22_REP_205 - Réponse du Conseil d'Etat au Grand Conseil à l'interpellation Oriane Sarrasin et consorts au nom du Groupe Socialiste - “Non ma fille, tu ne seras pas roi”. L’école obligatoire peut-elle être impliquée dans des événements sexistes ? (22_INT_136).
Séance du Grand Conseil du mardi 1er octobre 2024, point 29 de l'ordre du jour
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Lors de la séance du 27 août 2024, nous avions écourté ce point de l'ordre du jour, je redonne la parole à l'interpellatrice.
Je remercie le Conseil d’Etat pour sa réponse qui ne me satisfait cependant que moyennement. En la lisant, j’ai l’impression que l’on tente de ménager la chèvre et le chou, que l’on veut apparaître comme moderne, tout en ne froissant pas les traditionalistes. Dans sa réponse, le Conseil d’Etat reconnaît en effet que les traditions peuvent véhiculer des images discriminantes pour les femmes, mais plutôt que les interroger, il préfère rejeter la responsabilité sur le milieu scolaire. Pour reprendre ses mots, il affirme qu’il ne s’agit pas d’interdire la participation des élèves à l’ensemble des activités ou événements liés à la culture et aux traditions, dès lors que certains éléments s’éloignent de l’objectif égalitaire de l’école. La solution, selon le Conseil d’Etat, est d’outiller les élèves pour développer leur regard critique, en vue de repérer les éléments en contradiction avec les valeurs prônées par l’école, une tâche qu’il attribue au corps enseignant. En gros : « c’est peut-être sexiste, mais comme c’est la tradition, on continue et les profs n’ont qu’à l’expliquer. » Comment le personnel enseignant peut-il créer concrètement ce regard critique, notamment chez des petits ? Quel soutien peut-il avoir de l’Etat pour le faire ? Un avertissement sera-t-il obligatoire quand des élèves participeront à des événements de société excluant des personnes du fait de leur appartenance à un certain groupe social, comme les femmes ? Quid si des personnes extérieures critiquent ce regard critique ? Le corps enseignant sera-t-il soutenu ?
Je trouve cette réponse, publiée durant l’été 2023, particulièrement ironique si l’on considère que peu après, le même Conseil d’Etat interdisait les débats politiques équilibrés dans les écoles avant une élection, alors que ces débats permettent justement de développer un regard critique. La réponse à mon interpellation semble donc provoquer plus de questionnements que proposer de réponses. Je continuerai donc à questionner le sujet et plus globalement le rôle que joue l’école dans le développement du regard critique des enfants et des adolescentes et adolescents.
Pour finir, je rappelle que ma question ne portait pas sur les activités de certaines sociétés privées qui ont le droit de faire ce qu’elles veulent tant que c’est légal, mais sur la connexion d’une institution publique – l’école obligatoire – et son lien avec ces sociétés et la Loi sur l’enseignement obligatoire (LEO) qui régit les activités de l’école.
Je déclare tout d’abord mes intérêts : je suis abbé-président d’une abbaye dans une belle région de La Côte vaudoise, à qui il tient à cœur de pérenniser les traditions de son pays. Je remercie le conseiller d’Etat pour sa réponse circonstanciée, ainsi que pour son regard critique qui fait justement la distinction entre d’une part la mission des enseignantes et enseignants qui est d’offrir aux élèves une lecture réfléchie et avisée de leur environnement en vue de repérer les éléments en contradiction avec les valeurs prônées par l’école, notamment la lutte contre les discriminations – et d’autre part la participation d’écolières et d’écoliers à des cortèges de fin d’année scolaire, type Fête du bois à Lausanne, des fêtes qui suscitent l’engouement de ces mêmes écolières et écoliers, des parents, des grands-parents et même des directions d’école et autorités locales qui les revendiquent. Ceci répond clairement à l’interpellation et confirme que l’école obligatoire n’est pas impliquée dans des événements sexistes, comme le titre de l’interpellation pourrait le laisser penser, mais que cette école s’implique déjà bien à propos des changements de comportement qu’au demeurant, elle a déjà bien du mal à gérer elle-même au sein de sa propre structure, sans devoir ajouter encore une couche.
