22_REP_129 - Réponse du Conseil d'Etat au Grand Conseil à l'interpellation Arnaud Bouverat et consorts - Les arrêts du Tribunal fédéral sur Uber et Uber Eats signeront-ils enfin l’arrêt du dumping social de l’économie de plateforme dans le Canton de Vaud ? (22_INT_84).
Séance du Grand Conseil du mardi 28 février 2023, point 18 de l'ordre du jour
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Visionner le débat de ce point à l'ordre du jourSur certains points, les réponses à nos questions dans l’interpellation citée nous laissent un petit peu sur notre faim. Premièrement, lorsque nous demandons quelle activité de contrôle le canton a effectuée durant ces dernières années depuis l’introduction de nos modifications à la Loi sur l’exercice des activités économiques (LEAE), respectivement depuis le développement des livraisons de repas à domicile, nous recevons comme information que le canton a effectué de nombreux contrôles. Nous nous serions attendus, de la part du service, à plus de détails sur les moyens dévolus à ces contrôles et sur le nombre de contrôles effectués.
Dans la réponse à l’interpellation Tschopp, Mme la conseillère d’Etat avait souligné le problème d’absence de documentation de réitération des infractions. En effet si l’on veut documenter une réitération, encore faut-il avoir fait plusieurs contrôles et avoir effectué plusieurs dénonciations. Concernant la documentation de la situation, nous n’avons aucune information, ce qui nous laisse sur notre faim et demeure problématique, car nous avons avec la modification de la LEAE introduit des moyens financiers importants par l’intermédiaire de taxes qui sont prélevées auprès des chauffeurs de taxi et de voiture de transport avec chauffeur (VTC). Des moyens qui auraient dû être dévolus à des contrôles. Nous serions en droit, à notre avis, en tant que législatif d’obtenir un rapport un peu plus circonstancié sur le nombre de contrôles effectués.
Le cadrage des activités de certaines entreprises qui ont massivement développé des activités durant ces dernières années constitue un deuxième point qui nous laisse sur notre faim. En effet, on constate qu’elles ne sont de toute évidence pas traitées de la même manière que de petits indépendants et des petites entreprises. Prenons quelques exemples, vous êtes aujourd’hui un restaurateur avec une grande cuisine, mais vous allez demander une licence de tea room, il est peu probable que le canton fasse sienne votre interprétation du droit. Les autorités, la police du commerce vont contrôler que votre demande en amont de l’autorisation soit bel et bien conforme à la réalité.
La réponse du Conseil d’Etat, ne nous fournit aucune assurance que ce dernier ainsi que ses services agissent de manière similaire pour de grands acteurs multinationaux de la livraison de repas, respectivement des taxis. Il faut savoir qu’Uber a fait valoir dans notre canton être un diffuseur de courses et non une entreprise de transport ; nous n’avons aucune documentation sur le fait que cette reclassification ait été exigée ou documentée de manière étayée par Uber. Nous ne pensons pas qu’il revient aux demandeurs d’interpréter le droit et que les services cantonaux sont dépositaires de l’analyse du rôle de chaque entreprise. Ainsi, qu’il incombe au canton de faire valoir son interprétation. Nous n’avons aucune réponse à cette interrogation dans la réponse à l’interpellation.
Deuxième sous-point par rapport à cela, le Conseil d’Etat mentionne qu’Uber fait valoir un nouveau modèle économique à l’issue des jurisprudences établies par le Tribunal fédéral, c’est en effet le troisième nouveau modèle d’Uber. Madame Moret, je pense que je peux vous annoncer un quatrième, un cinquième, un sixième et un septième modèle d’activité au fur et à mesure que les services genevois ou vaudois feront, avec peine, avancer la jurisprudence sur ces questions. Face à un acteur qui se joue du cadre légal en changeant des virgules à l’issue de chaque nouvelle jurisprudence, je crois qu’il convient de ne pas se laisser abuser par l’annonce de nouveaux modèles, de voir les analogies entre les différents modèles à savoir le recours à une pseudo indépendance, à une application dont l’algorithme n’est pas connu. Je ne sais pas si les informaticiens de vos services ont pu disséquer l’algorithme pour détecter la parfaite indépendance de chaque chauffeur. Et si Uber n’a pas fait preuve d’une complète transparence en vous livrant l’algorithme, je pense que vous pouvez présumer qu’Uber reste un employeur.
