21_POS_51 - Postulat Dylan Karlen - Pour une analyse des effets de l’utilisation de pistolets à impulsions électriques (Taser).

Séance du Grand Conseil du mardi 2 mai 2023, point 40 de l'ordre du jour

Texte déposé

L’équipement et l’armement des corps de police doivent en permanence évoluer pour s’adapter aux nouvelles menaces. Il en découle qu’une réévaluation régulière des moyens octroyés aux femmes et hommes de terrain fait partie des impératifs de la politique sécuritaire de toute collectivité publique. L’évolution des menaces et de la nature des engagements des forces d’intervention, dans le Canton de Vaud comme ailleurs, doivent pousser à reprendre cette réflexion.

 

Il ne s’agit pas de dire que les forces de police ont répondu de manière erronée ou inadaptée aux récentes situations auxquelles elles ont été confrontées – bien au contraire. Tout en réaffirmant la pleine confiance que nous pouvons avoir à l’égard des agents de terrain et la reconnaissance pour leur engagement et leur professionnalisme, y compris face à l’augmentation des agressions violentes dont ils sont victimes, il paraît opportun d’analyser l’adaptation de leur équipement face au développement de la situation sécuritaire.

 

Depuis 2008, nombre de corps de police ont acquis des pistolets à impulsions électriques, afin de minimiser les risques lors d’interventions nécessitant l’incapacitation d’un forcené. Alors qu’en 2010, l’arme de service était encore utilisée 29 fois en Suisse, elle n’est plus engagée qu’entre 8 et 15 fois par année depuis 2012.

 

Utilisatrice depuis plusieurs années, la police cantonale zurichoise vient d’annoncer l’achat de 170 nouveaux appareils, mentionnant que l’expérience a démontré que « les situations particulièrement dangereuses peuvent être mises sous contrôle de manière rapide et proportionnée[1] ». Il est par ailleurs précisé qu’en 2020, le Taser n’a été utilisé qu’une fois, alors que dans 14 cas, la seule menace de son utilisation a permis de mettre un terme à une situation dangereuse.

 

Un tel constat est confirmé par le canton de Berne qui, dans un rapport très complet, indique que, lors de l’utilisation du Taser, « le risque est nettement moindre aussi bien pour les agresseurs que pour les forces d’engagement, par rapport au recours à d’autres moyens de contrainte (notamment l’arme à feu, mais aussi le bâton)[2] ». 

 

Dans le Canton de Vaud, le DARD est doté d’un tel dispositif. D’autres polices suisses et romandes ont pris une décision similaire, limitant parfois son usage à des forces d’intervention et, d’autres fois, décidant d’équiper toutes les patrouilles.

 

Il y a donc largement matière à étude. Les années d’expérience permettront de mettre en évidence le nombre d’utilisations, les situations typiques d’engagement, le nombre de personnes ayant subi des séquelles graves et l’incidence sur l’utilisation d’armes à feu en corrélation avec l’évolution des engagements en situation dangereuse.

 

En conclusion, le présent postulat invite le Conseil d’Etat à étudier les effets de l’utilisation de pistolets à impulsions électriques sur l'efficacité des interventions et la sécurité des agents de terrain et l’opportunité d’équiper ou non tout ou partie des gendarmes de terrain, en prêtant une attention toute particulière :

 

  • aux demandes et opinions des hommes et femmes de terrain ;
  • à l’évolution de la nature des interventions des agents ;
  • à l’analyse de l’utilisation de pistolets à impulsions électriques par les corps de police qui en sont équipés dans le reste du pays ;
  • au degré d’adaptation de chaque moyen d’engagement vis-à-vis de chaque situation, notamment en lien avec les infractions violentes.

 

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[1] Neue destabilisierungsgeräte für die Kantonspolizei Zürich, Medienmitteilung, 24. 08 2021.

