LEG_683961 - Exposé des motifs et projet de décret portant sur le dépôt d'une initiative cantonale auprès de l'Assemblée fédérale invitant celle-ci à modifier la loi fédérale sur les stupéfiants (LStup) en introduisant une circonstance aggravante en cas de trafic dans l'espace public (18_INI_004) et préavis du Conseil d'Etat sur l'initiative Grégory Devaud et consorts demandant au Conseil d'Etat vaudois d'intervenir auprès des autorités fédérales afin de modifier la loi fédérale sur les stupéfiants (LStup) de sorte d'introduire une circonstance aggravante en cas de trafic dans l'espace public (18_INI_004) (207) (2e débat).
Séance du Grand Conseil du mardi 31 août 2021, point 17 de l'ordre du jour
Documents
- Texte adopté par CE - Empd
- Rapport de commission_S. Aschwanden_RC-207_MIN
- Rapport de commission_E. Räss_RC-207_MAJ
Transcriptions
Visionner le débat de ce point à l'ordre du jourEn ouvrant ce deuxième débat, rappelons d’emblée que le canton, sa capitale et les autorités de poursuite pénale ont combattu le deal de rue – non sans succès – ces derniers temps. Si la situation avait ému ou choqué une large partie de la population il y a trois ans, le trafic de stupéfiants est largement réduit aujourd’hui sur l’espace public jusqu’en soirée. Des forces de l’ordre ont été déployées de manière visible sur les lieux fréquentés. Le parquet a connu une spécialisation pour accélérer les procédures. Cela dissuade les dealers de se poster dans des carrefours et des endroits stratégiques. Le trafic se déplace dans d’autres lieux, moins visibles pour les gens. Les modifications proposées, soit une circonstance aggravante quand le trafic de stupéfiants a lieu dans l’espace ouvert au public, ne correspondent pas au système général des sanctions. Les peines planchers portent généralement sur l’intention de l’auteur : bande, délit par métier, usage d’une arme. Le deal dans l’espace public y serait une circonstance aggravante incongrue.
Dans son préavis au Grand Conseil, le Conseil d’Etat précise qu’incarcérer systématiquement ne règle pas le problème de fond, mais accroît les difficultés de la détention. Vaud figure déjà parmi les cantons qui mettent en prison la plus grande proportion de personnes pour infraction à la Loi sur les stupéfiants. Cela représente plus de la moitié des détenus. Cette même loi accroît la peine quand l’auteur a favorisé l’accès de mineurs à des stupéfiants sur des lieux de formation ou dans leur voisinage. Les infractions à cette même loi ont diminué d’un tiers entre 2017 et 2018, particulièrement à Lausanne. La plupart des gens perçoivent d’ailleurs cette réduction grâce à un travail de dissuasion qui est rendu visible.
L’initiative cantonale, rappelons-le, est destinée à l’Assemblée fédérale. Celle-ci pourrait s’étonner qu’une peine plancher fixée en cas de récidive augmente le risque d’inégalité de traitement peu justifiable dans la répression du trafic et ces divers types d’infractions. La situation a ainsi profondément changé depuis le dépôt de cette initiative qui a perdu de l’actualité. La majorité de la commission vous recommande, par 8 voix contre 7, de rejeter les trois articles du décret.
Je serai plus bref que mon préopinant étant donné que le but n’est pas de refaire le premier débat. J’aimerais simplement vous rappeler pourquoi la minorité de la commission vous invite à entrer en matière. La première raison est liée aux propos contradictoires de Mme la conseillère d’Etat Métraux qui prétend que la lutte n’est pas sécuritaire, tout en louant les dispositifs policiers, comme Strada ou Azur. J’en veux pour preuve les déclarations qui figurent aux pages 3 et 4 du rapport de la majorité de la commission. La deuxième raison tient au fait que les commissaires de minorité estiment que la lutte est multifactorielle : sanitaire, sécuritaire et sociale. Troisième raison : il va de soi que le problème doit être traité au niveau cantonal, toutefois cette initiative permettrait d’envoyer un signal politique fort. Enfin, quatrième et dernière raison, il faut rappeler que les initiants ne prétendent pas que seule la solution sécuritaire et répressive est efficace ; il s’agit d’un outil parmi d’autres pour résoudre une problématique complexe et multiple.