Dernier point, malgré les activités de contrôle brièvement documentées dans la réponse à l’interpellation, plusieurs entreprises qui s’avèrent en infraction dans le passé sont toujours actives et n’ont pas soldé les différentiels par rapport au passé. Cela veut dire que nous avons documenté les entreprises en infraction avec le droit depuis plusieurs années, mais qu’elles pratiquent toujours. Cela m’amène, en l’absence de certitudes sur la révision de la loi ou de ses dispositifs d’application par le Conseil d’Etat, à vous proposer une détermination dont le but est de garantir que les acteurs aujourd’hui actifs soient conformes à la loi, un plaidoyer de notre législatif pour que les entreprises qui souhaitent poursuivre leurs activités attestent de leur conformité au droit.
On ne peut pas imaginer des acteurs qui s’enorgueillissent de respecter soit la loi soit la jurisprudence, mais qui n’ont pas réglé le passif, ce qui veut dire qu’elles ont exercé pendant des années, en toute impunité une concurrence déloyale qui s’est avérée destructrice. Comme répété plusieurs fois, aujourd’hui nous avons des acteurs sur le marché des pizzerias ou des restaurants qui emploient leurs propres livreurs qui se doivent de respecter des conventions en vigueur, qui doivent se soumettre à des contrôles et qui subissent des amendes s’ils sont en infraction, tandis que de l’autre côté on trouve une multinationale qui change une virgule à son système lorsqu’elle a une jurisprudence qui ne solde pas le passif et qui n’atteste pas être en pleine et entière conformité avec le droit en vigueur. Ainsi, il est important que ces entreprises s’engagent auprès du canton, en tout cas dans les domaines où elles sont soumises à autorisation – le domaine des VTC – à régler le passif pour pouvoir continuer à exercer. La détermination est la suivante :
« Concernant l'économie de plateforme (tant concernant les VTC que les livraisons de repas), le Grand Conseil émet le vœu que le Conseil d'Etat fasse preuve de diligence dans l'application des lois de sa compétence (LEAE, LTr, LSE, LTN) et y accorde les moyens nécessaires pour le faire. Il considère important que l'Etat s'engage pour que les acteurs en infraction règlent le contentieux et se mettent pleinement en conformité s'ils souhaitent poursuivre leurs activités dans le canton. »
Voici une volonté de donner un signal pour que le droit s’applique auprès de tous, car je vous assure que les petits acteurs ne sont pas dans une telle situation d’impunité ; c’est un privilège de grands acteurs. Il s’agit aussi que les lois que nous avons adoptées ne soient pas vaines, nous avons eu des débats épiques sur la Loi sur l' exercice des activités économiques (LEAE). Nous estimons que les dispositifs d’application étaient déficients. Cependant, il revient au Conseil d’Etat de mettre l’énergie et les moyens nécessaires pour assurer une application correcte ou de nous proposer des modifications de loi, respectivement de modifier son règlement d’application si des lacunes sont détectées ce qui, au vu de la réponse du Conseil d’Etat, ne semble pas être le cas. Dès lors, nous sommes bien dans la première éventualité. Il s’agit d’un signal du législateur qui vise à soutenir les activités déclenchées par l’exécutif durant les derniers mois que nous souhaitons donner. Je vous remercie de réserver un bon accueil à cette détermination et je réponds volontiers aux éventuelles interrogations à ce sujet.
La discussion sur la détermination est ouverte.
