23_POS_79 - Postulat Mathilde Marendaz et consorts au nom Sébastien Humbert, Laurent Balsiger, Alberto Mocchi - Reconnaître le coût environnemental et climatique du béton.
Séance du Grand Conseil du mardi 11 février 2025, point 18 de l'ordre du jour
Texte déposé
L’empreinte carbone du béton est devenue massive depuis l’industrialisation de la fabrication du ciment au 19è siècle. Le béton génère une empreinte carbone élevée et contribue à l’épuisement de ressources comme le sable et les granulats. Le secteur du bâtiment est responsable de 37% des émissions de gaz à effet de serre mondiales et le béton est responsable de 52 % à 80% des émissions de ce secteur. La fabrication du ciment contenu dans le béton, est responsable de 98% des émissions de gaz à effet de serre du béton, en raison du processus de fabrication du ciment très énergivore (le clinker va être chauffé aux alentours de 1450°C via des combustibles fossiles), et la décarbonatation du calcaire, réaction chimique produisant du CO2,est responsable des deux tiers restants des émissions de GES du ciment. Voici les étapes principales de la fabrication du ciment qui coûtent cher en émissions de CO2.
L'industrie du béton est celle qui rejette le plus de gaz à effet de serre en Suisse. Selon la revue Tracé, le secteur de la construction est responsable de 40 % des émissions de CO2 dans le pays. En outre, dans un rapport annuel de 2021, l'ONU s’était inquiétée du fait que « les émissions de CO2 du secteur du bâtiment ont atteint un niveau jamais vu ». Si certains développent des bétons bas carbone, et que les émissions des grands cimentiers sont quant à elles en baisse, cette baisse est beaucoup trop lente et trop faible selon les scientifiques qui dénoncent la dépendance de la société au béton.
En plus de cela, le coût des transactions foncières pour fabriquer du béton, sur Vaud, est le suivant : les entreprises d'extraction achètent environ 2.- le m³ de matière première (terre, gravier), et revendent 30.- le m³ de calcaire extrait, additionné à 30 autres francs de m² de vide qui se vend cher parce qu’il permet de la place pour enfouir les déchets de constructions. Ces chiffres sont confirmés par différentes sources journalistiques. La conséquence de ces achats de terres à faible coût de terres est que ces entreprises en détiennent une quantité importante, cela impactant aussi les terres paysannes, comme dans des exemples de domaines agricoles rachetés par des entreprises de la construction. Mais c'est aussi cet achat de terres à faible coût qui favorise la grande rentabilité du matériau béton, aujourd'hui peu concurrentiel.
Au sein du Grand conseil, des propositions ont émergé pour favoriser d’autres matériaux de construction et réduire l’utilisation de béton là où cela est possible, puisque cela est urgent. Il est primordial d’encourager les alternatives, en promouvant des méthodes durables et variées de construction, et de valoriser les différents savoir-faire reliés. Si ces alternatives sont indispensables, des architectes affirment qu’il est nécessaire d’intervenir sur la production de béton. Le béton est un matériau facile à créer, qui se moule dans de nombreuses formes, rentable et coûtant bien moins cher que d’autres matériaux biosourcés, bien que son impact climatique élevé n’est pas intégré. Des maîtres d’ouvrage renoncent à choisir les modèles basés sur des matériaux biosourcés car ceux-ci sont plus chers que le béton. Pour veiller à préserver nos ressources, il est nécessaire de réfléchir rapidement à des mécanismes financiers autour de l’extraction des matières premières et de la production de CO2 du béton, ceci dans le but d’alimenter un fond pour promouvoir des matériaux plus durables. Ce fond permettrait à l’État et aux privés de favoriser les propositions d’ouvrage basés sur les matériaux biosourcés et sur le réemploi, solutions autrement plus coûteuses.
Différentes solutions politiques permettant d’intégrer le coût climatique du béton ont été éprouvées. Dans l’État du Texas, toute société qui produit du ciment ou en importe au Texas et distribue ou vend le ciment dans le commerce intra-étatique ou utilise le ciment est taxée, sur la base d’un calcul basé sur la quantité de ciment distribué, vendu ou utilisé. Une taxe carbone est de compétence fédérale, mais le Canton est souverain sur le plan fiscal et peut introduire un impôt spécial cantonal d'orientation.
