22_REP_199 - Réponse du Conseil d'Etat au Grand Conseil à l'interpellation Nicola Di Giulio - Mesures de coercition, qu’en est-il aujourd’hui ? (22_INT_130).
Séance du Grand Conseil du mardi 25 avril 2023, point 21 de l'ordre du jour
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Visionner le débat de ce point à l'ordre du jourEn préambule, je tiens à remercier le Conseil d’Etat pour sa réponse à mon interpellation. Les informations transmises permettent d’avoir des données plus claires sur la situation actuelle. Néanmoins, nous constatons que le nombre de placements à des fins d’assistance (PLAFA) ne diminue pas réellement dans notre canton, ni du reste en Suisse. Le nombre de recours déposés contre ces PLAFA, entre le 1er janvier 2013 et le 31 octobre 2022, montre que quelque chose ne va pas : sur 356, seules 37 demandes ont été admises et 185 ont été rejetées. Vous conviendrez que cela est inquiétant. S’il est important que certains contrôles soient effectués, ces actions semblent plutôt être dirigées sur le lien entre les différentes institutions pour le suivi des PLAFA. C’est du moins ce qui semble ressortir des diverses missions de la Commission de suivi des PLAFA, comme améliorer les processus de mise en œuvre, ainsi que les autres mesures coercitives telles que les mesures ambulatoires ; renforcer les liens entre les justices de paix et les institutions médicales concernées par ces PLAFA ; mise en place de formations relatives aux PLAFA et autres mesures de protection pour les soignants et les magistrats, notamment à travers de demi-journée de formation commune ; enfin, résoudre les difficultés rencontrées par les justices de Paix et les institutions médicales en lien avec ces PLAFA.
Mais qu’en est-il de l’intéressé lui-même, soit du patient ? Il est en effet surprenant de constater qu’il n’y a pas d’association de défense des droits des patients au sein de cette commission. Les récents articles publiés sur le sujet montrent que nous sommes confrontés à une situation inquiétante, raison pour laquelle une analyse approfondie de la situation de l’application et du respect des droits du patient devrait être effectuée. Dans notre pays, en 2021, plus de 16'000 personnes ont été placées en hôpital psychiatrique contre leur gré ; c’est du moins ce que relève l’Observatoire national de la santé.
L’édition de Pro Mente Sana de novembre 2022 était principalement consacrée à la mise en lumière des traitements dits forcés. Dans son édito, elle indiquait que leur permanence juridique recevait de nombreux récits. La plupart des personnes concernées vivent les traitements forcés comme une violence et injustice, alors que le plus souvent, elles ne perçoivent pas les buts d’assistance et de protection que la loi est pourtant censée poursuivre. Par ailleurs, les proches confrontés brutalement à des soins sévères et peu curatifs s’étonnent que de telles pratiques s’exercent encore dans notre pays, en Suisse. Par ailleurs, cette édition rapportait différents témoignages ayant fait une très mauvaise expérience lors de leur internement. Une mère racontait par exemple le drame vécu par sa fille qui s’est malheureusement suicidée pendant un traitement forcé, alors qu’on lui a prescrit un médicament dont elle avait répété à maintes reprises qu’elle ne le supportait pas. Bref, tout cela confirme qu’il est de notre devoir de porter un regard très attentif sur le sujet des PLAFA, dans le canton de Vaud, raison pour laquelle je me permets de vous soumettre la détermination suivante :
« Le Grand Conseil invite le gouvernement vaudois à mettre en place toutes les mesures nécessaires afin qu’un contrôle régulier soit effectué sur les PLAFA ordonnés dans le canton pour s’assurer que les droits des patients ont bien été respectés et qu’un rapport soit publié tous les trois mois afin de remédier à toute violation de ces droits ».
La discussion sur la détermination est ouverte.
Je souhaitais répondre à l’interpellation Nicola Di Giuglio, avant de me prononcer sur la détermination. Dans l’interpellation Di Giulio, il est indiqué : « En Europe et dans le reste du monde, malheureusement chaque jour, des personnes sont victimes d’internement forcé ». Monsieur Di Giulio, c’est peut-être malheureux, mais il va encore exister des PLAFA pendant de nombreuses années, dans notre pays et canton. Je déclare mes intérêts : en tant que médecin de premier recours, je ne prononce pas souvent des PLAFA et ce n’est jamais de gaieté de cœur que l’on prend de telles décisions. Ces dernières sont prises uniquement lorsqu’il n’y a aucune autre possibilité ou alternative, cela pour assurer la sécurité, soit du patient, soit de l’entourage, soit du reste de la société.
