RAP_636491 - Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur le Postulat Jessica Jaccoud et consorts - Pour un dispositif alerte enlèvement efficace (235).

Séance du Grand Conseil du mardi 19 janvier 2021, point 15 de l'ordre du jour

Documents

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. François Cardinaux (PLR) — Rapporteur-trice

Voici le rapport du Conseil d'État au Grand Conseil sur le postulat Jessica Jaccoud et consorts - Pour un dispositif alerte enlèvement efficace, suite au déroulement du drame de Saint-Sulpice qui a eu lieu le 30 novembre 2011. La commission s’est réunie à Lausanne le 22 septembre 2020, à Lausanne. La conseillère d’État a d'abord mis en exergue l’évolution des processus. Il a été procédé à dix modifications dont, entre autres :

  1. La modification du formulaire de disparition avec l’intégration d’une rubrique « disparition inquiétante » et avec la mention explicite du risque concret.
  2. Une grille d’analyse — revue et améliorée — proposée par les analystes de la Police cantonale.
  3. L'engagement systématique d’agents de liaison auprès des membres de la famille.
  4. Des magistrats sensibilisés également.

Le reste des modifications figure dans le rapport de commission. La postulante remercie le Conseil d'État mais souhaite obtenir quelques précisions. Avant d'examiner le rapport point par point, il est précisé que la Police cantonale va organiser un exercice en 2021 avec l'Office fédéral de la police pour tester ces nouvelles structures. Il est à noter que des statistiques détaillées concernant les mineurs, les disparitions inquiétantes ou les aînés qui disparaissent sans laisser de trace ainsi que les enlèvements parentaux ne sont pas réellement disponibles. Cette indication n'existe pas, car les personnes ne signalent pas toujours leur retour ; ce n'est pas une obligation pour ceux qui sont majeurs. Toutefois, aucun dossier ne permet de dire qu'une personne mineure n'a pas été retrouvée, hormis pour les deux jumelles, ce qui n'est pas le cas des personnes majeures. Chaque année, entre trois et cinq dossiers font l'objet d'une montée en puissance. Cette montée en puissance permet de déclencher une procédure, entre autres par la mise en place de la grille d'analyse qui permet à la Police cantonale de constater une amélioration dans la dynamique de la prise en charge, car la manière de procéder est plus précise et efficace. Les agents de liaison qui ont été mis en place sont désormais considérés comme « jugés importants et améliorants ». La police travaille aussi en étroite collaboration avec la Fondation Missing Children dont le numéro de téléphone est géré directement par la fondation. Des flyers de la fondation sont d'ailleurs mis à disposition par la Police cantonale.

Le Ministère public est sensibilisé par l'officier de permanence qui prend contact avec le procureur. Avec la grille et l’avis de disparition en sept parties, il peut fournir les réponses et les questions, sensibiliser à la géolocalisation et aux surveillances. Comment s'organise la formation des agents ? L'Académie de police de Savatan propose des modules de techniques d’entretien. Ce n'est toutefois pas le cas d'un éventuel module spécifique « techniques d’entretien en cas d’enlèvement ». La Police cantonale forme ses agents sur le terrain et les rend attentifs à cette problématique. Les problèmes liés aux enlèvements de femmes qui rejoignent ensuite les réseaux de prostitution sont aussi connus ; ils font l'objet de surveillance, lorsque celle-ci est possible. Les polices cantonale et de Lausanne ont des unités spécialisées dans ce cadre. Lorsque des éléments viennent à leur connaissance et démontrent l’existence d’une traite des blanches, une procédure pénale est immédiatement ouverte par le Ministère public qui investigue sur ces questions. Il faut savoir que le milieu est extrêmement difficile à investiguer. Au vote, la commission recommande au Grand Conseil d’accepter le rapport du Conseil d’État à l’unanimité des membres présent-e-s.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La discussion est ouverte.

