22_MOT_43 - Motion David Raedler et consorts au nom de Jessica Jaccoud - « L’homme est condamné à être libre », sortons-le au-moins du huis-clos !.
Séance du Grand Conseil du mardi 19 novembre 2024, point 16 de l'ordre du jour
Texte déposé
La publicité des débats et séances du Grand conseil est un principe essentiel pour notre démocratie. Protégée notamment par l’art. 10 CEDH, elle constitue un droit fondamental qui est également exprimé à l’art. 96 de la Constitution vaudoise (« Cst-VD ») et repris à l’art. 141 de la Loi sur le grand conseil (« LGC »), avec une attention particulière accordée aux médias dans le contexte plus large de cette transparence (art. 142 LGC).
Ce principe connaît toutefois des exceptions lorsqu’un intérêt prépondérant impose de limiter cette transparence. Tel est d’abord le cas pour les travaux de commission, qui sont dans l’ensemble soumis à confidentialité et intégrés au secret de fonction, afin d’offrir à chaque commissionnaire la liberté nécessaire pour s’exprimer en lien avec l’objet considéré. Ensuite, une exception importante à la publicité des débats du Grand conseil lui-même découle de la règle du huis clos qui peut être décidé par l’organe législatif si la protection d'intérêts majeurs de l'Etat ou des motifs inhérents à la protection de la personnalité l'exigent (art. 143 al. 1 première phrase LGC). Cette règle s’applique même d’office pour les élections des membres de la Commission de présentation, des juges et juges suppléants du Tribunal cantonal, du procureur général et des membres de la Cour des comptes (art. 143 al. 2 deuxième phrase LGC). Le 1er janvier 2023, cette seconde phrase sera modifiée pour s’appliquer également aux Procureurs généraux adjoints ainsi qu’aux membres du Conseil de la magistrature.
Cette exception légale de l’art. 143 al. 2 deuxième phrase LGC constitue une spécificité vaudoise, dans la mesure où les autres droits cantonaux ainsi que le droit fédéral relatif aux débats de l’Assemblée fédérale (art. 4 de la Loi sur le parlement [« LParl »]) ne prévoient pas de huis clos automatique pour l’élection[1], seuls certains cas de révocation y étant parfois automatiquement soumis[2]. Le huis clos ne s’applique ainsi par principe pas à ces élections, notamment et y compris pour la fonction de procureur général[3].
A la suite de ce dernier point, et s’agissant spécifiquement de l’élection à la fonction de procureur général et à celle d’adjoint, la règle du huis-clos automatique de l’art. 143 al. 2 LGC ne peut être vue comme compatible avec le principe fondamental de la publicité des débats du Grand conseil. Acteur de la justice pénale, le Ministère public – et la fonction de procureur général particulièrement – ne font pas partie de l’Ordre judiciaire, mais constituent bien une entité de l’administration cantonale vaudoise rattachée au Conseil d’État[4]. Quelque chose qui ne sera pas affecté par l’entrée en fonction du Conseil de la magistrature. Cette absence de rattachement à l’Ordre judiciaire s’explique par le fait que – indépendamment des quelques compétences de décision qui lui reviennent en application des principes relatifs à l’ordonnance pénale – le Ministère public est le représentant de l’Etat dans le procès pénal. Il a pour charge de faire valoir, devant le Tribunal, l’intérêt et les positions de l’Etat à l’encontre du prévenu. Un rôle qui implique tout un volet d’appréciation et de marge de manœuvre. La fonction de procureur général et celle de ses deux adjoints sont elles-mêmes spécifiques et se trouvent souvent dans la lumière des débats et décident de l’approche pénale qui est suivie au niveau de l’Etat. Ainsi, et à titre d’exemple, ils disposent de la possibilité de créer des unités spéciales (p. ex l’unité Strava) ainsi que de mettre en place des formations spécifiques pour les procureurs d’arrondissement.
Compte tenu du rôle central du Ministère public pour la politique pénale du Canton, non pas sous l’angle de la justice mais de l’approche pénale poursuivie, il est évident que les fonctions de procureur général et de procureurs adjoints se doivent d’être appréciées et considérées publiquement. Sans aller aussi loin que certains cantons qui confient au peuple l’élection d’une personne à ces fonctions[5], il convient en tout cas de faire preuve de transparence à l’égard du peuple et d’assurer que – sauf circonstances exceptionnelles – l’élection à la fonction de procureur général et de procureur adjoint se fasse d’une façon assurant la publicité des débats. Permettant également ainsi d’éviter la situation où, en présence d’une seule candidature, la personne n’ait finalement pas à présenter ses objectifs et ses intentions publiquement, et que le vote du Grand conseil soit réduit à un simple vote à l’aveugle. Privant la population de tout regard et connaissance sur ce volet pourtant central.
A ce titre, les signataires demandent au Conseil d’Etat une modification de la LGC (dans sa version entrant en vigueur au 1er janvier 2023) par la suppression de la référence au « procureur général » et aux « Procureurs généraux adjoints » à l’art. 143 al. 2 LGC.
[1] Voir d’ailleurs la référence à cette spécificité dans le contexte de l’élection du Procureur général du Canton du Valais ; https://www.lenouvelliste.ch/valais/election-du-procureur-le-huis-clos-nest-pas-une-specialite-valaisanne-1072728.
[2] Voir par exemple l’art. 27 de la Loi valaisanne sur le Conseil de la magistrature ; pour une analyse générale, voir Alfio Russo, Les modes de désignation des juges, thèse Neuchâtel 2020, § 364.
[3] Au niveau de la Confédération, voir par exemple les débats ayant entouré la réélection du procureur général Michael Lauber en 2019 (https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=47368).
[4] Voir notamment EMPL sur le Conseil de la magistrature, 21_LEG_92, p. 9. Également la liste exhaustive des autorités intégrant l’Ordre judiciaire vaudois donnée à l’art. 2 de la Loi d’organisation judiciaire, qui ne fait pas référence au Ministère public.
[5] Voir par exemple le Canton de Genève ; art. 122 de la Constitution de la République et canton de Genève.