Il est passé à la discussion du projet de décret, article par article, en deuxième débat.
Art. 1. -
Je rappelle que, dans le cadre des Assises de la chaîne pénale de décembre 2018, les experts ont clairement indiqué qu’accroître la pénalisation des dealers de rue ne permettait pas de résoudre le problème, car il s’agit de petits poissons qui sont rapidement remplacés. Je rappelle qu’il n’existe aucun argument qui plaide pour une circonstance aggravante en cas de deal de rue sur les places publiques et enfin que les Assises ont abouti à quatre recommandations, dont l’une qui concluait qu’il convenait de dépénaliser les infractions, car toute personne incarcérée doit ensuite pouvoir se réinsérer, ce qui est un processus très compliqué. Je vous invite donc à classer cette initiative.
Nombreux sont les articles de presse informant que Zurich, Saint-Gall, Genève et Bâle figurent parmi le top 10 des villes européennes avec le plus fort taux de consommation de drogue. Cette forte consommation démontre que la drogue circule facilement, avec les conséquences que l’on connaît. Ceux qui s’offusquaient, hier, du nombre de victimes féminines du GHB – la drogue du violeur – sont les mêmes qui, aujourd’hui, s’offusquent que l’on souhaite durcir les peines des trafiquants de drogue. Le groupe UDC tient la ligne qu’il a toujours défendue, à savoir un durcissement des peines pour les criminels. Nous accepterons donc ce décret.
On peut être favorable ou défavorable à cette proposition, c’est le lieu de ce Parlement de débattre et d’exprimer des avis divergents, mais il y a tout de même des choses que je ne suis pas prêt à entendre, en particulier de la bouche du rapporteur de la majorité de la commission qui nous dit : « Tout va très bien, Madame la marquise. » Cher collègue Zwahlen, dans quel monde vivez-vous ? Moi qui suis Lausannois, qui siège dans ce Grand Conseil le mardi, il m’arrive – avec certains de mes collègues de gauche ou de droite – de boire un dernier verre avant de retourner à mon étude. Je précise que cette dernière se situe à la rue du Petit-Chêne. Je pense que vous connaissez le quartier de la Riponne et sa fréquentation : vous vous faites interpeller par des gens qui vous demandent de l’argent ou par des gens qui vous demandent ce que vous voudriez acheter… Comme, a priori, ils n’ont rien de visible à vendre, j’imagine que ce n’est pas forcément des produits licites. Ensuite vous prenez la place Pépinet et vous remontez sur la passerelle qui se trouve vers la Fnac en direction du Palace. Vous conviendrez que ce n’est tout de même pas le Bronx, dans la mesure où ce sont des rues relativement visibles. Sur la passerelle qui mène du Grand Pont jusqu’à la terrasse de Montbenon, vous avez en moyenne deux à trois dealers qui vous proposent des produits stupéfiants. Je suis estomaqué par le front de ces gens. Je me trompe peut-être, je me fais peut-être une fausse image de moi-même, mais je trouve que je n’ai pas le profil type de la personne qui vient acheter des stupéfiants. (Rires.) J’ai l’impression que j’ai plutôt une tête de procureur, de président de tribunal… Je pourrais m’appeler Antenen, par exemple, mais cela ne les dérange pas de m’accoster quand je marche avec ma petite mallette.
