Interpellation Elodie Lopez - Plafond des aides à fonds perdus dans des cas de rigueur pour les entreprises : favoriser les gros au détriment des petits ?
Elodie Lopez
12.10.2021
DEIEP
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21_INT_133
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31.01.2022
Transmise au CE, 02.11.2021
Texte déposé
Dans le cadre de la dernière révision de l’Arrêté sur les mesures économiques destinées à lutter contre les effets du coronavirus (COVID-19) par un soutien aux entreprises, dans des cas de rigueur (19 mai 2021), le Conseil d’État a revu les critères sur lesquels se base le calcul du montant des aides à fonds perdu octroyées aux entreprises dont l’activité a été impactée par la pandémie. Par l’ajout d’un article 12, il a décidé de tenir compte du bénéfice de l’entreprise sur une année de référence (2018 ou 2019) pour plafonner le montant de l’aide octroyée.
Ce changement est important, étant donné qu’il a permis au canton de revoir les montants initialement octroyés aux entreprises et pour lesquels des acomptes avaient d’ores et déjà été versés. Il a également eu des impacts négatifs significatifs puisque la révision à la baisse des aides initialement calculées ne permettait plus, pour certains établissements, de couvrir les charges patronales des travailleurs et travailleuses au chômage technique.
Cela étant, il semble que cette modification soit passée plus ou moins discrètement et qu’elle ait pu entraîner des incompréhensions notables.
En effet, on peut se demander si c’est l’art. 9 – article qui énonce les principes liés à ces aides et indique les éléments constitutifs du calcul et de la forme du soutien octroyé, à savoir que le montant dépend du chiffre d’affaires de référence, des charges d’exploitation et des autres aides Covid-19 – qui a été révisé pour introduire le plafonnement de l’aide au bénéfice. Et bien non : l’article 9 n’en fait pas mention.
Faut-il alors aller regarder l’article 11, lié aux montants maximaux octroyés et à la durée des aides, qui stipule que les aides ne peuvent excéder 20 % du chiffre d’affaires de référence et qu'elles sont plafonnées à 750’000 CHF ? Non plus.
Pourtant, c’est bien sur les principes des articles 9 et 11 cités ci-dessus que se base la communication du canton dans ses guides visant à informer les entreprises concernées par les cas de rigueur, en particulier sur la manière dont le montant des aides à fond perdu est calculé (cf. «Guide cas de rigueur» simplifié daté du 25 juin 2021, actualisé après la révision de l’Arrêté, ainsi que les exemples de calculs sur le site du canton1).
Il s’agit de l’article 12 - article nouveau - qui autorise les aides pour cas de rigueur aux entreprises ayant déclaré un bénéfice entre 2018 et 2019. L’alinéa 2 lettre a, en particulier, rebrasse les cartes, indiquant que «le bénéfice de l’exercice considéré, y compris l’aide pour les cas de rigueur, ne peut en aucun cas excéder le bénéfice annuel le plus élevé entre 2018 et 2019».
Par conséquent, l’article 12 al. 2 lettre a, en liant l’aide pour cas de rigueur aux bénéfices antérieurs de l’entreprise instaure de manière ad hoc un plafonnement dans le calcul de l’aide octroyée aux entreprises. A cet égard, il indique qu’une entreprise qui a fait du bénéfice peut tout à fait recevoir des aides à fonds perdu : mieux encore, plus celle-ci a fait du bénéfice, plus le montant auquel elle a droit est important ! En ce sens, l’article pénalise les entreprises ayant fait peu ou pas de bénéfices entre 2018 et 2019, et ce, sans considérations du reste de leurs activités productives.
Outre la manière dont ce changement a été communiqué, et outre le fait que les autres articles de l’arrêté indirectement impactés par ce nouveau critère n’en fassent pas mention – ce qui explique certainement le manque de clarté dans les guides en question –, cette modification interroge sur la stratégie politique qui conduit à marginaliser la variable du chiffre d’affaire au profit de celle du bénéfice dans le calcul d’octroi des aides. Ce dernier ne permet pas de tenir compte, de manière satisfaisante, des autres critères pertinents. Par exemple : du choix de l’entreprise de maintenir ses emplois, par le recours aux RHT et par le paiement des charges patronales, ou par l’investissement productif nécessaire à sa survie en temps de crise.
