19_INI_017 - Initiative Léonore Porchet et consorts - Un signe pour les personnes sourdes.
Séance du Grand Conseil du mardi 9 février 2021, point 10 de l'ordre du jour
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Visionner le débat de ce point à l'ordre du jourLa commission s’est réunie le 23 septembre 2019, présidée par notre ancienne collègue Valérie Schwaar. Ont participé à la séance, en plus de la cheffe du Département de la santé et de l’action sociale, M. Pierre-Antoine Schorderet de la section politique sociale et M. Frédéric Jaunin de la Coordination interservices des visites en établissements sanitaires et sociaux.
L’initiative demande de compléter l’article 61 de la Constitution vaudoise, pour y introduire la reconnaissance de la langue des signes française (LSF) et instaurer le droit de communiquer dans cette langue. Cette proposition découle d’une demande de la Fédération Suisse des Sourds (FSS). Selon les représentants auditionnés par la commission, la langue des signes est la langue maternelle des personnes sourdes ; le français constitue une langue secondaire, qu’elles maîtrisent moins bien, tant à l’oral qu’à l’écrit. La langue des signes véhicule l’identité et la culture des personnes sourdes, alors que la surdité, un handicap invisible, a des conséquences sur la vie quotidienne, et en particulier dans les domaines de la santé et de l’école. La FFS met en lumière une augmentation des discriminations dans les domaines de l’accès aux soins, de l’administration et de la formation.
Selon la conseillère d’Etat, le département comprend les préoccupations de l’initiante et il partage sa volonté d’améliorer la situation des personnes sourdes et malentendantes. Il s’interroge d’ailleurs sur l’opportunité d’élaborer une loi cantonale sur le handicap, qui concernerait toutes les personnes en situation de handicap, et pas seulement les personnes sourdes, mais engloberait la présente revendication.
L’initiante salue les réflexions du Conseil d’Etat de se doter d’une loi cantonale. Elle souhaite que, dans les situations où l’interprétariat n’est pas remboursé par l’assurance invalidité (AI), le remboursement soit assuré par une autre entité – Etat, commune, fondation de droit public, par exemple.
La discussion en commission a d’abord traité du statut de la langue des signes, certains s’opposant à son enseignement à l’école au même titre que le français. Pour d’autres, reconnaître la langue des signes n’implique pas de lui donner un statut de langue officielle. Il s’agit pourtant de reconnaître une composante culturelle de notre population. La commission a ensuite examiné le texte de l’initiative et notamment l’opportunité de le prendre en considération totalement, ou partiellement en rejetant le point portant sur le droit de recourir à la langue des signes dans les relations avec l’administration. La majorité des commissaires a considéré que ce point est le plus important de la proposition, sachant que l’accès aux moyens auxiliaires reste défaillant et elle a donc refusé la prise en considération partielle, par 7 voix contre 4. En vote final, la commission recommande au Grand Conseil de prendre l’initiative en considération, par 7 voix et 4 abstentions, et de la renvoyer au Conseil d’Etat.
La discussion est ouverte.
La demande de la FSS relayée par notre ancienne collègue Léonore Porchet d’ajouter un alinéa dans la Constitution semble être une évidence quand on prend conscience de la réalité que vivent les personnes sourdes et muettes. Il s’agit d’accorder à des personnes ne pouvant pas avoir accès au français oral un droit constitutionnel d’utiliser leur langue maternelle dans leur rapport à l’administration et aux services de l’Etat. Nul ne pourrait prétendre que la langue française écrite est un outil de communication pratique et facile d’utilisation pour une personne qui ne peut pas l’entendre — et même pour une personne qui peut l’entendre, d’ailleurs. En ce sens, même si toutes les mesures qui visent à sous-titrer les paroles sont louables, on ne peut pas décemment contraindre des personnes sourdes à utiliser une deuxième langue, qui n’est pas adaptée, alors que le langage signé est utilisable par les bébés bien avant leur premier mot ! Le groupe des Verts soutiendra cette initiative dans son intégralité et vous encourage à en faire de même.
Etant membre de la commission qui a étudié l’initiative, je fais partie des quatre commissaires qui souhaitaient une prise en considération partielle. Cette initiative, certes louable, demande de modifier la Constitution vaudoise, à l’article 61, en y intégrant un alinéa nouveau. Mais il faut comprendre que la Constitution actuelle traite la notion de handicap de manière générale. L’article 61 actuel a la teneur suivante :
1 L’Etat et les communes prennent en compte les besoins spécifiques des personnes handicapées et de leurs familles.
2 Ils prennent des mesures pour assurer leur autonomie, leur intégration sociale, scolaire et professionnelle, leur participation à la vie de la communauté ainsi que leur épanouissement dans le cadre familial.
