24_PAR_15 - Rapport annuel 2023 de la commission interparlementaire « détention pénale ».

Séance du Grand Conseil du mardi 24 septembre 2024, point 11 de l'ordre du jour

Documents

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
Mme Rebecca Joly (VER) — Rapporteur-trice

Je rapporte au nom de la délégation vaudoise à la Commission interparlementaire (CIP) chargée du contrôle de l’exécution des concordats latins sur la détention pénale. Cette commission s'est réunie en mai dernier, et vous trouverez le rapport correspondant dans l’ordre du jour.

Je souhaite mettre en exergue quelques points. Tout d’abord, la CIP salue l’institution, au 1er janvier 2024, d’une commission permanente pour l’exécution des sanctions pénales. Cet organe permettra un pilotage politique en matière de l'exécution des sanctions pénales au niveau du concordat. Il permet également de soulager de cette responsabilité le Centre suisse de compétence en matière d’exécution des sanctions pénales, afin que ce dernier puisse se concentrer sur son expertise professionnelle et donc ses missions principales : la formation continue et supérieure des professionnels du secteur pénitentiaire, la formation des personnes détenues dans les établissements d'exécution des sanctions pénales, ainsi que l’élaboration de bases théoriques, la promotion des échanges interdisciplinaires et la gestion de l’information dans le domaine spécialisé de l'exécution des sanctions pénales. C’est le premier point important du rapport.

Le second point porte sur la volonté de la Conférence des directrices et directeurs des départements cantonaux de justice et police (CCDJP) de mettre en place un système d’information et d'exécution des peines au niveau intercantonal. Il s'agirait de créer une base de données regroupant des informations sur l’exécution des sanctions pénales, ce qui n’existe pas encore dans tous les cantons. Cette absence pose divers problèmes, notamment en termes de localisation des personnes détenues en Suisse. Si la CIP accueille favorablement l'idée de créer cette base de données, elle reste attentive aux enjeux liés à la protection des données, qui sont importants dans ce contexte, puisqu'il s’agit de données extrêmement sensibles. Toutefois, la mise en place de cette base de données nécessitera la création d’un concordat intercantonal. A ce stade, une commission interparlementaire n'a pas pu être constituée, notamment pour des raisons de délai, mais la CIP a demandé qu’au minimum le bureau interparlementaire de coordination soit consulté. Voilà les grandes lignes. 

Il convient de souligner que les problématiques au niveau concordataire sont les mêmes que les nôtres, notamment en ce qui concerne la surpopulation carcérale. Il est inquiétant que cette surpopulation s’étende désormais aux deux concordats alémaniques, ce qui pose des problèmes de places de détention dans notre pays, et pour notre canton qui souffre déjà de surpopulation carcérale. En conséquence, nous ne pourrons bientôt plus « exporter » nos détenus vers les cantons voisins, puisque leurs prisons sont pleines elles aussi. En résumé, la Commission intercantonale vous invite à approuver ce rapport.

M. Jean-François Thuillard (UDC) — Président-e

La discussion est ouverte.

M. Jean-Daniel Carrard (PLR) —

Je commence par préciser mes intérêts, en tant que membre de la Commission interparlementaire sur la détention pénale ; j’interviens ici au nom du groupe PLR. Nous saluons la création de la Commission pour l’exécution des sanctions pénales ainsi que les modifications apportées au Centre suisse de compétence en matière d’exécution des sanctions pénales (CSCSP). Nous soutenons également la mise en œuvre du Système d'information pour l'exécution des peines (SIEP), actuellement en projet de concordat pour l'échange électronique de données intercantonales.

En résumé, nous prenons note des progrès réalisés dans le domaine de Curabilis, mais nous regrettons que cela n’avance pas sur le plan pratique. Cela fait des années que ce sujet est abordé, avec des promesses d’évolution, mais le dispositif reste peu efficace. Nous constatons également partout des taux d’occupation très élevés, au niveau national comme en Suisse romande, tant pour les adultes que pour les jeunes, garçons et filles. Le rapport se réjouit de l’ouverture, après de nombreuses années, de quatre nouvelles places à Fribourg en 2024. Dans ce contexte, il est essentiel d’encourager le Conseil d’Etat à poursuivre la construction de nouvelles structures, comme cela a été récemment envisagé, car les besoins sont importants et nous ne pourrons plus continuer à exporter nos problèmes vers les cantons voisins. En conclusion, le groupe PLR prend acte de ce rapport de commission.