Dire que tout va bien et que le problème est résolu, c’est complètement faux. Naturellement, il y a l’éternelle discussion à propos de la nécessité ou non de la détention. On connaît la divergence entre la gauche et la droite sur ce point de vue. Personnellement, j’ai toujours prétendu que si l’on écoutait la gauche, on pourrait mettre le Code pénal au feu, puisqu’il ne sert jamais à rien, si ce n’est à mettre les gens en prison, mais le fait de les mettre en prison est encore pire que les laisser en liberté, donc on peut aussi supprimer les prisons…
La sempiternelle excuse – dont on a déjà abondamment parlé dans ce Grand Conseil – de dire que les prisons sont surchargées et qu’il ne faut pas y incarcérer des dealers de stupéfiants est… stupéfiante. C’est même hallucinant de dire que l’on n’est pas capable de résoudre les problèmes de criminalité et qu’il ne faut donc pas criminaliser davantage, parce qu’on ne saura pas où mettre ces personnes. Je ne sais pas si vous imaginez quelle image cela donne au public en général. Certains disent qu’il est aussi très compliqué de voir qui offre des produits stupéfiants au public. Je viens de vous expliquer des scènes ordinaires en ville de Lausanne, ce n’est pas compliqué d’identifier ces personnes. Rien que le fait d’offrir publiquement des produits stupéfiants me semble une raison supplémentaire de pénaliser les gens. J’observe que, dans de nombreux pays et en particulier en Asie, le simple fait d’offrir des produits stupéfiants vous entraîne dans des peines de prison qui se chiffrent en mois, voire en années. Des délits – comme l’incitation à la haine, la diffamation ou la calomnie – prévoient aussi une circonstance aggravante lors de déclarations publiques. Il n’y a rien d’extraordinaire dans l’arsenal pénal à aggraver la punissabilité de ce type d’infraction. Inévitablement, il y a un appel d’air qui est créé par ces dealers de rue, ceux qui s’approchent des gens pour leur proposer des stupéfiants. Ils vont à la rencontre de jeunes ou de gens qui peuvent se laisser tenter, qui plus est – et cela a été révélé – durant les périodes difficiles de Covid ou de confinement qui ont vu une forte augmentation de la consommation de produits stupéfiants.
Je pense qu’il faut avoir le courage politique d’aller jusqu’au bout du bout : soit on veut effectivement lutter contre ce type d’agissement et ce type de délit et, à ce moment-là, il faut clairement indiquer que c’est une circonstance aggravante, soit on prétend que l’on a déjà pris des mesures, mais l’on sait très bien qu’il ne se passe rien et on laisse aller jusqu’à ce que, de nouveau, il y ait des gens dans la rue et des interventions de cinéaste qui font enfin bouger les choses. En effet, quand cela émane de quelqu’un qui n’est pas de droite et qui dispose d’un large auditoire, on l’écoute, mais quand c’est la droite qui propose ce genre de choses, nous sommes toujours d’affreux répressifs. Je pense que la répression fait aussi partie de l’arsenal dont nous devons nous doter en pareille circonstance.
Personne ici ne nie le problème du trafic et de la consommation de drogue. C’est un problème que l’on sait mondial, que l’on sait sanitaire et qui est absolument dramatique, mais c’est aussi un problème particulièrement difficile de juguler, parce que les montants et les gains liés au trafic de drogue sont énormes. C’est un problème particulièrement difficile à juguler, parce que les problèmes de dépendance des consommatrices et consommateurs sont également énormes. A ce titre, les centres urbains tels que Lausanne sont bien évidemment des pôles de consommation et de trafic de drogue. Cela étant, on voit que Lausanne et les centres urbains ne sont plus uniquement les seuls pôles avec le développement d’autres drogues : le crystal, la meth ou d’autres drogues faciles à créer chez soi, dans un laboratoire maison. On voit également un déplacement de la fabrication et du trafic lié à ces drogues dans les campagnes, ce qui est déjà un problème à prendre en compte en tant que tel et ce qui montre la multiplicité des problèmes liés à cette thématique.
Quelques remarques par rapport à ce qui a été dit par M. le rapporteur de la minorité de la commission, à savoir que Mme la conseillère d’Etat avait indiqué que le problème n’était pas sécuritaire. C’est quelque chose qui est contredit par le rapport lui-même : bien évidemment qu’une des réponses à ce problème est sécuritaire. Mme la conseillère d’Etat a simplement relevé – très à propos et de façon correcte – que ce n’était pas uniquement un problème sécuritaire, mais également un problème social et sanitaire. Parce que le problème est multifactoriel et multidisciplinaire, nous devons avoir des réponses qui sont elles-mêmes multifactorielles et multidisciplinaires. Surtout que le profil des dealers, mais aussi celui des consommatrices et des consommateurs est très varié. Je rebondis ainsi sur ce qu’a dit notre collègue Buffat : dans ce contexte, Me Buffat, vous êtes un profil type de consommateur ! On sait que les avocats consomment passablement de cocaïne. (Réactions dans la salle.) Je le dis en étant avocat, mais non-consommateur de cocaïne, je le précise. C’est un élément dont il faut tenir compte.