Compléter cet article par un alinéa propre aux personnes malentendantes serait certes louable, mais poserait un problème de principe. En effet, si un alinéa vient préciser la problématique des malentendants, que faire pour tous les autres handicaps ? Il faudrait modifier la Constitution en y ajoutant une liste exhaustive des besoins des handicapés moteurs, des personnes avec un handicap mental ou psychique, et des aveugles. La Constitution donne un cadre général, mais ne doit pas se perdre dans des listes exhaustives, au risque d’en oublier. L’article actuel prend en compte la problématique dans son entier et il ne m’apparait pas nécessaire de le compléter. D’une manière générale, il me semble que les handicapés ne manquent pas de droits, mais plutôt des moyens leur permettant d’accéder à tous les services auxquels ils ont droit. Changer la Constitution ne supprimera pas la difficulté, pour toutes les administrations, d’offrir des services de qualité à toutes et tous. On connait, par exemple, les difficultés d’accès aux bâtiments que rencontrent les personnes en chaise roulante. Changer les choses est long, coûteux et parfois impossible.
Dans le cas présent, le deuxième alinéa proposé dans l’initiative dit : « Les personnes malentendantes, sourdes ou privées de l’usage de la parole ont le droit de recourir à la langue des signes française dans leurs relations avec les administrations et services relevant de l’Etat. » Cela signifie que toutes les administrations, cantonales et communales, et leurs différents services, devraient disposer de personnes capables de comprendre la langue des signes, ce qui me paraît pour le moins compliqué et peu raisonnable. De nombreuses possibilités sont déjà proposées, avec par exemple des traducteurs, remboursés par un forfait. De plus, la cyberadministration, qui est en route, offre et offrira toujours plus de prestations en ligne. Néanmoins, je partage largement les préoccupations de la postulante sur le fond comme sur les principes, et j’estime qu’il est souhaitable d’améliorer la situation des personnes sourdes et malentendantes. C’est la raison pour laquelle j’étais favorable à une prise en considération partielle de cette initiative, avec le seul ajout de l’alinéa 3.1 qui dit : « La langue des signes française est reconnue. »
De plus, plusieurs travaux et réflexions sont en cours concernant l’inclusion des personnes sourdes et malentendantes et par ailleurs, notre canton s’interroge sur l’opportunité de créer une loi cantonale sur le handicap. Une telle loi prendrait en compte non seulement les personnes sourdes, mais toutes celles concernées l’ensemble des handicaps. Elle compléterait ainsi la loi fédérale existante : la Loi sur l’égalité pour les handicapés. L’annonce de cette éventuelle nouvelle loi qui permettrait de prendre en compte les besoins de toutes et tous a été accueillie favorablement par l’ensemble de la commission. Pour toutes ces raisons, une partie du groupe PLR s’abstiendra lors du vote sur cette initiative. Je vous invite à en faire de même.
La formulation proposée par Mme Porchet dans cette initiative a été travaillée avec les personnes concernées et la FSS et elle répond à un réel besoin. Cette communauté présente une demande spécifique, qui répond à un besoin. C’est l’illustration d’un ressenti et du vécu, au quotidien, de la difficulté d’accéder à certains services, de l’administration ou de soins. Il s’agit donc d’une forme de discrimination avérée. J’entends bien les commentaires de M. Neyroud et ses craintes de voir l’administration obligée d’appliquer le deuxième alinéa tel qu’il est proposé, mais cela répond à un réel besoin, car il en va de la participation citoyenne des personnes sourdes et de leur autonomie. Si nous voulons reconnaître l'usage de la langue des signes, il est important de voter l’ensemble du texte et de ne pas se contenter du premier alinéa, car cela répond réellement à une requête des personnes sourdes.