En complément aux éléments amenés par mon collègue Bouverat que je remercie pour le texte essentiel de l’interpellation, il faut effectivement comprendre que le modèle lié à Uber est complexe tout comme les autres entreprises actives dans l’économie de plateforme, comme vous l’avez relevé madame la conseillère d’Etat, dans la réponse accordée à cette interpellation. Une complexité qui a aussi été relevée par le Conseil fédéral qui a émis en 2021 une analyse de plus de 100 pages sur l’économie de plateforme et les problèmes liés aux assurances sociales, au droit du travail, aux conséquences liées au travail au noir, toutes les conséquences qui se rapportent à la qualification du rapport juridique. Maintenant, il est très important de comprendre que le Tribunal fédéral (TF) dans les deux arrêts qui sont mentionnés dans la réponse à l’interpellation a posé des critères clairs par rapport à la question de savoir si Uber – et pourquoi Uber – devrait être tenu comme employeur. Dans ces critères, et malgré la complexité du système Uber – un vrai serpent de mer – qui change à chaque nouvelle jurisprudence, la Suisse n’est de loin pas le seul pays où ces questions se posent. A chaque nouvelle jurisprudence, le système Uber change, se modifie, altère un élément pour tenter de motiver le fait qu’il n’est pas employeur ou respectivement que ce soit une entreprise généralement dans un pays étranger qui soit l’employeur, alors qu’Uber Suisse n’est pas employeur, mais simplement locataire de services par rapport aux employés en question. Ces différents modèles se voient par principe tous faire opposition sur un point, comme nous l’a dit le TF ; le rapport de subordination est nécessaire pour retenir l’existence de rapports de travail qui découlent du système des applications utilisées. C’est-à-dire que ces applications sont liées à l’algorithme appliqué et à la nécessité de passer par l’application, des systèmes mis en place par l’application comme les notes données aux chauffeurs ou aux livreurs, ou aux commentaires, au moment où on accorde une course au chauffeur. Ces éléments sont justement constitutifs de ce lien de subordination. Dès le moment où existe un lien de subordination qui nous mène à une qualification en droit privé d’employeur, alors découlent les conséquences en droit public. Or, le contraire n’est pas vrai, puisque vous pouvez être employeur en droit des assurances sociales et pas employeur en droit privé, vous pouvez être employeur dans un autre domaine et pas en droit privé ou par rapport à la Loi sur le travail (LTr), dès le moment où vous l’êtes en droit privé, alors vous l’êtes nécessairement dans tous les autres volets qui dépendent du Conseil d’Etat et qui ont été listés dans la détermination de notre collègue.
À ce titre-là, indépendamment des modèles qu’Uber tente de vendre, ce rapport de subordination est clair, parce qu’il est immanent à l’application utilisée et au fonctionnement de celle-ci. Autrement dit, tant qu’Uber utilise une application, il est employeur. Ce serait uniquement dès le moment où Uber acculé n’utiliserait plus d’application – ce qui serait étonnant – que dans ce cas-là, les questions reviendraient pour savoir s’il s’agit ou non d’un employeur. Par conséquent, la situation demeure compliquée, parce qu’il faut chaque fois analyser le modèle, mais tous les modèles fonctionnent sur cette application et donc le rapport de subordination est donné. Les contrôles et autorisations qui ont été évoqués par notre collègue Bouverat sont essentiels. A cet égard, le Conseil d’Etat genevois et le Service de l’emploi de Lausanne ont pris position par rapport à Uber. Ainsi, il est essentiel que le canton joue un rôle proactif pour retenir que le contournement de la loi n’est pas accepté dans le canton. En effet, l’unique but d’Uber est de gagner du temps, un temps qu’ils peuvent consacrer à développer des activités sans respecter le cadre légal, ce qui va donc à l’encontre de l’intérêt public.
Par conséquent, la détermination de notre collègue Bouverat est complètement logique. Elle ne dit pas que la situation n’est pas compliquée, car naturellement elle l’est, mais invite le Conseil d’Etat à agir dans ce contexte pour qu’on ne se fasse pas dépasser, contourner, et finalement accepter que les entreprises sur notre sol ne respectent pas la loi, alors que de petits acteurs doivent la respecter. Cette détermination devrait être acceptée.
Enfin, plus généralement, on ne peut qu’inviter le Conseil d’Etat à marquer sa désapprobation par rapport à un système qui cherche à contourner la loi. Il faut être fort sur ce point et donc inviter Uber à respecter le cadre légal qui s’applique à toutes et tous, il faut donc respecter cette détermination.