[2] Examen des effectifs de la police cantonale, rapport du Conseil-exécutif en réponse à la motion 138-2016 Wüthrich (Huttwil, PS), 27 février 2019, p. 34.

Conclusion

Prise en considération immédiate

Documents

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. Jean-Daniel Carrard (PLR) —

(remplaçant M. Sergei Aschwanden, rapporteur) J'interviens en remplacement du rapporteur de commission, M. Sergei Aschwanden, absent. J’étais membre de la commission qui s'est réunie le 15 mars 2022. Je remercie Mme Fanny Krug, secrétaire de commissions, pour les prises de notes. Le postulat de notre ancien collègue député Karlen pose la question de l'intérêt de l'utilisation du taser en cas d'intervention de police ainsi que des risques que cela pourrait entraîner. Nous savons que nos policiers peuvent utiliser différents moyens pour faire respecter l'ordre, qui peuvent aller de la persuasion, à l’intervention physique, au bâton tactique, à l’arme à feu, par exemple. Le taser pourrait représenter une solution intermédiaire et supplémentaire à ces dispositions.

Le Grand Conseil a souhaité que nous débattions de ce sujet en commission en lieu et place d’un renvoi direct au Conseil d'Etat. Cela ouvre ainsi la voie à ce présent débat. Mme la conseillère d'Etat d'alors s’était montrée d'entrée favorable à la réflexion en précisant qu'à son avis, il manquait quelque chose pour l'utilisation de moyens de contrainte. Il nous a été précisé qu'il existe déjà une riche littérature à ce sujet et qu'il y a donc matière à répondre à ce postulat. Un certain nombre de cantons, principalement alémaniques, ont déjà franchi le pas et généralisé l'utilisation du taser. Dans notre canton, les policiers du groupe d'intervention Détachement d’action rapide et de dissuasion (DARD) ainsi que ceux du Groupe d'interventions de la police de Lausanne (GIPL) en sont déjà équipés, ce qui représente environ 45 personnes. Nous ne sommes donc pas sans expérience sur l'utilisation ou les règles – qui vont de pair. Il semble donc intéressant de permettre au Conseil d'Etat, avec la Police cantonale, d'étudier l'utilisation de cet appareil et d'en faire une évaluation, de définir le cadre légal, d’intégrer la formation en respectant les directives de l'Institution suisse de police, d’en apprécier les dangers et les risques, aussi, bien sûr, et de poser le cadre des directives d'engagement de ce type de moyens. Vous l’aurez compris, la commission unanime recommande la prise en considération de ce postulat ainsi que son renvoi au Conseil d’Etat.

Mme Séverine Evéquoz (VER) — Président-e

La discussion est ouverte.

M. Nicola Di Giulio (UDC) —

Je déclare mes intérêts : je suis enquêteur à la police de Lausanne, et également formateur à l'Académie de police de Savatan. Cette initiative doit être analysée sous l'angle du potentiel d'amélioration de l'équipement des forces de police. Pour le groupe UDC, l'équipement et l'armement des policiers doivent en permanence être axés sur l'évolution des menaces, car il ne s'agit pas de dire que les forces de l'ordre ont répondu de manière erronée ou inadaptée aux situations auxquelles elles ont été confrontées ; c'est évident.

Depuis 2008, nombre de corps de police ont acquis des pistolets à impulsion électrique. Alors qu'en 2010, l’arme de service était encore utilisée 29 fois en Suisse, elle n'est plus engagée qu'entre 8 à 15 fois par année depuis 2012 ; ce qui est très bien. Son utilisation s'inscrit dans un contexte d'intervention graduée qui le classe, dans l'échelle d'utilisation de la force, juste avant l'usage de l'arme à feu. L’utilisation du taser reste pour l’heure très rare sur notre territoire ; le DARD en est équipé depuis 2010. A ce jour, il n’a été utilisé qu'à 6 reprises. En 2021, le dispositif incapacitant a été utilisé une seule fois et n'a pas été utilisé en 2022. Il arrive quelquefois que le simple fait de menacer de recourir à un pistolet à impulsion électrique permette de désamorcer une crise et de stabiliser une situation, sans que son engagement ait effectivement été nécessaire.