La détermination propose d’approcher les communes pour les inciter à découpler temporellement les fêtes scolaires de tout événement ne respectant pas les valeurs d’égalité. Pourtant, les communes n’ont pas attendu cette interpellation pour répondre, de concert, aux demandes des directions d’école et à leur décision, d’une part, d’organiser les fêtes scolaires dans le respect de la lutte contre la discrimination et d’autre part que ces fêtes et cortèges soient découplés des événements qui se déroulent en dehors des périodes scolaires – pendant des week-ends, voire le lundi, pour les plus traditionnelles, dont les abbayes visées ici.
Enfin, il faut rappeler qu’il appartient bien aux membres d’une assemblée générale de chaque association – quelle qu’elle soit – de décider de ses statuts et d’en définir les articles ; cela ne se fait pas par le biais d’une interpellation comme celle qui a été présentée ici. Ainsi, en respectant à la fois les valeurs éthiques de chacune et de chacun, et le patrimoine culturel immatériel de la Suisse dont les traditions vivantes des abbayes font partie – tout en vous enjoignant à ne pas vous tromper de cible, je vous recommande, au nom du groupe PLR, de ne pas cautionner cette interpellation.
Lors de son dépôt, cette interpellation a suscité de vives réactions qui se sont traduites par des propos injurieux et inadaptés de la part de concitoyens, réactions que je condamne, bien sûr, et qui ne sont pas dignes de notre démocratie et de nos belles traditions. Cette interpellation tend à remettre en question la participation des écoliers lors des célébrations des abbayes vaudoises qui n’acceptent pas encore les femmes au sein de leur société, dont celle de Crissier. Bien que je n’habite plus dans ce village – devenu une ville – j’y ai passé mes 25 premières années, et j’ai participé aux réjouissances de la société de l’abbaye La Sentinelle en tant que demoiselle d’honneur, à trois reprises. Je rappelle que ces sociétés d’abbayes sont au fondement de nos institutions cantonales et pour la plupart depuis plus de 200 ans. Ces fêtes sont des moments de réjouissances dans les villages et dans les villes, et chaque édition est attendue avec impatience alors que selon les sociétés, elles sont bisannuelles, trisannuelles, etc. Les sociétés au cœur de ces fêtes ont leurs propres traditions : des chars sont décorés par les sociétés locales pour le cortège, comme à Rances, ou les fontaines du village sont décorées par quartier, à Burtigny, ou encore la très attendue et mythique cérémonie de la rentrée des drapeaux à Crissier, avec le réveil au canon dans les différents quartiers et le petit déjeuner chez l’habitant pour les canonniers et les demoiselles d’honneur. Cette liste n’est de loin pas exhaustive, ces coutumes officielles ou officieuses et se transmettent d’édition en édition.
J’aimerais revenir sur le terme « décoratives » pour qualifier des demoiselles d’honneur habillées de belles robes aux bras d’hommes de la société de l’abbaye plus âgée qu’elles. J’en ai fait partie à trois reprises au sein de l’abbaye de Crissier entre 88 et 96 – cela ne date pas d’hier – ces moments comptent parmi les plus beaux souvenirs de ma jeunesse. J’y ai développé des amitiés que je cultive encore aujourd’hui, dans la commune de mon enfance, bien que je l’aie quittée il y a plus de 25 ans. J’ai partagé mes impressions et sentiments de ces excellents moments, avec maintes femmes qui ont vécu ces expériences au fil des décennies, et notamment ma maman, 20 ans avant moi, puis ma fille, 20 ans après moi, à l’abbaye de Burtigny. Toutes les trois, à des périodes différentes et dans des sociétés différentes, nous avons vécu la même euphorie lors de notre participation à ces fêtes, mais aussi lors de leur préparation, des mois avant, avec la confection de guirlandes et de décorations. C’est une occasion d’aborder la vie d’adulte en faisant connaissance de personnes de tous âges de sa commune, dans un contexte convivial et festif. C’est un formidable moyen d’intégration intergénérationnelle, dans la vie associative et politique de sa commune, c’est une jolie passerelle pour entrer dans la vie active en tant que jeune adulte au sein de la communauté.