Uber, voilà un modèle d’affaire que je n’apprécie guère, sans faire des vers ! Il bénéficie de succès qui sont au détriment des codes de loyauté sociale et commerciale, qui prévalent dans le monde du travail qui, lui, respecte dans sa grande majorité les obligations légales qui régissent toute entreprise au niveau des charges sociales, des salaires conventionnés et des relations employeur – employé. La paix du travail en Suisse a façonné la prospérité économico-sociale de notre pays. Ainsi, autoriser des exceptions, telles qu’Uber veut les imposer, fragiliserait les fondations de cette paix locale bâtie durant de nombreuses années. En effet, la ville de Lausanne a réalisé en 2022 465 contrôles sur les conditions de travail dans les entreprises lausannoises. Elle a constaté une augmentation des infractions avec notamment 33 % des cas qui concernaient des infractions graves à la législation. Par ailleurs, plus de 2'400 personnes ont sollicité la permanence en droit du travail principalement pour des questions sur la fin des rapports de travail ou le paiement du salaire. Plusieurs secteurs autres que Uber sont concernés, hôpitaux, pharmacie, boulangerie, rédaction de journaux, garage, construction, etc. Cela concernait des dépassements récurrents de la durée de travail ou des mesures de protection de la santé. L’inspection du travail de Lausanne constate une importante augmentation de la gravité des infractions. Sachant que diverses activités professionnelles n’ont pas été contrôlées et, croyez-moi, il ne s’agit pas uniquement de celles que j’ai citées précédemment, puisqu’il y aura les grands magasins, les centres de fitness, d’analyses médicales et j’en passe. Ce constat ne peut que nous inviter à accepter la détermination de notre collègue Bouverat.
Le Groupe Ensemble à Gauche et POP estime également que malgré les explications de la conseillère d’Etat sur ces procédures mises en place suite à diverses interventions de la gauche en vue de réguler et contrôler Uber, ces démarches restent largement insuffisantes pour toutes les raisons exprimées pas mes collègues Bouverat et Raedler. Il nous paraît indécent de voir la pugnacité avec laquelle la multinationale se joue de toutes les lois en réadaptant constamment son modèle économique en vue d’empêcher la protection des travailleurs. Par ailleurs, nous avons vu en 2021 avec la grève des livreurs de Smood, à quel point l’économie de plateforme précarise les personnes contraintes d’y avoir recours pour survivre et demeure un problème plus large.
Ainsi, nous soutiendrons évidemment la détermination proposée par le député Bouverat, qui paraît essentielle devant la toute-puissance et l’impunité d’Uber, et qui consisterait en un signe primordial adressé par le législatif que nous sommes à cet acteur économique. Nous maintenons que d’autres actions contraignantes et une réelle coordination concrète entre les autorités cantonales doivent être rapidement impulsées par la conseillère d’Etat pour entraver cette irrégulation d’Uber aux conséquences si dangereuses pour les travailleurs et les nombreux jeunes qui recourent à ces emplois. Nous invitons à étendre cette vigilance à l’ensemble des entreprises de l’économie de plateforme.
Nous avons vraiment affaire à une hydre, cet animal mythologique, imaginaire, serpent à plusieurs têtes qui à chaque fois qu’on lui coupe l’une de ses têtes, voit une autre qui repousse... ! on a l’impression qu’au bout de 10 ans de présence Uber, en Suisse, l’entreprise est capable d’une souplesse et d’une contorsion, à une adaptation aux lois ou une manière de les contourner qui permet à chaque fois à Uber de renaître sous une autre forme en donnant le sentiment qu’elle est dans les clous, alors qu’en réalité on a d’excellentes raisons de penser en regardant les jugements et décisions successifs que ce soit du Tribunal fédéral ou de différents tribunaux, des autorités, que ce n’est pas le cas. Ce qui se joue là ne concerne pas seulement – même si c’est déjà important en soi – le secteur des VTC et des taxis, ni la question de la livraison des repas ; en réalité, la question est bien plus large. En effet, c’est bel et bien un modèle d’affaires qui est tenté et peut se décliner dans tous les secteurs d’activités. Qu’est-ce qui s’oppose à ce que demain nous ayons Uber plombier, Uber électricité ? Il s’agit d’un modèle d’affaires redoutable, qui met en cause et qui constitue clairement un enjeu de concurrence déloyale qui doit être combattu. J’espère qu’aujourd’hui nous serons unanimes face à cette détermination qui demande un cadre. Les entrepreneurs et les entrepreneuses dans cet hémicycle qui s’engagent, paient des charges sociales et des cotisations pour leur personnel, s’y emploient face à des acteurs qui prétendent que leurs salariés sont des indépendants ce qu’ils ne sont pas : un enjeu d’égalité de traitement. Ainsi, pour nos autorités, il s’agit à un certain moment de poser une limite.