Il est aussi nécessaire de relever le fait qu’aujourd’hui, le canton de Vaud n’est très clairement pas inactif. Bien au contraire ! Vous pouvez le lire à la fois dans le rapport de la majorité de la commission, mais aussi dans les statistiques : aujourd’hui, dans le canton de Vaud, 50 % des prisonniers sont détenus en raison de trafic de drogue. Dans ce contexte, il y a des actions – notamment Strada – qui ont été mises en place spécifiquement sous l’angle sécuritaire pour mener à l’incarcération des trafiquants lorsque cela se justifie et s’impose. D’expérience, en tant qu’avocat et pas en tant que consommateur ni de dealer, je peux vous dire que les juges sont extrêmement sévères en matière de trafic de drogue. Et ce, sans que l’on vienne leur imposer des peines plancher par rapport à cette thématique.
Dans ce contexte, et c’est un point central, à la lecture du rapport de la majorité de la commission, vous voyez bien que M. le Procureur général du canton est opposé à ce texte. S’il y a bien une personne qui sait de quoi elle parle sur ce point, c’est bien M. le Procureur général. Il vous indique que des choses sont entreprises, que des actions sont menées et que le canton de Vaud est le canton qui connaît aujourd’hui le taux de trafiquants de drogue le plus élevé dans ses prisons. De toute la Suisse, devant Zurich, Bâle, Lucerne et Genève, nous avons le plus grand nombre de trafiquants de drogue en prison. Malgré cela, évidemment, le trafic de drogue perdue. Une réduction a été constatée, mais malheureusement le trafic perdure, parce que c’est un problème multifactoriel. On ne peut donc pas dire que le canton de Vaud ne fait rien. Bien au contraire, nous sommes le canton qui agit le plus. M. le Procureur général lui-même vous dit que cette initiative n’est pas bonne.
Enfin, dernier élément, pourquoi dit-on que le « tout prison » n’est pas la bonne solution ? Pourquoi M. le Procureur général lui-même dit-il que cela n’est pas la bonne solution ? Parce que les faits le démontrent. Cela a été évoqué par notre collègue Buffat : il y a des pays, notamment en Asie du Sud-Est ou en Amérique du Sud, où les peines de prison, respectivement la peine de mort, sont prononcées pour le trafic ou le deal de drogue. C’est vrai : dans de nombreux pays, les peines sont extrêmement graves, allant jusqu’à la peine de mort. Néanmoins, qui peut sérieusement prétendre que la Colombie ne connaît pas de problèmes de drogue ? La Colombie prévoit la peine de mort en cas de trafic de drogue, mais ce n’est pas un havre de paix en matière de deal ou de fabrication de drogue. On sait que le 45 % de la cocaïne qui se retrouve sur notre marché est produit en Colombie. Il ne faut donc pas dire que la prison ou la peine de mort, dans ce contexte, ont une utilité. On sait que le poids financier, la consommation et la dépendance sont les éléments les plus centraux, plus que le reste.
Pour tous ces motifs, je vous invite à réfléchir au fond de cette motion, à dépasser ce qui pourrait paraître, sur le principe, comme une idée faisant passer un message. Encore une fois, le canton de Vaud agit, il agit bien et fort. Nous devons toutes et tous agir contre le trafic et la consommation de drogue, mais cela ne passe pas par cette motion. Je vous invite à suivre l’avis du Procureur général lorsqu’il vous propose de la rejeter.
Je vous rappelle qu’il s’agit d’un projet de décret portant sur le dépôt d’une initiative cantonale auprès de l’Assemblée fédérale et pas d’une motion.
