23_POS_31 - Postulat Marc-Olivier Buffat et consorts - indemnisation des propriétaires faisant l'objet d'une expropriation ou d'un non-zonage.

Séance du Grand Conseil du mercredi 13 décembre 2023, point 8 de l'ordre du jour

Texte déposé

L’article 5 LAT, sous le titre « Compensation et indemnisation », stipule que le droit cantonal doit établir un régime de compensation permettant de tenir compte équitablement des avantages et des inconvénients majeurs qui résultent de mesures d’aménagement.

Cet article prévoit également l’instauration d’une taxe de plus-value.

En contrepartie, il stipule également qu’une juste indemnité est accordée lorsque des mesures d’aménagement apportent au droit de propriété des restrictions équivalent à une expropriation.

En droit vaudois, ces règles de droit fédéral ont été concrétisées au titre VII LATC « Compensation et indemnisation ». Les articles 64ss réglementent la taxation de la plus[1]value. Quant aux indemnisations, elles sont réglementées par les articles 71ss. En principe, les restrictions au droit de propriété résultant d’une mesure d’aménagement du territoire donnent droit à une juste indemnité si elles constituent un inconvénient majeur. Ce principe est toutefois limité à l’alinéa 2 en ce sens que, seule est considérée comme un inconvénient majeur, une restriction du droit de propriété équivalent à une expropriation matérielle.

La jurisprudence du Tribunal fédéral et la pratique sont très restrictives quant à l’octroi d’indemnités au titre de l’expropriation matérielle proprement dite (voir notamment à ce sujet : ATF 108 1B 352 ; ATF 1C_415/2021 du 25.02.2022). La jurisprudence et la pratique font également une distinction très subtile (et souvent obscure pour le propriétaire) entre déclassement et non-zonage. Si la première mesure peut donner éventuellement droit à une indemnisation, tel n’est pas le cas de la seconde hypothèse.

A connaissance du soussigné, des taxes de plus-values ont été prélevées. En revanche, à ce jour, et malgré les modifications de PGA et PACom, il n’y a pas eu de versement d’indemnités. Très souvent, et en parfaite bonne foi, le propriétaire a cependant consenti des investissements importants (équipement du terrain, élaboration d’un projet, consultation d’architectes et urbanistes, terrassement, etc.) en vue de pouvoir construire ; le déclassement ou le non-zonage apparaissant comme un véritable couperet mettant fin à toute possibilité de valorisation ou de construction.

Le droit cantonal valaisan et le droit cantonal des Grisons prévoient cependant, au-delà de l’expropriation matérielle stricto sensu, une indemnisation des propriétaires qui de bonne foi ont consenti des investissements. Cette indemnisation ne saurait aller au-delà des investissements effectivement consentis.

La doctrine et la jurisprudence récentes (ATF 147 I 225 ; ATF 1C_233/2021 du 05.04.2022 ; Contributions du Professeur Jacques Dubey in Journées du Droit de la construction, Fribourg 2023, pages 205ss) indiquent qu’il doit y avoir une forme d’équivalence entre les taxes de plus-values perçues et les indemnités qui pourraient être octroyées aux propriétaires en cas d’expropriation matérielle ou sous la forme d’une extension de ce droit à une indemnisation dans le droit cantonal.

D’ailleurs, la LATC vaudoise prévoit ce type d’indemnité en particulier à l’article 48 LATC lorsque l’autorité refuse un permis de construire en application de l’article 47 LATC ; dans ce cas, l’autorité répond du dommage causé au requérant qui a engagé de bonne foi des frais pour établir un projet conforme à la réglementation existante (…).

Par parallélisme des formes et en application des avis de doctrine et de jurisprudence mentionnés ci-dessus, il paraît judicieux de compléter la législation cantonale par une disposition analogue à l’article 48 LATC permettant aux propriétaires qui ne sont pas éligibles au titre de l’expropriation matérielle, mais qui ont de bonne foi fait des investissements et subissent un dézonage ou un non-zonage, d’être indemnisés.