En France, la réglementation environnementale 2020 a pour ambition de répondre à la nécessité de diminuer les émissions de gaz à effet de serre du secteur de la construction en fixant un seuil limite de consommation en énergie pour toutes les constructions neuves, seuil de consommation énergetique qui repose sur une transformation progressive des techniques de construction vers des matériaux moins émetteurs.
Dans le Canton de Genève, la loi carbone adoptée en décembre 2021 a induit des nouveaux articles à la loi sur les constructions (LCI) : les nouveaux articles 117 et 118. Le titre de la section, « Empreinte carbone des matériaux de construction (nouveau) », instruit donc les articles suivants :
Art. 117 Principes (nouveau)
1 Toute construction ou rénovation importante doit être conçue et réalisée à base de matériaux propres à minimiser son empreinte carbone.
2 En premier lieu, il y a lieu de privilégier, dans la mesure du possible, le réemploi des matériaux de construction existants.
3 À défaut, il faut privilégier les matériaux de construction recyclés ou à faible empreinte carbone.
Art. 118 Prescriptions applicables (nouveau)
1 L’empreinte carbone de chaque matériau d’une construction ou d’une rénovation importante correspond au bilan des émissions de gaz à effet de serre de ce matériau, et cela durant l’ensemble de son cycle de vie.
2 Le calcul de l’empreinte carbone se fait selon l’état de la technique. Le Conseil d’Etat fixe par voie réglementaire les modalités précises de ce calcul, en concertation avec les milieux professionnels intéressés.
3 Le Conseil d’Etat peut définir, par voie réglementaire, des seuils d’empreinte carbone maximale à respecter par matériau de construction, après concertation des milieux professionnels intéressésune
Depuis lors, des discussions entre les services de l’État et les représentant·e·s de la société des ingénieur·e·s et architectes (SIA) ainsi que des professionnel·le·s du domaine, ont mené à un règlement d’application qui entrera en vigueur en 2024 selon les informations publiques. Pour toute construction ou rénovation publique soumise à un permis de construire, un concept visant à minimiser l’empreinte carbone – seuil carbone selon l’état de la technique et des données de référence – devra être fourni, sans quoi le projet de construction ne sera pas adopté. Le concept de minimisation de l’empreinte carbone devra détailler les stratégies d’optimisation de la forme et des principes constructifs du bâtiment, les choix de matérialité à faible impact carbone, les stratégies de réemploi et de recyclage et les stratégies de sobriété technique. Le règlement d’application précisera que lorsqu’un projet s’écarte des valeurs-seuils, le concepteur devra expliquer les raisons qui conduisent aux écarts par lots (gros-œuvre, enveloppe, …). Il faudra prouver « avoir fait tout le possible dans l’état de la technique » pour atteindre les seuils. Les attentes autour du concept seront adaptées à la norme SIA qui distingue les catégories d’ouvrage en raison des contraintes techniques différentes impactant les possibilités de minimisation de l’empreinte carbone (ex : hôpitaux). Le fonctionnement genevois permet d’aller vers une plus grande sobriété dans l’utilisation du béton, mais également d’élargir la réflexion sur les émissions CO2 du secteur de la construction à tous les matériaux.
En effet, rappelons que ce n'est pas le béton tel quel, mais sa sur-utilisation alors qu'on pourrait faire différemment, ainsi que le surdimensionnement, qui posent le problème majeur des émissions de CO2 de cette industrie en Suisse et dans le monde.
Ce postulat, soutenu par plus de 100 architectes et ingénieur·e·s, demande au Conseil d’État d’étudier les opportunités d’intégrer les coûts environnementaux et climatiques du bétonpar:
(1) Des mesures sur les normes des nouvelles constructions pour favoriser des constructions avec un faible impact environnemental, selon la loi carbone genevoise ayant découlé sur les nouveaux articles 117 et 118 la LCI genevoise ;
(2) L’instauration d’un fonds alloué au soutien à des projets de construction sans béton et/ou basés sur la promotion du réemploi et de la réutilisation du béton ;
(3) Toute solution et mécanisme financier visant à alimenter ce fond en tenant compte de l'impact climatique et environnemental de la construction et du béton.