Le raisonnement de MM. Bouverat et Raedler sur les algorithmes est central. Si vous lisez la jurisprudence d’un des premiers arrêts rendus en Suisse sur Uber quant à une affaire vaudoise – l’avocat Rémy Wyler avait pris la défense d’un chauffeur licencié – vous constaterez que Uber, finalement, n’est pas allé au Tribunal fédéral, mais que la décision est devenue définitive et exécutive au mois de décembre 2020. Cet arrêt est intéressant car il permet d’observer comment fonctionne cet algorithme, même si nous n’en possédons pas tous les tenants et aboutissants. A ce propos, j’aimerais connaître des réponses de notre Conseil d’Etat, et je m’attends aussi à ce que notre gouvernement confronte Uber. En réalité, les chauffeurs qui prennent le plus possible de courses sont favorisés par l’algorithme, ce qui signifie que passé un certain point une forme d’emprise est exercée sur les chauffeurs pour apparaître au sommet de l’algorithme. Cela signifie que ceux qui, à l’inverse, commencent à refuser des courses ou n’en acceptent pas une énième sont relégués tout à la fin de l’algorithme. Le tribunal s’appuie sur cet argument pour démontrer le lien de subordination mis en place. Dans cet arrêt en lien avec Uberpop, la question des notes n’était donc pas la seule qui importait puisque prévalait le fonctionnement de l’algorithme.
Madame la conseillère d’Etat, vous avez, sauf erreur, quand vous étiez conseillère nationale, assuré la présidence de l’intergroupe pour la défense des consommatrices et consommateurs, et vous savez aussi que le Digital Service Act qui est en discussion maintenant et qui entrera en vigueur l’année prochaine dont les Etats de l’Union européenne offriront certaines informations et garanties aux consommateurs et consommatrices sur le fonctionnement des algorithmes. Nous n’aurons malheureusement pas ces informations en Suisse, car nous ne faisons pas partie de l’Union européenne. Des enjeux centraux s’opèrent dans les économies de plateformes, sur les liens de subordination insidieux qui peuvent se mettre en place, alors que les acteurs prétendent qu’il s’agirait uniquement d’indépendants. Je souhaiterais vous entendre sur cette question en lien avec les fonctionnements de l’algorithme, sur les outils et les instruments dont dispose le Conseil d’Etat et de son autorité pour entendre Uber sur ces questions, quelle que soit la variante proposée. Enfin, je déclare mes intérêts et précise que je suis responsable du service juridique de la Fédération romande des consommateurs (FRC).
Pour peut-être déclarer mes non-intérêts, je ne possède pas l’application Uber pour les déplacements ou les produits de consommation. Comme le relève la réponse du Conseil d’Etat, je crois que le Grand Conseil était assez unanime sur les dispositions légales à prendre sur l’ensemble de ces activités économiques en particulier les plateformes. Je rappelle qu’en 2019 la nouvelle Loi sur les exercices des activités économiques (LEAE) concernait également la plateforme de logement Airbnb. C’est vrai, cela a été dit tout à l’heure, la technologie va plus vite que les lois : une évidence absolue. Je lisais récemment que les anciennes plateformes mettaient deux à trois ans pour imprégner ou arriver à 1 million de consommateurs, aujourd’hui, en trois jours, ChatGPT arrive à drainer 1 million d’utilisateurs. C’est dire à quel point les modèles varient très rapidement et à quel point ces activités économiques sont rapides. J’ai le sentiment – je pense qu’on peut de temps en temps se frotter les mains ou s’accorder quelques fleurs – que la LEAE et l’arrêt du Tribunal fédéral invoqués montrent que nous avons assez bien cadré le sujet, même si mes préopinants ont raison de dire qu’il faut rester vigilant, faire des contrôles ; la situation s’avère toutefois extrêmement complexe. En relevant à nouveau que j’estime que nous avons cadré autant que faire se peut, nous pouvons modifier la loi tous les six mois, les évolutions suivront.