Je tiens à rappeler – cela ressort également de la réponse du Conseil d’Etat – que le PLAFA prononcé en urgence a une durée limitée, de 6 semaines au maximum. La situation doit ensuite être réévaluée pour savoir si la poursuite de la mesure se justifie. Je rappelle également qu’au moment de prononcer un PLAFA, il est de notre devoir d’informer le patient ou son entourage de son droit de recours. Il est important de souligner l’excellente réponse du Conseil d’Etat à la quatrième question de l’interpellation qui demandait une annonce systématique de tous les effets secondaires des psychotropes à Swissmedic. Le devoir d’annoncer de tels effets secondaires concerne des effets nouveaux et inconnus, ou encore des effets secondaires graves. Ne surchargeons pas la prise en charge clinique de nos patients par de nouvelles contraintes administratives qui sont déjà assez conséquentes actuellement. C’est en ce sens que je ne soutiendrai pas la détermination, qui ajoute une contrainte. En effet, s’il faut tous les trois mois remédier à une évaluation, cela sera tout simplement inapplicable. Il peut toujours y avoir des dérapages, mais de grâce, laissez les professionnels gérer ces situations avec une certaine liberté et ne surchargeons pas cette administration.
Nous ne nous sommes pas coordonnés, avec mon confrère Blaise Vionnet, mais j’arrive aux mêmes conclusions, toutefois sous un angle différent. La Commission de haute surveillance que j’ai eu l’honneur de présider dans les années 2012-2013 s’est préoccupée des PLAFA, notamment à la suite de quelques cas médiatiques. Des assises ont été organisées à ce sujet et l’administration du Département de la santé et de l’action sociale comme celle de la justice ont progressé dans ce domaine et la situation est désormais sous contrôle. Toutefois, M. Di Giulio a raison d’être attentif, car il s’agit d’un domaine très délicat. La privation de liberté à des fins d’assistance sert-elle à protéger la société, ce qui pourrait encore se comprendre ? Lorsqu’il s’agit de défendre l’individu contre lui-même, cela devient bien plus discutable. Comme l’a dit M. Vionnet, ce sont des situations très difficiles et il ne faut pas trop rapidement attaquer les professionnels, autant du domaine de la santé que du domaine de la justice, qui prennent des décisions dans ce domaine.
La détermination de notre collègue n’est pas recevable quant à sa fin. En effet, la publication d’un rapport tous les trois mois est une exigence surfaite. En outre, il est inutile de demander au gouvernement de mettre en place toutes les mesures nécessaires afin qu’un contrôle régulier soit effectué, puisque ces mesures sont déjà mises en place. Il faut malheureusement admettre qu’il peut exister des situations en inadéquation entre ce que l’on a voulu faire et le résultat que l’on a obtenu. Cette détermination n’est pas nécessaire, selon moi, mais il a été utile que M. Di Giulio force ce Parlement à reparler de ces questions.
Après avoir entendu deux éminents médecins s’exprimer sur cette détermination, je me permets de prendre la parole en tant qu’avocate puisque, dans le cadre de ma profession, il m’arrive régulièrement d’assurer la défense de personnes sous PLAFA, soit via une défense choisie par les personnes concernées, soit via des curatelles de représentation directement mises en place par la Justice de Paix. Pour rappel, si certains PLAFA peuvent être ordonnés par un médecin, ces placements ne peuvent pas durer plus de 6 semaines. En outre, si le placement doit être prolongé, c’est l’autorité de protection qui est compétente, soit la Justice de Paix. Cette dernière a également la possibilité d’ordonner, en premier lieu, un placement à des fins d’assistance.
Dans le processus, qu’il soit de première main par l’autorité de protection ou en deuxième temps si le placement doit être prolongé, c’est une autorité judiciaire qui prend la décision de PLAFA et je vois dès lors mal comment le gouvernement vaudois pourrait contrôler des décisions judiciaires, alors que des délais et des possibilités de recours existent. Cela contreviendrait bien évidemment à la sacro-sainte séparation des pouvoirs, à laquelle toute une partie de l’hémicycle tient ! Dès lors, je ne vois pas comment le gouvernement pourrait contrôler des décisions judiciaires. Je rappelle en outre que des possibilités de recours existent. Lorsque le PLAFA est ordonné par le médecin, il est possible de recourir auprès de la Justice de Paix dans un délai de 10 jours. A titre de précision, ces recours n’ont pas besoin d’être motivés ; il suffit que la personne concernée écrive à la Justice de Paix en mentionnant son souhait de recourir contre la mesure de PLAFA, pour que l’autorité se saisisse. Lorsque la mesure de PLAFA est ordonnée par la Justice de Paix, un délai de 10 jours auprès de la Chambre des curatelles est prévu.