C’est un débat riche, parce qu’important, sensible et difficile à résoudre. Je voudrais apporter mon appréciation en ma qualité de responsable de la police pendant 13 ans à Yverdon et de président durant 10 ans des directeurs de polices municipales vaudoises, puis de syndic. On se rend compte que toutes les opérations faites – Strada, Azur et autres – sont des opérations certes intéressantes, mais qui ne résolvent pas la problématique. Force est de constater que la présence des dealers dans les rues est toujours aussi importante. Lorsqu’on fait une opération coup de poing, c’est un peu comme lorsqu’on lance un pavé dans une mare : après un moment, les cercles se referment. Dans le cadre de la vente de drogue, c’est l’inverse : les cercles s’ouvrent et il y a de nouveau des dealers dans les rues. Par la suite, la population ne comprend plus ce que font les politiques ; elle ne comprend plus comment nous pouvons tolérer de telles situations. Par exemple, à Yverdon-les-Bains, ces gens reviennent en permanence. Il y a un côté décourageant pour les forces de l’ordre ou pour toutes les personnes qui s’intéressent à la problématique. Je crois qu’il s’agit maintenant de hausser le ton. Evidemment, il s’agit de prévoir des mesures complémentaires les unes avec les autres, mais nous devons aussi montrer que nous ne tolérons pas ce trafic de rue. Bien sûr, vous me direz que si on règle le problème dans les rues, le trafic se passera dans des appartements ou dans d’autres lieux. Je crois qu’il faut prendre l’ensemble du phénomène, envisager tous les endroits où ces trafics peuvent avoir lieu et prendre des mesures fortes.
Par ailleurs, je m’élève en faux face aux interventions qui prétendent que le trafic a été fortement réduit : c’est complètement faux ! Certes, les statistiques sont plutôt favorables relativement aux interventions ou aux gens sanctionnés ou emprisonnés, mais le trafic demeure extrêmement présent. Il se développe de plus en plus et si nous relâchons ce secteur, ce sera impossible à justifier. C’est la raison pour laquelle je vous propose évidemment de soutenir cette initiative.
Comme j’avais eu l’occasion de l’indiquer au cours du premier débat, je considère ce texte comme étant purement démagogique. Vous savez très bien que s’il parvient à Berne, il sera classé verticalement par l’Assemblée fédérale. Comme cela a été dit, le Procureur général – qui est très proche, voire même membre, du PLR – en charge de la lutte pénale dans le canton estime que ce texte n’est pas applicable. Il en va de même au niveau de la police des stupéfiants qui a également été entendue dans le cadre des travaux de la commission. Je ne vois pas ce que vous cherchez à faire, si ce n’est de la démagogie, avec ce texte qui n’a aucune chance d’aboutir. Vous nous dites qu’il faut résoudre la problématique de la drogue, mais pensez-vous vraiment qu’on va résoudre la problématique de la drogue en essayant d’introduire dans le Code pénal une circonstance aggravante qui n’est pas applicable ? Selon moi, ce texte doit simplement être balayé.
Effectivement, des réflexions peuvent être menées sur les raisons du trafic de drogue. Comme cela a été dit tout à l’heure par M. le député Carrard, de nombreuses opérations ont été menées, mais le deal de rue ou la consommation de stupéfiants ne diminue pas. Cette consommation ne va pas diminuer ; je crois que c’est une réalité de notre société, comme la consommation de certains médicaments psychotropes délivrés sur ordonnance. C’est peut-être un mal de la société. Je crois que la réflexion doit être menée au niveau de la prévention, de l’éducation et peut-être par certaines mesures sociales générales pour que la vie soit moins pénible pour certaines personnes. Bien que pour certains consommateurs, la vie n’est pas si pénible que cela, puisque le recours aux drogues peut être purement récréatif. Là aussi, il y a peut-être des pistes à fouiller pour punir les consommateurs, par exemple avec des retraits de permis de conduire. Monsieur Buffat, je suis avocat comme vous, et l’on vient aussi m’aborder dans la rue. Cela veut dire qu’il y a des personnes qui ont des situations stables, mais qui consomment de la drogue et qui en achètent dans les rues. Je pense que l’on pourrait retirer le permis de conduire aux personnes attrapées, puis les soumettre à des tests pour voir si elles sont aptes à conduire. Je pense que c’est dans cette direction que des réflexions doivent tourner, mais pas en voulant introduire une aggravante qui n’est pas applicable et qui risque, si elle devait l’être, de gonfler encore la population carcérale de notre canton, qui est déjà très importante, avec des résultats qui ne sont pas excellents au niveau de la récidive en matière de trafic de stupéfiants. Je vous encourage donc de suivre la majorité de la commission et de rejeter ce texte.