Je ne suis jamais ressentie comme une potiche. Au contraire, j’ai pu apporter ma participation à la fête et sa préparation en y apportant mes propres compétences. Je n’ai pas pu participer à l’édition à laquelle vous vous référez, madame Sarrazin, car j’étais occupée à la fête de jeunesse qu’organisaient mes enfants dans ma région adoptive de la Côte. Mais d’après les photos et films envoyés par mes parents ou vus sur le profil Facebook « Si t’es de Crissier », en regardant le cortège que vous citez, j’ai vu des parents d’élèves heureux et fiers de voir défiler leurs enfants. Pour en avoir discuté avec le syndic de Crissier et le nouvel abbé président de ladite abbaye, depuis de nombreuses éditions, la décision de fusionner avec le cortège des écoles, et de se faire un dimanche, donne l’opportunité de ne fermer les routes qu’une seule fois, ce qui permet un seul détournement des transports publics et la mobilisation des services de police, pendant le week-end. C’est aussi l’occasion de réunir la population et les différentes communautés autour de cette tradition villageoise, en guise d’intégration.
Cependant, je relève aussi le côté paradoxal du statut de ces sociétés monogenrées, mais non pas pour moi qui je ne suis pas une adepte du tir. Je me souviens que dans la cuisine familiale de mes beaux-parents, un meuble était recouvert de médailles et de décorations de tir, mais elles n’avaient pas été gagnées par mon mari, membre de l’abbaye de Burtigny et réformé. Elles avaient été par leur fille, une adepte du tir secrétaire de la société de tir de ce village, et qui pour autant ne pouvait être membre de la société de l’abbaye ! Aujourd’hui, cette société met à disposition une cible pour les femmes, comme de nombreuses autres abbayes du canton. Pour ce qui concerne Crissier, l’abbé-président relève que, pour l’instant, la société de l’abbaye n’a pas de demande de sociétariat de la part de la gent féminine, mais la société La Sentinelle met à disposition une cible « sociétés locales » et les femmes peuvent tirer par cet intermédiaire. D’ailleurs, l’Union féminine de Crissier – qui n’accepte pas les hommes – remporte fréquemment cette compétition.
En conclusion, je ne crains pas que la participation des élèves vaudois lors de ces fêtes villageoises contrevienne aux valeurs d’égalité de notre canton et que cette expérience leur laisse des stigmates pour leur vie d’adultes. Si certaines sociétés évoluent moins rapidement que le chasselas qui s’écoule dans les verres, j’ai cependant confiance dans leur évolution à moyen terme, car le seul risque encouru par ces messieurs est que les femmes tirent mieux qu’eux.
Je remercie Mme la députée Laurence Bassin pour son témoignage, tout en précisant que les temps changent. Je rappelle que cette interpellation ne remet pas en question l’organisation des abbayes, mais questionne le fait que certaines communes couplent les fêtes scolaires aux fêtes d’abbayes qui n’acceptent pas les femmes. La réponse du Conseil d’Etat ne permettant pas de mettre fin à cette pratique, et afin que les fêtes scolaires permettent à chaque élève d’y participer, avec Aude Billard je dépose donc la détermination suivante :
« Le Grand Conseil invite le Conseil d’Etat à approcher les communes pour les inciter à découpler temporellement les fêtes scolaires de tout événement qui ne respecte pas les valeurs d’égalité prônées par le canton. »
Je vous remercie de soutenir cette détermination.
La discussion sur la détermination est ouverte.
En premier lieu, je remercie le Conseil d’Etat pour sa réponse appropriée à cette interpellation. Les milieux associatifs sont le poumon et le cœur de la cohésion de notre canton. Avec passion et bénévolement, ils œuvrent inlassablement à entretenir des liens intergénérationnels, accomplir une activité physique régulière, soutenir la jeunesse, maintenir notre patrimoine ou notre terroir, former à la culture, cultiver nos libertés et nos traditions, souvent inscrites au patrimoine immatériel vaudois. Ce sont là les bienfaits qui me viennent spontanément à l’esprit, au titre de président bénévole de Vaud associations – intérêts déclarés. Contre vents et marées, ils se battent pour trouver les fonds nécessaires à leurs activités et faire tourner leur société. Et les vents contraires sont nombreux : augmentation des démarches et entraves administratives, coûts prohibitifs des mesures sanitaires imposées, manque d’infrastructures, essoufflement pour prendre des responsabilités de plus en plus grandes, alors que l’acceptation des manifestations et la tolérance des traditions sont en diminution.