Conclusion
Renvoi à une commission avec au moins 20 signatures
Liste exhaustive des cosignataires
Signataire | Parti |
---|---|
Martine Gerber | VER |
Oriane Sarrasin | SOC |
Nathalie Jaccard | VER |
Sylvie Podio | VER |
Isabelle Freymond | IND |
Julien Eggenberger | SOC |
Elodie Lopez | EP |
Valérie Induni | SOC |
Claire Attinger Doepper | SOC |
Sylvie Pittet Blanchette | SOC |
Valérie Zonca | VER |
Alberto Mocchi | VER |
Felix Stürner | VER |
Sébastien Cala | SOC |
Yannick Maury | VER |
Cendrine Cachemaille | SOC |
Muriel Thalmann | SOC |
Cédric Roten | SOC |
Pierre Wahlen | VER |
Théophile Schenker | VER |
Patricia Spack Isenrich | SOC |
Sandra Pasquier | SOC |
Nathalie Vez | VER |
Géraldine Dubuis | VER |
Monique Ryf | SOC |
Claude Nicole Grin | VER |
Pierre Dessemontet | SOC |
Yves Paccaud | SOC |
Carine Carvalho | SOC |
Stéphane Montangero | SOC |
Sabine Glauser Krug | VER |
Laurent Balsiger | SOC |
Jessica Jaccoud | SOC |
Romain Pilloud | SOC |
Documents
- Rapport de majorité de la commission - 22_MOT_43 - Carole Dubois
- Rapport de minorité de la commission - 22_MOT_43 - Alexandre Démétriadès
- 22_MOT_43-Texte déposé
Transcriptions
Visionner le débat de ce point à l'ordre du jourEn préambule, je tiens à remercier M. Jérôme Marcel, secrétaire de la Commission des institutions et des droits politiques (CIDROPOL), pour son suivi des travaux de la commission et l’établissement des notes de séance.
Cette intervention parlementaire a été déposée à la suite de l’élection du procureur général par le Grand Conseil, une élection qui s’est tenue à huis clos, conformément à l’article 143, alinéa 1, de la Loi sur le Grand Conseil (LGC). Ce mode d’élection suscite des interrogations de la part du motionnaire, M. le député David Raedler, et ce pour deux raisons principales. Premièrement, le canton de Vaud est le seul à disposer d’une telle règle. Deuxièmement, le procureur général, qui représente l’Etat devant les tribunaux, n’est pas à proprement parler membre de l’Ordre judiciaire. En raison de l’importance publique de cette fonction et de son lien avec l’exécutif, le motionnaire considère que cette élection devrait être davantage marquée par la publicité et la transparence des débats.
Le Conseil d’Etat, tout en reconnaissant la pertinence du débat, estime qu’il revient au Grand Conseil de se positionner sur cette question, puisqu’aucun élément institutionnel ne semble justifier une recommandation explicite de sa part. Par ailleurs, le Bureau du Grand Conseil n’a pas formulé de position définitive et renonce à donner une recommandation, tout en rappelant que le rapport annuel du Ministère public offre chaque année une opportunité de débattre de l’orientation de l’action du procureur général, avec une sanction possible lors de la réélection à l’issue de la législature.
Lors des discussions en plénum, plusieurs députés ont noté que la thématique abordée dans cette motion est étroitement liée au contenu du rapport de la Commission de présentation préalable à l’élection du procureur général. Il convient toutefois de préciser que cette réflexion ne remet nullement en cause la qualité ou la légitimité de l’élection de ce dernier. Néanmoins, de nombreux députés ont jugé le rapport de la commission trop succinct, voire incomplet. Plusieurs membres de la CIDROPOL constatent une demande de transparence légitime au sein du Parlement. A cet égard, bien que les dossiers complets des candidatures soient disponibles à la consultation au Secrétariat général du Grand Conseil le matin même des débats, il apparaît que peu – ou pas – de députés en profitent. Cela souligne la nécessité d’améliorer le contenu des rapports de la commission, ces documents étant essentiels pour informer à la fois les membres du Grand Conseil et le public.
La décision relative au traitement de la motion déposée par M. Raedler avait été ajournée afin de permettre une consultation de la Commission de présentation. Cette dernière a répondu favorablement en transmettant plusieurs éléments clés, notamment les présentations réalisées par la préposée à la protection des données et par le préposé au droit à l’information. Elle a également communiqué son règlement interne et une note à la CIDROPOL expliquant l’évolution apportée au contenu de ses rapports. La Commission de présentation a pris en considération les critiques exprimées par les députés ainsi que par le Secrétariat du Grand Conseil. Ces ajustements ont permis d’intégrer davantage de transparence tout en respectant les exigences légales et la protection des données. Ces améliorations ont été particulièrement remarquées et appréciées lors des dernières élections des juges suppléants au Tribunal neutre et des membres du Conseil de la magistrature, ainsi que pour la récente réélection des juges au Tribunal cantonal.
La majorité de la commission a estimé que les démarches entreprises par la Commission de présentation répondaient aux préoccupations soulevées par la motion Raedler. Par conséquent, elle recommande le classement de cette motion. Cependant, une minorité au sein de la commission a proposé une prise en considération partielle, suggérant notamment d’améliorer la publicité des débats pour l’élection du procureur général et de ses adjoints, ainsi que d’accroître la transparence des informations à destination du Grand Conseil et de la population pour l’ensemble des élections. M. le député, Alexandre Démétriadès, rapporteur de la minorité, développera ces arguments dans son rapport.
Concernant les recommandations, dans un premier temps, la proposition de prise en considération partielle a été opposée à la prise en considération totale. Chacune de ces propositions ayant obtenu 6 voix – avec 3 abstentions – c’est la voix prépondérante du président qui a permis de retenir la prise en considération partielle. Enfin, lors du second vote, l’entrée en matière a été soutenue par 6 voix et le classement de la motion par 9. Par conséquent, la majorité de la commission recommande au Grand Conseil de classer cette motion.