Des possibilités de recours existent sous des formes extrêmement allégées pour que les personnes puissent y recourir sans être assistées par un avocat. C’est bel et bien la Justice de Paix, soit l’autorité de protection de l’adulte et de l’enfant, qui ordonne ces PLAFA et je ne vois pas comment on pourrait exiger que le gouvernement vienne contrôler d’office des décisions judiciaires, sous l’aune du droit des patients, alors que nous sommes face à des autorités judiciaires qui ont pris les décisions, elles-mêmes sujettes à recours. Cette détermination étant parfaitement inutile, chronophage et contraire au principe de la séparation des pouvoirs, je vous invite vivement à la rejeter.
Je vous remercie pour les éléments apportés dans ce débat. Si nous devions mettre en œuvre la détermination de M. Di Giuglio, cela engendrerait une extrême lourdeur, ainsi qu’une très importante bureaucratie, impliquant le renforcement des équipes au sein de l’Office du médecin cantonal qui suit d’ores et déjà ce dossier au quotidien, ainsi que le nombre de PLAFA qui sont "monitorés". Le suivi de ces placements est important et sans lui nous n’aurions pas réussi à vous donner des éléments aussi précis. La situation est suivie de près et nous avons tenté d’être aussi exhaustifs que possible, car il tient à cœur, tant au Conseil d’Etat qu’aux équipes qui s’occupent au quotidien de ces questions, dans mes services, de garantir la protection des patients et leur dignité, pour éviter tout risque de dérapage.
Ce rapport mentionne une série de mesures prises par le canton. A partir de 2017, une commission de suivi des PLAFA a été mise en place et plusieurs groupes de travail collaborent en fonction de l’avancée des dossiers, sur la base d’expériences ou situations individuelles ; du côté du département, ce suivi remonte jusqu’à moi ou jusqu’à la commission des plaintes. Plusieurs services sont également à disposition de la défense des intérêts des patients de notre canton. Toutefois, votre demande est beaucoup trop lourde, M. Di Giuglio. Un rapport tous les trois mois serait du jamais vu, sur la base du monitoring effectué. Par ailleurs, ainsi que Mme Jaccoud l’a clairement indiqué, à quoi servirait un rapport qui ne ferait que transcrire le monitoring ? Dans les faits, le Conseil d’Etat ne va contraindre ni les médecins ni la justice. Cela serait tout simplement impossible du point de vue du respect de la séparation des pouvoirs.
En revanche, j’ai entendu que vous regrettiez que des représentants d’associations défendant les intérêts des patients ne soient pas présents au sein de la commission de suivi des PLAFA. Je peux vous proposer et même prendre l’engagement d’intégrer dans cette commission un représentant d’une association de patients, mais il faudrait savoir laquelle, car il en existe un certain nombre. Dans tous les cas, il devrait s’agir d’une association connaissant ce type de problématique, et elle pourrait être intégrée. Cette solution nous permettrait d’être le plus performants possible, tout en n’empiétant pas sur les compétences des uns et des autres. Voilà la proposition que je peux vous faire, tout en soulignant que votre détermination n’est pas réalisable, à moins de doter l’équipe de l’Office du médecin cantonal de ressources très importantes pour un monitoring qui est d’ores et déjà fait.
Je remercie mes prédécesseurs de s’être penchés sur cette problématique. Je me mets à la place du patient et de son bien, car c’est le plus important. Cet après-midi, nous avons fait un pas important avec votre proposition qu’une association vienne se greffer à la commission. C’est une nouvelle extrêmement réjouissante et je vous en remercie.
Monsieur Di Giulio, la Commission de haute surveillance du Tribunal cantonal (CHSTC) s’était penchée sur cette problématique en 2019. Dans ce cadre, nous avions effectué le tour de toutes les Justices de Paix, nous avions obtenu des statistiques et nous nous étions assurés de la bonne mise en place des nouvelles mesures issues du rapport Rouiller. La CHSTC avait été convaincue de la mise en place d’un système désormais performant et qui répond aux exigences. M. Di Giulio pourrait aussi consulter le rapport de la CHSTC à ce sujet, qui date de 2019.
Monsieur Di Giulio, maintenez-vous votre détermination ?
Au vu de la promesse de Mme la conseillère d’Etat, il me parait judicieux de retirer cette détermination.
Retour à l'ordre du jourLa discussion est close.
Ce point de l’ordre du jour est traité.