De quelle égalité parle-t-on dans cette détermination ? Que les jeunesses intègrent des retraités, que les aînés acceptent les enfants ? Chaque événement organisé est ouvert au plus grand nombre pour maintenir ou créer un lien social entre tous, et souvent gratuitement. S’il s’agit des associations non mixtes, chacune dispose de statuts modifiables en tout temps à la demande de ses membres, et cela se fait au rythme opportun pour convenir à leurs effectifs, infrastructures et activités. Sachons reconnaître ce que nous avons, avant de vouloir tout ramener à sa doctrine. Il y a plus à perdre qu’à gagner si l’on entrave la vie associative. Laissons-les œuvrer sereinement, avec toute leur créativité et leur enthousiasme, pour animer et faire vivre nos villes, bourgs et villages. Merci de ne pas soutenir cette détermination,
A des fins de clarification, j’aimerais revenir sur quelques points énoncés. Pour moi, il ne s’agit en rien d’entraver la vie associative – et il faut même la soutenir. Je parlais du lien avec l’école obligatoire. A mon avis, les sociétés locales peuvent – et elles ont raison de le faire – demander des soutiens aux communes pour les événements qu’elles organisent, pour elles-mêmes et éventuellement pour la population qui souhaite y participer. En ce qui concerne le lien avec l’école, je tiens à préciser que, si j’ai déposé cette interpellation juste après mon entrée au Grand Conseil, c’était que de nombreux parents de ma commune m’avaient approchée parce qu’ils étaient perturbés. Pour cette raison, je trouve la détermination de ma collègue Thalmann intéressante : elle permet d’interroger ce que font les communes.
Je vais vous donner l’exemple de la mienne, dont notre collègue Bassin a déjà largement parlé : lors de la dernière abbaye, la participation des enfants n’était pas obligatoire, mais si un enfant n’y participait pas, il ne participait pas non plus aux séances préparatoires à l’école pour confectionner les déguisements et par ailleurs, il n’avait pas congé le lundi. Dans le cas de quelqu’un de mon entourage, une fête de famille était prévue, mais son enfant n’a pas pu avoir congé. Il y a donc tout de même une forme de prise en otage dans cette façon de faire. Toujours dans le cas de ma commune – c’est un exemple que je n’élargis pas forcément à d’autres communes – les parents ont reçu une circulaire dans laquelle rien n’était mentionné. On ne savait pas à quoi participaient nos enfants. Il était simplement inscrit le mot « Abbaye », sans le nom de la société de tir. J’ai appris à un parent – vaudois, mais qui venait d’une commune où il n’y avait pas d’abbaye – que les élèves défilaient derrière une société de tir. Il ne comprenait pas pourquoi je parlais de ça, parce que ce n’était pas mentionné. Les communes pourraient quand même clarifier les choses, mettre en place des procédures ou des discussions, ou simplement informer les parents pour qu’ils puissent comprendre le cadre de la manifestation.
Cela a été dit, la société évolue : lorsque l’abbaye de Crissier a commencé ses activités, c’était un petit village et maintenant c’est une ville de plus de 10 000 habitants, avec une population variée qui peut réagir de différentes manières aux thématiques des armes en public, du tir ou de l’égalité de genre. Dans ma commune, je sais que des représentants des parents qui siègent au conseil d’établissement sont opposés au fait que le cortège des enfants soit couplé avec celui de l’abbaye. Ce n’est donc pas moi seule, dans mon coin, qui ai décidé de faire cette démarche. C’est une demande plus large qui reflète l’évolution de la société. Les sociétés privées peuvent faire ce qu’elles veulent. Elles peuvent demander des soutiens à des communes, les obtenir ou pas. Leurs activités peuvent intéresser une partie de la population – et c’est très bien ainsi. Ici, je parle précisément du lien avec l’école et, dans le cadre de la détermination, de la manière dont les communes peuvent interagir ou pas avec les directions d’école, avec les conseils d’établissement et avec les parents indirectement.
Je déclare tout d’abord mes intérêts : je suis président de l’Abbaye des Echarpes blanches à Montreux. Le 3 septembre 2024, avec honneur et fidélité, j’ai participé à un magnifique cortège. Lors de la réception présidentielle à Froideville, nous avons aussi eu la chance de défiler avec des enfants des écoles, ce qui a aussi permis aux parents de prendre part aux festivités. Il y avait les mousquetaires vaudois, troupes armées du Conseil d’Etat vaudois, mais cela n’a causé aucun souci. J’ai aussi éprouvé beaucoup de plaisir à voir de nombreux députés courir pour remercier leur porte-pancarte, et les classes qui se sont donné la peine de participer à la manifestation. Je pense que c’est effectivement aux communes de régler ces problèmes. Dans tous les cas, je ne soutiendrai pas cette détermination.