Conclusion
Renvoi à une commission avec au moins 20 signatures
Liste exhaustive des cosignataires
Signataire | Parti |
---|---|
Géraldine Dubuis | VER |
Valérie Zonca | VER |
Yves Paccaud | SOC |
Laurent Balsiger | SOC |
Yolanda Müller Chabloz | VER |
Oriane Sarrasin | SOC |
Martine Gerber | VER |
Monique Ryf | SOC |
Céline Misiego | EP |
Cendrine Cachemaille | SOC |
Marc Vuilleumier | EP |
Alice Genoud | VER |
Claire Attinger Doepper | SOC |
Théophile Schenker | VER |
Isabelle Freymond | IND |
Rebecca Joly | VER |
Jean-Louis Radice | V'L |
Elodie Lopez | EP |
Didier Lohri | VER |
Sabine Glauser Krug | VER |
Felix Stürner | VER |
Joëlle Minacci | EP |
Nathalie Vez | VER |
Alberto Mocchi | VER |
Kilian Duggan | VER |
Sylvie Podio | VER |
Vincent Jaques | SOC |
Hadrien Buclin | EP |
Cloé Pointet | V'L |
Sébastien Humbert | V'L |
Yannick Maury | VER |
Pierre Fonjallaz | VER |
Pierre Wahlen | VER |
Thanh-My Tran-Nhu | SOC |
Claude Nicole Grin | VER |
Nathalie Jaccard | VER |
Cédric Echenard | SOC |
Graziella Schaller | V'L |
Muriel Thalmann | SOC |
Documents
Transcriptions
Visionner le débat de ce point à l'ordre du jourEn préambule, il convient de rappeler que cette proposition fait suite à une précédente, retirée par son auteure. Le texte initial prévoyait une taxe sur l'extraction des ressources et sur les émissions de CO2, mais cette approche n'a pas été retenue. Le texte révisé se concentre désormais sur des normes de construction, avec notamment l'instauration d’un seuil carbone par mètre carré bâti. Dans le cadre des travaux de la commission, nous avons auditionné deux experts : d’une part, M. François Girod, directeur de Holcim, qui a abordé la compétitivité du marché et les alternatives au béton, et d’autre part, Mme Alia Bengana, professeure architecte à l'EPFL, qui a mis en lumière les obstacles économiques et techniques au réemploi des matériaux.
Au cours des débats en commission, un consensus s'est dégagé concernant la reconnaissance de l'impact environnemental du béton. Le département a rappelé qu'il existe plusieurs stratégies pour y remédier – régulation, taxes, subventions – tout en soulignant les initiatives du canton de Vaud en matière d'économie circulaire et les évolutions législatives fédérales, qui imposeront aux cantons l'adoption de normes de construction. Parmi les trois propositions du postulat, c'est la création d'un fonds destiné à soutenir des projets de construction sans béton qui a suscité le plus de débats et de réserves. Un amendement a été proposé, visant à modifier le chiffre 2 et à supprimer le chiffre 3. Cet amendement a été adopté par 13 voix et 1 abstention. Lors du vote final, la commission a adopté partiellement ce postulat à l'unanimité des membres présents.
La discussion est ouverte.
Comme l'a souligné M. le rapporteur de majorité, que je tiens à remercier, j'avais initialement proposé l'instauration d'une taxe sur la production de ciment, avec pour objectif de réallouer les fonds ainsi collectés à un soutien en faveur des matériaux durables. En effet, ces matériaux sont généralement plus onéreux que le béton sur le marché actuel, ce qui justifie un impôt économique orienté dans cette direction. Bien que le prix bas du béton soit souvent avancé, il me semble qu'il ne s'agit là que d'une façade, car ce matériau engendre des coûts écologiques considérables à long terme. Il faut rappeler que le béton est responsable de 8 % des émissions mondiales de CO2, soit davantage que l'aviation, un fait qui est désormais largement reconnu et compris par l'ensemble des membres de la commission.
Après avoir reçu une lettre de soutien signée par cent architectes, ainsi que le soutien de la Fédération suisse des architectes, section Romandie, suivi de l'audition de M. Girod et de Mme Bengana, ainsi que des débats au sein de la commission, il est apparu évident que cette proposition, bien que je sois personnellement convaincue de sa pertinence pour promouvoir l'économie circulaire, ne trouverait pas de majorité au sein du Grand Conseil. J'ai donc décidé de reformuler ce postulat en proposant une nouvelle approche : introduire, à l'instar de Genève, une norme visant à minimiser l'empreinte carbone des nouvelles constructions. Cette nouvelle proposition consiste à demander, pour chaque nouveau projet de construction ou de rénovation, de respecter un seuil maximal d'empreinte carbone. Il convient de noter que l'article 35 de la Loi sur l'énergie, actuellement en discussion et révision, prévoit déjà l'instauration d'une telle limitation carbone pour les nouvelles constructions, afin de se conformer à la Loi fédérale sur l'énergie.
