour préserver les droits humains et la dignité, le canton de Vaud renonce à exécuter les renvois de familles en Croatie. 

M. Jean-François Thuillard (UDC) — Président-e

L’interpellation est renvoyée au Conseil d’Etat qui y répondra dans un délai de trois mois. 

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