Point séance

Séance du Grand Conseil du mardi 22 août 2023, point 11 de l'ordre du jour

Texte déposé

L’empreinte carbone du béton est devenue massive depuis l’industrialisation de la fabrication du ciment au 19è siècle. Le béton génère une empreinte carbone élevée et contribue à l’épuisement de ressources comme le sable et les granulats. Holcim est l’entreprise la plus largement émettrice de CO2 en Suisse. Le ciment est la branche de l’industrie qui rejette le plus de gaz à effet de serre en Suisse. Si certains développent des bétons bas carbone, et que lors des dix dernières années les émissions des grands cimentiers ont baissé de 12 %, cette baisse reste trop lente et trop faible selon différents scientifiques qui dénoncent surtout la dépendance au béton de la société. Le béton est un matériau très facile à créer, qui se moule dans de nombreuses formes, très rentable et difficile à concurrencer pour les autres matériaux.  Au sein du Grand conseil, des propositions ont émergé pour favoriser d’autres matériaux de construction plus durables et réduire l’utilisation de béton quand cela est possible. Il est primordial d’encourager toutes les alternatives, en promouvant des méthodes durables et variées de construction, et de valoriser les différents savoir-faire reliés. Si la promotion des alternatives est indispensable, des architectes affirment que ce ne sera pas possible sans intervenir sur la production de béton. Selon eux, les entreprises du béton n’ont aucun intérêt à changer. Il est temps de réfléchir à une intervention pour rétablir les équilibres. C’est l’objet de ce postulat.

 

Le secteur de la construction représente 10 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales et le béton est responsable de 52 % à 80% des émissions de ce secteur. Le béton a une empreinte carbone d’environ 250 kgCO2eq/m² pour le logement collectif et 350 kgCO2eq/m² pour le tertiaire selon l’IFPEB (Institut Français pour la performance du bâtiment). Les émissions de gaz à effet de serre du béton proviennent en majeure partie de la fabrication du ciment contenu dans le béton. Si l’empreinte carbone de l’eau, du sable et du gravier contenus dans le béton est faible, ce n’est pas le cas du ciment, qui est responsable de 98 % des émissions de GES du matériau béton pour deux raisons : le processus de fabrication du ciment est très énergivore, car le clinker va être chauffé aux alentours de 1450°C via des combustibles fossiles. D’autre part, la décarbonatation du calcaire, réaction chimique produisant du CO2, est responsable des deux tiers restants des émissions de GES du ciment. Voici donc les étapes principales de la fabrication du ciment qui coûtent cher en émissions de CO2. À l’heure du réchauffement climatique et des objectifs de réduction des émissions, il apparaît important d’intégrer ce coût climatique du ciment dans le béton, par exemple en prélevant une taxe sur la tonne de CO2 produite. Dans l’État du Texas, toute société qui produit du ciment ou en importe au Texas et distribue ou vend le ciment dans le commerce intra-étatique ou utilise le ciment est taxée, sur la base d’un calcul basé sur la quantité de ciment distribué, vendu ou utilisé. Il semble difficile de voir une compétence cantonale pour intervenir sur ce marché, comme une taxe carbone serait de compétence fédérale. Toutefois, une piste se dégage : il est de la compétence cantonale que d’introduire un impôt cantonal d’orientation. Le Canton est souverain sur le plan fiscal et pourrait introduire un impôt spécial cantonal d'orientation ou impôt d'affectation des coûts. Cette mesure de politique économique permettant d’orienter l’économie serait un moyen d’intégrer le coût climatique de ce matériau, afin de promouvoir ainsi des matériaux moins émetteur de CO2 ou le réemploi du béton.

 

Le coût des transactions foncières pour fabriquer du béton, sur Vaud, est le suivant : les entreprises d'extraction achètent environ 2.- le m³ de terre, et revendent 30.- le m³ de calcaire extrait, additionné à 30 autres francs de m² de vide, vide qui se vend cher parce qu’il permet de la place pour enfouir les déchets de constructions. Ces chiffres approximatifs sortis au grand jour par les enquêteurs d’Heidi News ont été validés dans les médias. La conséquence de cet achat à moindre coût de terres par ces entreprises est qu’ils en achètent de plus en plus. Cela impacte donc aussi les terres paysannes, comme dans l’exemple de ce domaine agricole acheté par une entreprise du groupe Orllati à Yens, aux dépens d’un agriculteur qui souhaitait l’acheter, en contournement de la LDFR. Nous n’avons pas de registre de vérification des terres que possèdent les cimentiers, mais il est certain que nos terres et nos ressources sont largement accaparées par ces acteurs. Les bétonneurs rétorquent que c’est en raison de leurs investissements qu’ils revendent le matériau à des sommes plus élevées que l’achat des terres, mais ils n'existe aucune transparence sur ces coûts. Pour résumer, les marges qu’ils se font en achetant à bas coût nos terres sont de toute évidence énormes. Les ressources planétaires sont limitées, les terres et forêts vaudoises le sont aussi, et en période de réchauffement climatique ainsi que d’insécurité alimentaire, ce sont des terres dont nous aurons besoin. Pour veiller à préserver nos ressources, un impôt sur l’extraction de gravier / sable pourrait donc être prélevé.