J’aimerais revenir brièvement sur cette mesure. Il est essentiel de la soutenir et d’accepter ce postulat, et nous pouvons être fiers du consensus qui s’est formé autour de celui-ci. Cependant, je pense que ce premier pas ne répond pas pleinement à l’ampleur de la problématique climatique. Un outil avait déjà mis en évidence la faiblesse des mesures du Plan climat 1 en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il y a deux semaines, nous avons reçu le Plan climat 2, qui, là encore, ne propose aucune estimation des potentiels de réduction des émissions pour quantifier l’efficacité des mesures proposées. En conséquence, nous n’avons tout simplement pas d’outil pour mesurer l'impact réel de nos actions pour la transition écologique. Nous avançons donc les yeux masqués.
Il en va de même pour l’économie des matériaux. A ce sujet, le chercheur en construction bas carbone, Thomas Jusselme, m’a fait remarquer que, bien que la mesure proposée dans ce postulat soit un progrès, elle manque de logique en ce sens qu’il est difficile de définir un seuil pour chaque nouvelle construction sans une vision globale d’un budget carbone à l’échelle de la Suisse, sans avoir une vue d’ensemble sur les ressources limitées dont nous disposons. C’est toute la notion de limites planétaires. Exiger des seuils pour chaque nouvelle construction dans ce contexte semble un peu absurde.
J'ai entendu à plusieurs reprises dans cette enceinte que « le mieux est l'ennemi du bien », mais faire croire que l’insuffisant serait suffisant n'est certainement pas la solution non plus. Notre mission est de répondre aux problèmes de manière effective, en nous rapprochant au minimum des objectifs constitutionnels de réduction des émissions de gaz à effet de serre et en visant le net zéro d'ici 2050. Nous ne devons pas simplement poser des pansements sur une plaie béante. Je vous exhorte donc à accepter ce postulat, mais je reste convaincue qu'il faudra aller plus loin.
Nous avons débattu tout à l'heure de l'économie circulaire, et ce postulat s'inscrit également dans cette même logique. Il vise une économie de la construction qui consomme moins et émet moins de CO2. En ce sens, même si ce n’est pas une mesure qui va révolutionner complètement notre société ou notre manière de construire, c'est un postulat qui mérite d'être soutenu. Il soulève des questions importantes et demande au Conseil d'Etat d'agir dans la bonne direction. Les Vertes et les Verts le soutiendront donc pleinement.
Le béton représente environ 8 % des émissions de gaz à effet de serre dans notre pays, et si je ne m'abuse, c’est également le cas à l’échelle mondiale. C'est donc un impact considérable, et je suis très heureux que la Commission de l'environnement et de l'énergie (CENEN) se soit prononcée unanimement pour la prise en considération partielle de ce postulat, sur une version légèrement amendée que la postulante a d’ailleurs acceptée. Il est essentiel de promouvoir le réemploi et la réutilisation du béton autant que possible. Il faut également recourir à d'autres matériaux durables dès que cela est faisable. Comme l’a très bien souligné notre collègue Alberto Mocchi, il faut absolument viser l'économie circulaire. Nous avons d’ailleurs déjà pris cet engagement ici, en voulant l'inscrire dans notre Constitution, et le peuple en décidera souverainement.
Il est important que le Conseil d'Etat établisse des normes concernant toutes les constructions, en s'inspirant par exemple de la loi genevoise qui prévoit un seuil carbone par mètre carré bâti. Bâle suit également cette direction, et Zurich, qui a déjà inscrit le principe de l'économie circulaire dans sa Constitution, est sans doute également sur cette voie. Bien sûr, le béton présente des avantages : il est confortable, facile à utiliser, les professionnels sont formés pour le manipuler, et ses coûts sont avantageux. Mais il est grand temps de changer nos habitudes et de recourir à d'autres matériaux pour aller dans ce sens. Ce postulat va dans la bonne direction. Je vous remercie de le soutenir et de le transmettre au Conseil d'Etat.
Au nom du groupe PLR, nous ne nous opposerons pas à ce texte tel qu'il a été finalement amendé et tel qu'il a été adopté par la commission. Le rapporteur de la commission a déjà exposé de manière claire les tenants et aboutissants de cette proposition. Je vous invite donc à ne pas vous opposer à l’adoption de ce texte.