Par conséquent, nous constatons les éléments suivants :
Les aides peuvent tout à fait avoir été octroyées à des entreprises qui font du bénéfice, et, dans ce cas, avoir favorisé paradoxalement celles qui s’en sortent déjà bien par rapport à celles qui s’en sortent le moins bien. Ce choix de calcul est tout à fait inattendu dans un contexte où une proportion non négligeable d’entreprises sont de petites et moyennes entreprises, qui ne recourent pas aux licenciements et tendent à réinvestir davantage dans leurs activités productives. On peut ainsi se demander si les aides ne devraient justement pas être destinées en priorité à ces dernières, et être plafonnées de manière inversement proportionnelle.
Cette décision peut conduire à des situations dans lesquelles les entités qui auraient fait des efforts pour s’en sortir en limitant les dégâts économiques et humains, en gardant, par exemple, l’ensemble de ses employé.e.s, s’en sortent finalement moins bien qu’une entreprise faisant des bénéfices importants.
Cette décision peut conduire à des situations dans lesquelles une entreprise qui aurait fait un bénéfice de 250 CHF pour l’année de référence prise en considération, et qui, selon l’ancienne méthode de calcul, se serait vu octroyer une aide à fonds perdu de 30’000 CHF avec un acompte de 24’000 CHF, se trouverait à devoir rembourser 23’750 CHF au canton. Dans le cas où cette entreprise a fait le choix de garder tous.te.s ses employé.e.s, le montant de l’aide octroyée pourrait ne même pas couvrir les charges patronales durant la période de chômage technique.
Alors que si cette même entreprise avait décidé de se séparer de ses employé.e.s, réduisant ainsi ses charges, et une partie du travail administratif lié aux demandes de RHT, elle aurait pu réaliser un bénéfice plus important, par exemple de 7000 CHF. Ce bénéfice lui aurait donné droit à l’aide prévue par l’article 12 alinéa lettre a jusqu’à concurrence de 7000 CHF.
Suite à ce qui précède, nous souhaitons poser les questions suivantes au Conseil d’État :
Comment le Conseil d’État justifie-t-il sa décision de plafonner le montant de l’aide octroyée sur le plus haut bénéfice de l’entreprise entre l’année 2018 et 2019 ? Estime-t-il qu’il est juste que des entreprises qui s’en sortent financièrement mieux que d’autres soient favorisées par les aides octroyées ? Si oui, pourquoi ?
Pourquoi le Conseil d’État, en lieu et place du bénéfice, n’a pas pris d’autres critères en compte pour plafonner son aide et s’assurer que celles-ci permette d’aider les entreprises qui ont fait des efforts pendant la crise, par exemple, en luttant pour le maintien des emplois des travailleurs et travailleuses au chômage technique ?
Pourquoi une telle modification dans le calcul des aides n’a pas été clairement indiquée sur les guides et informations disponibles sur le site Internet du canton ? Comment ces modifications ont-elles été communiquées et quand ?
Comment le Conseil d’État explique-t-il qu’une telle modification dans le calcul des montants octroyés ne figure pas dans les articles de l’Arrêté cantonal qui définissent les principes d’octroi, notamment l’article 11, qui définit les montants plafonnés ?
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1 Site officiel de l’État de Vaud, Aides pour les cas de rigueur dans le cadre du COVID-19: www.vd.ch/toutes-les-actualites/hotline-et-informations-sur-le-coronavirus/coronavirus-informations-pour-les-entreprises-vaudoises/aides-pour-les-cas-de-rigueur-dans-le-cadre-du-covid-19/
Conclusion
Souhaite développer
Séances dont l'objet a été à l'ODJ
Date | Décision |
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02.11.2021 | - |
12.10.2021 | - |