Le cadre légal a été rappelé par la vice-présidente de la CIDROPOL, rapportrice de majorité pour cette occasion. Celle-ci prévoit qu’un huis clos d’office est instauré pour l’élection des membres du Conseil de la magistrature, des juges, des juges suppléants au Tribunal cantonal, des procureurs généraux, des procureurs généraux adjoints, de la Cour des comptes, ainsi que des membres de la Commission de présentation. En dehors de ces cas, le Grand Conseil peut décider d’un huis clos sur décision du plénum. La motion Raedler propose de retirer de cette liste les mentions du procureur général et des procureurs généraux adjoints, afin que ces élections ne soient plus automatiquement soumises à un huis clos. L’historique ayant conduit à ce dépôt a été évoqué, mettant en lumière deux problématiques principales.
Premièrement, il faut le dire, les rapports de la Commission de présentation – et je précise ici mes intérêts en tant que membre de cette commission, bien qu’il ne s’agisse pas véritablement d’intérêts propres – étaient, au début de la législature, fortement édulcorés. Il convient de rappeler que cette commission était nouvelle à l’époque et s’efforçait d’éviter d’inclure des informations confidentielles dans ses rapports. Il y avait donc une réelle problématique d’information, à la fois pour les députés du Grand Conseil lors de cette élection et pour le public de manière générale. La seconde difficulté relevée concernait la tenue d’un huis clos d’office, qui empêchait tout débat démocratique.
Ainsi, la minorité recommande de soutenir une prise en considération partielle de cette motion et de la renvoyer en commission. Cela n’a pas été mentionné dans le rapport, mais cette recommandation repose sur six raisons principales. Premièrement, la disposition imposant un huis clos d’office est unique à notre canton. Dans tous les autres cantons et au niveau fédéral, ce type de mesures n’est envisagé que si un intérêt public ou privé prépondérant le justifie. Ainsi, le huis clos est décrété au cas par cas, et non automatique.
Deuxièmement, il est problématique d’assimiler l’élection d’un procureur général et de procureurs généraux adjoints à celle des autres magistrats. Comme cela a été souligné, ces derniers ne font pas formellement partie de l’Ordre judiciaire. Ils constituent plutôt le bras armé judiciaire de l’Etat, chargé de défendre ses intérêts en matière d’infractions. Leur rôle consiste à plaider à charge ou à décharge, une fonction distincte, d’autant qu’ils bénéficient d’une autonomie vis-à-vis du Conseil d’Etat.
Troisièmement, la minorité ne propose pas de modifier fondamentalement le mode d’élection du procureur général ou du procureur général adjoint en instaurant une élection populaire, comme cela se fait dans certains cantons. Cependant, elle estime qu’un poste d’une telle importance publique exige que la population puisse comprendre et connaître les motifs ayant conduit le Parlement à privilégier un candidat ou une candidate plutôt qu’un ou une autre.
Quatrièmement, la minorité rappelle que la levée du huis clos ne concerne que l’élection des procureurs généraux et procureurs généraux adjoints. Ces fonctions spécifiques sont au cœur de cette proposition, car elles concernent ceux qui déterminent les orientations de l’action pénale de l’Etat, organisent le Ministère public, créent potentiellement des sections spécifiques qui visent certaines infractions. Il est essentiel que la population comprenne pourquoi une orientation ou une candidature particulière est choisie, surtout en cas de visions divergentes et de candidatures multiples.
Cinquièmement, il convient de souligner que l’unique argument avancé par la majorité de la commission est d’ordre pratique : le huis clos d’office permet d’éviter tout dérapage susceptible de violer un intérêt privé prépondérant. Bien que la minorité entende cette crainte, elle estime que cet argument ne saurait prévaloir face à la nécessité d’assurer la transparence la plus grande possible dans le cadre de l’élection des procureurs généraux et procureurs généraux adjoints par le Grand Conseil.
Enfin, dernier point : comme l’a souligné la vice-présidente de la commission, des progrès significatifs ont été réalisés dans la rédaction des rapports par la Commission de présentation. Il est important de le reconnaître : la commission a véritablement œuvré dans ce sens. Ainsi, pour les élections à venir, il est très probable que les rapports de la commission intègrent des éléments bien plus détaillés. Ces rapports pourraient inclure, par exemple, des analyses approfondies sur la vision d’un procureur général concernant l’opportunité de recourir contre des décisions du Tribunal cantonal, sur l’attribution des ressources du Ministère public, ou encore sur les orientations à adopter en matière de politique pénale. Cela pourrait également inclure des opérations coordonnées, comme la mise en place d’opérations coordonnées du type STRADA.
Nous disposerons ainsi de rapports enrichis par les visions développées par les candidats. Ces rapports, qui sont toujours publics, permettront très probablement d’alimenter un débat public bien en amont de l’élection. La couverture médiatique sera aussi plus importante. Dès lors, il serait totalement incongru que le débat déterminant le choix d’une vision ou d’une candidature se tienne à huis clos. En effet, le peuple nous délègue le pouvoir de décider en son nom, mais il doit être pleinement informé des raisons qui motivent nos choix. C’est en prenant en compte tous ces éléments que la minorité de la CIDROPOL vous invite à soutenir une prise en considération partielle de cette motion et à la renvoyer à une commission plutôt qu’au Conseil d’Etat.
Enfin, il est important de préciser que cette proposition concerne uniquement les élections du procureur général et des procureurs généraux adjoints, et non des réélections. Ces dernières relèvent d’une démarche distincte, prévue par la loi. Ainsi, les dispositions évoquées ne s’appliqueraient pas aux mandats en cours, comme celui du procureur général récemment réélu ou des deux procureurs généraux adjoints élus il y a peu de temps.
La discussion est ouverte.
Comme vous avez pu le constater en lisant les rapports de majorité et de minorité, nous allons aujourd’hui aborder une vaudoiserie. Nous aimons souvent plaisanter sur les Genferei de nos voisins genevois, mais cette fois, il s’agit d’une vaudoiserie. En effet, nous sommes le seul canton de Suisse à prévoir un huis clos d’office pour l’élection des procureurs généraux adjoints et du procureur général. Ni la Confédération ni aucun autre canton ne prévoit une telle mesure. Nous sommes les seuls à tenir ces débats à l’écart de la population et hors d’un contrôle démocratique – à l’exception du nôtre, bien entendu.