Le présent postulat demande dès lors au Conseil d’État d’étudier un complément de la législation actuelle par l’adoption d’un nouvel article admettant le principe d’une indemnité pour le propriétaire qui de bonne foi a consenti des investissements, mais dont le terrain fait l’objet d’une mesure de dézonage ou de non-classement

 

Conclusion

Renvoi à une commission avec au moins 20 signatures

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Nicolas SuterPLR
Patrick SimoninPLR
Guy GaudardPLR
Charles MonodPLR
Pierre KaelinPLR
Jean-François ThuillardUDC
Regula ZellwegerPLR
Philippe MiautonPLR
Thierry SchneiterPLR
Marc MorandiPLR
Mathieu BalsigerPLR
Monique HofstetterPLR
Carole DuboisPLR
Florence GrossPLR
Grégory BovayPLR
Alexandre BerthoudPLR
Jean-François CachinPLR
Florence Bettschart-NarbelPLR
Grégory DevaudPLR
Nicole RapinPLR
Céline BauxUDC
Anne-Lise RimePLR
Pierre-François MottierPLR
Laurence BassinPLR
Sergei AschwandenPLR
Josephine Byrne GarelliPLR
Georges ZündPLR
Gérard MojonPLR
Olivier PetermannPLR
Pierre-André RomanensPLR
Jean-Franco PaillardPLR
Philippe GermainPLR
John DesmeulesPLR
Jean-Marc UdriotPLR
Laurence CretegnyPLR
Jean-Daniel CarrardPLR

Documents

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
Mme Muriel Thalmann (SOC) — Rapporteur-trice

Le canton de Vaud n'a pas instauré les taxes spécifiques prévues par la Loi sur l’aménagement du territoire (LAT) de 1979, car il existait déjà l'impôt sur les gains immobiliers et sur les revenus. La dernière révision de la Loi sur l’aménagement du territoire et les constructions (LATC) a introduit la perception de contributions de plus-value relativement élevées pour les personnes qui bénéficient de mesures de densification et de zonage, ainsi que le versement d'indemnités pour les propriétaires dont la parcelle est dézonée. Il s'agit donc de terrains qui n'auraient pas dû être affectés en zone à bâtir, mais qui ont été considérés à l'époque comme constructibles. La jurisprudence estime qu'il convient, dans ce cas, d'effectuer un calcul rétrospectif en se basant sur la situation de l'époque. Cela permet de dédommager les propriétaires qui ont engagé des frais de bonne foi, que ce soit pour la conception d'un projet ou pour l'équipement du terrain, et dont le terrain a été dézoné dans le cadre du redimensionnement de la zone à bâtir voulue par la LAT, avec en compensation la densification et l'augmentation du coefficient d'utilisation des terrains des centres. Le postulant estime que ces propriétaires ont droit à une indemnité, tout en précisant que son postulat ne porte pas sur des expropriations complètes où l'on octroie une indemnité pleine et entière à l'aune de la valeur du terrain.

La conseillère d'Etat, ayant indiqué que ce postulat s'intègre parfaitement dans les réflexions menées par le département, qui est parvenu aux mêmes conclusions que le postulant, et estimant qu'elle y répondra dans le cadre d'une modification légale, la commission recommande au Grand Conseil de prendre en considération le postulat et de le renvoyer au Conseil d'Etat par 5 voix et 1 abstention. C'est donc un élément à également mettre dans la besace de Mme la présidente du Conseil d'Etat.

M. Laurent Miéville (V'L) — Président-e

La discussion est ouverte.

M. Marc-Olivier Buffat (PLR) —

Dans l'esprit œcuménique de Noël, je tiens à remercier mes collègues de l'attention qu'ils portent toujours à mes propos, que ce soit lorsqu'on parle de fiscalité pour contribuables modestes ou que l'on parle, comme tout à l'heure, de questions liées au droit du bail. Je vais donc rester extrêmement prudent. Je remercie Mme la présidente de la commission pour l'excellence de son rapport. Malgré le sujet complexe, au vu de la jurisprudence et de la doctrine à ce sujet, le résumé qui nous a été présenté est tout à fait excellent. Il rappelle qu'il s'agit d'un postulat qui concerne surtout les terrains qui ont été classés régulièrement par un règlement communal approuvé par le département. Les propriétaires auraient pu – certains diraient même auraient dû – profiter de leur droit à bâtir ; seulement, ils ne l'ont pas fait. Or, aujourd'hui, dans les réflexions ou dans les modifications des plans d'affectation communaux, ils sont désormais dézonés.

Pour autant, ces propriétaires, qui ne sont pas des promoteurs ou des professionnels, mais plutôt des particuliers, n'ont pas construit ; ils ont fait des études, ils ont parfois équipé leur terrain, ils ont parfois sollicité des permis d'implantation préalables, des frais d'architecte ou des consultations juridiques. Et lorsqu'ils se trouvent dézonés, ils ne remplissent aucune case. Dès lors, nous demandons dans ce postulat que ces frais, s'ils sont justifiés – évidemment – puissent être indemnisés. Je relève par ailleurs que cela existe dans d'autres cantons, en particulier dans le canton du Valais.