Le rapporteur PLR a déjà exposé la position de notre parti, position que je soutiens pleinement. Toutefois, je tiens à revenir brièvement sur la question de la fabrication du ciment. Je ne vais pas défendre les cimentiers ici, mais il me semble important que la défense de ce produit, qu'est le ciment, puisse également être entendue. Je commence par déclarer mes intérêts : entrepreneur dans le domaine de la construction, désormais retraité, mais toujours un contributeur assidu à notre chère Assurance-vieillesse et survivants (AVS). Je précise que je n'ai pas rencontré de personnes actives dans la fabrication du ciment, à l'exception de celles avec qui j'ai échangé dans le cadre de la CENEN. Le ciment est aujourd'hui une matière indispensable à la construction, qu'il s'agisse d'ouvrages d'art ou de bâtiments. Je n’entrerai pas dans le détail des types de constructions – tunnels, barrages, écoles, hôpitaux, ou même la villa chez moi – mais il faut rappeler que le ciment est le deuxième matériau le plus utilisé sur Terre, après l'eau. Chaque année, 4,6 milliards de tonnes de ciment sont produites. C’est une réalité : depuis que j'ai commencé à parler, il a été produit dans le monde cinq fois le volume de notre Parlement en béton. Et à la fin de cette discussion, dans environ 30 minutes, soit à midi, nous aurons produit l’équivalent de trois fois le volume du barrage de l’Hongrin en béton. C’est l’ampleur de la production mondiale de béton. Cela donne une idée de l'importance que ce matériau revêt, tant au niveau mondial que, bien entendu, dans notre région aussi.
La fabrication du ciment présente deux problèmes majeurs que vous connaissez déjà : l'exploitation des ressources naturelles, notamment le calcaire et l'argile, et, sans doute le plus complexe, les émissions de CO2 générées lors de la cuisson des minéraux, en particulier du calcaire. Les propos du directeur d'Holcim, que vous retrouverez également dans le rapport de la commission, sont très clairs sur ce problème. Cependant, il est important de souligner que les choses évoluent de manière positive. L’industrie du ciment n’est pas restée inactive face à ces enjeux. Depuis 1990, les émissions de CO2 liées à la fabrication du ciment ont diminué d’environ 30 %. Il est également crucial de prendre en compte les méthodes récentes qui visent à capturer le CO2. Ces technologies ont fait des progrès considérables et continuent d’évoluer rapidement, notamment pour stocker ce CO2 dans le sol ou le sous-sol. L’industrie du ciment, en Norvège, au Canada, en France, et dans d'autres pays, a déjà mis en œuvre la capture du CO2. A titre d'exemple, le géant mondial du ciment Heidelberg a signé un accord avec le gouvernement canadien d'une valeur d'un milliard de dollars. L’objectif est de capturer le CO2 émis lors de la production de ciment, et ce projet se concentre notamment sur des cimenteries adaptées pour recevoir cette technologie, comme celles d'Edmonton au Canada et de Berwick en Norvège. Cette solution permet de réduire jusqu'à 95 % des émissions de gaz à effet de serre – un chiffre considérable, il me semble. Et les travaux ont déjà commencé.
En Angleterre, des chercheurs de l’Université de Cambridge ont développé un procédé innovant permettant de recycler simultanément le béton et l’acier. Ce processus permet de récupérer l’acier en fusion d’une part, et de l’autre côté, de récupérer le clinker, la farine de ciment, ce qui permet de réactiver le ciment avec un faible impact environnemental, tout en réintroduisant l’acier dans la production de fer à béton. Il s’agit donc d’une double récupération. De notre côté, l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) a également développé des solutions qui s’inscrivent dans cette démarche visant à réduire les émissions de CO2. Le texte que nous abordons aujourd’hui mentionne le réemploi des parties de constructions telles que les dalles, murs, ou piliers en béton armé. C’est une solution intéressante, bien que, pour l’instant, elle reste encore relativement marginale en raison de la complexité de la coordination nécessaire entre la récupération et la mise en place de ces éléments.