Il convient de rappeler ici trois faits importants. Premièrement, nous sommes les représentantes et représentants du peuple. Elues et élus par la population, nous avons la responsabilité de mener nos travaux et de débattre de manière transparente, sous le regard du public. Nous devons accepter que nos débats soient observés et soumis à un contrôle citoyen. La transparence dans la vie politique est, en ce sens, absolument essentielle. Deuxièmement, le Ministère public, comme cela a été souligné dans les deux rapports, n’appartient pas au pouvoir judiciaire. Contrairement aux juges du Tribunal cantonal ou du Tribunal neutre, le Ministère public est, en quelque sorte, rattaché organisationnellement à l’exécutif. Le Ministère public et le procureur général ne sont pas des juges, mais bien une autorité.
Troisièmement, il est crucial de comprendre le rôle du procureur général et des procureurs généraux adjoints. En tant qu’autorité, et non en tant que juge, le procureur général détermine la politique criminelle de notre canton. C’est lui qui décide de l’organisation de ses offices, qui choisit les priorités en matière de lutte contre les infractions. De plus, dans son rapport, il présente ses actions à la population. Ces précisions sont essentielles, notamment lorsqu’il s’agit de débattre de la question du huis clos. Il est important de bien comprendre ce que cela implique. Le huis clos constitue par essence une mesure exceptionnelle dans les travaux du Grand Conseil. Pourquoi ? Parce que, lorsque nous décidons de tenir une séance à huis clos, tout change : il n’y a plus de Sonomix, plus de public, plus de médias, toutes les personnes présentes dans la galerie doivent quitter la salle. Nous restons entre nous et, surtout, il n’y a aucune communication extérieure sur les discussions en cours. Autrement dit, tout ce qui se dit lors d’un débat à huis clos ne peut jamais être communiqué à la presse ou au public. Cela signifie que tout, absolument tout, reste secret.
Il est crucial de bien comprendre cela, car le huis clos est véritablement la mesure la plus extrême que nous ayons en matière de confidentialité. C’est l’exception la plus stricte au principe de transparence de nos débats. Ce qui est particulièrement impressionnant ici, c’est que la question du huis clos s’était déjà posée en Valais, en 2021, à l’occasion de l’élection de leur procureur général. Contrairement à notre canton, le Valais ne prévoit pas de huis clos d’office. Cependant, certains députés avaient demandé un huis clos pour des raisons qui avaient été débattues, provoquant un énorme émoi, tant parmi la population qu’au sein du Grand Conseil. Il y avait été relevé un problème majeur : on ne pouvait pas débattre de la politique criminelle cantonale ni du choix de la personne chargée de la mettre en œuvre, à l’écart du public, privant ainsi celui-ci de tout contrôle démocratique.
Dans ce contexte, il est important de relever une confusion qui transparaît dans le rapport de majorité et, plus largement, dans les débats de la CIDROPOL. Le rapport de majorité et les débats de la CIDROPOL se sont axés sur le rapport de Commission de présentation, en affirmant que si les rapports étaient autrefois relativement insatisfaisants, ils sont désormais de qualité. Or, il est essentiel de rappeler la fonction de ce rapport : il ne sert qu’à présenter les candidatures potentielles. Il n’est pas conçu pour débattre. De fait, même si le rapport de la Commission de présentation devenait extrêmement détaillé, il ne fournirait aucune information à la population sur les raisons qui ont conduit le Grand Conseil à privilégier un candidat ou une candidate plutôt qu’un autre. Dans la situation du huis clos, nous ne pouvons rien dire. En fin de compte, la population se voit simplement annoncer : « Voici votre nouveau procureur général, profitez-en. Mais vous ne saurez jamais pourquoi ce choix a été fait, quelles considérations ont été prises en compte, quelles réserves ont pu être exprimées, ou quelles demandes ont été formulées par le Grand Conseil. » Ainsi, la question qui se pose aujourd’hui est donc claire : quelle publicité souhaitons-nous offrir sur nos travaux à la population ? Et quel respect accordons-nous aux citoyennes et citoyens qui nous ont élus à nos fonctions actuelles ?
J’espère que ce débat pourra être mené de manière apaisée et strictement technique. Comme cela a été souligné par le rapporteur de la minorité, il n’y a actuellement aucune échéance immédiate concernant l’élection du procureur général. Ce dernier a été réélu sans débat ni controverse, et les procureurs généraux adjoints ont également été reconduits dans leurs fonctions il y a quelques semaines. Ainsi, ce que nous décidons aujourd’hui ne porte pas sur des élections imminentes, mais sur l’avenir. Lorsque, dans deux ou quatre ans, nous devrons élire un nouveau procureur général, cette élection se déroulera-t-elle sous les yeux de la population ou se fera-t-elle encore à huis clos ?
Pour conclure, permettez-moi de citer deux personnalités de renom qui se sont exprimées en faveur de cette motion, et donc contre le huis clos automatique. La première est notre estimé ancien procureur général, M. Eric Cottier, qui a déclaré dans 24heures : « Je ne comprends pas très bien pourquoi on pense protéger un candidat qui va être un homme public en procédant de cette manière. Il faut oser dire les choses ouvertement et publiquement. Un débat ouvert est parfaitement légitime, cela ne m’aurait personnellement jamais dérangé. » Tel est l’avis de notre ancien procureur général, M. Cottier, une personnalité respectée que je vous invite à suivre. La seconde personnalité que je voudrais citer est notre collègue Marc-Olivier Buffat qui, dans un article du 24heures du 21 septembre 2022, a exprimé qu’il n’avait aucune objection à la tenue d’un débat public. Il a souligné que la question du huis clos était tout à fait légitime, et je vous invite également à prêter attention à ces sages paroles.
