21_POS_22 - Postulat Raphaël Mahaim et consorts - Pour la sobriété numérique: des journées sans e-mails!.

Séance du Grand Conseil du mardi 23 novembre 2021, point 21 de l'ordre du jour

Texte déposé

Depuis la fin du siècle dernier, le numérique a bouleversé nos vies, en particulier la communication électronique. Pour le meilleur et pour le pire, ce mode de communication est devenu l’alpha et l’oméga de la vie professionnelle, de la vie sociale et de la vie privée. Nul besoin d’insister sur les progrès extraordinaires que la communication numérique a apportés dans tous ces aspects de nos vies. Il permet de créer du lien, de communiquer, de partager, de collaborer, etc. Mais il devient désormais de plus en plus manifeste que le développement de la communication numérique soulève de nouveaux gigantesques défis sans précédents similaires.

 

Du point de vue du bilan environnemental, la face sombre de la communication numérique apparaît malheureusement de façon de plus en plus criante. Si Internet était un pays, il serait le troisième plus gros émetteur de gaz à effet de serre après les USA et la Chine[1]. Pour les courriels spécifiquement, on estime aujourd’hui leur nombre quotidien à quelque 300 milliards sur la planète entière. Or, selon sa taille et ses pièces jointes, l’envoi d’un e-mail peut aisément consommer jusqu’à 50g de CO2, en raison des machines nécessaires à son transport sur des milliers de kilomètres et à son stockage (data centers, routeurs, ordinateurs, serveurs, etc.)[2]. Pour une personne recevant 100 mails par jours, cela représente en moyenne près d’1,5 kg de CO2 émis. Ainsi, une semaine ordinaire de mails représente environ un trajet de 50 km en voiture (avec une voiture qui consomme 8 litres/100 km). En une année, une seule personne a donc, par ses seuls e-mails reçus, fait l’équivalent d’un trajet de 2500 km en voiture... Les mails envoyés par une entreprise de 100 personnes représentent quelque 13 tonnes de CO2 par an, soit l’équivalent de 14 vols allers-retours entre Paris et New-York.

 

Du point de vue de l’utilisateur, la communication électronique et l’hyperconnectivité comportent le risque de faire sauter les barrières entre vie privée et vie professionnelle, contribuant à un stress permanent et à l’avènement d’une “Rund-um-die-Uhr-Gesellschaft”. Les attentes du monde professionnel et de l’entourage sont de plus en plus orientées vers le “tout, tout de suite” et l’immédiateté, souvent au détriment de la qualité et de la réflexion. Les communications électroniques provoquent des dérangements et des difficultés de se concentrer durablement. On estime qu’un salarié passe environ un tiers de son temps à gérer sa communication électronique, soit près de 600 heures par années[3]!

 

Ce défi gigantesque doit devenir une propriété absolue des collectivités publiques ces prochaines années, sans parler de son bilan environnemental. Le Conseil d’Etat vaudois n’est pas resté inactif en la matière: dans sa réponse à l’interpellation Nathalie Jaccard et consorts (19_INT_307), il expose les mesures de sensibilisation et de formation qui sont déjà mises en place quant à la gestion des e-mails dans le cadre de la modernisation du parc informatique de l’Etat de Vaud. Dans cette même réponse, le Conseil d’Etat indique vouloir accorder à cette question une certaine place dans sa stratégie d’éducation numérique. Dans la réponse du Conseil d’Etat à l’interpellation Marc-Olivier Buffat (20_INT_390), on apprend qu’une directive élaborée par les Archives cantonales vaudoises sur la gestion des courriels a été adoptée par le Conseil d’Etat en novembre 2020; on apprend également que diverses actions de sensibilisation sont menées auprès des collaborateurs de l’Etat de Vaud, qu’une limite de 5GB de stockage est appliquées pour les boîtes mails et que le Green Data Center de l’Etat de Vaud présente une consommation énergétique inférieure à la moyenne.

 

Ces différentes mesures sont toutes judicieuses et souhaitables, mais force est de constater qu’il manque encore une action forte à la hauteur des enjeux, en témoigne notamment le fait que les bonnes pratiques peinent à se généraliser au-delà des personnes convaincues et très bien informées. Parallèlement, l’Etat peut jouer son rôle d’exemplarité en conduisant une action à portée symbolique forte permettant de mettre ce thème à l’agenda politique, de manière à entraîner dans son sillon les entreprises et particuliers qui, de façon générale, sont encore à la peine en la matière. La pandémie de covid-19 n’a pas amélioré la situation, bien au contraire, vu le recours accru aux technologies numériques, en particulier pour la communication.