La détermination demande finalement au Conseil d’Etat d’inviter Uber à respecter la loi… si je résume et caricature un peu. J’espère bien que le Conseil d’Etat est attentif ! A mon avis, il l’est, et à n’en pas douter, il prendra les mesures nécessaires pour qu’Uber et d’autres acteurs économiques respectent la loi. Je ne suis pas sûr qu’en rappelant à Uber qu’il ne peut pas avoir « l’Uber et l’argent d’Uber » (rires), on fasse forcément avancer le schmilblick. Dès lors je voterai cette détermination parce que je pense que nous devons montrer un front uni et fort. Néanmoins, dans l’esprit de la LEAE, j’ai quelques doutes que je me permettais d’exprimer oralement sur l’opportunité de rappeler au Conseil d’Etat ce qu’il doit faire ; car à mon avis il s’y emploie très bien !
Beaucoup de choses ont été dites sur les différents modèles Uber et leur perversité. Dans la même ligne que les débats d’il y a 15 jours sur le même sujet, le groupe UDC soutiendra à une large majorité cette détermination. Cela concerne les conditions de travail des personnes qui travaillent pour Uber mais également la défense de notre hôtellerie-restauration qui, elle, respecte les règles.
Comme déjà indiqué sur ce dossier, je suis favorable à la concurrence, mais saine et qui nécessite que tous les acteurs respectent le droit applicable. Les restaurateurs, notamment dans les pizzerias, ont des salariés qui livrent des pizzas ; une potentielle problématique de concurrence déloyale. De la même manière, les compagnies de taxis ont des chauffeurs qui sont employés. Il s’agirait aussi de s’assurer qu’il n’y a pas de concurrence déloyale. À l’inverse, il y a aussi des taxistes qui sont totalement indépendants et qui utilisent l’application Uber pour avoir des clients supplémentaires, voire qui attirent des clients privés à partir de cette plateforme. Pour ma part, ce qui m’importe consiste à m’assurer que le droit fédéral et le droit cantonal soient appliqués à tous de la même manière. Mon objectif n’est pas d’interdire Uber, ni les économies de plateformes, ni les applications, mais de m’assurer que le droit soit appliqué à tous et, en particulier, toute la législation qui protège les travailleurs. La dernière fois, il y a 15 jours, vous avez voté de manière unanime – et je vous en remercie – pour soutenir le plan d’action du Conseil d’Etat que je continue à mettre en œuvre. Car je multiplie les rencontres avec les acteurs clés, notamment du côté des syndicats UNIA et Syndicom. J’ai écrit à la Commission de surveillance de la convention collective nationale de travail (CCNT) pour les hôtels, restaurants et cafés qui estime que cette CCNT s’applique aux livreurs de repas d’Uber. Je vais rencontrer prochainement la Fédération romande des consommateurs (FRC) et nous aurons l’occasion d’en parler.
Ainsi, je continue selon le mandat attribué par le Grand Conseil. Nous continuons aussi à annoncer publiquement nos décisions. Finalement, j’émettrai un rapport final sur ce dossier. J’espère trouver d’ici là des solutions globales sur cette problématique, puisqu’en effet, je souhaite trouver des solutions globales, car nous « courons après » les différents modèles. Ainsi, il s’agit d’être proactif, ce que nous fûmes en mandatant un excellent avocat, un spécialiste du domaine, en lui donnant un mandat pour nous aider à travailler sur ce dossier, puisque nous n’avons pas au sein de l’Etat les forces nécessaires pour pouvoir poursuivre un acteur international qui, lui, dispose de moyens financiers, peut s’entourer d’une équipe d’avocats. Vous évoquiez les algorithmes ; vous imaginez aisément que cela dépasse mes capacités. Il s’agit pour nous – si cette question est nécessaire d’un point de vue juridique – d’obtenir de l’aide extérieure.