J'aimerais également rappeler que c'est la tâche de notre canton, en application de l'article 5 de la Loi fédérale sur l'aménagement du territoire, qui prévoit un juste équilibre entre les taxes de plus-value que nous avons instaurées dans la loi cantonale et les indemnités qui sont versées. A ce titre, il me paraît conforme au principe de la bonne foi, puisque ces propriétaires auraient pu construire pendant de nombreuses années, mais qu'ils ne l'ont pas fait pour différentes raisons – on est tous des procrastinateurs inavoués. Je souhaite donc que les citoyens puissent obtenir l'indemnisation des frais qu'ils ont consentis pour mettre en valeur leur terrain, mais qu'ils ne pourront plus valoriser. Je vous invite à suivre le rapport de la commission et à renvoyer ce postulat au Conseil d'Etat.

Mme Yolanda Müller Chabloz (VER) —

Je ne voudrais pas gâcher l'esprit de Noël et ce bel œcuménisme, mais j'ai quand même quelques réserves et réflexions à apporter à ce texte. Je déclare mes liens d'intérêt : j'habite le Mont-sur-Lausanne, une commune où une initiative populaire communale a récemment abouti, afin de rendre inconstructible un terrain qui était passé en zone à bâtir dans le cadre d'un large remaniement parcellaire. Dès lors, ces questions d'indemnisation sont âprement discutées. Les intérêts financiers en jeu sont importants. Si de nombreux propriétaires sont de bonne foi, on ne peut pas nier qu'il y en a aussi certains qui cherchent à profiter de toutes les failles qui existent dans le cadre légal pour maximiser leurs profits. Dans ce sens, il est judicieux que le Conseil d'Etat clarifie les points qui, pour l'instant, sont sujets à interprétation et ne sont pas entièrement clairs dans l'application de la loi. Mais puisque cela figure déjà dans la besace de la révision de la LATC, peut-être qu'un postulat n'est pas nécessaire.

On observe aussi que beaucoup de décisions font maintenant l'objet de recours et se règlent devant les tribunaux. On observe également que les propriétaires continuent à engager des frais pendant les procédures et que c'est souvent aux associations, ensuite, de saisir les tribunaux pour obtenir un effet suspensif. Il faut donc rester attentif, afin ne pas créer d'incitatifs pervers. La loi ne doit pas encourager les propriétaires à engager ces frais alors que des procédures sont en cours, à équiper les terrains rapidement, et ensuite à se réfugier derrière le fait accompli qu’il incombe au canton de les dédommager, par exemple.

Le texte proposé par M. Buffat ouvre la porte à une indemnisation qui devrait être payée par les communes, si c'est l'autorité qui doit répondre du dommage causé aux propriétaires. C'est également le modèle qui est prévu dans le canton du Valais qui a été cité. Dans ce cas, cela peut aussi très fortement influencer les pesées d'intérêt que devront faire des élus communaux, par exemple s'ils doivent approuver une initiative ou s'engager sur un référendum ou une procédure populaire. Ces éléments méritent réflexion et c'est pour cela que je m'opposerai à ce postulat.

M. Marc Vuilleumier (EP) —

Dans un certain nombre de cas de figure, notre groupe Ensemble à Gauche et POP n’est pas opposé à une certaine indemnisation, lorsque les travaux ont été faits de bonne foi et lorsque le terrain est dézoné. Toutefois, pour nous, cette discussion est un peu sans sujet : nous sommes opposés à la propriété privée du sol. Le sol est un bien trop précieux pour qu'il soit privatisé. Le sol doit être socialisé. Dès lors, pour nous, cet objet est un non-sujet et nous nous abstiendrons.

Mme Muriel Thalmann (SOC) — Rapporteur-trice

La problématique soulevée par Mme Müller Chabloz, à savoir la question du dédommagement des terrains qui étaient en fait constructibles de droit, mais qui ne le sont plus parce qu'il y a eu une initiative, un référendum ou une pétition, a été abordée par Mme la conseillère d'Etat ; elle l’a aussi mise dans sa besace. C'est aussi une question qui sera traitée dans le cadre de cette révision.

En ce qui concerne les éventuels abus, le postulant a bien précisé qu'il s'agissait des frais qui avaient été engagés à l'époque, au moment où ils avaient été dézonés. Dès lors, cela exclut les profiteurs.

M. Sébastien Humbert (V'L) —

La rapportrice vient de répondre à ma question.