J’entends souvent dire que la société évolue. Si cette évolution signifie qu’une association non mixte doit être considérée comme sexiste, laissez-moi craindre cette évolution … Quant à une détermination qui demande à l’Etat de s’ingérer dans une vie locale, communale et – encore pire –associative, tout cela en imposant des interdits… J’éprouve vraiment des craintes quant à l’évolution de la société.
Nous parlons ici du monde associatif, en parallèle avec le monde scolaire, certes. Je pense que le génie local de ces associations – de chant, de sport, de jeunesse ou de tir – leur permettra de s’organiser sans que personne ne se sente exclu. Je ne pense pas qu’une école doive renoncer à un concert parce qu’il est interprété par un chœur d’hommes et je pense encore moins qu’il faille demander à l’Etat et au département de gérer ce genre de situation. Aujourd’hui, n’oublions pas que ce monde associatif – ainsi que mes préopinants l’ont très bien dit – forme aussi nos jeunesses, nos enfants. Apprenons plutôt à nos enfants qu’un chœur d’hommes n’est pas sexiste et que les statuts exclusifs de certaines sociétés reposent également sur des valeurs qui ont fait notre pays et notre canton.
Alors, s’il vous plaît, ne demandez pas davantage d’interdits dans une société qui évolue, et encore moins une ingérence de l’Etat dans la vie locale ou villageoise où règne encore aujourd’hui une largeur d’esprit.
Le monde marche sur la tête. Je déclare mes intérêts, je suis syndic de la commune de Gilly, mais aussi ancien président de l’abbaye de Burtigny. Je ne peux que confirmer les différents propos déjà partagés et que je ne vais pas répéter. Quel bonheur pour moi d’accompagner les diverses commissions, de préparer la fête pour l’abbaye dont je faisais partie – une fête quinquennale, attendue par toutes et tous, dont les enseignantes et les enseignants qui préparaient les décorations et les chants pour les diverses représentations. On a parlé de « potiches » ou de « décorations » pour qualifier les demoiselles d’honneur, les reines ou les vice-reines de la fête, mais elles sont souvent les personnes les plus importantes de la manifestation ! Pour la petite histoire, je n’ai jamais été roi, mais j’ai épousé une vice-reine.
J’en viens aux valeurs véhiculées par ces fêtes : ce sont des valeurs de partage. Certes, l’abbaye dont je fais partie est encore réservée aux hommes, mais des cibles ont été proposées pour les dames. Ces dernières se font souvent un grand plaisir de nous accompagner pour choisir notre costume de conseiller d’abbaye.
Que dire des autres infrastructures ou d’autres organisations ? Ne confions pas aux communes ou aux municipalités la responsabilité de gérer les sociétés locales, que ce soient des abbayes ou des clubs de foot. Il en va de même dans le cadre scolaire : allons-nous interdire la vente de pâtisseries pour financer les courses d’école parce qu’elles sont fabriquées par les Paysannes vaudoises sous prétexte qu’il n’y a pas d’hommes dans cette congrégation ? Je trouverais dommage de priver les élèves de ce petit revenu pour leur course d’école. Je vous encourage à rejeter cette détermination.
En anglais, on dirait « We are not talking about the elephant in the room » : nous ne parlons pas du sujet tabou. Nous en parlons, mais implicitement : il s’agit ici de la discrimination de genre, cette segmentation de nos sociétés dès la naissance, qui se retrouve dans notre passeport, dans la manière dont on nous parle et dans chaque chose que nous faisons quotidiennement, mais qui n’a aucun sens dans la plupart des relations entre le genre et l’activité. Il existe des sociétés composées uniquement d’hommes, d’autres composées uniquement de femmes et ces personnes se regroupent parce qu’elles ont des intérêts communs. C’est très différent d’une société qui décide qu’un groupe ne peut pas être admis, parce qu’il n’aurait pas les compétences requises. Or, c’est l’historique des sociétés dont nous parlons.