Si notre collègue Zwahlen ne voit pas de problème à Lausanne, je lui suggère de venir à la gare de Vevey, il ne pourra pas le rater : à tout moment de la journée, ce n’est pas le métro aux heures de pointe, mais peu s’en faut… Il n’y a pas une minute où l’on peut se promener dans ce secteur sans croiser des trafiquants. Néanmoins, malgré cette omniprésence, je dois avouer que je suis rarement interpellé… Peut-être parce que je ne porte ni manette ni cravate, je n’ai pas le profil type et je m’en sors peut-être mieux que d’autres. (Rires.)
Les analyses faites par Me Buffat et Me Raedler expriment bien l’ambivalence qui prévaut au sein du groupe des Libres sur cette problématique et sur les solutions à y apporter : certains d’entre nous sont convaincus que la solution passe par une légalisation ; nous ne voyons pas d’autre issue, mais apparemment cela n’est pas encore rentré dans les mœurs et nous ne trouvons malheureusement pas une majorité pour aller dans ce sens. La question qui se pose est la suivante : que faire en attendant ? Aujourd’hui, nous n’avons pas de solution. Tout ce qui a été proposé n’a pas abouti.
Par ailleurs, à part la problématique du trafic de drogue, il y a rarement de la violence, parce que ces gens ne sont pas là pour être violents, mais pour vendre leurs saloperies. Le problème qui se pose, particulièrement à la gare de Vevey, c’est le harcèlement à l’égard des femmes. Je crois que la gauche doit aussi être sensible à ce phénomène qui existe de toute façon, mais qui est renforcé par le fait que ces trafiquants – qui sont livrés à eux-mêmes, qui sont donc des victimes du système – s’ennuient et harcèlent des passantes. Nous n’arrivons pas à régler ce problème. Je comprends que ce qui est proposé n’est peut-être pas la solution, mais quelle solution proposez-vous ? A un moment donné, je pense qu’il faut mettre les choses sur le tapis et faire des propositions. Ce ne seront peut-être pas les bonnes, mais cela créera un débat qui permettra peut-être ensuite d’aboutir à quelque chose. Nous ne pouvons pas continuer ainsi, cela devient vraiment insupportable.
Pour compléter les propos de mes collègues Buffat et Christen, j’ajoute qu’à Yverdon, les personnes qui sortent de la gare en soirée sont aussi souvent incommodées, voire harcelées, par les dealers. Les espaces publics, notamment les préaux scolaires, sont des lieux très attractifs pour les dealers. Ce n’est un secret pour personne et c’est un problème qui demeure d’actualité. Mon parti lutte, depuis de nombreuses années, afin de contenir ce fléau qui conduit, dans de nombreux cas, à des déchéances humaines irrévocables. Ce fait est aussi connu et, malheureusement, il touche des personnes de plus en plus jeunes. Notre population attend de la rigueur dans ce domaine de la part des politiciens. C’est pour cette raison que le groupe UDC vous recommande de soutenir cette initiative.
Dans ce Parlement, on peut dire beaucoup de choses sans forcément tomber dans la caricature. Si les dealers de rue n’avaient que des avocats comme clients, il y a longtemps qu’il n’y en aurait plus.
En ce qui concerne le Procureur général, si vous relisez la Constitution, vous verrez que c’est une autorité indépendante qui exprime son avis. J’ai cru comprendre que les avis du procureur, s’agissant des activistes du climat, n’étaient pas forcément partagés par ceux qui se prévalent de son avis aujourd’hui. Le procureur fait son travail ; il donne son avis : il est neutre, objectif et indépendant. De notre côté, nous avons une responsabilité politique, ce qui est différent.
En ce qui concerne la théorie des petits poissons, je pense que certaines personnes qui siègent dans ce Parlement n’ont pas souvent été à la pêche : si vous voulez faire de la pêche au gros, la première chose est de s’assurer qu’il y a des poissons, et surtout des petits poissons. Ce sont les petits poissons qui font venir les gros et pas l’inverse. La théorie des petits poissons, à l’époque où j’étais jeune avocat et que je faisais du pénal, était largement connue : c’est par les petits poissons que l’on remonte les filières et que l’on arrive à attraper les gros trafiquants. Cette théorie que j’entends depuis que je fais de la politique et qui voudrait que l’on se concentre sur les gros poissons est complètement absurde. Allez-vous à la pêche sans vous assurer qu’il y a des poissons dans le lac dans lequel vous allez pêcher ?