 

Par le présent postulat, les député.e.s soussigné.e.s demandent ainsi au Conseil d’Etat de mettre en place des journées sans e-mails (par exemple quatre par année) au sein de l’administration cantonale, services d’urgence ou services minimaux à la population exceptés. Ces journées pourront par exemple être mise à profit pour organiser des campagnes de sensibilisation à large échelle auprès des collaborateurs de l’Etat de Vaud, par exemple sous la forme de cours complets de gestion des e-mails et de bonnes pratiques en matière de sobriété numérique; ces journées pourraient également être mises à profit pour favoriser d’autres modes de communication et d’interactions (séminaires hors les murs, formation continue, séances d’équipes sans “interférences numériques”, sans écrans, etc.); ces journées seront aussi l’occasion de mener des campagnes de sensibilisation sur ces thèmes incitant toute la population vaudoise, entreprises et particuliers, à systématiser les bonnes pratiques en matière de sobriété numérique et à de déconnection; plus généralement, le Conseil d'Etat est invité à réduire le volume de stockage de courriels dans l'administration cantonale.

 

[1] Armelle Bohineust, “Internet, un ogre énergétique à l’appétit insatiable en électricité”, in: Le Figaro du 20/11/2019 et les références citées.

[2]Ce sont les chiffres du Carbon Litteracy Project, cf. https://carbonliteracy.com/the-carbon-cost-of-an-email/

[3]Etude du McKinsey Global Institute, cf. https://www.mckinsey.com.

Conclusion

Renvoi à une commission avec au moins 20 signatures

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Anne-Laure Métraux-BotteronVER
Marc-Olivier BuffatPLR
Jean-Christophe BirchlerV'L
Rebecca JolyVER
Blaise VionnetV'L
Didier LohriVER
Maurice Mischler
Olivier Epars
Alice GenoudVER
Sabine Glauser KrugVER
Andreas WüthrichV'L
Felix StürnerVER
Cédric EchenardSOC
Yves PaccaudSOC
Nathalie JaccardVER
Valérie InduniSOC
Anne Baehler Bech
Graziella SchallerV'L
Claude-Alain GebhardV'L
Séverine EvéquozVER
Cloé PointetV'L
David RaedlerVER
Sylvie PodioVER
Jean-Louis RadiceV'L
Sébastien PedroliSOC
Hadrien BuclinEP

Documents

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
M. Maurice Neyroud (PLR) — Rapporteur-trice

J’ai déjà largement évoqué le postulat du député Mahaim, il y a quinze jours, lorsque j’ai déposé le postulat intitulé « Sobriété et hygiène numérique : vers une meilleure gestion des outils de communication (21_POS_49) » au nom de la Commission thématique des systèmes d’information. Je prends donc le risque – et m’en excuse – de me répéter quelque peu, mais cela me paraît nécessaire. La commission réunie le 29 juin dernier s’est effectivement longuement penchée sur la problématique importante de la gestion des e-mails. Il est aujourd’hui avéré que la consommation de CO2 par message est importante, pouvant représenter un équivalent de 13 tonnes de CO2 par an pour une entreprise de 100 personnes. Il est donc intéressant de savoir que le stockage généré par la Direction générale du numérique et des systèmes d’information (DGNSI) augmente de plus de 55 % par an, ce qui est considérable.

Les utilisateurs sont généralement mal informés sur la manière de gérer efficacement leur boîte mail. La tendance à conserver les mails est courante, car facile et bien pratique. Or, un simple mail qui reste en ligne dans le cloud consomme inutilement de l’énergie. La tendance actuelle pour lutter efficacement contre le problème est simplement de diminuer la taille des boîtes mail. Cette mesure est très efficace, mais encore insuffisante et d’autres actions doivent être entreprises pour une gestion globale des outils de communication. La formation des utilisateurs en est une. Par exemple, pourquoi rédiger un e-mail quand une simple question posée au travers d’une messagerie instantanée pourrait parfaitement suffire et serait moins énergivore ?