Enfin, il est essentiel de prendre conscience du désintérêt marqué pour nos travaux. Vous le savez aussi bien que moi, ce phénomène se manifeste par un faible taux de participation aux élections fédérales. Si ce taux est un peu meilleur pour les élections communales, personne n’en a rien à faire des élections cantonales. Par conséquent, la véritable question que nous devons nous poser aujourd’hui est la suivante : voulons-nous renforcer cette tendance en ne débattant qu’entre nous, comme de petits roitelets que nous sommes, glosant entre nous, loin du peuple, loin des oreilles et des yeux de la presse, et finalement loin de l’intérêt général ? Ou voulons-nous, au contraire, ouvrir nos discussions à la population, lui rendre la priorité et permettre un véritable contrôle démocratique ?
Je vous invite donc à soutenir cette motion.
Je dois admettre que cette vaudoiserie, pour une fois, ne me déplaît pas totalement. Cela dit, si l’objectif de cette motion est de permettre aux députés de se mettre en avant en exprimant leurs préférences personnelles sur les orientations politiques ou stratégiques que le procureur général devrait adopter, je pense que ce n’est pas une finalité souhaitable. A mes yeux, cela ne contribuerait pas à une amélioration sincère et objective du processus. Au contraire, la levée du huis clos risquerait de conduire à une politisation excessive. Je tiens à rappeler qu’avec un éminent collègue de l’époque, aujourd’hui conseiller national, nous avions instauré le Conseil de la magistrature, une réforme à laquelle je m’étais opposé. Pourquoi ? Parce qu’elle a éloigné une partie de notre système judiciaire de son caractère démocratique et de sa proximité avec la population que nous, députés, représentons. Par ailleurs, si les débats sont menés en public, cela pourrait affaiblir la position du futur élu en limitant sa liberté de définir les orientations qu’il souhaite donner à sa politique. C’est, à mon sens, un point essentiel. Le procureur général représente la société dans son ensemble, et il est crucial de lui laisser les coudées franches pour déterminer les directions qu’il juge pertinentes.
A l’époque, la Commission de gestion pouvait interroger directement le procureur général – comme ce fut le cas avec M. Cottier, par exemple – qui venait répondre aux questions posées par ses membres représentant de tous les partis. La Commission de présentation fonctionne selon un principe similaire : elle inclut également des membres de toutes les sensibilités politiques, garantissant que chacun puisse s’exprimer. De plus, les dossiers concernant les candidats sont disponibles au Secrétariat général de notre Grand Conseil. Chacun a donc l’opportunité de les consulter. Hélas, j’ai le sentiment que ces dossiers sont bien peu sollicités. Pourtant, ce système est déjà très transparent et démocratique à mes yeux. Il offre une vision claire sur les candidats au poste de procureur général et de procureur général adjoint. Le huis clos, pour sa part, assure une certaine confidentialité concernant les personnes en lice. Toutefois, les commissions restent représentatives de nos groupes politiques et, par extension, de la population. Si ce dispositif ne suffit pas à répondre aux exigences démocratiques, je ne vois pas ce qu’il faudrait de plus.
Je rappelle également qu’il y a eu, dans d’autres cantons, des problématiques plus marquées lors de l’élection de juges, notamment en Valais. Personnellement, je trouve que cette vaudoiserie a du mérite : elle garantit que les candidats sont élus de manière réfléchie tout en leur permettant d’exercer ensuite leurs fonctions avec une réelle liberté d’action.
En conclusion, je vous invite à soutenir le rapport de la majorité, donc à classer la motion de mon excellent collègue Raedler.
La Commission de présentation a tenu compte des critiques émises lors de l’élection du procureur général. Précisons qu’il s’agissait aussi de l’un des premiers rapports émis par la nouvelle commission. Dès lors, les rapports ont été complétés en tenant compte des demandes du Grand Conseil. Par conséquent, je vous remercie de soutenir le rapport de majorité et de classer cette motion.
Pour notre groupe, l’enjeu central de cette motion est d’assurer une plus grande transparence vis-à-vis de la population. C’est pourquoi nous la soutiendrons aujourd’hui. Si notre canton doit se distinguer, nous préférons que ce soit pour sa qualité de vie ou sa magnifique vue sur le lac, plutôt que pour des exceptions légales qui rendent nos débats moins transparents aux yeux du public.
Certes, le huis clos peut se justifier lorsqu’il s’agit de protéger des intérêts publics prépondérants ou la personnalité des individus, comme dans le cas de l’élection des juges cantonaux. Cependant, la situation est différente pour le procureur général. Cela a été souligné : ce dernier ne fait pas partie de l’Ordre judiciaire. On peut davantage le considérer comme un membre de l’administration cantonale. Son rôle, d’une importance publique majeure, consiste à incarner les intérêts et les positions de l’Etat face aux infractions pénales. Ce rôle comporte une part significative d’appréciation et de stratégie dans la manière d’aborder les infractions et d’établir les priorités pénales. Il paraît donc normal que cette dimension suscite l’intérêt de la population plutôt que seulement celui d’un entre-soi parlementaire.
Cet enjeu de transparence prend une importance particulière, non pas, comme le mentionnait M. Jobin, dans l’idée de se profiler ou de politiser l’orientation qu’un procureur général pourrait donner à ses actions, mais surtout dans le contexte où plusieurs candidatures seraient en lice pour un même poste. Dans une telle situation, il nous semble fondamental que la population ait le droit de connaître les raisons qui ont conduit le Grand Conseil à choisir une personne plutôt qu’une autre, compte tenu des enjeux cruciaux liés à cette fonction. D’ailleurs, l’intérêt public dans cette démarche est tellement évident qu’à Genève, comme cela a été souligné, les procureurs généraux et les procureurs généraux adjoints sont directement élus par le peuple.
Par ailleurs, je voulais réagir aux propos de M. Jobin concernant le Conseil de la magistrature. Notre groupe y était également opposé, pour des raisons similaires aux vôtres, notamment le manque de transparence. Justement, dans le cadre de cette motion, nous voyons l’opportunité d’un véritable gain en transparence. Pour toutes ces raisons, le groupe Ensemble à Gauche et POP vous invite à soutenir le rapport de la minorité et à renvoyer la motion Raedler au Conseil d’Etat.