A quoi sert une aggravante ? Puisque l’on me dit que ça ne sert à rien, je vais me livrer à quelques explications. On peut supprimer tout ce qui est public dans le Code pénal, notamment :
- l’incitation à la haine, article 261bis,
- l’atteinte à la paix des morts, pour laquelle l’effet public est une aggravante, article 262,
- l’atteinte à la croyance, article 261,
- la provocation à la haine, article 259,
- un certain nombre d’autres dispositions – l’atteinte aux mœurs et à l’honneur – aux articles 189 et suivants.
Pourquoi le législateur a-t-il considéré que l’élément public devait être sanctionné de façon plus grave ? C’est là que réside la question. Parce qu’il estime précisément que dans l’incitation à la haine, l’appel à la violence, l’atteinte à la paix des morts, il y a un aspect public et que le public en général doit être protégé. C’est pour cette raison que je vous invite à soutenir cette proposition.
Beaucoup de bons arguments ont été développés par Mme Thalmann, MM. Raedler et Zwahlen pour refuser ce projet de décret. Je ne veux pas allonger le débat, mais je tiens tout de même à souligner quelques points, notamment le caractère totalement à contre-courant de cette proposition. Au niveau international, si l’on tient compte des débats et des expériences menées ces dernières années en matière de trafic de drogue, on constate que de nombreux pays sont en train de s’engager dans la voie exactement inverse, soit une légalisation des produits, à commencer par le cannabis qui est en Suisse le produit le plus vendu dans la rue. Ces pays ont fait l’expérience des impasses des politiques davantage répressives qui ont été mises en place ces dernières années. Compte tenu de l’inefficacité de ces mesures, notamment pour faire baisser le taux de consommation de drogue dans la population, ces pays prennent aujourd’hui une autre voie, celle de davantage de prévention, d’une politique qui va vers les consommateurs pour traiter les dépendances et une politique de légalisation pour les drogues dites douces, à commencer par le cannabis. Je pense que nous devrions tout de même être attentifs à ces évolutions avant de faire cavalier seul et d’adopter une politique davantage répressive. Sommes-nous vraiment plus intelligents que tous ces pays qui font le constat inverse ? Je pense que cela devrait nous faire réfléchir.
Concernant le débat sur l’appel d’air, le fait est que, lorsqu’on incarcère des petits dealers, ils sont immédiatement remplacés, puisque l’on a affaire à des réseaux très bien organisés sur le plan international. De fait, l’incarcération crée un appel d’air, puisque ces petits dealers sont tout de suite remplacés, cela contribue à surcharger la chaîne pénale. Il s’agit donc d’une sorte de fuite en avant qui, à mon avis, nous mène droit dans le mur. L’intensification de la pression policière sur les petits dealers a aussi pour conséquence un trafic plus caché, plus difficile à surveiller et à contrôler, un trafic qui pose donc davantage de problèmes. Je suis donc extrêmement réticent vis-à-vis de cette proposition d’aggraver les sanctions pénales.
Par ailleurs, un élément n’est jamais mis en avant dans le débat et je trouve cela assez étonnant venant d’élus qui, normalement, sont très prompts à interroger le coût des politiques publiques et à plaider pour des politiques publiques économes : dans le cadre qui nous occupe, le débat sur les coûts est totalement mis de côté, alors que le coût d’une place de prison est très élevé, plus de 100’000 francs par année. De nombreux acteurs, à commencer par le procureur, nous mettent en garde contre l’inefficacité de cette politique. Pourtant, il y a une indifférence totale aux coûts de ces places de prison. Dix places coûtent plus d’un million de francs par année à l’Etat de Vaud. Est-ce que cela ne devrait pas nous faire réfléchir ? Etant donné ces mises en garde contre une politique inefficace et les coûts potentiellement très élevés pour les contribuables, doit-on vraiment s’engager dans cette voie ? N’y a-t-il pas d’autres politiques publiques plus prioritaires à financer ? Ne ferait-on pas mieux de créer davantage de places dans les crèches et les garderies aujourd’hui, plutôt que de nouvelles places dans les prisons ? J’aimerais bien que la droite soit plus attentive à la question des coûts dans ce débat.