Le postulat Mahaim vise un objectif écologique et sociétal, avec deux axes principaux : d’abord, créer une réflexion autour de l’utilisation, la gestion et le stockage des mails – la pollution numérique – et ensuite, mettre en place des journées sans e-mail. La commission s’est très vite montrée favorable aux questions de fond posées dans le postulat, qui met effectivement en lumière la sobriété et l’hygiène numériques. Elle adhère à la proposition d’une réflexion autour de la problématique que pose la gestion des e-mails, convaincue qu’un gros travail peut être fait ou doit être fait, en termes de formation et de sensibilisation des utilisateurs. La pollution numérique est un vrai problème. C’est un problème connu, déjà évoqué en 2019, puisque la problématique peut être mise en lien avec l’hyperconnectivité, développée dans une interpellation du député Tschopp : « Droit à la déconnexion (18_INT_152) ».

La commission s’est, par contre, déclarée majoritairement défavorable à la proposition de mettre en place des journées sans e-mail. De manière générale, elle considère que l’e-mail est un outil de travail indispensable à l’Administration cantonale vaudoise et que la priver de cet outil ne ferait que reporter le problème sur les autres jours de la semaine. Il faut savoir que l’administration cantonale envoie chaque jour plus de 100’000 courriels et en reçoit plus de 250’000 ! Il s’agit plutôt de mener une réflexion globale sur les outils de communication qui sont à disposition, sur la manière de les utiliser, sur le choix du bon outil et bien sûr de l’archivage. Nous avons donc étudié plusieurs pistes de modification du postulat, en commission, pour aller dans le sens d’une prise en considération partielle. Finalement, pour plus de clarté et de précision, la commission a préféré proposer de classer le postulat Mahaim et d’en proposer simultanément un autre plus axé sur la question de la sobriété, de l’hygiène numérique et de la gestion des outils de communication. C’est précisément le postulat que vous avez adopté il y a deux semaines. En conclusion, par 11 voix contre 2, la Commission thématique des systèmes d’information vous recommande de ne pas prendre le postulat Mahaim en considération et de le classer.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est ouverte.

M. Raphaël Mahaim (VER) —

Je remercie notre collègue Maurice Neyroud pour ce rapport très complet. L’idée un peu provocatrice de journées sans e-mail sur le modèle des journées sans voiture n’a pas convaincu la commission, mais je dois dire que je m’y attendais un peu. L’idée était avant tout de stimuler un débat sur les deux aspects bien relevés par M. Neyroud. Concernant la question de la déconnexion déjà abordée par notre collègue Jean Tschopp en son temps, c’est un vrai problème de société qui veut que nous soyons tout le temps hyperconnectés et réactifs à la minute aux sollicitations électroniques ; le mail en fait partie. Ainsi que je l’avais signalé en commission, dans mon parcours professionnel, j’ai vécu un moment important lorsque j’ai suivi un cours de gestion des mails. On m’avait dit : »Tu verras, ça te sera très utile », mais je n’y croyais pas et pensais que c’était un gag. En réalité, à mon avis tout le monde devrait apprendre à gérer sa communication électronique et savoir déconnecter, trier et classer les informations. C’est aussi une question de santé publique, car je crois qu’on peut le dire aujourd’hui : la pollution numérique est aussi une pollution des esprits. Ce premier aspect de mon postulat était important.

Le deuxième aspect est évidemment environnemental. La numérisation de la société laisse une empreinte carbone. Parfois – autant le dire d’emblée – il est préférable de faire une visioconférence qu’un long trajet pour voir des personnes « en vrai », mais attention à l’empreinte carbone qui est souvent sous-estimée. J’avais déjà cité ce chiffre lors du dépôt du postulat : si Internet était un pays, ce serait le troisième plus gros pollueur mondial, après les Etats-Unis et la Chine. Cela dit, l’idée de base du postulat était un peu provocatrice et la commission, dont M. Neyroud est président, l’a très bien reformulée, pour s’approprier la thématique dans le postulat déposé il y a deux semaines et qui va vivre sa propre vie parlementaire, avec une commission et ensuite un succès – je l’espère – pour les thématiques abordées. C’est la raison pour laquelle je retire volontiers mon postulat, vu que la commission a repris sous une autre forme les thématiques que je souhaitais voir aborder. Je confirme donc ici en plénum le retrait de ce texte.

Mme Laurence Cretegny (PLR) — Président-e

La discussion est close.

Le postulat est retiré.

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