Comment cela fonctionne-t-il ? En préambule, il ne faut pas confondre le taser avec le shocker. Ce dernier émet un choc électrique au contact, tandis que le taser – ou pistolet à impulsion électrique –projette des aiguillons reliés à l’arme par des câbles fins, lesquels infligent une décharge électrique à la personne au moment de l'impact. Quels sont les effets et les risques ? La décharge génère des effets neuromusculaires tels que la personne ciblée va s'effondrer, privée de contrôle. Il existe des risques de blessures directes, notamment de lésions provoquées par les aiguillons et la décharge, et des risques indirects, la personne pouvant se blesser dans sa chute. Néanmoins, les effets peuvent varier.

Ainsi, il est important d'obtenir plus de précisions face à ce moyen de contrainte. Au vu de toutes ces raisons, l'ensemble du groupe UDC vous invite à suivre les recommandations de la commission et à prendre en considération ce postulat.

M. David Raedler (VER) —

La thématique abordée par ce postulat est effectivement importante dans la mesure où le taser peut, dans certaines conditions, servir d'alternative à des moyens plus létaux qui ne seraient pas forcément nécessaires pour une intervention et pour laquelle le taser représenterait un avantage. Cela a été relevé également par le rapport, Amnesty International souligne que l’arme taser est potentiellement positive dans certaines conditions d'utilisation – il s’agit bien d’une arme. En effet, elle constituerait une alternative à l’arme à feu, parce qu’elle est précisément moins létale. Toutefois, il faut naturellement aussi faire très attention, car il ne faut pas que le taser représente une alternative à d'autres moyens qui seraient à disposition des policiers et policières et qui seraient moins létaux ; on peut penser au bâton tactique ou au spray au poivre, des éléments qui sont également létaux mais pas autant que le taser, notamment parce que le gros problème du taser concerne les personnes qui souffriraient de faiblesses cardiaques qui ne sont naturellement pas toujours connues. Si une personne a des faiblesses cardiaques, logiquement, l'utilisation du taser sur cette personne peut avoir un effet mortel ou s'avérer très grave ; c’est une arme qui ne doit pas être prise à la légère.

Dans ce contexte, l'opportunité du postulat est marquée, parce qu’il faut examiner toutes les possibilités que nous possédons pour protéger à la fois les policières et policiers, pour leur permettre d'intervenir et, également, naturellement, pour prendre en compte la santé et la sécurité des autres personnes qui seraient impliquées dans le cadre d'une intervention. Aucune arme ne doit être prise à la légère. Il faut les moyens nécessaires– et cela a aussi été évoqué pendant la commission – mais la ceinture d'un policier ou d'une policière n'est pas infinie, ce qui veut aussi dire qu'on ne peut pas y mettre tout et n'importe quoi : 45 armes différentes à la taille. Il faut pouvoir choisir en fonction des caractéristiques de chaque arme. Dans ce contexte, le groupe des Verts va soutenir le postulat afin d’accéder à un rapport complet du Conseil d'Etat qui tienne compte des modalités et des caractéristiques de chacune des armes pour chacune des utilisations, au regard des risques et des avantages qui les accompagnent.