M. Pierre-André Romanens (PLR) —

Je comprends un peu les inquiétudes qu'il peut y avoir au sujet de propriétaires qui se dépêcheraient d'installer ou de construire des réseaux ou d’autres choses sur leur parcelle, afin de pouvoir toucher des indemnités au cas où leur parcelle serait déclassée. Même si on n'aime pas ces personnes, il faut savoir que les développeurs immobiliers de ce canton investissent des centaines de milliers, voire des millions de francs – peut-être même plus – dans ce canton pour développer et mettre des droits à bâtir sur des sols constructibles. Cela prend plusieurs années ; c'est beaucoup d'investissement et beaucoup de risques et on voit un peu le résultat à la fin de tout cela : quand il y a un vote populaire, tout s'écroule ! Ce risque doit être reconnu et il doit aussi y avoir des indemnités par rapport à cela. C'est tout à fait normal, d’ailleurs la loi le prévoit. Les montants sont considérables et ne couvriront jamais les frais engagés par ces gens. Alors on peut continuer à mettre des bâtons dans les roues de tout le monde, mais c'est un frein énorme à toute personne qui désire développer sur un territoire et ensuite construire des logements ou d'autres choses. Il faut aussi faire attention à ce qu'on est en train de mettre en place, parce qu'il y a un grand nombre de personnes qui ne désirent plus prendre ces risques. Et qui va le faire ? Les communes ? La communauté ? J'ai entendu cela tout à l'heure... Mais ce seront alors à nouveau des montants astronomiques qui seront mis en place. Est-ce qu'il y aura des votes négatifs à la fin du parcours du combattant des droits à bâtir ? Je ne suis pas sûr. Il faut donc soutenir ce postulat. Il sera intéressant d'avoir une réponse du Conseil d'Etat. Mais on joue un petit peu avec le feu et peut-être qu’un jour on se brûlera les doigts.

Mme Muriel Thalmann (SOC) — Rapporteur-trice

Monsieur Romanens, le postulant a bien souligné qu'il s'agissait de frais engagés de bonne foi par les propriétaires. Ce qui exclurait les promoteurs qui se dépêcheraient d'équiper un terrain alors qu'ils savent pertinemment qu'un vote populaire va être lancé.

M. Sébastien Cala (SOC) —

La question du dézonage des terrains, avec un certain nombre de communes qui sont en train de travailler sur leur PGA, est un débat d’actualité. Dans ce cadre, j'ai une question technique, afin de mieux comprendre ; je ne sais pas à quel niveau en est la réflexion au sein des services. On sait qu’en attendant qu’ils soient validés, les plans généraux d’affectation (PGA) peuvent parfois prendre un certain temps. Il y a donc des terrains qui sont gelés, sur lesquels on ne peut plus rien faire. Est-ce que ces éléments seront pris en compte ou non dans le calcul de l'indemnité ?

Mme Christelle Luisier Brodard (C-DITS) — Président-e du Conseil d’Etat

Je vais répéter ce qui a été dit en commission. C'est un texte intéressant qui s'inscrit dans un contexte plus large concernant les plus-values ou les moins-values pour les terrains, les questions d'indemnités, les questions des droits populaires avec les initiatives – comme c'est le cas au Mont-sur-Lausanne. C'est toute une série d'éléments qu'on va devoir reprendre, notamment à la suite d’un arrêt du Tribunal fédéral en la matière. Ce sont donc des éléments très intéressants. De plus, on a vraiment envie de pouvoir modéliser un système de manière un peu plus fine qu'aujourd'hui. Dès lors, pour nous, ce texte est très intéressant. Évidemment, je dis cela pour les personnes de bonne foi.

Par ailleurs, la question de M. Cala – confirmez-moi si j’ai bien compris, car je n’en suis pas sûre – est de savoir s'il y a des indemnités possibles pour les personnes qui ont vu leur terrain gelé pour un moment dans l'attente d'un plan d'affectation communal et, au moment où le plan d'affectation communal est fait, si cette zone réservée serait levée. A ce moment-là, le terrain redeviendrait « constructible »… Enfin, il serait toujours resté constructible, mais il aurait été gelé pour un moment. Dans ce cas, on ne parle pas de possibilité d'indemnisation. S'il y a juste eu un gel des terrains liés à une zone réservée pendant la durée de la procédure d'affectation, ce n'est pas assimilé, à moins, évidemment, que le plan d'affectation arrive à la conclusion que le terrain qui était dans une zone réservée devrait être dézoné. Dans un tel cas, on devrait regarder s'il y a des problématiques d'indemnisation par rapport aux frais qui auraient pu être engagés au préalable.

M. Laurent Miéville (V'L) — Président-e

La discussion est close.

Le Grand Conseil prend le postulat en considération avec quelques avis contraires et abstentions.

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