A la suite de l’élection du procureur général, plusieurs députés ont exprimé leur insatisfaction concernant le déroulement de la procédure et le contenu du rapport de présentation. En réponse à cette motion, la CIDROPOL a initié un dialogue avec la Commission de présentation, qui a reconnu que ses rapports ne répondaient pas entièrement aux attentes des députés. Des mesures ont donc été mises en place pour offrir des rapports plus complets et détaillés, mesures qui ont déjà été appliquées lors des élections suivantes.
Permettez-moi d’ajouter qu’en ce qui concerne la popularité du Grand Conseil, j’espère que d’autres solutions pourront être trouvées que la suppression du huis clos dans l’élection du procureur général.
Pour le groupe PLR, les ajustements proposés dans le rapport de majorité répondent de manière adéquate aux préoccupations soulevées par cette motion. Nous encourageons donc le Grand Conseil à rejeter la motion et à suivre les recommandations du rapport de majorité.
J’aimerais simplement préciser que la Commission de présentation ne s’est pas prononcée sur le huis clos d’office lors du traitement de l’élection du procureur général et des procureurs généraux adjoints. Nous avons effectivement parlé du rapport et de la manière dont il pouvait être amélioré, mais nous ne nous sommes pas du tout prononcés sur un huis clos, d’office ou non, lors du traitement de cet objet.
Permettez-moi de clarifier un point important, car une confusion semble persister dans ce débat. Il est crucial de distinguer deux aspects distincts : d’une part, le rapport de la Commission de présentation ainsi que les dossiers individuels accessibles aux députés ; et d’autre part, le débat qui a lieu lors de l’élection du ou de la procureure générale, en particulier dans le cas de plusieurs candidatures, comme l’a souligné notre collègue Lopez. Concernant les dossiers, leur amélioration et leur complétion sont à saluer. Ces documents sont essentiels pour enrichir nos travaux parlementaires, mais ils restent internes à notre assemblée. Les députés, conformément à l’article 156 de la Loi sur le Grand Conseil, disposent d’un accès exclusif à ces dossiers, un privilège qui n’est pas partagé avec la population. Ces éléments renforcent nos délibérations, mais ils n’apportent aucune transparence aux citoyens.
Le véritable enjeu se situe donc dans le débat. Si celui-ci demeure systématiquement, impérativement et exclusivement à huis clos, la population ne connaîtra jamais directement ni même par le biais de la presse les motifs qui ont conduit les députés à choisir une personne plutôt qu’une autre pour porter la politique pénale de notre canton, et sur quoi mettre l’accent en matière de politique criminelle, la lutte contre la drogue, contre le harcèlement, les infractions sexuelles, ou encore les cyberattaques. Ces choix relèvent intrinsèquement de décisions politiques, car la politique criminelle est avant tout une politique. Il est absurde de cacher ces débats à la population, notamment lorsqu’il s’agit d’expliquer ce qui a conduit les députés à privilégier une candidature plutôt qu’une autre.
Prenons un exemple concret : imaginez deux candidats. L’un propose une vision radicalement opposée aux prisons, plaidant pour leur suppression totale et la libération de tous les détenus. L’autre, au contraire, prône une politique extrêmement stricte, où même un excès de vitesse de 5 km/h pourrait conduire à une incarcération. En tant que députés, nous avons accès à leurs dossiers, peut-être liés à leurs précédentes expériences comme avocats ou procureurs, mais ce sont nos débats qui détermineront le choix final. Ne serait-il pas légitime que la population comprenne pourquoi nous avons retenu l’un plutôt que l’autre, puisqu’il s’agit de l’orientation même de la politique criminelle de notre canton ? Si vous pensez que non, cela révèle un problème sérieux de transparence.
Enfin, pour reprendre les propos de notre collègue Wyssa sur le fait que les rapports ne répondaient pas pleinement aux attentes des députés, la question fondamentale reste de savoir ce qui répond aux attentes de la population. Or, ce qu’elle attend, c’est davantage de transparence dans la vie politique. Cette transparence est essentielle pour raviver potentiellement son intérêt pour la chose politique, faire tomber le paravent. Ainsi, nous ne pouvons pas, d’un côté, défendre la transparence et la démocratie, et de l’autre, justifier l’existence d’un huis clos absolu.
Il a été évoqué que l’argument principal avancé par la majorité était d’éviter les dérapages. Ce n’est pas un point anodin, car, dans le cadre du Grand Conseil, nous avons tous pu constater, à l’occasion, des propos qui dépassaient parfois la pensée. Or, lorsqu’il s’agit de la protection des données, nous manipulons des informations d’une extrême sensibilité : des données relatives à la santé, à la réputation ou encore à la vie privée, qui, en aucun cas, ne doivent être divulguées ou débattues en plénum.
Concernant la politique judiciaire, il est important de rappeler que celle-ci est abordée dans le cadre de la Commission de présentation des candidats. Cette commission, où tous les groupes politiques du Grand Conseil sont représentés, émet des avis et des préavis éclairés sur les élections. Par ailleurs, cette vision de la politique judiciaire est explicitement détaillée dans le rapport annuel du Ministère public. En huit ans de mandat comme députée, je n’ai pas assisté à de longs débats sur ce rapport, bien qu’il expose les grandes orientations de la politique judiciaire, ce qui assure sa publicité.
Pour conclure avec une boutade : non, les députés ne sont pas des roitelets… qui, en outre, tombent régulièrement de leur trône.
Je souhaite apporter deux éléments qui me semblent essentiels. Tout d’abord, le maintien de la discrétion dans le processus d’élection du procureur général est, selon moi, absolument crucial. Pourquoi ? Parce qu’il est indispensable d’examiner en profondeur les compétences, le caractère et la vision politique des candidats. Les commissions chargées d’évaluer les candidatures jouent un rôle fondamental en scrutant ces aspects.
Ensuite, la confidentialité garantit des débats sereins, à l’abri de pressions publiques ou médiatiques. Cela me semble essentiel pour permettre une évaluation objective et réfléchie des candidatures. Si nous supprimons le huis clos, je suis convaincu que cela entraînera une politisation accrue des débats. Les décisions pourraient alors être influencées par des considérations politiques ou médiatiques, ce qui s’éloignerait de notre responsabilité principale : donner un avis impartial et éclairé sur la personne la plus apte à occuper cette fonction.