Finalement, comme le mentionne le texte, la solution idéale serait de diminuer l’utilisation du ciment, donc d’avoir moins de béton et moins de ciment dans le béton. Oui, mais comme l’a souligné mon collègue, la facilité d’utilisation du béton est bien connue. C’est un matériau extrêmement simple à utiliser dans de nombreux domaines de la construction et des travaux publics. Le béton, au fond, n’est rien d’autre que de la pierre reconstituée, mise en œuvre selon les besoins des architectes et des ingénieurs. Il ne faut pas oublier, et c'est un point crucial, que dans nos efforts pour réduire la consommation de ciment, nous devons aussi prendre en compte la fabrication des mortiers, des bétons et des colles préparés en usine. Ces produits, qui sont souvent apportés et distribués chez nous, représentent aujourd’hui près de 15 % du ciment utilisé dans notre canton. Un autre facteur qui favorise l’utilisation du béton est son coût. Les constructions utilisant le béton, notamment les dalles et murs en béton armé, sont économiquement très avantageuses. Par exemple, si je construis avec un système mur-façade en béton armé de 20 cm, plus une isolation périphérique de 22 cm en polystyrène expansé, le coût de la façade sera entre 20 et 30 % moins élevé qu’une construction en briques terre-cuite, que ce soit avec une isolation périphérique ou de la brique monolithique, ou encore par rapport au bois. Dans tous ces cas, le béton reste toujours plus avantageux économiquement.
En conclusion, le constat est clair : le travail des cimentiers a commencé depuis plusieurs années. Les règles et les lois doivent cadrer et soutenir ce travail. Certes, une accélération est possible, mais selon le cabinet McKinsey, mandaté par l’industrie du ciment, il faudrait au niveau mondial investir 60 milliards de dollars d’ici 2050 pour décarboner la production de ciment. Cela peut paraître une somme énorme, mais si l’on regarde ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis, cela semble finalement plus réaliste. En remettant les choses à peu près à la normale, cet objectif devient atteignable. Et je crois que le rapport le souligne : nous devons y parvenir d'ici 2050, et c'est tout à fait possible. Je voudrais terminer mes propos par les mêmes observations que j'ai faites la semaine dernière concernant l’économie circulaire : interdire la production chez nous ne fait que déplacer la production ailleurs. Et sur cette note, je vais me taire, car je crois que j’ai déjà contribué à remplir un barrage de l'Hongrin.
Tout d'abord, je tiens à rappeler que, avec plus ou moins les mêmes députés, j'avais déposé en mai 2023 un postulat visant à réduire l’usage du béton en favorisant celui de matériaux durables, dont la terre crue. Ce postulat, qui a été accepté par notre Grand Conseil, est actuellement en traitement au sein du département. Comme il est étroitement lié à celui dont nous parlons aujourd'hui, je vais en faire un bref rappel. Ce postulat se basait sur un travail de master de l'EPFL réalisé par M. Jeremy Morris, et il identifiait trois mesures complémentaires à celles que nous traitons dans le postulat actuel. La première mesure proposée par l’architecte était de changer le statut juridique du matériau excavé afin de le faire passer de « déchet » à « ressource ». Cela s'inscrit parfaitement dans les transformations en cours avec l’économie circulaire. La deuxième mesure consistait à soutenir étatiquement ce type de construction plus durable, jusqu'à ce qu'une véritable économie circulaire soit pleinement mise en place. Enfin, la troisième mesure proposait d’encourager la formation continue pour les techniques qui font appel aux matériaux durables et renouvelables.
Le postulat dont nous discutons aujourd'hui va dans le même sens, mais il est un peu plus précis sur deux outils à mettre en place. Premièrement, il propose un cadre légal, avec cette demande de budget carbone pour les constructions. Et deuxièmement, il inclut des mesures de soutien financier pour les projets de construction sans béton, ou basés sur la promotion du réemploi et de la réutilisation du béton. Comme l’a souligné notre collègue Romanens, ces deux mesures sont également demandées par la branche de la construction. Plus d’une centaine d'architectes, ainsi que des entreprises telles que Valbéton, Holcim, et Marti, qui font l’effort d’élaborer des produits à base de matériaux recyclés, peinent encore à les écouler. Au nom du groupe socialiste, je vous invite à accepter ce postulat amendé et à le renvoyer au Conseil d'Etat, afin de véritablement mettre en œuvre cette économie circulaire à laquelle, visiblement, beaucoup d’entre nous aspirent.