M. Mattenberger, à juste titre, a dit que ce genre d’initiative partait directement à la corbeille à Berne. Je l’encourage vivement à répéter cela à son parti quand il lui prend aussi l’envie d’envoyer un objet au niveau fédéral. Personnellement, j’ai eu la faiblesse d’accepter cela une fois pour la caisse publique, mais je suis conscient, depuis des années, que cela ne sert à rien. C’est la raison pour laquelle je ne voterai pas en faveur de cette initiative. Je m’abstiendrai, parce qu’il faut reconnaître que la carrière de député peut être particulièrement difficile. Depuis mon entrée au Conseil communal de Lausanne, le 1er janvier 1982, j’ai eu le plaisir de participer à toutes sortes de débats sur la drogue, en long, en large et en travers, avec toutes sortes de recettes, etc. Je peux vous assurer que, dans ce domaine, les progrès sont très minces. Je ne doute pas que, lors de la prochaine législature, vous vous enthousiasmerez de nouveau pour cette problématique bien réelle, mais votre modestie devrait vous faire prendre conscience qu’il n’y a pas de solution – et surtout pas au niveau d’un Parlement. Il faut laisser les exécutifs et la justice – aidée de sa police – trouver des moyens d’exercer la meilleure pression possible pour que les choses que l’on voit dans les quartiers nord de Marseille ne se reproduisent pas chez nous. Je fais confiance aux exécutifs et à la justice. J’apprécie nos débats, mais depuis 40 ans, je suis parfaitement conscient qu’ils ne servent strictement à rien en la matière. Je m’abstiendrai donc lors du vote, mais je vous félicite pour votre persévérance, à gauche comme à droite, pour un sujet pour lequel vous savez pertinemment que vous n’avez pas de solution.
Je serai extrêmement brève : je pense que la discussion a déjà eu lieu lors du premier débat et que les fronts sont figés. Nous avons déjà développé les arguments qui nous font dire que cette initiative n’est pas une bonne idée. Sur le fond, il y a effectivement des problèmes de deal de rue, ce sont des questions que nous devons reprendre – au Conseil d’Etat et au Grand Conseil – de manière globale. Il ne s’agit pas d’opposer la prévention et la répression, il s’agit d’évoquer à la fois les moyens de prévention, de répression, les thérapies et la question de la réduction des risques. Toutes ces questions seront reprises tant au Conseil d’Etat qu’au Grand Conseil à l’aune des réponses qui seront faites à la petite quinzaine d’interventions parlementaires qui ont déjà été déposées sur ce sujet. J’ai déjà eu l’occasion de le dire : le Conseil d’Etat, emmené par Mme Métraux, reviendra sur cette question du deal de rue et répondra à ces interventions parlementaires, dans la mesure où il s’agit d’une question essentiellement cantonale.
S’agissant de l’outil proposé – et c’est bien là que réside le problème à notre sens – certains d’entre vous l’ont déjà dit, l’initiative est un outil extrêmement difficile à manier, un outil qui nous paraît inadéquat, parce que les chances d’aboutir liées à ce type d’initiative sont très faibles sur le plan fédéral. Et ce, d’autant plus que sur un objet tel que celui qui nous est soumis aujourd’hui, il y a déjà eu une prise de position en 2020 des Chambres sur une intervention de M. Michael Buffat et, lors du vote, l’aggravation des sanctions en la matière a été largement refusée.
En conclusion, nous reconnaissons qu’il y a un réel problème de deal de rue et que cette question doit être traitée à nouveau sur le plan cantonal, mais le moyen proposé a peu de chances de succès. Sur le fond, ce type d’objet a déjà été traité récemment sur le plan national, avec un résultat négatif.
L’article 1 est accepté tel qu’admis en premier débat par 65 voix contre 61 et 5 abstentions.
Je demande un vote nominal.
Retour à l'ordre du jourCette demande est appuyée par au moins 20 membres.
Celles et ceux qui acceptent l’article 1 votent oui ; celles et ceux qui le refusent votent non. Les abstentions sont possibles.
Au vote nominal, l’article 1 est accepté par 72 voix contre 62 et 4 abstentions.
* Introduire vote nominal.
Les articles 2 et 3, formule d’exécution, sont acceptés tels qu’admis en premier débat par 71 voix contre 62 et 6 abstentions.
Le projet de décret est adopté en deuxième débat et définitivement par 71 voix contre 63 et 5 abstentions.