Nous ne remettons pas en question l’importance des abbayes dans la vie sociale – cela a été répété, mais j’aimerais que vous l’entendiez : elles sont importantes, elles font le lien social. Nous discutons d’une valeur fondamentale de l’Etat – l’équité de genre – que nous souhaitons promouvoir. Cette proposition de résolution vise à s’assurer que l’Etat ne donne pas l’impression qu’il souscrit et facilite des événements qui, de souche, sont discriminants.
Je n’ai pas d’intérêts – mais tout de même un grand intérêt : depuis quelques années, j’habite la petite commune de Suchy. J’ai donc découvert la tradition de l’abbaye, qui était pour moi quelque chose d’inconnu jusqu’à ce que j’y emménage A Suchy, l’abbaye se déroule en dehors des horaires scolaires – au début juillet, juste après les débuts des vacances d’été. C’est un moment extrêmement festif que j’apprécie beaucoup. Si jamais vous êtes intéressés, cela aura lieu le 14 juillet 2025 et je vous y invite volontiers. C’est vraiment un moment sympathique, où toutes les générations se mélangent. Nous avons aussi des habitudes propres à notre village : les différents quartiers s’invitent à manger. C’est un moment très festif et traditionnel qui me tient à cœur.
A mon sens, ce mouvement n’est pas en contestation avec d’autres types d’abbayes. J’ai entendu dire que certains modèles étaient différents. L’objet de ce débat pose surtout la question du rôle de l’école en lien avec les sociétés locales. Personnellement, je suis très attachée au lien social et au vivre ensemble. Je pense que c’est traditionnellement ainsi qu’a été pensée la participation d’écoliers à des cortèges d’abbayes. Aujourd’hui, certaines valeurs défendues au sein de notre canton diffèrent. La tradition de l’abbaye remonte à très loin et la différence d’évaluation de certains principes et de certaines valeurs démontre qu’il y a une évolution des pensées, mais aussi des connaissances des traditions. Dans cet ordre d’idée, je pense que la réflexion de Mme Sarrasin a du sens, tout comme la détermination de Mme Thalmann. Le curseur doit être posé, mais à mon avis, il ne doit pas être posé par les communes. Selon moi, il revient au département de faire le lien entre l’école et le vivre ensemble. Dans l’optique du vivre ensemble, comment intégrer des traditions inégalitaires ? En effet, c’est une réalité : l’abbaye de Suchy est une société fermée aux femmes, contrairement à la société de tir qui leur est ouverte.
Une réflexion doit se faire sur ce sujet. Cette détermination est pour moi une prémisse à cette réflexion sur la manière dont l’école du vivre ensemble doit se positionner par rapport à des traditions effectivement inégalitaires, mais quand même riches de sens et dont certains des messages et des valeurs nous tiennent à cœur – j’en suis certaine. Dans cette optique, et même si nous découvrons aujourd’hui seulement son contenu, les Verts vont majoritairement soutenir cette détermination. A notre sens, la réflexion doit être menée au niveau du département pour donner des lignes directrices sur l’intégration, au niveau des écoles, des traditions qui nous tiennent à cœur.
J’ai eu du plaisir à entendre les propos de ma collègue Bassin. Comme elle, j’ai participé à des manifestations de l’abbaye de Crissier. Il y avait un groupe de femmes – l’Union féminine – avec qui nous collaborions dans une osmose parfaite. C’est pour moi l’occasion de rappeler qu’avec beaucoup de plaisir, j’ai présidé la fanfare de Crissier pendant une période. Mesdames et messieurs, que ferons-nous quand les Paysannes vaudoises nous demanderont de fêter un jubilaire ? Que ferons-nous pour leur demander l’égalité ? Cela ne sera simplement pas possible.
Aujourd’hui, je pense que nous oublions un élément important : les enfants. Ces derniers ont éprouvé un immense plaisir – mon collègue Cardinaux l’a dit – lors de la manifestation et du cortège organisés pour notre nouveau président et je crois que nous l’oublions complètement. Finalement, les enfants qui ne pourraient pas participer à ces manifestations parce que leurs parents considèrent que ce n’est pas en adéquation avec leurs valeurs – ce que je peux respecter, je suis libéral d’esprit – pourront utiliser un « congé joker » qu’ils ont maintenant à disposition pour ne pas assister à ces manifestations.