Mme Jessica Jaccoud (SOC) —

En matière de disparition d'enfants, chaque minute compte. Le 30 janvier 2011 — en janvier et non en novembre, cher collègue Cardinaux — cela fait donc pile dix ans, les minutes se sont écoulées, sans qu'Alessia ni Livia ne puissent être retrouvées. Il est environ 23h00 ce dimanche soir, lorsque la mère des enfants annonce leur disparition à la police. Dans la nuit de dimanche à lundi, cette police intervient au domicile du père et découvre un testament daté du 27 janvier. Ni le père ni les enfants sont au domicile. Pas d'inquiétude à avoir cependant, le père va ramener les filles à l'école le lundi matin. Le lundi matin, ni les filles ni le père ne se trouvent à l'école, et le père est également absent du travail. Le lundi soir, la police envisage de diffuser un éventuel avis dans les médias. Rien ne sera fait dans ce sens avant plusieurs jours. Le vendredi 4 février, le corps sans vie du père est retrouvé en Italie, ses filles ne sont pas là et elles ne seront jamais retrouvées. Voilà un drame familial qui s'est joué sous nos fenêtres, il y a dix ans. A aucun moment, ni le procureur en charge de ce dossier ni la Police cantonale n'envisagent de déclencher l'alerte enlèvement. Or, à ce moment-là, ce dispositif est déjà en place depuis plus d'une année. Rétrospectivement, depuis dix ans, s'il y a une fois où il aurait dû être déclenché, c'est bien cette nuit-là, celle du 30 au 31 janvier 2011. Je le dis ici avec toute ma conviction personnelle — et je sais que vous êtes nombreux et nombreuses à la partager — si l'alerte enlèvement avait été déclenchée, la vie des deux jeunes filles, qui auraient eu 17 ans cette année, aurait pu être sauvée avant qu'elles ne prennent le ferry avec leur père, ce 1er février 2011, depuis Marseille.

Au-delà de la question de la responsabilité des différents acteurs de cette tragédie, qui ne fait pas l'objet du rapport dont il est question aujourd'hui, se pose la question de la manière dont le processus a été modifié depuis dix ans afin que des vies puissent être sauvées. L'alerte enlèvement ne doit pas être déclenchée à chaque avis de disparition inquiétante, sous peine de perdre de sa pertinence. Néanmoins, entre trop et pas du tout, il y a une marge de manœuvre dans laquelle nos autorités peuvent naviguer. Cette marge de manœuvre réside principalement dans l'analyse qui est faite du caractère inquiétant de la disparition et des menaces qui pèsent sur l'intégrité physique, psychique ou sexuelle de l'enfant disparu. Le rapport du Conseil d'État montre que le canton a pris des mesures en raison des failles dans le traitement du dossier des jumelles de Saint-Sulpice. Ces mesures sont autant de signes de reconnaissance des manquements dans le dispositif d'enquête de l'époque. Nous pouvons donc ici saluer cette prise de conscience ainsi que les aménagements et les modifications amenées par le canton depuis dix ans. Le président de la commission a précisé tout à l'heure que divers outils, tels qu'une grille d'analyse, aide les policiers et les gendarmes à apprécier le risque encouru par l'enfant ou le mineur disparu. Je note également, et à ma satisfaction, que le Ministère public a fait sa part, via une sensibilisation des magistrats quant à la notion de disparition inquiétante et aux conséquences d'une non-ouverture d'enquête ou d'une non-prise de décision s'agissant des mesures d'instruction.

Depuis 2018, le dispositif d'alerte enlèvement a également été étendu aux adultes. Il présente, selon moi, malheureusement encore une lacune de fond. En effet, il règne toujours l'idée qu'un enfant ne risque pas grand-chose s'il est en compagnie d'un proche ou d'un parent. On conserve une présomption de bienveillance des personnes détenant l'autorité parentale. La réalité est que le danger pour un enfant peut également provenir des membres de sa famille. Le dispositif, bien que de compétence fédérale, doit encore évoluer sur ce point. Les autorités cantonales ont cependant toute la latitude nécessaire afin d'être sensibilisées aux risques encourus par des enfants, aussi lorsqu'ils sont avec leurs proches ou leurs parents. Les drames à ce sujet ne manquent malheureusement pas. Sur le territoire européen, la fondation Missing Children, qui compile les statistiques des appels provenant des 26 lignes d'urgence 116-000, estime que plus de 19 % des enfants disparus sont victimes d'enlèvements parentaux. Cependant, comme l'a relevé le président, nous ne disposons d'aucune statistique sur le plan cantonal ou fédéral, puisque cette question a déjà été posée par des parlementaires fédéraux auprès du Conseil fédéral.