Par conséquent, le texte de votre détermination prévoit que nous fassions diligence – ce à quoi nous nous employons – mais aussi que le Conseil d’Etat se dote des moyens nécessaires. Je vous l’ai dit la dernière fois et vous le répète : la complexité juridique de ce dossier et le nombre de décisions à prendre dépassent clairement ce qui est budgété au sein de mon département. Ainsi, lorsque vous écrivez qu’il s’agit pour le Conseil d’Etat de se donner les moyens nécessaires, j’entends par là que vous soutiendrez le fait qu’il fonctionne notamment par un mandat externe. Par conséquent, si je présente une demande de crédit supplémentaire à la Commission des finances sur ce sujet, vous me soutiendrez, puisque vous l’aurez voté dans le cadre de votre détermination. Ensuite, lorsque vous demandez que l’Etat s’engage auprès des acteurs en infraction afin qu’ils règlent leur contentieux et se mettent en pleine conformité, le Conseil d’Etat s’engagera pour ce qui relève de sa compétence. Toutefois, certains éléments relèvent de celle des tribunaux. De surcroît, Etat n’équivaut pas forcément à Conseil d’Etat mais plutôt à chacun dans le respect de la séparation des pouvoirs.
Ainsi, forte de ces éléments, je n’ai nulle objection à ce que vous souteniez cette détermination. Au contraire, je considère que sa forme appuie le plan d’action qui vous a été présenté la dernière fois et qui avait obtenu votre unanime soutien. Pour ma part, j’estime que pour l’instant un changement de loi est superflu. En effet, nous possédons des lois qu’il s’agit d’appliquer – ce à quoi nous nous employons. Quant aux contrôles, nous en avons déjà effectué une bonne dizaine. La dernière fois je vous ai expliqué la nature des suites judiciaires ; d’autres sont toujours en cours. A ce sujet, un tableau récapitulatif pourrait vous être fourni conjointement au rapport. Vous avez en particulier mentionné les deux décisions de l’inspectorat du travail de Lausanne. A cet égard, je tiens à rappeler que rien de nouveau n’est à signaler, qu’il s’agit des deux décisions dont je vous avais entretenus il y a 15 jours, dont la première avait fait l’objet d’un recours auprès de mon département. La deuxième est actuellement en examen auprès de mes services, puisqu’il appartient à mon département de se déterminer sur ce deuxième recours contre la décision de l’inspectorat du travail de Lausanne. Comme vous pouvez le constater, j’avance dans ce dossier. Je vous remercie du soutien accordé aux moyens nécessaires à mettre en œuvre sur ce dossier. Rendez-vous au prochain épisode !
J’aimerais simplement apporter une observation relativement au propos de Mme la conseillère d’Etat. En effet, nous ne contestons aucunement par cette détermination le rôle des tribunaux en matière de litige de droit du travail. Cependant, dans le domaine de la LEAE, le législateur a pris soin de mentionner le respect du droit du travail dans une définition assez large et a subordonné le régime d’autorisation au respect de ce dernier. Dès lors, le législateur n’a pas indiqué que le respect du droit du travail devait débuter entre 2022 et 2025, mais au moment de l’adoption de cette loi. Aujourd'hui, plus de deux années de régime d’autorisation ont été appliquées et, à notre connaissance, au vu de la jurisprudence, des infractions ont été perpétrées. En effet, il faut – si on veut respecter la loi à la lettre – que le litige soit réglé, que le droit du travail ait pu être respecté durant cette période pour que les entreprises puissent continuer à bénéficier d’une autorisation. A mon sens, comme le canton de Genève, le canton de Vaud a une certaine marge de manœuvre pour exiger les attestations nécessaires avant que l’activité puisse se poursuivre. Voilà l’esprit que vos services appliquent très certainement dans beaucoup de cas détectés en raison d’infractions et qu’ils peuvent, à mon avis, aussi appliquer dans ce domaine.
Retour à l'ordre du jourLa discussion est close.
La détermination Arnaud Bouverat est adoptée par 121 voix et 9 abstentions.
Ce point de l'ordre du jour est traité.