Dans un pays comme le nôtre, où la question linguistique est si importante et où la question de la protection des minorités a toujours été un enjeu central, au-delà des aspects partisans, il est surprenant que l’on ait oublié de reconnaître les trois langues des signes. Le canton de Vaud a ici l’occasion de corriger cette erreur, pour l’une d’entre elles, soit la langue des signes française, comme l’ont fait d’autres cantons, notamment le canton de Genève, ou les cantons de Zurich et Berne pour la langue des signes allemande ; le canton de Bâle-Ville est en train d’y travailler. Nous avons donc ici l’occasion de rejoindre les différents cantons qui ont franchi le pas pour lutter contre une discrimination et permettre une meilleure accessibilité aux services. Une telle reconnaissance permettrait aux enfants sourds d’avoir accès au langage le plus tôt possible, pour avoir accès aux autres, pour comprendre le monde qui les entoure, pour renforcer leur autonomie et pour devenir de véritables citoyens. Pour renforcer la liberté citoyenne des sourds, nous devons accepter l’initiative, c’est une nécessité absolue.
Le groupe vert’libéral soutiendra cette initiative, car tout ce qui permet à des minorités ou à des personnes souffrant de s’intégrer mérite d’être soutenu. Certaines propositions peuvent faire craindre que ce soit très coûteux, mais il ne s’agit pas de mettre en place des personnes capables de faire cet intermédiaire dans toutes les administrations et tous les services. On peut probablement avoir une personne de référence, qui puisse être appelée pour venir donner un coup de main. Je faisais partie de la commission et j’ai un peu regretté que l’on n’ait que peu évoqué un autre outil qui permet aux sourds de s’intégrer : le langage parlé complété. Grâce à des aides moins lourdes que l’apprentissage complet du langage des sourds, il permet aux enfants de suivre une scolarité, avec l’accompagnement d’une codeuse, en classe. Cela permet d’associer la lecture labiale aux signes, pour se faire comprendre. Différents outils peuvent permettre l’intégration des sourds, mais celui proposé ici est déjà un pas pour l’intégration des personnes souffrant de ce handicap.
Vous ne me croirez peut-être pas, mais le meilleur moyen pour perdre du temps, c’est de vouloir faire une initiative constitutionnelle ; on va beaucoup plus vite avec des initiatives législatives. On n’est même pas obligé d’attendre qu’une future loi sur le handicap soit proposée. Bien sûr, cela « fait bien » de l’insérer dans la Constitution, mais si c’est pour que cela soit fait dans 3 ou 4 ans, car cela peut prendre beaucoup de temps, je le regrette. J’aurais souhaité une solution qui permette d’agir plus vite. Je me base sur mon expérience politique : une initiative constitutionnelle, cela fait bien dans le paysage, mais n’a qu’une efficacité très relative, alors qu’une initiative législative est beaucoup plus performante.
Le Conseil d’Etat partage la volonté formulée par l’initiative : améliorer la situation des personnes sourdes et malentendantes. Plusieurs travaux et réflexions sont en cours, à différents niveaux, qui touchent à la fois l’inclusion des personnes sourdes et celle des personnes en situation de handicap, de manière plus générale. Au niveau fédéral, le Conseil national a adopté, fin septembre 2019, un postulat qui charge le Conseil fédéral de présenter, dans un rapport, les différentes possibilités de reconnaissance juridique des trois langues des signes suisses. Sur le plan cantonal, des réflexions sont en cours sur l’opportunité d’élaborer une loi cantonale d’application de la Loi fédérale sur l’égalité des personnes handicapées. Une telle loi concernerait toutes les personnes en situation de handicap, soit également les personnes sourdes et malentendantes, mais pas uniquement. Deux motions, l’une de M. Cuérel et l’autre de M. Bouverat, demandant l’élaboration d’une telle loi viennent d’ailleurs d’être traitées en commission et seront donc prochainement discutées au sein de votre plénum.
Nos réflexions vont intégrer ce qui se fait au niveau fédéral, mais également ce qui a été fait dans d’autres cantons, et en particulier à Bâle-Ville, le premier canton à avoir adopté une loi spécifique sur les droits des personnes en situation de handicap, que nous devons encore analyser plus en détail. Le Conseil d’Etat favorise donc une réflexion globale sur la thématique du handicap et sur la prise en compte du droit des personnes dans ce type de situations ; la réalisation de leur participation à la vie en société couvre de très nombreux domaines, qui vont de la formation à l’accès à la santé, en passant par la mobilité, le logement, l’accès aux bâtiments publics ou l’insertion professionnelle, pour n’en citer que quelques-uns. Le Conseil d’Etat est donc tout à fait disposé à intégrer dans sa réflexion globale les demandes et revendications émises dans le cadre de la présente initiative.
Retour à l'ordre du jourLa discussion est close.
Le Grand Conseil prend l'initiative en considération par 85 voix contre 1 et 44 abstentions.