A l'aide d'un postulat, le groupe socialiste reviendra donc sur la question des statistiques, afin que nous puissions disposer d'éléments clairs s'agissant des disparitions inquiétantes de mineurs et la proportion due par des enlèvements parentaux. Nous reviendrons également sur le fait qu'aujourd'hui, la Police cantonale ne clôture pas le dossier d'une disparition inquiétante avec l'assurance que l'enfant mineur est de retour. Si rien n'est redemandé de la part de ceux qui ont déclenché l'alerte, on part dès lors du principe que l'enfant est bien rentré. Comme annoncé par le président, l'unanimité de cette commission a accepté le rapport du Conseil d'État. Je confirme donc ce vote positif aujourd’hui. Toutefois, je regrette qu'il ait fallu plus de dix ans pour que cette discussion puisse avoir lieu dans ce plénum. Sans doute même que, sans ce postulat, celle-ci n'aurait jamais eu lieu. De manière générale, notre Police cantonale et nos autorités ont, dans ce genre d'affaires, un intérêt à communiquer plus activement lorsqu'elles entament un processus de remise en question, comme celui qui nous est présenté. Au-delà des notions d'ordre, de sécurité et d'autorité, notre police est et doit aussi être proche de ses administrés, en montrant qu'elle est capable d'adaptation et de remise en question.

Mme Béatrice Métraux — Conseiller-ère d'État

Comment ne pas s'exprimer après un tel drame. Le commandant de la Police cantonale l'a reconnu lors de la séance de commission parlementaire qui a siégé, certes tardivement — je le reconnais, mais nous avons pris plusieurs mesures depuis ce drame — cette affaire est un échec pour la Police cantonale. Il l'a reconnu, je le souligne et partage son avis. C'est bien la raison pour laquelle nous avons pris toutes les mesures que le rapporteur de commission a énumérées. En ce qui concerne les statistiques, il n'en existepas au niveau fédéral ni au niveau européen. Il suffit de lire un certain nombre de rapports concernant les disparitions inquiétantes pour constater la difficulté à tenir des statistiques sur les disparitions et sur les personnes qui, déclarées disparues, reviennent chez elles. C'est là que réside le problème. Nous attendons donc avec intérêt le postulat du groupe socialiste sur ces questions.

La Police cantonale vaudoise tient toutefois des données — on ne peut pas parler de registre —, et les fugues représentent un chiffre très important de nos statistiques. Pour 2020, je peux vous donner quelques chiffres — ce ne sont pas des statistiques, il faut bien faire la différence — de disparitions, évasions, fuites d'établissement, que ce soit d'hôpitaux, de centres d'éducation ou de l'Établissement vaudois d'accueil des migrants (EVAM). Ils sont monitorés de près par la Police cantonale. Pour l'année 2020, nous avons 4472 avis de fuite, 235 disparitions — majeurs et mineurs — et cinq évasions. Nous tenons ces données et nous les transmettons à Berne. Toutefois, il est difficile d'établir une statistique individuelle, car nous avons un certain nombre de récidivistes. Je souhaite vous donner l'exemple d'un mineur qui a fugué pendant plusieurs années et dont la somme des fugues représente 450 disparitions. Je souhaite aussi vous rappeler que la fugue n'est pas un délit. Il est donc difficile d'établir des statistiques au sens scientifique. Les cantons ont despratiques différentes. Certains attendent 24h, voire trois jours pour signaler les faits à l'Office fédéral de la police (Fedpol). De notre côté, nous signalons immédiatement les disparitions. Mme la députée a mentionné les enlèvements parentaux ; or, il s'agit d'un très faible nombre. Nous répondrons toutefois aux questions légitimes que se pose votre autorité. Encore une fois, je remercie la commission d'avoir accepté à l'unanimité les réponses du Conseil d'État. Nous ne pouvons que tirer des leçons de ce drame épouvantable.

Mme Sonya Butera (SOC) — Président-e

La discussion est close.

Le rapport du Conseil d’État est approuvé à l’unanimité.

Retour à l'ordre du jour

Partager la page

Partager sur :