Je suis quelqu’un qui croit fortement aux institutions et notamment à l’institution de base qu’est la commune. Je pense que les communes et les directions d’école sont les plus à même de décider ce que l’on peut faire ou non, dans chaque région. Ce n’est pas la même chose à Chavannes-près-Renens qu’à Montanaire ou à Château-d’Oex. Il y a des traditions et je pense qu’il faut les respecter. Bon sang de bois, notre Parlement n’a pas de temps à perdre à édicter des règles supplémentaires. Laissons nos citoyennes et nos citoyens tranquilles. Je vous remercie de refuser fortement la détermination proposée par nos collègues.
Je déclare mes intérêts, je suis abbé-président d’une société qui accepte les femmes depuis plus de 50 ans, je ne suis donc pas directement concerné par le débat que nous menons actuellement. En revanche, je me permets de rappeler deux choses : tout d’abord, Mme Billard nous parle de l’historique des sociétés. Au départ, ces abbayes se sont constituées comme des sociétés paramilitaires – c’est la raison pour laquelle il n’y avait que des hommes. Petit à petit, certaines de ces sociétés se sont ouvertes aux femmes et aujourd’hui, la majorité d’entre elles l’ont fait. Il ne faut pas non plus oublier que si les fêtes de l’abbaye sont généralement constituées d’un concours de tir réservé aux membres – ou avec une cible invitée – ce n’est qu’une partie de la fête et il y a aussi tout le reste.
Le témoignage de notre collègue Dubuis est très intéressant, parce qu’il montre que ces fêtes permettent de s’intégrer dans la communauté locale. Dans certains villages et certaines communes de ce canton, c’est la seule manifestation qui existe. En interdisant aux écoliers de participer à ces fêtes, nous pénalisons aussi leur intégration dans la communauté locale. Je rappelle que les habitants de nos villages ne sont plus tous des Vaudois de pure souche comme il y a 300 ou 400 ans. Cela revient à prendre ces enfants en otages dans un débat qui les dépasse. Je vous remercie de refuser cette détermination.
Je constate que les traditions évoluent et que les fêtes des abbayes ne se pratiquent plus aujourd’hui comme elles se pratiquaient il y a 50 ou 60 ans. A cette époque, presque toutes les écoles y participaient, mais aujourd’hui, il n’y en a plus qu’une poignée. Ces traditions sont vivantes : dans le cas contraire, elles auraient fini par disparaître, parce qu’il faut s’adapter aux lois du moment, aux règles et aux codes du moment pour continuer à vivre. C’est ainsi que les abbayes dont nous parlons – mais de nombreuses autres également – ont traversé les siècles et existent encore aujourd’hui. J’estime qu’il faut avoir un regard bienveillant sur cette envie naturelle de l’être humain de se réunir pour diverses raisons. Aujourd’hui, en plus des abbayes, il existe de nombreuses autres manifestations qui n’existaient pas il y a une vingtaine d’années et qui sont critiquées par les uns ou par les autres. A mon sens, l’école n’a pas à s’immiscer dans ce domaine. Il faut laisser les traditions s’exprimer – ce que l’école fait très bien.
Mme Sarrasin a demandé comment l’école devait se positionner sur ce sujet. J’aimerais la rassurer : l’école est composée de personnes extrêmement compétentes en matière de prévention scolaire dans des domaines multiples – dont l’égalité entre hommes et femmes et la non-discrimination font partie. Elle enseignait déjà ces valeurs avant que je ne sois conseiller d’Etat, elle l’enseigne toujours aux enfants de manière efficace, efficiente et à notre pleine satisfaction. Je pense qu’il ne faut pas s’inquiéter de cette question.
Enfin, quant au rôle de l’Etat : dans le fond, on pose des questions sur l’école, mais je sens bien que vous demandez de nouveau à l’Etat d’agir. La détermination qui sera soumise au vote dans un instant le démontre bien. Très sincèrement, je pense pouvoir dire que le Conseil d’Etat ne souhaite pas qu’on lui confie toutes sortes de tâches, y compris celle de s’immiscer dans le déroulement et l’exercice de ces traditions.
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La détermination Muriel Thalmann est refusée par 74 voix contre 31 et 8 abstentions.
Ce point de l’ordre du jour est traité.