 

Un impôt sur l’extraction du gravier / sable, ainsi qu'un impôt cantonal d’orientation sur la production de CO2 par la production du ciment, pourraient tous deux servir à alimenter un fond qui pourrait être consacré à la promotion de matériaux durables. Ceci est important car des maîtres d’ouvrage renoncent à choisir les modèles basés sur des matériaux biosourcés car ils sont plus chers que le béton. Ce fond permettrait donc à l’État, et en soutien à des privés, de favoriser les propositions d’ouvrage basés sur les matériaux biosourcés, et sur le réemploi, solutions souvent plus coûteuses. Ce processus permettrait de favoriser un secteur de la construction moins nocif au climat.

 

Par ce postulat, je demande au Conseil d'Etat d’étudier les opportunités d’intégrer les coûts environnementaux et climatiques du béton par :

 

(1) L’instauration d’un fonds alloué au soutien à des projets de construction sans béton et/ou basés sur la promotion du réemploi et de la réutilisation du béton  

 

(2) Un impôt spécial cantonal d’orientation sur l’extraction du m³ de sable ou de gravier visant à alimenter ce fond


(3) Une taxe carbone ou un impôt spécial cantonal d’orientation sur la production du ciment visant à alimenter ce fond

 

(4) Des mesures sur les normes des nouvelles constructions pour favoriser des matériaux biosourcés

 

(5) Toute autre solution visant à alimenter ce fond et à intégrer le coût climatique et environnemental de la production du ciment et de l'extraction de sable/gravier

Conclusion

Renvoi à une commission avec au moins 20 signatures

Liste exhaustive des cosignataires

SignataireParti
Julien EggenbergerSOC
Yannick MauryVER
Joëlle MinacciEP
Sylvie PodioVER
Andreas WüthrichV'L
Laurent BalsigerSOC
Sébastien HumbertV'L
Muriel ThalmannSOC
Théophile SchenkerVER
Nathalie VezVER
Alberto MocchiVER
Alice GenoudVER
Céline MisiegoEP
Pierre ZwahlenVER
Hadrien BuclinEP
Thanh-My Tran-NhuSOC
Kilian DugganVER
Felix StürnerVER
Yolanda Müller ChablozVER
Sabine Glauser KrugVER
Romain PilloudSOC
Denis CorbozSOC
Martine GerberVER
Nathalie JaccardVER
Vincent BonvinVER
Valérie ZoncaVER

Document

23_POS_56-Texte déposé

Transcriptions

Visionner le débat de ce point à l'ordre du jour
Mme Mathilde Marendaz (EP) —

Ce postulat vise à reconnaître le coût environnemental et climatique du béton. Le Programme de législature 2022-2027 inclut des objectifs à ce sujet qui vont dans le bon sens, mais n’adressent pas la question fondamentale du coût du béton. Ce matériau est devenu en peu de temps le plus utilisé au monde, très rapidement importé dans d’autres pays, en effaçant les singularités d’autres matériaux de construction, par ailleurs les plus adaptés à d’autres contextes comme la chaleur, par exemple. En effet, le béton supporte difficilement la chaleur. Par conséquent, nous avons perdu partout d’importants savoir-faire et connaissances sur la construction avec d’autres matériaux. Si cela a été possible, c’est que très peu de matériaux peuvent concurrencer le béton, son faible coût et la facilité avec laquelle il est extrait et transformé. J’ai déposé plusieurs interpellations à ce sujet, notamment sur les marges que se font les industries du béton sur les terres, en transformant le sable ou les graviers en béton et parfois en « menant en bateau » les paysans de ce canton. Si ce matériau est le moins cher à mettre en œuvre, c’est qu’on ne prend pas en compte ses externalités négatives, c’est-à-dire son coût environnemental et climatique, alors que c’est le matériau qui émet le plus de CO2 et qui est responsable de 8 % des émissions de CO2 dans le monde.

Le recyclage seul ne suffira pas. Nous devons réorienter l’économie de la construction vers la rénovation, le réemploi, et d’autres matériaux. Ce sera par ailleurs de plus en plus pertinent afin de lutter contre les ilots de chaleur. Dans le texte co-écrit avec des architectes, je propose un mécanisme simple et clair, c’est-à-dire développer une taxation envers les matériaux polluants de construction en vue d’allouer un impôt d’orientation, par exemple, à un fonds de soutien de projets de matériaux bio- ou géosourcés. Des solutions existent et il y en a beaucoup. Des savoir-faire existent, mais ils ne peuvent pas être mis en œuvre à grande échelle, aujourd’hui, car ces matériaux bio- ou géosourcés coûtent plus cher. Mon projet présenté sous forme de postulat donnerait toute la latitude au Conseil d’Etat pour développer un mécanisme pertinent, aux yeux de la loi, pour soutenir un secteur de la construction qui serait moins polluant, dans le respect du Plan climat et de la Constitution.

M. Laurent Miéville (V'L) — Président-e

Le postulat, cosigné par au moins 20 membres, est renvoyé à l’examen d’une commission.

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