Mme Mathilde Marendaz (EP) —

Je remercie la Commission interparlementaire sur la détention pénale 2023 pour son travail de surveillance des autorités responsables de l’exécution des deux concordats. Nous soutiendrons ce rapport. Pour ma part, j’espère sincèrement que votre commission pourra, en 2024, accéder aux conclusions de l’analyse du pénaliste Benjamin Brägger concernant les raisons pour lesquelles les cantons de Vaud et de Genève incarcèrent près de deux fois plus de personnes que les cantons suisses allemands, malgré une criminalité apparemment similaire à celle des cantons frontaliers de Suisse alémanique. Cette analyse serait cruciale pour nourrir les réflexions sur le nombre de places nécessaires, et pour la planification pénitentiaire afin d’éclairer les besoins en termes de capacité et d'identifier les priorités en matière de politique pénale harmonisée entre les concordats. Notre canton s’illustre par une politique d’incarcération dont les conséquences en termes de surpopulation sont bien connues.

Je souhaite simplement attirer l'attention de ce plénum sur la problématique des places de détention, qui concerne non seulement notre canton, mais qui, d'après le rapport, semble également s'étendre à la Suisse alémanique. Un article paru hier dans la presse suisse allemande révèle que la majorité des détenus en Suisse sont incarcérés pour des délits mineurs, sans danger pour la population. Cette situation s’explique en partie par le transfert du pouvoir de sanction des tribunaux vers les procureurs, particulièrement pour les infractions mineures commises par des personnes sans ressources, qui constituent la majeure partie des détenus. Ces individus, souvent dépourvus de moyens financiers ou culturels pour faire opposition à des ordonnances pénales, sont privés d'un procès qui, dans de nombreux cas, aurait permis de diminuer leur peine et d’éviter la case prison, contribuant ainsi à réduire la surpopulation carcérale. 

En effet, statistiquement, ce sont les ordonnances pénales qui remplissent les prisons, tant dans le canton de Vaud qu’en Suisse alémanique. La population concernée est majoritairement composée de personnes pauvres ou sans passeport suisse, ayant commis des infractions mineures qui ne mettent pas notre population en danger. En 2022, 53 % des détenus en Suisse étaient incarcérés parce qu'ils n'avaient pas les moyens de payer une amende ou une peine pécuniaire, en raison de l'application de peines de substitution. L'article paru dans Die Wochenzeitung (WOZ) souligne que, contrairement aux personnes à faibles revenus ou à celles qui ne peuvent pas effectuer de travaux d'intérêt général en raison de leur statut de séjour, la classe moyenne suisse ne va plus en prison pour des délais mineurs. Il devient donc urgent, monsieur le conseiller d’Etat, que ces analyses soient intégrées aux discussions sur la planification pénitentiaire et aux travaux de la CIP. En particulier, nous attendons avec impatience la publication d'un rapport reprenant les conclusions de WOZ, qui illustrent bien la perméabilité entre les réflexions sur la planification pénitentiaire et les politiques pénales du Ministère public.

M. Vassilis Venizelos (C-DJES) — Conseiller-ère d’Etat

Je vous remercie pour vos interventions. Il est vrai que la surpopulation carcérale n'est plus une réalité propre au canton de Vaud, mais qu'elle s'étend à l'ensemble de la Suisse. Les échanges entre cantons se multiplient, que ce soit au sein des concordats ou avec d'autres cantons, tous sont confrontés à une hausse de la criminalité et de la surpopulation carcérale. Comme je l'ai déjà souligné à plusieurs reprises, le Conseil d'Etat ne reste pas les bras croisés face à cette situation. Des projets d'infrastructures de long terme sont en cours, notamment le développement du site des Grands Marais à Orbe, qui deviendra le plus grand pôle pénitentiaire de Suisse.