Je vais répéter certains points qui ont déjà été abordés, mais il est important de souligner que ce nouveau postulat de Mme Marendaz sur l'utilisation du béton et son rôle majeur dans la crise climatique met en évidence que les habitudes de construction ne changent pas assez rapidement, et que le béton reste encore largement le matériau privilégié dans ce secteur, comme cela a été mentionné. Pour atteindre nos objectifs en matière de réduction des émissions de carbone, tous les secteurs doivent prendre leurs responsabilités, et le secteur de la construction a un immense travail à accomplir pour décarboner ses pratiques et effectuer les changements nécessaires. Ce postulat se concentre sur le béton, qui est un important consommateur de gaz à effet de serre en raison de la production de ciment, tout en n'oubliant pas les autres matériaux. Il a l'avantage de proposer deux solutions concrètes pour faire évoluer les pratiques de construction : de nouvelles normes pour les constructions récentes afin d'inciter le secteur à adopter des pratiques plus décarbonées, et la création d’un fonds pour soutenir ces pratiques, qui sont souvent plus coûteuses que celles utilisant du béton. Ainsi, face à l'urgence d’évoluer rapidement vers des pratiques durables et décarbonées dans ce secteur clé, je vous encourage vivement à soutenir ce texte.
Il y a environ quarante ans, alors que j'étais au Conseil communal de Lausanne, j'avais pris l'engagement – étant jeune à l'époque – de promouvoir la construction en bois. J'avais rencontré le professeur qui occupait la chaire à l'EPFL à ce moment-là, et il m'avait laissé entendre que c'était principalement dans les milieux de la construction, notamment parmi les architectes formés à l'EPFL, que se retrouvaient les plus grandes résistances à utiliser ce matériau, en particulier en dessous de l'altitude de 1000 mètres. Heureusement, les choses ont évolué depuis. Aujourd'hui, nous avons de magnifiques constructions en bois, même en plaine. La question que je voudrais poser, et je ne sais pas à qui elle devrait être adressée – peut-être à Mme Aude Billard – est la suivante : jusqu’à quel point le corps professoral de l'EPFL participe-t-il à la diffusion des nouvelles technologies ou à l'abandon des anciennes technologies ? Il me semble que, si notre pouvoir politique est quelque peu limité dans ce domaine, celui des milieux de formation est beaucoup moins contraint et qu'il possède une grande influence. Bien sûr, les personnes formées il y a 20 ou 30 ans ne suivent peut-être pas une formation continue, contrairement à d’autres métiers, comme celui de la médecine, où une telle formation est imposée.
Permettez-moi, au nom du groupe vert'libéral, de me réjouir des conclusions de la commission. Les enjeux mentionnés par mes préopinants ne seront pas répétés ici, mais j’y souscris pleinement. Il est essentiel de proposer des solutions, d'inciter au remplacement du béton lorsque cela est possible, de définir des cadres permettant la construction avec des alternatives, et de soutenir également l'industrie du ciment dans sa transition. C'est pour toutes ces raisons que le groupe vert'libéral apportera son soutien à cette proposition.
En réponse aux propos de M. Romanens, cela me rappelle un peu ces discours qui suggèrent que, puisque peut-être, dans 30 ans, nous aurons des avions électriques, il n'est donc pas nécessaire de taxer le kérosène ou de développer des lignes de train de nuit. Il est possible, bien sûr, que dans quelques années, nous ayons un béton qui absorbera le CO2, qui n'émettra pas de gaz à effet de serre, qui purifiera l'air et qui apportera bonheur et richesse à tous ceux qui y toucheront. Mais pour l'instant, ce n'est pas le cas. Il est évident que nous devons soutenir la recherche et aller dans la direction de matériaux plus respectueux de l'environnement, et je suis convaincu que le progrès technologique est une composante essentielle de la lutte contre le réchauffement climatique. Toutefois, il ne faut pas oublier que ce n'est pas la seule réponse. D'autres mesures, telles que celles énoncées dans ce postulat, sont tout aussi importantes : l'utilisation de moins de béton lorsque cela est possible, l'usage de matériaux de substitution quand cela est réalisable, et le réemploi, qui, contrairement à ce que vous suggérez, n'est pas plus compliqué que de développer de nouveaux types de ciments écologiques. Dans cette optique, je pense qu'il est plus efficace d'appliquer les solutions déjà existantes avant de se lancer dans la recherche de nouvelles, ce qui nous semble plus efficient dans l'immédiat.