M. Hadrien Buclin (EP) —

Le groupe Ensemble à Gauche et POP se montre assez sceptique par rapport à ce postulat. Sur le fond, nous sommes avant tout favorables à réduire le recours aux armes à feu par la police. En effet, nous constatons que, dans certains pays européens, la police recourt beaucoup moins fréquemment au tir, disposant de règles d'intervention qui accordent une plus grande place à des techniques d'intervention non létales, ce que j'avais eu l'occasion de rappeler entre autres dans une interpellation faisant suite au drame de Morges, lorsqu'en 2021, un jeune homme armé d'un couteau et souffrant de troubles psychiques avait été tué par la police. En Grande-Bretagne, par exemple, 95 % des agents de police ne sont pas armés et sont pourtant formés pour faire face de manière adéquate à une personne munie d'un couteau. On pourrait aussi évoquer des pays comme la Norvège, le Danemark, la Finlande où la police engage moins souvent l'arme de service que la Suisse. Par conséquent, dans ces pays le nombre de personnes tuées ou gravement blessées lors des interventions est plus bas. Il nous paraît donc essentiel d'engager avant toute une réflexion sur l’accès à des techniques d'immobilisation qui ne soient pas létales.

Dans ce contexte, si le postulant proposait d'étudier le recours au taser, dans une claire perspective de réduire le recours aux armes à feu, nous pourrions le suivre ; jusqu'à un certain point, en tout cas. Cependant, l’intention du postulant n'est pas si claire, et on se demande s'il ne s'agit pas plutôt d'ajouter une arme à la panoplie de la police. En effet, si l'intention visait vraiment à diminuer le recours aux armes à feu et de réfléchir à d'autres techniques d'intervention, pourquoi, à côté du taser ne serait-il pas proposé, comme l'a rappelé précédemment M. Raedler, d'étudier un recours accru au bâton tactique ou, par exemple, à des filets pour immobiliser une personne menaçante, comme cela est parfois utilisé par la police dans d'autres pays. Par conséquent, la focalisation sur le seul taser nous semble un peu problématique, d'autant que comme cela a été rappelé durant les travaux de commission – à laquelle nous n’avons pas participé mais dont nous avons lu avec attention le rapport – le taser est une arme dangereuse qui peut s’avérer fatale pour les personnes souffrant de problèmes cardiaques.

Ainsi, nous sommes favorables à initier une réflexion sur les moyens de réduire le recours aux armes à feu, et subséquemment le nombre de personnes tuées ou gravement blessées lors des interventions, mais pas en se focalisant exclusivement sur l’ajout du taser dans la panoplie de la police.

M. Vassilis Venizelos (C-DJES) — Conseiller-ère d’Etat

Je vous remercie pour ce débat et pour ce postulat. Cela fut rappelé, aujourd'hui, le DARD est déjà doté de tasers au sujet desquels des réflexions sont en cours. Ce postulat contribuera à les alimenter pour étendre potentiellement l'utilisation de cette arme à d'autres types de gendarmes ou de policiers. En effet, le maintien de l'ordre est au cœur des missions des policiers et des policières, et dans certaines circonstances, ils doivent évidemment faire usage de la force, mais dans le respect du principe de proportionnalité, avec prudence et discernement. Les moyens de contrainte admettent une gradation. Le spray au poivre en fait partie ; toutefois, dans différentes situations, il a pu entraîner des conséquences assez importantes sur l'intégrité physique des personnes immobilisées par ce biais. Dès lors, nous devons analyser les différents outils et moyens de contrainte à disposition pour permettre aux policiers et aux policières de garantir le maintien de l'ordre. En outre, les policiers et policières doivent souvent percevoir une situation et prendre des décisions très rapidement et évaluer avec célérité les différentes options à leur portée. A cet égard, M. Raedler évoquait la ceinture du policier qui n'est pas, à l’évidence, infinie. J'ajouterai que le trop d’options à disposition rend le choix de plus en plus complexe.

Quoi qu'il en soit, si le Parlement renvoie le postulat au Conseil d'Etat, celui-ci étudiera les différentes options visant un équipement plus global, voire plus ciblé en fonction de différents critères : la formation, le coût et les dangers évoqués. Quoi qu'il en soit, le Conseil d'Etat répondra volontiers à ce postulat pour alimenter les réflexions en cours à ce sujet.

Mme Séverine Evéquoz (VER) — Président-e

La discussion est close.

Le Grand Conseil prend le postulat en considération par 95 voix contre 2 et 14 abstentions.

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