Dans l'intervalle, des mesures alternatives doivent être renforcées et développées. C'est ce que fait le Conseil d'Etat, en renforçant sa politique en matière de sanctions alternatives. Le canton de Vaud se distingue déjà en tant que champion suisse en matière de bracelets électroniques et il intensifie également les travaux d'intérêt général. Bien que ces mesures soient importantes et méritent d'être soutenues, elles présentent des limites face à la problématique de la surpopulation carcérale, raison pour laquelle nous collaborons activement avec l'ensemble de la chaîne pénale et notamment la justice pour identifier des solutions, non seulement au quotidien, mais aussi à travers une étude longuement débattue et questionnée au sein de ce parlement.

Je rappelle que le Conseil d'Etat présentera prochainement des éléments supplémentaires, les travaux étant toujours en cours. Pour ce qui est des Grands Marais, leur mise en service est prévue pour 2031 environ. Dans l'intervalle, il faudra probablement trouver des solutions. Nous analysons toutes les pistes sans tabou, y compris le développement d'espaces provisoires ou modulaires, afin de soulager une surpopulation carcérale de plus en plus importante, ce qui impacte non seulement le travail quotidien des agents de détention, mais également la qualité de la détention proposée dans les différents établissements. C'est la raison pour laquelle nous vous proposerons prochainement diverses propositions en la matière.

M. José Durussel (UDC) —

Monsieur le conseiller d'Etat, je vous prie de m’excuser de prendre la parole après vous, mais j'aurais une question à vous poser. Vous avez mentionné plusieurs pistes discutées au sein de votre département, notamment lors de la conférence des directeurs cantonaux. Est-il évoqué, comme l'a souligné ma collègue députée, Mme Marendaz, le fait qu'un grand nombre de détenus sont incarcérés pour des délits mineurs ? Bien sûr, il serait nécessaire de définir ce que l'on entend par délit mineur, car il y a toujours des victimes à côté. Cependant, il n’empêche que de nombreux détenus dans notre canton ont commis des actes que l'on pourrait qualifier de mineurs. Malheureusement, il s'avère 9 fois sur 10 qu’il s’agit d’étrangers. Nous n’y pouvons rien, mais c'est la réalité. 

Avez-vous envisagé de renvoyer rapidement ces individus dans leur pays d'origine, plutôt que de les maintenir en détention avant jugement pendant des mois, voire des années ? Certains détenus attendent longtemps qu’il y ait suffisamment de preuves contre eux ou leurs complices. Une solution serait de les renvoyer directement à la case départ, dans leur pays, avec des interdictions de territoire claires et nettes. Cela représenterait une alternative bien moins coûteuse que de les incarcérer pendant des mois, à 410 francs par jour. Un simple billet d'avion pour les renvoyer en Amérique du Sud ou en Afrique pourrait soulager rapidement la situation.

M. Vassilis Venizelos (C-DJES) — Conseiller-ère d’Etat

Il est important de préciser que le service pénitentiaire n’est pas responsable des décisions de justice qui entraînent l'incarcération des individus. Même si j'avais la volonté politique de garantir que tous les criminels expulsables soient renvoyés avant d'avoir purgé leur peine, je ne disposerais pas du pouvoir de le faire, notamment en raison du droit fédéral qui doit être respecté. De plus, il convient de rappeler que toute personne en détention avant jugement bénéficie de la présomption d'innocence.

Cela dit, il est nécessaire d'établir des accords de réadmission avec les pays concernés pour permettre le rapatriement des personnes ayant purgé leur peine dans le canton de Vaud et je peux vous assurer que c'est exactement ce que fait notre canton. Lorsqu’un criminel purge sa peine sur notre territoire et doit être expulsé conformément à la loi sur les étrangers, cela se fait en collaboration avec les services concernés, notamment le Service de la population (SPOP), sous la responsabilité de Mme Moret. Ainsi, même si le droit fédéral et la séparation des pouvoirs doivent être respectés – une personne entre en prison sur la base d’une décision de justice – je peux affirmer que l'ensemble de la chaîne pénale, en collaboration avec le service de la population, veille à ce que les criminels étrangers soient renvoyés à leur sortie de prison, lorsque des accords de réadmission existent avec les pays concernés. 

M. Jean-François Thuillard (UDC) — Président-e

La discussion est close. 

Le rapport annuel du Grand Conseil est approuvé à l’unanimité. 

Retour à l'ordre du jour

Partager la page

Partager sur :