En tant qu'ingénieur en environnement formé à l'EPFL, je tiens à répondre à M. Haury en lui confirmant que l'EPFL mène bien des études sur les domaines de la construction durable, en particulier autour de l'économie circulaire. Je mentionnais plus tôt, en référence au postulat que j'avais déposé, un travail de master réalisé par l'étudiant Jeremy Morris, qui analysait cette problématique, en soulignant pourquoi les choses ne se réalisaient pas, en particulier en raison du cadre légal, de la nécessité de la formation continue, et des subventions. Il est évident que des subventions sont nécessaires pour initier un changement. Au sein de la Faculté de l'environnement naturel et construit (ENAC) de l'EPFL, plusieurs départements et laboratoires se penchent sur cette thématique, notamment le Laboratoire d'économie urbaine et de l'environnement, dirigé par le professeur Thalmann.
Une fois de plus, le véritable défi réside dans la généralisation des perles. Il existe en effet de véritables perles dans les travaux réalisés au sein de nos hautes écoles. Cependant, il convient maintenant de les vulgariser et de les intégrer dans des normes officielles, en particulier celles de la Société des ingénieurs et architectes (SIA). Malheureusement, ce processus prend souvent plusieurs années. C'est pourquoi il est essentiel que l'Etat mette en place un cadre législatif clair et adopte des mesures incitatives, tant pour les nouvelles constructions respectant ces normes de durabilité, que pour les formations permettant aux ingénieurs, architectes et autres professionnels du bâtiment de se former aux nouvelles techniques.
Je saisis l'opportunité de reprendre ce que M. Balsinger a largement développé. M. Haury m'a demandé de partager mon avis, et je ne peux que vous répéter qu'en effet, l'EPFL, depuis plusieurs années, propose des cours de durabilité aux étudiants en bachelor, notamment aux architectes. Ces cours les informent sur les méthodes alternatives à celles qui ont été utilisées jusqu'à présent et leur permettent de les appliquer dans le cadre de travaux pratiques. Il existe également des cours de durabilité destinés à l'ensemble des étudiants de première année, qui ont déjà été intégrés et seront encore renforcés l'année prochaine. De plus, de nombreux laboratoires se consacrent à l'exploration d'alternatives. Cela dit, il s'agit de la nouvelle génération, qui sera formée dans cinq ans et commencera à travailler cinq ans plus tard ; elle représente encore une proportion relativement faible de la main-d'œuvre active. Ce phénomène s'observe également dans le domaine de l'intelligence artificielle et dans de nombreuses autres pratiques. Il est donc impératif d'agir sur deux fronts : à la fois au niveau de la formation des futurs professionnels, mais aussi en incitant ceux qui sont déjà formés à adopter de bonnes pratiques.
Je ne souhaite pas prolonger inutilement le débat, mais je tiens à vous remercier pour ces interventions particulièrement enrichissantes sur un postulat qui, je crois, fait l’unanimité. Le Conseil d'Etat, bien entendu, soutient pleinement les propositions portées par ce postulat. Vous aurez l'occasion de discuter d'une disposition dans la Loi sur l'énergie, au sein de ce plénum, qui répond en partie à l'un des points soulevés dans le postulat, et qui nous permettra de mettre en place des normes de construction prenant en compte l’énergie grise dans ce domaine. Il est également crucial de développer des mécanismes incitatifs. Récemment, vous avez approuvé un budget de plus d’un million pour encourager le réemploi, et les diverses initiatives ont déjà commencé à être mises en œuvre. Cependant, il est évident que nous devons aller encore plus loin en matière de réemploi.
Nous devons également agir sur la formation, et heureusement, cela se fait déjà dans les différentes écoles, comme l'ont souligné plusieurs d'entre vous, ce qui est une excellente nouvelle. On constate, en effet, qu’au fil des années, les travaux de fin d’études se diversifient : on voit de moins en moins de projets traditionnels et classiques de grande envergure, et de plus en plus de projets qui mettent l'accent sur le réemploi et qui intègrent des techniques innovantes. Cela montre bien qu’au niveau de la formation, les mentalités évoluent, ce qui est évidemment très positif. Ce processus s'inscrit dans la volonté du Conseil d'Etat de faire de notre canton un pionnier de l'économie circulaire des matériaux. Nous avons la Loi sur l'énergie, la Loi sur l'aménagement du territoire et des constructions, ainsi que la Loi sur la gestion des déchets, dont la consultation publique devrait être lancée cette année. Je vous invite à soutenir cette proposition de commission.
Retour à l'ordre du jourLa discussion est close.
Le Grand Conseil prend le postulat en considération partiellement par 103 voix contre 6 et 25 abstentions.