Pour ces raisons, je vous encourage vivement, encore une fois, à soutenir le rapport de majorité et à, sans coup férir, passer cet écueil !
Je remercie notre collègue Raedler pour ses qualificatifs élogieux. Bien que peu sensible à la flatterie, je suis néanmoins très heureux que ce débat ait lieu en plénum. C’est un débat ouvert, démocratique, et non mené par médias interposés, où chacun s’improvise expert pour décréter ce qu’il aurait fallu faire ou ne pas faire, en proposant des remèdes plus ou moins adaptés. Mes positions n’ont pas changé. Vous vous rappelez sans doute que j’avais déposé un texte demandant que l’on supprime désormais l’affiliation politique dans l’élection des juges cantonaux. Je reste fermement opposé, et le resterai tant que je siégerai comme député – et même après – à toute forme de politisation de la justice, puisque ce n’est pas ainsi que je la conçois. Dans la justice, on applique le droit. Rien que le droit. On ne fait pas de politique. C’est ici, dans ce plénum, que nous faisons de la politique, au niveau législatif, sans doute également au Conseil d’Etat, s’il daigne nous écouter lorsque nous prenons la parole. Mais certainement pas lors de l’élection des juges, et encore moins, à mon avis, lors de l’élection du procureur. Pour cette élection, il faut choisir le meilleur ou la meilleure candidate.
Je rappelle que le procureur fait partie intégrante du pouvoir judiciaire, puisqu’il rend environ 4’000 décisions par an. Cela illustre l’importance cruciale de veiller à dépolitiser le débat. Comme l’a souligné notre collègue Jobin tout à l’heure, la proposition qui nous est soumise comporte, au moins indirectement, un risque considérable de dérapage. Le procureur doit être libre et indépendant dans ses décisions. Il ne doit pas se retrouver dans une position où il doit candidater ou mener une sorte de campagne électorale. Les dérives de tels systèmes sont bien visibles, notamment aux Etats-Unis, en France ou même à Genève, où des magistrats sont élus à l’issue de véritables campagnes politiques.
Pour celles et ceux qui nous ont rejoints récemment, il est utile de rappeler les discussions que nous avions eues sur le statut du procureur. A une époque, il avait été envisagé que le procureur soit désigné par le Tribunal cantonal auquel il aurait été rattaché. Imaginez les débats sur la transparence d’une telle désignation dans ce cadre. Une autre option évoquée était de rattacher le procureur au Conseil d’Etat. Là encore, il est facile d’imaginer les discussions interminables sur la politique criminelle si ce magistrat avait été nommé par le Conseil d’Etat. Finalement, nous avons choisi de confier l’élection au Grand Conseil, une décision qui a depuis été renforcée par l’intervention du Conseil supérieur de la magistrature, qui est aujourd’hui l’autorité de référence en la matière.
Je dois avouer que le tableau des discussions que nous promet notre collègue Raedler me fait penser à une œuvre de Jheronimus Bosch. C’est véritablement effrayant. Si l’élection du procureur doit devenir l’occasion de refaire toute la politique criminalistique du canton, dans un sens ou dans l’autre, il est évident que nous aurons des débats aussi longs et complexes que ceux du budget, où personne ne dépose de texte pendant les 364 autres jours de l’année, mais dès qu’arrive le moment du budget, tout le monde se réveille ! Gageons que lors de l’élection du procureur, tout le monde aura une opinion bien arrêtée sur la politique à adopter. Certes, l’exemple donné par notre collègue Raedler, qui parle de ceux qui voudraient ouvrir les prisons ou les fermer, fait effectivement peur ! Ce n’est absolument pas ce type de débat que je souhaite lorsqu’il s’agit de choisir un magistrat de cette importance.
Et puis, il y a ce mot qui revient constamment : transparence. Si la transparence consiste à entendre des députés refaire toute la politique en matière de criminalité ou de criminalistique, alors je crains que ce ne soit un triste spectacle pour la population, et en aucun cas un gage d’équilibre politique ou de véritable transparence dans nos débats. Pour toutes ces raisons, et bien d’autres encore, mais comme je me suis déjà exprimé longuement, je vous invite à suivre le rapport de la majorité.
Madame Thalmann, la Commission de présentation n’a pas formellement voté sur cette motion, mais elle a pris toutes les dispositions nécessaires pour améliorer ses rapports. Concernant le débat sur la candidature, comment le candidat au poste de procureur général pourrait-il se défendre sans avoir le droit à la parole ? Pour ma part, en tant que président de la commission, je répondrai en tenant compte des sujets traités lors de la commission et des informations sur le dossier de candidature. Il s’agit donc bel et bien du travail des commissaires de s’assurer que les points importants figurent dans le rapport.
Comme je l’ai mentionné, je fais également partie de la Commission de présentation. Ce qui n’a pas encore été précisé, c’est que, dans le cadre de nos travaux visant à améliorer la qualité de nos rapports, nous avons reçu la préposée à la protection des données. Cela avait pour objectif de nous assurer que nous respections les intérêts privés prépondérants. Cependant, la préposée à la protection des données n’était pas seule : elle était accompagnée de la préposée au droit à l’information. Ces deux expertes travaillent en binôme et nous ont présenté un exposé sur l’équilibre délicat entre la protection des données et le droit à l’information. Elles ont rappelé que ce dernier, consacré constitutionnellement, doit être appliqué de la manière la plus large possible, notamment dans le cadre des débats des entités démocratiques. Lors de cette présentation, il a même été évoqué qu’en cas de pesée des intérêts, certaines informations privées concernant un candidat à une fonction aussi importante pourraient, dans certaines circonstances, relever d’un intérêt public prépondérant. Autrement dit, si des éléments problématiques touchant à la vie privée d’un candidat existaient, il pourrait être crucial, dans l’intérêt du public, qu’ils soient connus. Lors de cette séance, il a clairement été stipulé que le huis clos d’office pourrait être remis en question dans sa compatibilité avec le droit à l’information.
Je tiens à rappeler que, selon la minorité, le huis clos – et en particulier le huis clos d’office – n’existe pas pour les raisons invoquées ici, mais pour des raisons pratiques, car il vise à éviter que des éléments liés à la vie privée d’une personne soient exposés publiquement. Cependant, cet argument pratique est contestable, car un autre principe entre en jeu : le droit à l’information du public.
Si l’on décidait de retirer les procureurs et procureurs généraux adjoints de l’article imposant le huis clos d’office, le président du Grand Conseil disposerait des outils nécessaires pour gérer tout dérapage. Il pourrait interrompre immédiatement un débat qui déborderait, et le Grand Conseil pourrait décider, le cas échéant, de passer au huis clos.
Examinons précisément ce qui se passe aujourd’hui. Nous discutons de l’élection des procureurs généraux et des procureurs généraux adjoints, et il aurait été tout à fait possible que des députés invoquent des cas individuels pour appuyer leurs arguments. Pensez-vous réellement que ce risque justifie que ce débat soit systématiquement tenu à huis clos ? C’est à cette question que vous devez répondre en votant tout à l’heure. Je suis convaincu que ce débat ne nécessite pas de huis clos d’office. Cet outil doit rester une mesure exceptionnelle, à activer uniquement en cas de débordement.
Par ailleurs, il a été avancé que le procureur n’aurait pas la possibilité de répondre à des attaques. Or, cela est tout aussi vrai lors d’un huis clos. Nous avons déjà connu des situations où, à huis clos, des accusations ont été portées et les personnes visées n’ont pas pu répondre. Ce problème existe dans de nombreux débats parlementaires, où des critiques sont parfois formulées à l’égard de certaines professions ou secteurs, sans que les personnes concernées puissent se défendre.
En conclusion, cet argument ne me semble pas suffisant pour rejeter la motion Raedler. A la lumière de ces éléments, je vous invite à soutenir la prise en considération partielle.
Notre collègue Jobin a souligné que le choix du Grand Conseil concernant le Ministère public et le procureur général devait tenir compte de trois éléments essentiels : ses compétences professionnelles, sa personnalité et sa vision politique. C’est précisément pour cette raison que l’élection du procureur général ne devrait pas se tenir à huis clos. Puisqu’il s’agit aussi de débattre de sa vision politique – et puisqu’il en a une, selon vos propres mots, cher collègue Jobin – il est évident que ce volet diffère de la justice stricte ou des critères appliqués aux juges.
Cela m’amène au deuxième point, soulevé par notre collègue Buffat, concernant la politisation de la justice. Sur ce point, je suis entièrement d’accord : il ne faut surtout pas politiser la justice. Il serait inacceptable d’en arriver à une situation où le procureur général serait élu par le peuple ou soumis à une véritable campagne électorale, avec tout ce que cela impliquerait. Toutefois, la question fondamentale ici est de déterminer le niveau d’information que nous souhaitons donner à la population. Permettons-nous aux citoyens de suivre nos débats, de comprendre pourquoi un procureur général a été choisi, et quelle est sa vision politique sur laquelle ce choix s’est basé ? Ou choisissons-nous de taire cela, en nous auto-bâillonnons et en posant des Pamirs sur les oreilles du peuple ? Rappelons qu’un huis clos ne se limite pas à « éteindre Sonomix » ; cela signifie que le public sort, la presse sort, et que nous, députés, sommes ensuite strictement interdits de divulguer ce qui a été dit. L’exemple cité à l’instant par notre collègue Démétriadès est éclairant : il a failli violer ce devoir, risquant d’éventuelles conséquences pénales en raison du secret de fonction. Cette situation illustre à quel point le contexte est délicat.
Le rôle de procureur général est, qu’on le veuille ou non, éminemment politique, au-delà des ordonnances que peut rendre le Ministère public. D’ailleurs, pour illustrer cela, permettez-moi une anecdote personnelle. J’ai eu récemment la chance – ou le malheur, à vous de juger – de participer à deux conventions du PLR – j’y ai d’ailleurs dégusté un magnifique vin. Mais qui ai-je vu assis à l’une des tables de cette prestigieuse convention ? Eric Kaltenrieder.
Je dois avouer qu’à cette convention, le procureur général n’était pas là avec des Pamirs sur les oreilles ou un bandeau sur les yeux pour ne rien voir, ne rien entendre, et préserver son indépendance. Pas du tout. Il était présent en tant que procureur général, dans un rôle politique, ce qui est tout à fait naturel. Sa participation à des événements de son propre parti n’a rien d’étonnant. Par conséquent, lorsqu’il s’agit de débattre de son élection – j’insiste sur le terme élection – ce débat doit se tenir de manière transparente, au regard du peuple.
Pour conclure, je dois relever que la référence au tableau de Bosch est quelque peu dramatisante. Nous ne sommes pas sur le point de transformer cette élection en une scène comparable à celles du procureur général au Texas... Je pense que nous disposons de suffisamment de raison et de discernement. Plutôt qu’un tableau de Bosch, je proposerais à notre collègue Buffat une autre référence plus adaptée : un tableau d’Escher. Nous entendons parler de la nécessité de transparence vis-à-vis du peuple, de notre responsabilité en tant qu’élus, et dans le même souffle, nous proposons de priver ce même peuple de la possibilité d’écouter nos débats. Cela évoque ces fameux escaliers d’Escher, qui semblent à la fois monter et descendre sans fin.
La discussion est close.
Le Grand Conseil prend la motion en considération partiellement par 67 voix contre 66.
Je demande un vote nominal.
Retour à l'ordre du jourCette demande est appuyée par au moins 20 membres.
Celles et ceux qui soutiennent le rapport de majorité, soit le classement de la motion, votent oui ; celles et ceux qui soutiennent le rapport de minorité, soit la prise en considération partielle, votent non. Les abstentions sont possibles.
Au vote nominal, le Grand Conseil prend la motion en considération partiellement par 68 voix contre 66 et 1 abstention.
*insérer vote nominal
La motion est renvoyée à une commission législative.